vendredi 6 novembre 2020

La laïcité est le cache-sexe d'enjeux démographiques, culturels et historiques

Une tribune de l’historien Guillaume Cuchet (ci-contre), spécialiste de l’histoire du catholicisme, il a notamment écrit un ouvrage remarqué : Comment notre monde a cessé d’être chrétien. Anatomie d’un effondrement (Seuil, 2018). Son dernier livre Une histoire du sentiment religieux au XIXe siècle. Religion, culture et société en France, 1830-1880 est publié aux Éditions du Cerf.

Il ne faudrait pas que la focalisation actuelle du débat public sur la laïcité et la liberté d’expression nous fasse perdre de vue le fait que les vrais enjeux du problème sont, pour une large part, ailleurs, géopolitiques, démographiques, culturels et historiques. De quoi, au fond, la « laïcité » est-elle le nom dans cette affaire et, si l’on ose dire, le cache-sexe ?

Car il aurait fallu, en un sens, s’aviser avant que l’islam ne devienne la deuxième religion du pays qu’elle pourrait un jour nous poser des problèmes de ce genre. Une enquête de l’Institut Montaigne de 2016 a montré que plus du quart des musulmans en France étaient tentés par un « islam de rupture », en particulier dans la jeunesse, comme on l’a bien vu en 2015 avec les incidents suscités dans certains établissements scolaires par la minute de silence à la mémoire des victimes de Charlie Hebdo.

Les historiens de l’avenir se demanderont peut-être comment les Européens [ainsi que les Québécois] ont pu laisser se créer chez eux, depuis les années 1950, par intérêt économique, générosité, incurie, etc., un problème qui n’existait pas au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et qui est aujourd’hui plus sensible que la question afro-américaine aux États-Unis, parce qu’il n’est pas seulement ethnique, mais aussi religieux. Le cas des prisons est exemplaire : une enquête récente de Farhad Khosrokhavar estime entre 40 et 60 % le nombre de détenus musulmans en France, contre 6 à 7 % de la population. Effarante surreprésentation, inédite par son ampleur dans l’histoire de l’immigration en France, qui donne la mesure du problème. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir été prévenus par toutes sortes d’enquêtes et de rapports depuis trente ans.

Les enjeux sont géopolitiques parce que l’islamisme est un problème mondial dont les pays musulmans sont certes les premiers à souffrir, mais que nous avons importé chez nous avec l’islam. Samuel Huntington, dans un livre qui vaut beaucoup mieux que sa réputation, Le choc des civilisations, écrivait en 1996 : « une immigration importante ne peut que produire des pays divisés entre chrétiens et musulmans », ajoutant, au vu de la répartition des zones de conflits dans le monde, qu’il y avait « du sang aux frontières de l’islam ». Il ne faut donc pas s’exagérer le poids des causalités françaises dans cette affaire. La France n’est qu’un théâtre, secondaire à l’échelle mondiale, mais le principal en Europe, de cette nouvelle « guerre mondiale » de basse intensité. La « radicalisation de l’islam » rend possible « l’islamisation de la radicalité », quelle que soit l’origine (sociale ou culturelle) de cette dernière. A contrario, le moyen de devenir un terroriste avec, disons, le « Sermon sur la montagne » de Jésus ?

L’enjeu est démographique ensuite parce que l’islam est une religion née chez nous par immigration et que celle-ci n’a pas cessé depuis les années 1950, même si elle a diversifié ses zones de départ. Elle grandit désormais aussi par conversion et surtout par croissance naturelle. Jérôme Fourquet vient de montrer que 18,5 % des enfants qui naissent chaque année dans ce pays portent désormais des prénoms de type « arabo-musulman », contre moins de 1 % en 1950. Se figure-t-on bien ce que peut signifier à moyen terme pour la société française un tel chiffre ? L’enquête Teo de l’Ined en 2008 a montré par ailleurs qu’on avait assisté en France dans les années 2000 à un « croisement des courbes de ferveur » (Michèle Tribalat) entre catholiques et musulmans. Il y a certes encore nettement plus de catholiques que de musulmans déclarés, mais si on demande aux uns et aux autres, qui attachent « beaucoup d’importance » à sa religion, il y a désormais, en chiffres absolus, plus de musulmans « fervents » que de catholiques.

