François Hollande a proposé la de création de 60000 postes d’enseignants. Le secteur privé veut sa part du gâteau, mais les représentants de l’Éducation nationale estiment que ces nouveaux moyens doivent leur être exclusivement réservés. Anne Coffinier répond aux questions du site Atlantico.
Atlantico — La proposition de création de 60 000 postes de François Hollande semble raviver les tensions entre secteur privé et secteur public. En effet, le secteur privé réclame la création de 5 100 postes répartis essentiellement dans les établissements catholiques. De leur côté, les représentants de l’Éducation nationale estiment que tous ces nouveaux moyens doivent leur être exclusivement réservés en raison de l’ampleur de la reconstruction nécessaire. La carotte des 60 000 postes est-elle en train de consommer la rupture entre éducation publique et privée ?
Anne Coffinier — Le président de la République est entouré de forces de natures très diverses : certaines le poussent à s’inscrire dans la continuité par rapport à ce qui s’est fait ces quarante dernières années ; d’autres, au contraire, l’incitent à durcir la ligne au détriment de l’école privée.
Avant de répondre, il me semble qu’il faut reconnaître qu’il y a vraiment eu un abus dans la manière de couper les postes dans l’Éducation nationale. On est arrivé en deçà de ce qui est nécessaire pour qu’une machine comme l’Éducation nationale fonctionne décemment. À périmètre et organisation constantes, il y a donc aujourd’hui un vrai besoin de recrutement. En revanche, au regard du fouillis incroyable qui règne dans les statistiques de l’Éducation nationale, personne n’est en mesure de dire à combien ces moyens se chiffrent réellement. Mais il y a clairement et incontestablement un problème de ressources humaines.
Ensuite, il faut revenir sur la règle des 80 %/20 % qui est d’ailleurs au cœur du débat qui nous occupe. Cette règle n’a plus aucune existence juridique, depuis la loi de finance rectificative de 1985. C’est une idée qui s’est consolidée sous forme d’une coutume politique. Ce supposé équilibre n’est en réalité pas accepté par les extrémistes de gauche, le parti « laïcard », acquis au slogan « à école publique, argent public et à école privée, argent privé ». Pour eux, tout l’argent public – c’est-à-dire celui des contribuables – doit aller au profit exclusif de l’école publique ; les 20 % ne sont dans ces conditions que la limite haute de ce qu’ils envisagent de concéder au privé, à titre de tolérance et lorsqu’ils estiment ne pas avoir le choix.
Pour notre part, à la Fondation pour l’école, nous ne souscrivons pas à cette fascination quasi religieuse pour les 80/20 %. Il s’agit avant tout d’un compromis de circonstance, pas d’une règle d’or à graver dans le marbre. Cette pseudo-règle est née dans un contexte précis qui est l’après 1984 avec un gouvernement de gauche qui avait fait face à une mobilisation exceptionnelle de la population et qui a abouti à une impasse qui s’est soldée par la démission d’Alain Savary et la nomination de Jean-Pierre Chevènement. A la suite de cela, il fallait trouver une solution d’apaisement qui s’est matérialisée dans le gel de la situation telle qu’elle était à l’époque. C’est-à-dire que l’État répartisse la création de postes à 20% pour le privé et 80 % pour le public, sans tenir compte des besoins effectifs constatés dans les écoles au regard du nombre d’inscrits.
Mais ce qui correspondait à un compromis à un moment donné, dans un contexte précis n’a pas de raison d’être valable ad vitam aeternam, et on voit mal pourquoi cette règle d’or devrait s’étendre indéfiniment dans le temps en matière de répartition des ressources financières publiques.
La Fondation pour l’école estime que ce qui fonde la légitimité de l’allocation des ressources publiques devrait être la demande effective formulée par les familles. Et on en revient à un critère défini par la loi Debré qui est la notion de « besoin scolaire reconnu » c’est-à-dire qu’à chaque fois qu’il y a une demande effective de la part des parents qui ont besoin de moyens pour scolariser les enfants, alors il y a un déblocage de fonds. Aujourd’hui ce qui prévaut, c’est une logique où l’État décide à quel établissement il va octroyer un nombre déterminé de postes budgétaires, et quelles écoles il fermera – le tout selon son bon plaisir, indépendamment de la demande parentale ou de l’évaluation de la qualité des établissements concernés. L’État dispose de l’offre et organise finalement la pénurie de l’offre de places dans le privé.
Il est donc urgent de sortir de cette malheureuse habitude politique des 80 %/20 %, née de circonstances très précises, qui ne correspond plus à la réalité et qui en plus est sacralisée d’une manière un peu absurde. Les moyens devraient être octroyés aux écoles au prorata des demandes d’inscription reçues et de leur évaluation par les familles. En démocratie, c’est la demande des parents qui devrait primer.
Atlantico — La gauche républicaine a toujours un peu rechigné à financer le secteur privé pour donner la préférence au secteur public. Par ces mesures qui ne visent que le secteur public, le gouvernement socialiste n’est-il pas en train de tuer le secteur privé ?
