samedi 15 février 2020

Québec — Le mythe de la « grande noirceur » a la vie dure

Extrait d’une analyse de la dernière saison des Pays d’en haut parue dans le Devoir. L’auteur Alexandre Dumas est chargé de cours dans le réseau des universités du Québec et auteur de L’Église et la politique québécoise de Taschereau à Duplessis aux presses universitaires McGill-Queen’s, 2019.

Plus récemment, la dernière saison de la série télévisée des Pays d’en haut nous a présenté un Québec en pleine révolte. Loin d’être des habitants classiques, les gens du Nord décrits dans cette série sont tous à leur façon en quête de changement, de liberté et d’indépendance. L’Église joue dans cette fresque le mauvais rôle, celui de gardienne des valeurs traditionnelles, des valeurs exclusivement négatives dont les personnages doivent s’affranchir pour être heureux.

Présenter anachroniquement les personnages sympathiques comme des rebelles « en avance sur leur temps », telle Donalda (Sarah-Jeanne Labrosse), ici face à Séraphin (Vincent Leclerc)

Si le personnage de Mgr Édouard-Charles Fabre, le détestable évêque de Montréal, ne nous avait pas déjà fait comprendre que l’Église catholique était une institution exclusivement intéressée par le pouvoir et l’argent, le nouveau curé Caron vient nous en faire la preuve par neuf. Il vend les sacrements à prix d’or, tyrannise ses paroissiens au moyen du chantage et pousse la superstition à l’extrême. « Vous allez tous mourir si vous ne votez pas la prohibition ! » lance-t-il au conseil municipal.

Caron trace clairement la ligne entre les serviteurs de l’Église, qui peuvent déroger sans conséquence aux commandements, et les fidèles, qui doivent lui obéir aveuglément et inconditionnellement. « Le Bon Dieu pardonne toujours le mal qui est fait pour le bien de l’Église », explique-t-il à Séraphin dans le dernier épisode. C’est une caricature vivante que tous les personnages prennent pourtant au sérieux.

Ce n’est qu’un personnage, serait-on tenté de répondre. Puisqu’il s’agit du seul prêtre désormais représenté ou mentionné et qu’il ne rate pas une occasion de rappeler qu’il agit sous les ordres de l’évêque de Montréal, on en vient pourtant à le considérer comme le digne représentant du clergé de l’époque.

Ce personnage n’a par ailleurs aucune profondeur. Ses motivations ne sont jamais expliquées et il ne possède aucune qualité compensatoire. Il n’apparaît à l’écran que pour faire du mal aux personnages de la série. Le clou est enfoncé bien profondément pour nous faire comprendre que le sympathique curé Labelle était une exception au sein cette institution tyrannique.

Éclairage négatif

La religion dans son ensemble est présentée sous un éclairage négatif. Tous les personnages sympathiques de la série cherchent à s’en émanciper d’une manière ou d’une autre. Les seuls alliés de l’Église sont les profiteurs du système, comme le juge Lacasse, ou des simples d’esprit, comme Victorine, cliché de femme soumise aux dictats de son prêtre. On souligne d’ailleurs que Victorine est la seule catholique pieuse de la paroisse. Cette représentation manichéenne nous amène à penser que le Québec n’est demeuré catholique que grâce à la complicité des élites et de quelques zélotes naïfs et ignorants.

La tentation est grande pour tout auteur de fiction historique de présenter des personnages « en avance sur leur temps » auxquels le public peut s’identifier puisqu’ils partagent sa mentalité et ses valeurs. La série en est truffée, en particulier chez les personnages féminins.

Les derniers épisodes nous montrent Donatienne et Pâquerette quittant le Québec pour vivre leur amour interdit, Donalda se donnant pour mission de rendre l’instruction accessible à tous et Angélique s’inscrivant à l’Université McGill pour devenir avocate (une vingtaine d’années avant Annie Langstaff, la première Québécoise diplômée en droit). À côté de toutes ces femmes en quête d’émancipation, le pauvre Arthur Buies, qui devrait normalement être un avant-gardiste, passe pour un écrivain des plus conservateurs. On en vient à se demander pourquoi la Révolution tranquille n’a pas eu lieu en 1900.

L’œuvre de Grignon était également critique de la religion, la soumission pieuse de Donalda la conduisant à une vie misérable et à une mort tragique. Un tel destin n’est toutefois pas acceptable en 2020, même dans une représentation historique. Le message est donc moins subtil et les personnages qu’on retrouve dans la nouvelle série sont ceux qu’on veut voir aujourd’hui : des femmes fortes et libérées, des esprits libres et affranchis ainsi qu’une Église repoussoir qui nous rappellent que nous avons bien fait de lui tourner le dos.