L’enjeu est également culturel parce que cette immigration, en particulier maghrébine, est à l’origine d’un fort malaise identitaire qui ne s’est islamisé que dans un second temps. Le problème n’est vraiment devenu manifeste qu’au milieu des années 1990. La migration est toujours une opération compliquée : pour celui qui bouge, mais aussi pour les sociétés de départ, a fortiori si, ex-possessions coloniales, elles « avouent » ainsi avec leurs pieds qu’elles ont encore besoin de leur ancienne métropole, comme pour la société d’accueil, en particulier pour les classes populaires en son sein, qui sont en première ligne sur le front de l’intégration. Mais jusqu’à présent, la religion avait plutôt joué en faveur de cette dernière parce que la plupart des immigrés venaient de pays européens de culture catholique ultra-majoritaires (Belgique, Italie, Pologne, Espagne, Portugal). En une génération, et parfois plus vite encore, les nouveaux arrivants rejoignaient les standards philosophiques locaux. On a pu croire au départ qu’il en irait de même avec l’islam avant de s’apercevoir que le processus s’était grippé. Les choses se sont sans cesse aggravées depuis.

Le dernier enjeu est historique parce que la laïcité française, cet « universel singulier » qui ne s’est guère exporté, ne vient pas de nulle part. Elle est le produit d’une histoire singulière. Au milieu des années 1960 encore, plus de 93 % de la génération était baptisée au sein de l’Église catholique et seuls 3 % des Français d’ascendance catholique étaient complètement sortis de son aire d’influence. La laïcité française est née de cette matrice, à la fois par filiation et par réaction contre. Les deux minorités historiques, protestante et juive, ont spontanément rallié le camp de la laïcité qui les émancipait, de sorte que la gauche s’est habituée à considérer que toutes les minorités religieuses avaient vocation à rejoindre la coalition laïque. L’islam représente, en un sens, le premier vrai « test » culturel de l’universalité de principe de la laïcité française et le bilan est, pour l’heure, pour le moins mitigé.

Qu’on ne se méprenne pas sur le sens de mon propos : la laïcité bien comprise est certainement une partie de la solution du problème, mais il ne faudrait pas qu’elle nous fasse perdre de vue ses fondamentaux, notamment démographiques, qui sont, à mon avis, la clé de notre avenir. La France est un vieux pays d’immigration. Elle fait don d’elle-même à ceux qui la rejoignent, de sa culture, de son histoire, de son économie, de ses services sociaux, de sa liberté. En contrepartie, elle considérait autrefois que les coûts culturels et psychologiques de l’intégration, même élevés, étaient à la charge de celui qui arrive, pas l’inverse. Le principe est un peu raide, on peut sans doute l’assouplir à la marge, mais l’abandonner est périlleux.

Source : Le Figaro

Ces parents qui veulent continuer l’école à la maison (Le Figaro)

Le point sur l’interdiction annoncée de l’instruction en famille en France. Prise de paroles des familles, des défenseurs de la liberté scolaire dont Anne Coffinier, normalienne et énarque qui a fait l’école à la maison. Mais aussi… Agatha Christie ou Pierre-Gilles de Gênes. Où l’on apprend que, d’après l’Éducation nationale, « les cas d’enfants exposés à un risque de radicalisation et repérés à l’occasion du contrôle de l’instruction au domicile familial sont exceptionnels ».

« Pour lutter contre les dérives observées dans certaines familles sous emprise de l’islamisme, le gouvernement souhaite interdire l’enseignement hors de l’école. Ce qui inquiète les tenants de l’enseignement à domicile.