Je ne suis absolument pas certaine que le gouvernement actuel voudra rouvrir la guerre scolaire, même s’il reçoit de fortes sollicitations en ce sens. Ce n’est pas à son avantage pour différentes raisons. Plus encore qu’en 1984, il s’aliénerait une partie importante de sa propre base parce qu’aujourd’hui le recours au privé n’est pas du tout idéologisé, mais repose sur une analyse pragmatique de l’offre scolaire et un désir de préserver la possibilité d’un choix, d’une alternative en cas de problème avec l’école publique. Il faut savoir que plus de 40 % des enfants passent par le privé à un moment où un autre de leur scolarité. En réalité les mentalités sont au zapping consumériste pour aller à l’endroit « où c’est le moins pire ». Et cela, à droite comme à gauche.
En d’autres termes, tout le monde – y compris les membres du gouvernement – veut pouvoir mettre ses enfants dans des établissements privés en cas de nécessité. Si l’on regarde l’entourage de l’équipe de gauche au pouvoir, ils sont presque tous passés par le privé sous contrat ou y ont leurs enfants. Le président Hollande, ancien élève des Frères des écoles chrétiennes, a confié ses enfants à l’Ecole alsacienne, école privée sous contrat. Bref, le système a besoin d’avoir cette soupape de sécurité ; nous tous voulons pouvoir choisir le privé, pour tout ou partie des études de nos enfants.
Il faut aussi rappeler que le sous-contrat et le hors-contrat fédèrent des réseaux d’écoles catholiques certes mais aussi juives, laïques, etc. Ainsi le gouvernement se rend compte qu’en cas de changement et de radicalisation de la règle d’or, il devra affronter un réseau d’insatisfaits assez important.
En revanche, la question qui va bientôt se poser, c’est le degré de détermination de l’enseignement catholique sous-contrat. Il me semble que le rapport de forces est structurellement favorable au secteur privé pour les raisons expliquées précédemment. Il serait donc dommage d’en rester à la pseudo règle des 80/20 de manière défensive, au lieu de la contester et d’affirmer la liberté de l’enseignement et le droit au choix des parents.
Personnellement, je trouve cette stratégie anachronique et injuste car elle fait peu de cas de la volonté d’accession à l’école privée de tous ceux qui le voudraient mais qui n’ont pas de place vu la pénurie organisée. Car il faut savoir que le réseau de l’enseignement privé est développé dans des secteurs qui ne correspondent plus toujours aux besoins actuels. Le meilleur exemple est celui des nouvelles villes et des banlieues. Si on veut pouvoir redévelopper des écoles et réorganiser la carte scolaire en fonction des besoins réels – car après tout le but n’est pas de tenir des bastions et des postes mais de rendre service aux familles – il va falloir regagner des libertés. C’est une injustice qu’il y ait, d’un côté, des écoles publiques gratuites et de l’autre des écoles privées avec des parents qui ne sont pas aidés par des frais scolaires défiscalisés par exemple.
Atlantico — La droite a-t-elle réellement privilégié le secteur privé catholique en supprimant moins de postes que dans le public ?
Il faut se méfier des guerres de chiffres car l’Éducation nationale est incapable de tenir une comptabilité précise de ses effectifs. La Cour des Comptes l’a montré à plusieurs reprises dans ses rapports. Ainsi certains diront que le précédent gouvernement a en effet été très compréhensif avec l’enseignement catholique tandis que d’autres diront que, si l’on raisonne en termes d’effectifs réels, ils ont été à la même enseigne que les autres car dans le secteur privé tout le monde enseigne. Il n’y a pas tous ces gens qui sont dans l’administration ou détachés ailleurs. Ainsi quand on réduit les effectifs dans ce secteur, fatalement on réduit le nombre de professeurs dans les classes aussi. Et c’est tout à fait justifié de raisonner ainsi.
Ensuite, savoir exactement à quel taux ils ont réduit ces effectifs est très compliqué et je dirais même qu’en France peu de gens le savent exactement.
Atlantico — Finalement n’y a-t-il pas un paradoxe, après tout l’école privée devrait être capable de se financer toute seule sans bénéficier de l’appui de l’État ?
Non, ce n’est pas un paradoxe, car soit l’école privée est conçue réellement pour ceux qui peuvent se le permettre comme par exemple en Grande-Bretagne ou les frais de scolarité se montent à 15 000 euros l’année dans les « écoles indépendantes » (si les parents peuvent payer tant mieux, sinon les enfants sont scolarisés ailleurs), soit l’école privée est conçue comme au service de tous, et il faut alors qu’elle soit accessible à tous.
En France, le secteur privé est avant tout catholique et est considéré comme un service. Il cherche à établir les prix les plus bas possible, au regard des contraintes qu’il a à respecter. Elles [les écoles catholiques sous contrat – NDLR du carnet] doivent ainsi scolariser absolument tous les enfants qui se présentent et non pas seulement les enfants catholiques.
Cela donne des situations assez cocasses comme dans la Seine-Saint-Denis où les écoles privées catholiques scolarisent une majorité d’enfants musulmans. La loi oblige en effet les écoles sous contrat à accepter tout le monde, peu importela confession. C’est ainsi que la loi sur le voile, par exemple, a conduit de nombreuses jeunes filles qui refusaient d’ôter leur voile dans l’espace de l’école publique à se réfugier dans l’école privée catholique voisine et donc à rendre quasi impossible le maintien du caractère propre de ces dernières. Ces situations rendent beaucoup de raisonnements faux et principalement celui selon lequel l’école privée aurait moins besoin de financement que le public parce qu’elle aurait moins de contraintes et d’obligations. En définitive, je crois que c’est le bon moment de rebattre les cartes pour permettre une plus grande justice et une meilleure performance académique de notre système scolaire.