Frédéric Lacroix est un chercheur essentiel sur les questions qui touchent à la démographie et à l’avenir linguistique du Québec. Dans un contexte politique où la question du cégep français, je l’ai interviewé pour mieux comprendre les motivations des jeunes Québécois francophones qui passent à l’anglais. Comment l’expliquer ? De quoi est-elle symptomatique ? Entretien avec Mathieu Bock-Côté.
Mathieu Bock-Côté : Pour la première fois depuis des années, on a beaucoup parlé, ces derniers jours, de la place de plus en plus compromise du français au niveau collégial, au point même où certains veulent y appliquer la loi 101, une idée qui était disparue du radar depuis plusieurs années. Mais il faut néanmoins poser la question correctement : qu’est-ce qui explique le désir de plus en plus fort des jeunes francophones et allophones de passer à l’anglais au cégep ? Est-ce, comme on l’entend souvent, parce qu’ils veulent parfaire leur anglais ? Ou doit-on repérer d’autres motivations derrière cette tendance ?
Frédéric Lacroix : La tendance qui ressort des statistiques d’inscription au collégial est en effet très claire : de 1995 à 2018, le nombre de francophones (langue maternelle) qui étudie en anglais au collégial au Québec est passé de 4150 étudiants à 7686, soit une augmentation de 3536 (85 % d’augmentation). Et cette tendance à la hausse s’accélère nettement depuis 2007. L’augmentation du nombre d’allophones dans les cégeps anglais depuis 1995 est aussi nette : ils sont passés de 6383 en 1995 à 8820 en 2018, soit une augmentation de 2437 (ou 38 %). L’augmentation du contingent francophone et allophone au collégial anglais représente donc 5973 étudiants depuis 1995. Ce n’est pas négligeable : ceci est presque équivalent de la taille de John Abbott College (parmi les plus gros cégeps au Québec), par exemple.
Et ceci, soit l’effectif collégial, ne recense que les étudiants qui ont la moyenne générale requise pour entrer dans un cégep anglais. Comme les cégeps anglais sont en mesure d’écrémer seulement les meilleurs étudiants, les statistiques d’effectif collégial ne donnent pas une idée juste du désir d’études en anglais parmi les jeunes.
Nous apprenions il y a quelques semaines que Dawson College acceptait seulement 30 % des demandes d’admission qui lui sont adressées. Ce qui signifie que Dawson reçoit grosso modo 10 000 demandes d’admission par année et refuse environ 6000 étudiants qui auraient aimé s’y inscrire. Ce chiffre, absolument renversant, donne une bonne idée de la situation du français au collégial. Le désir d’études en anglais est absolument massif.
La question que l’on peut se poser est la suivante : pourquoi, après 11 années de cours d’anglais à chaque année de la première année du primaire à la fin du secondaire, un francophone ressent-il le besoin d’aller dans un cégep anglophone pour apprendre une langue qu’il devrait déjà savoir ? Les cours d’anglais au Québec seraient-ils si mauvais, si catastrophiques, qu’il faille absolument passer par des études en anglais (et non seulement des cours d’anglais) pour maîtriser cette langue ?
Un lecteur perspicace, Akos Verboczy, me fait remarquer que la chose peut aussi être vue à rebours : plutôt qu’un déficit de maîtrise, n’est-ce pas plutôt la maîtrise grandissante de l’anglais chez les jeunes francophones (et allophones scolarisés en français) qui les incite à poursuivre leurs études postsecondaires en anglais ?
Il faut « inverser, toujours inverser » disait Charlie Munger, le partenaire d’affaires de Warren Buffet dans le conglomérat multimilliardaire Berkshire Hathaway, qui affirmait que cette technique était son outil de travail le plus important pour résoudre des problèmes. Ceci permettait souvent, selon lui, en changeant complètement de perspective, de voir et de comprendre les choses sous un éclairage nouveau.
Mathieu Bock-Côté : Pour la première fois depuis des années, on a beaucoup parlé, ces derniers jours, de la place de plus en plus compromise du français au niveau collégial, au point même où certains veulent y appliquer la loi 101, une idée qui était disparue du radar depuis plusieurs années. Mais il faut néanmoins poser la question correctement : qu’est-ce qui explique le désir de plus en plus fort des jeunes francophones et allophones de passer à l’anglais au cégep ? Est-ce, comme on l’entend souvent, parce qu’ils veulent parfaire leur anglais ? Ou doit-on repérer d’autres motivations derrière cette tendance ?
Frédéric Lacroix : La tendance qui ressort des statistiques d’inscription au collégial est en effet très claire : de 1995 à 2018, le nombre de francophones (langue maternelle) qui étudie en anglais au collégial au Québec est passé de 4150 étudiants à 7686, soit une augmentation de 3536 (85 % d’augmentation). Et cette tendance à la hausse s’accélère nettement depuis 2007. L’augmentation du nombre d’allophones dans les cégeps anglais depuis 1995 est aussi nette : ils sont passés de 6383 en 1995 à 8820 en 2018, soit une augmentation de 2437 (ou 38 %). L’augmentation du contingent francophone et allophone au collégial anglais représente donc 5973 étudiants depuis 1995. Ce n’est pas négligeable : ceci est presque équivalent de la taille de John Abbott College (parmi les plus gros cégeps au Québec), par exemple.
Et ceci, soit l’effectif collégial, ne recense que les étudiants qui ont la moyenne générale requise pour entrer dans un cégep anglais. Comme les cégeps anglais sont en mesure d’écrémer seulement les meilleurs étudiants, les statistiques d’effectif collégial ne donnent pas une idée juste du désir d’études en anglais parmi les jeunes.
Nous apprenions il y a quelques semaines que Dawson College acceptait seulement 30 % des demandes d’admission qui lui sont adressées. Ce qui signifie que Dawson reçoit grosso modo 10 000 demandes d’admission par année et refuse environ 6000 étudiants qui auraient aimé s’y inscrire. Ce chiffre, absolument renversant, donne une bonne idée de la situation du français au collégial. Le désir d’études en anglais est absolument massif.
La question que l’on peut se poser est la suivante : pourquoi, après 11 années de cours d’anglais à chaque année de la première année du primaire à la fin du secondaire, un francophone ressent-il le besoin d’aller dans un cégep anglophone pour apprendre une langue qu’il devrait déjà savoir ? Les cours d’anglais au Québec seraient-ils si mauvais, si catastrophiques, qu’il faille absolument passer par des études en anglais (et non seulement des cours d’anglais) pour maîtriser cette langue ?
Un lecteur perspicace, Akos Verboczy, me fait remarquer que la chose peut aussi être vue à rebours : plutôt qu’un déficit de maîtrise, n’est-ce pas plutôt la maîtrise grandissante de l’anglais chez les jeunes francophones (et allophones scolarisés en français) qui les incite à poursuivre leurs études postsecondaires en anglais ?
Il faut « inverser, toujours inverser » disait Charlie Munger, le partenaire d’affaires de Warren Buffet dans le conglomérat multimilliardaire Berkshire Hathaway, qui affirmait que cette technique était son outil de travail le plus important pour résoudre des problèmes. Ceci permettait souvent, selon lui, en changeant complètement de perspective, de voir et de comprendre les choses sous un éclairage nouveau.