Le chemin de l’école est court chez les Stevenson. Des chambres des enfants aux deux pièces dédiées à l’apprentissage, il n’y a que quelques mètres. Deux salles de classe à la maison où chacun y trouve son pupitre, sa trousse et ses cahiers. L’une d’elles accueille les collégiens tandis que l’autre est occupée par les plus jeunes. « Sinon, le chahut des uns peut gêner les autres », explique Kildine, mère courageuse de cette tribu de huit enfants, dont elle assure la scolarité à la maison depuis quatre ans.

Huit enfants donc (2, 4, 6, 7, 9, 10, 12 et 16 ans) vivent dans cette grande maison à la campagne, à environ une heure de Bordeaux. Elle et son mari ont fait le choix de l’école à la maison pour les plus grands d’abord, qui avaient des difficultés dans le système scolaire classique, mais aussi pour ceux qui, plus en avance, ne pouvaient pas aller à leur rythme. Enfin, le trajet jusqu’à l’école (une heure quarante par jour en voiture) et les devoirs du soir, interminables, ont fini de les convaincre. Quand on lui demande si ses enfants n’ont pas de problèmes de socialisation, elle rit : « Nos enfants sont les plus socialisés du quartier, voire de la région », plaisante-t-elle. « Ils sont intégrés dans les clubs sportifs et engagés dans le scoutisme… Ils ont des amitiés fortes. Nous considérons qu’il est important de s’ouvrir à d’autres mondes. » Et d’ajouter : « Je les découvre aussi. Je les ai toute la journée et je les éveille intellectuellement, ce qui me permet d’avoir une relation privilégiée avec eux. »

Le 2 octobre, l’annonce d’Emmanuel Macron sur l’arrêt de l’école à la maison dans le cadre du projet de loi sur le séparatisme, l’a autant surprise qu’énervée. « On nous retire une liberté fondamentale », tonne Kildine qui n’en comprend pas les raisons. Le mécontentement gronde aussi dans les familles, réunies dans les groupes Facebook comme l’IEF (groupe international francophone pour l’école à la maison), fort de ses 16 000 membres. Même stupéfaction au sein de l’association Les Enfants d’abord, où la présidente Gwenaëlle Spenlé, est choquée par « cette atteinte aux libertés fondamentales » qu’elle juge injustifiée, elle qui a élevé ses 5 enfants à la maison.

« L’instruction à domicile sera désormais strictement limitée, notamment aux impératifs de santé. C’est une nécessité », a déclaré le chef de l’État, qui a expliqué qu’il visait les familles qui choisissaient cette option pour des raisons religieuses. « Il y a suffisamment d’écoles sous contrat et hors contrat pour apporter une réponse qui soit conforme à ces aspirations », a tranché le président. Depuis, le projet de loi publié par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a confirmé ces positions, qui seront présentées au Conseil des ministres le 9 décembre prochain.

Si elle est votée, cette loi mettra fin à près de cent quarante ans de liberté d’instruire en famille, instituée par la loi Jules Ferry de 1882. Un tsunami pour les 50 000 enfants concernés, même s’ils représentent une goutte d’eau, face aux 8,3 millions d’enfants scolarisés de 3 à 16 ans. Pour Édouard Geffrey, directeur général de l’enseignement scolaire, cette décision est justifiée d’abord par la hausse inquiétante des effectifs ces dernières années. « Pendant longtemps, c’était un phénomène marginal, depuis dix ans l’augmentation est forte et constante. Ils n’étaient que 13-14.000 en 2007, 37 000 en 2018-2019, puis 50 000 en 2019-2020 », constate-t-il, même si leur nombre a mécaniquement augmenté suite à l’abaissement de la scolarité obligatoire à 3 ans en 2019.