Cette série, qui se présentait au départ comme étant plus fidèle à l’histoire que la version originale, n’est au final qu’une nouvelle condamnation d’un passé que les Québécois refusent encore d’assumer. Dans ce portrait sombre, la religion catholique joue le rôle de bouc émissaire.

Tout ce que les Québécois n’arrivent pas à assumer dans leur histoire est balayé dans la cour de l’Église, unique responsable de la pauvreté et de l’ignorance des habitants, de la soumission des femmes et de l’intolérance des masses. Quel meilleur moyen d’éviter d’avoir à nous questionner sur ce qui a motivé nos ancêtres à faire ces choix de société qui jurent avec nos valeurs contemporaines ?


Par ailleurs Alexandre Dumas s’est exprimé sur ce sujet en ces termes :

Assumer le passé ne veut pas dire l’exempter de critiques. C’est simplement reconnaître que le chemin suivi par le Québec pour devenir ce qu’il est aujourd’hui n’est pas plus ou honteux que celui de toute autre nation. Il faut cesser les comparaisons superficielles qui nous amènent à penser que le Québec était « en retard » sur le reste du monde.

Cette perception du Québec d’avant 1960 comme une époque liberticide est symptomatique d’une tendance à idéaliser l’Amérique protestante. Les 16 années de pouvoir de l’Union nationale de Duplessis n’ont rien d’exceptionnel au Canada, où des Premiers ministres provinciaux ont connu des termes de plus de 20 ans et des partis sont restés en place 30 ou 40 ans. La censure ? Elle existait, oui, mais elle n’avait rien d’exceptionnel à l’époque du maccarthysme. Les femmes discriminées ? Le Québec a accordé le droit de vote aux femmes avant la France, qu’on ne peut vraiment pas accuser d’avoir été soumise à l’Église. Le « retard » du Québec sur cette question est d’ailleurs davantage imputable à une tradition politique partisane qu’à l’influence de la religion. Les déficiences scientifiques ? Je serais curieux de savoir à quoi vous faites allusion, puisque les universités québécoises n’ont pas attendu 1960 pour se développer et des figures religieuses telles que Mgr George Cabana à Sherbrooke et Mgr Maurice Roy à Québec ont participé à cet essor. Je ne dis pas que la vie était belle au Québec avant 1960. Je dis que le cas québécois n’est pas une exception et que, si exception il y a eu, on ne peut pas l’expliquer simplement par sa différence religieuse.

En 1960, l’Église québécoise comptait environ 6000 prêtres, un millier de religieux et des dizaines de milliers de religieuses. Ces individus ne formaient pas un tout homogène et uni. Dans mon livre L’Église et la politique de Taschereau à Duplessis, je cherche à montrer la diversité idéologique et politique qu’on y retrouvait. Des abus, il y en a eu, et ils méritent d’être dénoncés aujourd’hui. J’invite toutefois à relativiser, à nuancer, et surtout à reconnaître une part de responsabilité collective. Il ne faut pas oublier que l’Église n’a jamais eu plus de pouvoir que celui que nous avons bien voulu lui confier.


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Mathieu Bock-Côté. — Nous apprenions ce matin que le cégep Dawson, le plus gros cégep du Québec, n’accepte que 30 % des demandes d’admission qu’il reçoit. Que signifie ce pourcentage ? Que Dawson est tout simplement un établissement d’excellence ? Ou autre chose ?

Frédéric Lacroix. — Cette nouvelle signifie une chose : qu’il y a actuellement à Montréal une ruée massive vers le collégial anglophone ! Dawson College est le plus gros cégep à Montréal, et de loin : il accueille 8207 étudiants temps plein cette année (11 000 en incluant la formation continue). C’est 1700 étudiants de plus que le deuxième plus gros cégep à Montréal, soit John Abbott College. Qu’ont en commun ces deux institutions ? Il s’agit bien sûr d’institutions anglophones. Voilà la clé pour comprendre ce qui se passe au collégial à Montréal.

