François Pierrad : « Aujourd’hui, 93 % des élèves n’atteignent même pas le niveau médian de 1987, selon le ministère de l’Éducation nationale ».
François Pierrad : « Aujourd’hui, 93 % des élèves n’atteignent même pas le niveau médian de 1987, selon le ministère de l’Éducation nationale » dans #MidiNews pic.twitter.com/TLTN7tOxll
— CNEWS (@CNEWS) September 2, 2024
CSP+ comprend les chefs d’entreprise, les professions libérales, les professions à plus fort revenu du secteur privé (cadres, ingénieurs, chercheurs, etc.) ainsi que l’ensemble des fonctionnaires de catégorie A. Associée à un fort pouvoir d’achat la notion permet de regrouper de manière approximative la classe moyenne supérieure et les ménages aisés.
Après les scores soviétiques du taux de réussite au dernier baccalauréat, on a vu arriver dans l’enseignement supérieur des étudiants auréolés de mentions très bien et de notes « canon » dans toutes les disciplines. L’expérience des dernières années avait rendu les vieux professeurs méfiants. Ils étaient dubitatifs devant les performances de l’enseignement à distance. Il ne sert plus à rien de demander à un étudiant — ayant suivi un cursus de « maths expertes » (l’Éducation nationale excelle dans la dénomination ronflante) — de dériver une fonction avec un quotient, de résoudre une équation du second degré dont les coefficients ne sont pas entiers ou, pire, une inéquation.
Des professeurs de classe préparatoire ont demandé à leurs élèves de répondre à des questions simples, de celles qu’on posait, autrefois, à l’école primaire : « un terrain carré de 20 m de côté doit être entouré par un grillage, on dispose des piquets tous les 50 cm (en commençant par un sommet), combien faut-il de piquets ? ». Qu’un étudiant puisse répondre 80 000 (sans se moquer du professeur) est une indication.
D’autres, plus pervers, ont ressorti des exercices d’un livre de CM2 [10-11 ans] du début des années 60. On n’ose indiquer ici le taux de réussite. « Combien y a-t-il de numéros de téléphone à dix chiffres commençant par 06 ? » « 80 », bien sûr. On arrête là les exemples dont on accordera qu’ils n’ont pas de portée statistique. Ils ont toutefois l’intérêt de montrer qu’un « bon » élève sorti du lycée a reçu en enseignement qui ne lui a pas permis d’appréhender des ordres de grandeur et d’acquérir, sinon une capacité à la réflexion critique, du moins un minimum de bon sens. On invite les lecteurs à faire des tests de ce genre autour d’eux.
On sait bien, depuis des années, que les tests de performance en mathématiques (mais pas seulement) mesurée par des enquêtes de type Pisa ou Timms, relèguent la France dans une position indigne de son histoire dans ce domaine. L’enquête Timms de 2019 place ainsi la France en avant-dernière position de l’OCDE et dernière en Europe (élèves de CM1 et de 4e). On en a un peu parlé, à l’époque, puis on a vite oublié (il est vrai que nous avons eu d’autres soucis depuis). En général, les commentaires pointent les inégalités du système et condamnent « l’élitisme » qui serait la caractéristique (à abattre) de notre école. L’élitisme… on sourit (jaune) en pensant aux piquets.
Le ministère de l’Éducation nationale dispose d’une direction, la DEPP (Direction de l’évaluation de la prospective et de la performance), qui conduit des enquêtes très intéressantes et non susceptibles d’un biais statistique. Elle a fait passer les mêmes tests portant sur le calcul et la résolution de petits problèmes à des élèves de CM2 en 1987, 1999, 2007 et 2017 (avant la crise sanitaire, donc). Comme s’y attendent les pessimistes, les résultats ont chuté de manière très inquiétante entre 1987 et 2017, avec une pente (presque toujours descendante) variable entre les différentes dates.
Décrochage
La « massification » n’y est pour rien, puisqu’on parle de l’école primaire qui a toujours accueilli tous les enfants. Le principal enseignement de l’étude est lié au fait qu’elle a fourni, à chaque étape, des résultats en fonction de la catégorie socioprofessionnelle des parents. Sans surprise, les enfants de CSP + ont toujours de meilleurs résultats que les enfants d’ouvriers ou d’inactifs. La conclusion, extraordinairement éclairante et qui mérite d’être claironnée, est que les enfants de CSP + ont, en 2017, des performances sensiblement inférieures à celles des enfants d’ouvriers ou d’inactifs de 1987.
Ainsi, une école « qui marche » est plus favorable aux catégories défavorisées qu’une école qui ne marche plus l’est à ceux qui sont censés « profiter » du système. Par ailleurs, en 2017, 93 % des enfants obtiennent des résultats inférieurs à la médiane de 1987 (la médiane sépare un effectif en deux) : 56 % obtiennent des résultats qui les auraient placés en 1987 dans le décile inférieur (les 10 % les plus faibles), 1 % seulement obtenant un score qui les aurait placés dans le décile supérieur de 1987. Ces chiffres montrent l’importance du décrochage. On se demande ce que les sociologues de l’éducation pensent d’un tel désastre.