Il relève, sans généraliser, des béances dans l’éducation de certains enfants. « Par le biais des rapports d’inspection, nous constatons une socialisation insuffisante, les enfants vivent en système fermé, écrivent peu, des pans entiers des disciplines ne sont pas enseignés, notamment l’éducation au développement durable, aux médias, à la culture, à la connaissance des institutions. » Et de poursuivre : “Beaucoup ont des lacunes dans la transmission des démarches scientifiques, la chronologie en histoire, des connaissances en physique-chimie, en SVT (sciences de la vie et de la Terre NDLR), en technologie. Il leur manque souvent des bases pour poursuivre leur scolarité. Faire le choix de l’école à la maison limite leur horizon.” Il assure toutefois que « les familles itinérantes, les sportifs de haut niveau, les enfants malades ou qui souffrent de phobie scolaire suite à un harcèlement, pourront poursuivre leur instruction à domicile ».

Une réponse qui ne satisfait pas Kildine. « Les familles qui font l’école à la maison sont les familles les plus contrôlées de France. Nos enfants qui étaient à l’école avant ne voyaient jamais autant d’inspecteurs, proteste-t-elle. La mairie peut envoyer un assistant social chez nous afin de vérifier l’état psychologique de nos enfants. L’État a tous les moyens pour contrôler et il le fait avec sérieux. » En effet, les parents doivent le déclarer au maire, qui mène une enquête la première année, puis tous les deux ans, et à l’IA-Dasen qui charge des inspecteurs de mener une enquête une fois par an afin de vérifier le niveau scolaire et la sécurité de l’enfant.

Quant au lien avec l’islamisme radical invoqué par les autorités, il ne convainc guère ces parents très engagés dans leur démarche de liberté d’enseignement. Le ministère de l’Éducation nationale l’a reconnu en octobre 2020 dans un vade-mecum sur l’instruction en famille : « Les cas d’enfants exposés à un risque de radicalisation et repérés à l’occasion du contrôle de l’instruction au domicile familial sont exceptionnels », peut-on y lire.

Philippe Bongrand, maître de conférences à CY Cergy Paris Université et auteur d’un dossier de la Revue française de pédagogie consacré à l’instruction en famille, confirme : “Une part significative de ces parents aspirent, en fait, à les scolariser. Ils font ce choix en raison du « niveau » de l’école de secteur, les “mauvaises fréquentations”, ou l’incapacité de l’établissement à répondre aux besoins éducatifs spécifiques de leur enfant. Ces familles déscolarisent ponctuellement, en attendant de trouver une meilleure solution.” Et de poursuivre : “Dans un département urbain où nous avons étudié la situation de l’intégralité des enfants instruits hors école, le sociologue Dominique Glasman et moi avons constaté que 50 % étaient déscolarisés une année ou moins. On peut se demander si l’accroissement des chiffres n’aurait pas à voir avec ce type de recours, ponctuel et loin d’être « idéologique », à l’instruction en famille.”

Le confinement du printemps pourrait aussi avoir encouragé certaines familles à sauter le pas. C’est le cas de Laurence, thérapeute, qui vit en Ariège avec son mari architecte. Depuis le mois de septembre, elle a décidé avec son mari Laurent de scolariser son fils à domicile. Victor, âgé de 12 ans, avait été inscrit à La Prairie, une école alternative à Toulouse. Mais après leur déménagement, un essai dans le collège « normal » du secteur, les a fait réfléchir. « Avant, j’étais content d’aller à l’école. Dans le collège d’à côté, j’avais la boule au ventre dès que je me réveillais à l’idée d’aller là-bas », explique Victor. Son mal-être et le port du masque obligatoire ont fait basculer la famille dans l’instruction à domicile. Avec le Cned, et beaucoup de patience, Laurence, qui ne se définit pas comme une pasionaria de l’instruction en famille, « coache » au mieux son fils, en attendant de trouver une solution.