Ce qui est en cause ici, ce n’est pas tant « l’excellence » de Dawson College ou de John Abbott (il n’y a aucune surprise ici : recruter des étudiants avec des moyennes supérieures à l’entrée conduit à des taux de diplomation supérieurs à la sortie), mais sa langue d’enseignement : l’anglais. La demande pour de la formation postsecondaire en anglais au Québec, et à Montréal en particulier, est en train d’exploser. Le cégep de la Gaspésie et des îles a choisi d’ouvrir un campus exclusivement anglophone à Montréal en 2017 et s’est rendu à 2500 étudiants en trois ans : ce n’est pas un hasard ou le fait de la chance. Cela reflète la dynamique linguistique actuelle à Montréal. J’ai écrit ailleurs que la situation du français à Montréal était une « catastrophe ». Mais en apprenant ce matin que Dawson acceptait seulement 30 % des demandes au premier tour, je me demande si je n’avais pas enjolivé le portrait que je faisais du français à Montréal !

Car enfin, si on arrive à remplir un cégep de 8207 places en acceptant seulement 30 % des demandes, et comme environ 40 % de l’effectif collégial doit être renouvelé chaque année (la moitié de l’effectif au préuniversitaire et le tiers dans les techniques), cela signifie que Dawson ne reçoit pas très loin de 10 000 demandes d’admission au premier tour chaque année ! Songeons que l’effectif total des cégeps de l’île de Montréal, au préuniversitaire et technique, en français et en anglais, était de 52 860 étudiants en 2018. L’effectif du secteur français était de 32 499 et celui du secteur anglais était de 20 361. Dawson, à lui seul, reçoit un nombre de demandes d’admission équivalent à environ le tiers de l’effectif total du secteur francophone à Montréal. Une proportion importante (20 %) des étudiants qui se destinent au collégial à Montréal font une demande de premier tour à Dawson. Comme les demandes au premier tour reflètent les souhaits des étudiants, on peut comprendre que la demande pour l’anglais au collégial à Montréal est absolument massive, renversante. En comparaison, la demande pour le collégial français est beaucoup plus faible. Comprenons que puisque Dawson refuse plus de 6000 étudiants par année, ceux-ci se retrouvent, pour plusieurs, dans les cégeps français. Malgré eux.

Dans un récent article, paru dans la revue l’Action nationale de février 2020 (« Les cégeps français à Montréal : le début de la fin »), j’analyse la dynamique d’inscriptions au collégial dans la région de Montréal. La tendance à la hausse au collégial anglais dans la part globale du collégial à Montréal est quasi continue depuis 1995. Depuis 2013, on note cependant une nette accélération de la part occupée par le collégial anglais : en 2018, le secteur anglais était rendu à 19 % de l’effectif collégial global. Rappelons que les anglophones formaient, en 2016, seulement 8,1 % de la population du Québec (selon la langue maternelle). Depuis 1995, les cégeps anglais ont capté 95 % de la hausse de clientèle des cégeps à Montréal. Au secteur préuniversitaire, les cégeps français ont perdu 1001 étudiants depuis 1995. Pendant ce temps, les cégeps anglais en gagnaient 3532. Il faut aussi noter que les anglophones sont minoritaires dans leurs cégeps depuis 2001.

Si on regarde seulement la part occupée par les programmes préuniversitaires anglophones au collégial, cette part était en 2018 de 26,6 %. Plus d’un étudiant sur quatre qui se destine à l’université étudie en anglais au Québec ! Cela est tout à fait considérable : c’est plus de trois fois le poids démographique des anglophones au Québec !

Ce que ce chiffre de 30 % d’acceptation des demandes au premier tour révèle, c’est l’effondrement du prestige du français comme langue d’enseignement au postsecondaire à Montréal. Il y a actuellement un « sauve-qui-peut » vers l’anglais à Montréal. Le seul facteur qui limite la croissance du secteur anglophone (et qui freine la chute du secteur francophone), c’est le béton : il est impossible de construire des pavillons assez vite pour suivre la demande au collégial anglais. C’est le béton qui soutient, pour un temps encore, la vitalité du français à Montréal. 



Le collège (cégep) Dawson à Montréal, le plus grand cégep — et de loin — de tout le Québec est anglophone. Ancienne maison-mère de la Congrégation de Notre-Dame (francophone...)

MBC. — Comment expliquer qu’autant de francophones se dirigent vers Dawson ? Faut-il y voir seulement, comme on le dit souvent, une simple volonté pour la plupart d’entre eux d’améliorer leur connaissance de l’anglais ?

FL. — Une importante étude, la plus importante jamais réalisée sur le sujet, commanditée par la CSQ en 2010 et réalisée par l’IRFA, avait analysé les motivations derrière le choix du cégep anglais. Les résultats de cette enquête sont majeurs. Chez les francophones, la principale raison mentionnée pour justifier le choix du cégep anglais était le désir d’améliorer la maîtrise de cette langue. Il faut cependant réaliser une chose : la plupart des francophones qui font ce choix sont des diplômés d’écoles privées ou de programmes particuliers de Montréal : ces élèves ont déjà un très haut niveau de bilinguisme. Pourquoi cherchent-ils à améliorer encore leur maîtrise de l’anglais ?