On peut alors à nouveaux frais interpréter le discours dominant condamnant l’élitisme, qui a conduit, pendant l’essentiel de la période, à réduire les programmes, critiquer les filières sélectives et demander toujours plus de « bienveillance » dans l’évaluation des contenus. La bourgeoisie traditionnelle n’était, certes, pas toujours très sympathique, mais on lui trouve finalement plus de qualités qu’à celle qui l’a remplacée. Elle disait à ses enfants « tu hériteras de l’usine, mais passe Polytechnique d’abord » ; elle avait pour cela besoin d’un système éducatif en état de marche dont pouvaient profiter, certes insuffisamment, les autres enfants, comme le montre l’étude de la DEPP.
Nouvelle élite anti-élitiste
Les nouveaux bien-pensants (et bien placés) sentent confusément que leur chère progéniture aura quelques difficultés à acquérir le niveau suffisant pour lui permettre d’intégrer les quelques filières encore exigeantes. Ils préfèrent que la sélection (car in fine il y en aura bien une) se fasse sur d’autres critères, relationnels et communicationnels (Sciences-Po est à cet égard un modèle) ou qu’elle se fasse dans une université anglo-saxonne payante. Le soutien apporté, depuis plus de trente ans, à tout ce qui — des sciences (?) de l’éducation à la sociologie post-Bourdieu — a puissamment contribué au délitement de l’institution scolaire n’a peut-être finalement pas d’autre explication que cette volonté des nouvelles « élites » (celles qui détestent l’élitisme) de choisir pour leurs enfants d’autres voies d’accès à la réussite que l’école méritocratique, les concours difficiles et donc peut-être pas sans risque.
Cette « déconstruction » de l’école et des savoirs s’est faite au nom de la défense des couches populaires. On a répété que l’acquisition des savoirs n’était là que pour légitimer et perpétuer la mise à l’écart des enfants issus de ces catégories. Si l’effondrement de l’école a pu se produire avec une ampleur particulière en France, c’est en partie — il y a bien sûr beaucoup d’autres facteurs — parce qu’il s’est fait sous le couvert du discours d’une sociologie devenue totalement idéologique (tout en se proclamant totalement scientifique), coupée du réel aussi bien que de sa devancière, la sociologie de Durkheim et de Mauss (là aussi le niveau baisse).
La convergence de son discours et des intérêts bien compris d’une nouvelle classe dirigeante a permis d’occulter la réalité du décrochage global dont les premières victimes sont bien sûr celles au nom desquels on avait entrepris la déconstruction. L’immense mérite de l’étude de la DEPP est de montrer que l’ancienne école donnait à ceux-ci, au contraire, une formation plus solide que celle que la nouvelle donne à tout le monde, et leur fournissait donc des armes pour penser et pour agir.
Déclin général
Déclin il y a bien, mais il est général, passé par pertes et profits par une élite qui pensait que le pays pouvait se passer d’une école exigeante comme il pouvait se passer d’industrie (les trajectoires du niveau scolaire et de la désindustrialisation sont parallèles). Il n’est plus question de transmettre une usine au fils ou à la fille polytechnicien, il n’y a plus d’usine. Le discours sur la « réindustrialisation » (au sens large) du pays est une aimable plaisanterie. Entre la crise de la recherche, l’incapacité à terminer avant les calendes l’EPR de Flamanville, les retards pris dans de nombreux domaines stratégiques pour la transition énergétique, l’incapacité à trouver un vaccin, l’affaire semble entendue.
« C’est tout le système, de l’école primaire à l’université, qui régresse depuis trop longtemps. Certains, en écoutant Sandrine Rousseau, économiste et vice-présidente d’université, ont pu s’en rendre compte. »
Les compétences requises sont hors de portée d’un nombre croissant d’étudiants (ce n’est pas leur faute) formés dans un système à la dérive. Il y a peu de chances que l’on construise un réacteur, un moteur à hydrogène, ou même que l’on sache gérer rationnellement une équipe après une formation tout autant coupée du réel — les erreurs signalées plus haut sont à cet égard significatives — que d’une maîtrise conceptuelle impossible à construire sur un socle aussi fragile. Des objectifs ambitieux dont on nous affirme presque qu’il suffit de les énoncer pour les réaliser, ne peuvent être atteints — ce qui reste de notre orgueil national dût-il en souffrir — par un pays avant-dernier en mathématiques.
Nous commençons à comprendre que l’échec de l’école n’est pas sans conséquences, qu’on a joué avec le feu en laissant les apprentis sorciers dynamiter l’édifice. Un niveau général en berne, c’est la double peine : un redressement économique compromis et l’impossibilité de réussir pour ceux qui n’ont que l’école. Les évaluations dont on a parlé concernent l’école primaire, le collège et le lycée, mais bien sûr les problèmes rencontrés à ces niveaux ne s’évanouissent pas ensuite par enchantement. C’est tout le système, de l’école primaire à l’université, qui régresse depuis trop longtemps. Certains, en écoutant Sandrine Rousseau, économiste et vice-présidente d’université, ont pu s’en rendre compte.
Source : Marianne
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