C’est le cas aussi de la famille Charton, qui a effectué un voyage en Europe avec leurs deux enfants en auto-caravane. De retour en France, Céline et Franck, les parents, aimeraient poursuivre l’expérience, et « continuer à découvrir le monde en dehors du cadre de l’école », explique Anouk, la fille aînée. Originaire de Metz, pour Servane aussi, c’est un choix de vie pour ses 4 enfants, aujourd’hui âgés de 3 à 23 ans. Ce qui n’empêche d’ailleurs pas l’aînée de réussir ses études supérieures, la jeune fille est en master anglais-japonais à l’université. « Je leur enseigne la bienveillance, l’empathie et l’ouverture sur le monde. Nous voyageons quand cela est possible financièrement et nous faisons de nombreuses sorties à la rencontre de professionnels. C’est aussi ça l’IEF : rencontrer des gens. » Mazarine, sa cadette s’insurge : « Quel cliché de dire que l’on ne voit personne quand on fait l’école à la maison ! »

L’instruction en famille n’a pas été toujours une excentricité. Elle a été dans le passé largement pratiquée dans les familles bourgeoises, tels Blaise Pascal et Mozart qui avaient été éduqués par leur père. Encore au XXe siècle, Françoise Dolto, Jean-Paul Sartre ou Jean d’Ormesson ont bénéficié d’une instruction tout ou en partie en famille, bénéficiant parfois des services de précepteurs. En Angleterre, Agatha Christie ou encore les célèbres sœurs Mitford n’ont jamais mis les pieds à l’école. Si l’instruction en famille n’a jamais vraiment disparu, la généralisation du travail des femmes dans les années 1970 l’a rendue désuète.

C’était pour mieux revenir en force, dans les années 1990, une mode venue des États-Unis cette fois, où quelque 1,8 million d’Américains sont scolarisés à la maison. Beaucoup sautent le pas en raison d’un système scolaire qu’ils jugent défaillant. Un phénomène de société aux USA popularisé par l’excellent film Captain Fantastic, qui montre un père de 6 enfants qui a bâti un paradis pour eux, et qui peu à peu doit s’ouvrir au monde.

Mais cette mode venue des États-Unis prône aussi une forme plus extrême de l’école à la maison. Il s’agit du « unschooling », ou « non-sco » en français. Sur ce sujet, le documentaire de Clara Bellar, Être et devenir, fait figure de référence pour les familles « non sco ». L’auteur et conférencier André Stern en est un de ses défenseurs les plus enthousiastes. Cette fois l’école à la maison ne se fait pas par le biais de cours à distance ou de leçons, mais de façon informelle « comme un enfant apprend à marcher ou à parler ». Interviewé par Anne Coffinier, fondatrice de l’association Créer son école et de la Fondation Kairos pour l’innovation éducative, dans une vidéo diffusée sur YouTube, il explique comment cette loi est une atteinte à nos libertés.

« On enlève une écharde en coupant une jambe. Tout le monde pourrait avoir besoin de cette liberté à un moment ou un autre, comme on est content d’avoir un gilet de sauvetage en avion. Je connais des enfants atteints de phobie scolaire, qui ont souffert de harcèlement, ou un enfant très en avance que l’école à la maison a sauvé », raconte-t-il. Et de rappeler, lui qui scolarise ses deux enfants en famille, que le contrôle est très sérieux.

L’instruction en famille générerait, elle, un tempérament créatif et volontaire ? C’est ce que pense sans hésiter Anne Coffinier. Selon cette énarque, militante de la liberté pédagogique, l’instruction en famille peut concerner tout le monde à un moment ou un autre. « Moi-même, quand j’ai vécu en Écosse, j’ai recruté un enseignant à la retraite qui est venu donner des cours à mes enfants pendant un an. » Et de conclure : « L’instruction en famille est un système très réglementé, alors que ceux qui sont en dehors des clous, les enfants déscolarisés, les mineurs isolés, qui ne sont inscrits nulle part, le seront toujours. Il faut juste appliquer les règles existantes. » Et d’ajouter : « Beaucoup de familles ont l’impression de servir de boucs émissaires. »