La réponse est simple : pour intégrer le Montréal anglais, promesse d’opportunités économiques, de juteux revenus et d’un statut social supérieur. Pour la majorité des étudiants de l’étude de l’IRFA, l’anglicisation était un choix de vie assumé. Ainsi, les étudiants interrogés indiquent qu’après le cégep, ils souhaitent s’inscrire à des études universitaires en anglais : 91 % des allophones au cégep anglais avaient l’intention de s’inscrire ensuite à McGill et Concordia tandis que ce n’était le cas que de 18 % des étudiants allophones au cégep français. Les francophones inscrits au cégep anglais suivaient ce comportement de près avec une intention de 80 % en faveur de l’université en anglais. Il est à noter, et ce n’est pas un hasard, que les inscriptions à l’UQAM ont reculé de plus de 10 % l’automne dernier.

La plupart des étudiants inscrits au cégep anglais projetaient de travailler en anglais suite à leur graduation (72 % des allophones, 54 % des francophones). Au cégep français, seuls 10 % des francophones et 15 % des allophones projetaient la même chose. Il est à noter qu’outre l’intention de travailler en anglais suite à la graduation, les étudiants au cégep anglais qui travaillaient durant leurs études travaillaient beaucoup moins en français et utilisaient beaucoup moins le français comme langue d’usage publique que les étudiants inscrits au cégep français.

Le choix du cégep anglais avait aussi une forte influence sur la langue de socialisation des étudiants : ainsi, seuls 15 % des allophones inscrits au cégep anglais avaient des amis francophones alors que c’était le cas pour 85 % des allophones inscrits au cégep français. Enfin, la langue d’enseignement au cégep était corrélée avec les habitudes de consommation culturelle ; moins de 5 % des étudiants au cégep anglais disaient écouter des films en français alors que c’était le cas pour 60 % de ceux inscrits au cégep français.

Globalement, les cégeps anglais de Montréal agissent donc, pour les francophones et les allophones, comme des foyers d’anglicisation. La hausse continue de leur popularité alimente le recul du français à Montréal.

Revenons au point de départ : pourquoi ce désir massif du cégep anglais ? Parce que les jeunes sentent bien, comprennent bien que le français est en perte de prestige et de statut accéléré à Montréal : faire des études postsecondaires en français, c’est maintenant risquer de se retrouver avec un diplôme de faible valeur provenant d’institutions de second rang, de se fermer des portes, de rétrécir son avenir. On assiste à la mise en place d’une sorte de prophétie autoréalisatrice : plus les étudiants se ruent vers le réseau anglais, plus le diplôme anglais monte en valeur et plus le diplôme français en perd. C’est la loi de l’offre et de la demande, qui conduit ici à un cercle vertueux pour le réseau anglais, mais vicieux pour le réseau français.

MBC. — On a longtemps envisagé d’étendre la loi 101 au niveau collégial — cette idée était très présente dans la décennie post-référendaire. Elle semble disparue du radar. Faudrait-il y revenir et si oui, de quelle manière ?

FL. — On se rappellera que c’est la Commission Gendron qui, la première, établit l’objectif de faire du français la « langue commune ». La Charte de la langue française le reprit explicitement en 1977. Cet objectif est censé être au cœur de la politique linguistique québécoise. Mais la situation des cégeps dans la région de Montréal révèle que cet objectif de faire du français la langue commune a été abandonné par le gouvernement du Québec.

L’enquête de l’IRFA a démontré dès 2010 que les cégeps anglais étaient des foyers d’anglicisation. Si l’objectif était toujours de faire du français la langue commune, cette information aurait dû normalement mener à une profonde remise en question de la politique linguistique québécoise. Car il faut conclure une chose : Camille Laurin et les concepteurs de la Charte de la langue française, hélas, ont perdu leur pari : ceux-ci pensaient que l’application des clauses scolaires de la Charte au préscolaire, primaire et secondaire conduirait naturellement les allophones à se franciser et les francophones à s’inscrire ensuite dans le réseau français au postsecondaire. Ce n’est pas le cas.

Il faut souligner également l’incompétence de l’Office québécois de la langue française (OQLF), qui écrivait dans son étude sur les cégeps en 2017 la phrase suivante : « les collèges francophones attirent de plus en plus les élèves de langue maternelle autre ». L’OQLF aurait dû formuler sa conclusion ainsi : « les collèges francophones accueillent de plus en plus les élèves de langue maternelle autre, refusés dans les collèges anglophones ». Voilà qui aurait été plus exact.

Il est difficile d’exagérer les conséquences que la hausse des inscriptions relatives dans les cégeps anglais, et l’accélération de cette hausse depuis 2013, aura sur la dynamique linguistique à Montréal. Il est prévisible que le recul du français à Montréal va s’accélérer dans les années qui viennent. Avec cette stupéfiante statistique qui sort de Dawson ce matin, on peut affirmer sans trop se tromper que le prestige et le statut du français sont en voie d’effondrement à Montréal. Les étudiants, au moment de choisir leur cégep, le savent et agissent en conséquence.

Notre élite a toujours prétendu que le prix politique à payer pour étendre les clauses scolaires de la Charte au niveau collégial était trop élevé et qu’il fallait mieux, somme toute, garder le statu quo.

Cela était une politique à courte vue. Le prix à payer pour ne pas étendre les clauses scolaires de la Charte au niveau collégial sera bien plus élevé ; le coût en sera l’effondrement du réseau postsecondaire de langue française à Montréal et la fin de la prétention de faire du français la langue commune. L’anglais sera la langue commune.

Par conséquent, étendre les clauses scolaires de la loi 101 au moins au niveau collégial (il faut réaliser que la même dynamique est présente dans les universités, comme les statistiques d’inscription à l’UQAM le prouvent) est une urgence. Si cela n’est pas fait très bientôt, nous allons perdre le réseau postsecondaire français à Montréal, qui n’aura pas le choix de s’angliciser pour survivre.

Après cela, il faudra bien admettre que la survie du Québec français sera rendue assez problématique.

MBC. — La question de l’avenir du français trouve de l’écho en ce moment dans la course à la chefferie du PQ. Comment évaluez-vous les discours et propositions des candidats, jusqu’à présent ?

FL. — Je crois que la réalisation de la gravité de ce qui est en train de se produire à Montréal n’a pas encore percé largement la conscience collective.

Seul Paul Saint-Pierre Plamondon s’est positionné en faveur d’une réforme des modes de financement au collégial et à l’université pour éviter que les Québécois ne financent leur propre assimilation avec leurs impôts. Les institutions postsecondaires sont la clé de voûte du statut et du prestige du français à Montréal. [L'État devra rehausser le prestige du français en refusant de communiquer (et donc d'accepter des documents et formulaires de leur part) avec des avocats, des médecins ou des compatbles établis au Québec en anglais.]Leur effondrement signifie la fin du Québec français. Tout simplement.

Une chose est certaine : cette question est absolument fondamentale. Elle est urgente. Elle dépasse de loin le seul Parti québécois et devrait interpeller tous les partis présents à l’Assemblée nationale.

Mais chose certaine, elle devrait, au minimum, faire l’objet d’un vrai débat de la part des prétendants à la chefferie du parti qui a mis en place la loi 101.

[Note du carnet: On attend toujours que la CAQ, prétendûment de droite et identitaire, s'intéresse à ce sujet primordial. Mais voilà, les réformes de structures, la mise en place de maternelles à 4 ans en grande partie inutiles et la réforme d'un cours idéologique (ECR) par un autre tout aussi idéologique mais plus à la satisfaction des « laïques » du Québec semblent avoir la priorité.]

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Bon an mal an, le collège Dawson reçoit trois fois plus de demandes d’admission que de places disponibles, ce qui en fait selon toute vraisemblance le cégep le plus convoité de la province, en plus d’être celui qui accueille le plus grand nombre d’étudiants.

Cela lui permet de choisir les meilleurs élèves qui se présentent.

Seulement 30 % des demandes faites lors du premier tour, au 1er mars, sont acceptées. Parmi les quelque 8200 étudiants, environ 40 % sont francophones.

Dans les programmes de sciences, les étudiants arrivent du secondaire avec une moyenne générale particulièrement élevée, souligne M. Filion, directeur général du collège Dawson.

«Ça prédétermine considérablement les chances de succès et ça rend les profs heureux. Et ils en donnent plus parce qu’ils ont la chance d’être challengés [mis au défi, comme on dit dans ce collège] par des étudiants qui sont plus performants. Mais ça ne veut pas dire que la qualité de ce qui se fait ici est supérieure à ce qui se fait ailleurs. Ailleurs, ils ont d’autres défis à affronter.»

Que fera le gouvernement de François Legault pour valoriser les études en français ?

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