Si les enfants Stevenson ne vont pas à l’école, ils ont, comme tous les écoliers, des notes. Les élèves sont évalués une fois par mois pour chaque matière et ce, par des professeurs des écoles. Pour les plus grands, qui suivent les cours du Sacré-Cœur, un organisme d’enseignement à distance, cela revient à avoir au moins un contrôle par semaine. Une fois par an, les inspecteurs de l’Éducation nationale rendent visite à la famille. « Ils vérifient que les enfants vont bien, leur font faire des petits exercices pour vérifier leur niveau. Ils reviennent l’année d’après pour voir s’ils ont bien évolué », raconte Kildine qui organise la scolarité à domicile de sept de ses huit enfants. Si la jeune femme respecte le programme officiel, sa méthode de travail, elle, diffère : « Il y a des enfants qui sont scolaires et d’autres qui le sont moins. Je m’adapte à chacun de mes élèves », dit-elle.

Continuer à découvrir le monde en dehors du cadre de l’école. C’est le vœu de cette famille des Hautes-Alpes qui a pris la route pour une année de voyage à travers le continent. Le père photographe et la mère illustratrice ont souhaité assurer la continuité pédagogique d’Anouk et de Tanguy, leurs enfants alors âgés de 11 et 8 ans. Plutôt que de passer par le Cned, trop de contraintes pour eux, les enfants ont suivi les leçons données par leurs parents, aidés par des manuels scolaires. Grâce aux visites de musées, d’expositions, Anouk a exploré l’ensemble de son programme d’histoire de sixième. Les temples grecs ou les peintures rupestres siciliennes étaient plus captivants en vrai que dans le manuel scolaire. Aujourd’hui, crise sanitaire oblige, ils sont revenus chez eux, en attendant de prendre un nouveau départ.

Servane est une pionnière. Cela fait vingt ans qu’elle et son mari scolarisent leurs enfants à domicile. Mazarine, 17 ans, et sa sœur Méryl-Lou, 23 ans, ainsi que leurs deux petits frères Monty-Melor, 10 ans, et Melvil, 3 ans, apprennent à la maison. Les méthodes de Servane sont ouvertes et éclectiques. Elle apprécie la méthode de Singapour pour les mathématiques, la méthode Alpha pour la lecture. Elle n’oublie pas non plus de partager avec sa famille des livres, des expositions, des spectacles. Sans oublier la télévision qui propose un panel de programmes éducatifs, et internet. Mazarine, la seconde, n’a jamais vu l’intérêt d’aller en classe. Elle est aujourd’hui en terminale. Méryl-Lou, l’ainée a rejoint l’Université. Elle étudie en master anglais-japonais où elle enchaîne les bons résultats.

● Agatha Christie : « On s’occupait beaucoup moins de vouloir faire comme le voisin. […] Les Victoriens regardaient leurs rejetons sans parti pris, et décidaient en fonction de leurs capacités. » (extrait d’Agatha Christie. Les Mystères d’une vie, de Marie-Hélène Baylac.)

● Jean-Paul Sartre : « Mon grand-père m’avait acheté un petit bureau personnel, fait d’un banc et d’un pupitre de bois blanc. […] Je reprenais sans ennui ma solitude : j’aimais mon mal. » (extrait des Mots.)

● Françoise Dolto : « Je n’avais pas d’amis. […] Je travaillais seule, intelligemment, et discrètement. […] C’était une vie très austère, finalement, mais très occupée, et de cette austérité je ne me rendais pas compte. » (extraits d’Enfances.)

● Jean d’Ormesson : « Je n’ai jamais été à l’école. Mon père était diplomate, je le suivais à travers le monde. J’ai appris dans les jupes de ma mère. Elle m’a appris le grec, qu’elle ne savait pas, le latin, qu’elle ne savait pas et les mathématiques qu’elle ne savait pas. » (interrogé dans « 13 h 15 », le dimanche, sur France 2, en 2010.)

● Pierre-Gilles de Gennes : « Nous avons dû souvent déménager. Notre vie était agitée. C’est sans doute aussi pourquoi ma mère préférait un système indépendant pour ma scolarité. […] De façon générale, j’avais un bon niveau dans les domaines que ma mère connaissait, en littérature et en histoire. » (cité dans Les Génies de la science, août 2009.) »