jeudi 11 août 2022

« Le français hors Québec ? C'est terminé. » Sauvons les meubles...

Il existe schématiquement  deux types de pays bilingues :
  • ceux composés principalement de régions strictement unilingues avec quelques rares zones bilingues, on parle de principe territorial ;
  • ceux dont l’offre de bilinguisme n’est en théorie pas ancrée géographiquement, le citoyen a accès à des services bilingues à travers le pays, il s’agit d’une politique linguistique fondée sur le principe de personnalité.

La Belgique ou la Suisse sont des pays qui adoptent (en dehors de quelques zones bilingues) le principe territorial. C’est ainsi que, dans les zones unilingues, toute l’administration et l’enseignement publics se font dans la langue de la région (pas d’écoles francophones dans les cantons germanophones unilingues en Suisse, pas de « appuyez sur le 9 pour le français »  dans l'administration publique flamande).
 
En 1969, le Canada adopta une politique linguistique fondée sur le principe de personnalité. Celle-ci reconnaît le droit individuel à des services gouvernementaux dans la langue officielle de leur choix. Bien évidemment, dans la réalité, ce droit profite davantage à la majorité anglophone, car partout on trouvera des fonctionnaires qui parleront l’anglais alors que la réciproque ne sera pas vraie (essayez de trouver un douanier francophone à Edmonton).
 
Le Québec privilégie une politique basée sur le principe de territorialité afin de renforcer la langue française sur son territoire, mais cette politique est très lacunaire pour différentes raisons, notamment l’opposition de l’appareil fédéral, mais également une timidité de débonnaire qui ne veut pas faire de vagues ou fâcher le gorille anglophone.

À la lecture du témoignage ci-dessous paru dans l’Actualité, il serait temps de penser à instaurer strictement le principe territorial au Québec : l’administration, la santé et l’enseignement publics devraient y être strictement et uniquement en français. Cela ne devrait pas empêcher, bien sûr, que des écoles privées (non subventionnées) utilisent une autre langue d’enseignement ; c’est le principe des écoles internationales principalement destinées aux expatriés. C’est ainsi qu’on peut déjà envoyer ses enfants à une école en allemand au Canada, mais à ses frais.
 
L’assimilation en famille


Pour ce carnet, trop longtemps on a imposé au Québec la protection de droits linguistiques octroyés à la « communauté historique » anglophone en échange d’une protection réciproque des droits des minorités francophones hors Québec. Au vu de la disparition rapide des francophones hors Québec et du renouvellement constant des anglophones au Québec par l’assimilation d’allophones, il s’agit de plus en plus d’un marché de dupes qui doit prendre fin pour que le français puisse s’épanouir, voire survivre, à longue échéance au Québec. Il faut sauver les meubles.

Tuons dans l’œuf deux objections :
  • la francophonie hors Québec se renouvellerait grâce à l’immigration. Nous n’en croyons rien. Cette immigration constante n’a pas évité le déclin des francophones hors Québec depuis des décennies. Au mieux, cette immigration l’a ralenti. Les francophones minoritaires hors Québec disparaissent au fur et à mesure que les mariages mixtes avec les anglophones deviennent plus fréquents. Autrefois, ces mariages mixtes étaient relativement rares dans des villages fortement francophones, mais l’exogamie se généralise par l’urbanisation croissante et la disparition de la barrière confessionnelle entre les blancs (un mariage catholique-luthérien ne fera plus sourciller). Pour ce qui est de l’immigration récente francophone hors Québec, elle est souvent isolée et donc plus facilement assimilable. En outre, un immigrant noir ou musulman francophone pourra ressentir plus d’affinités avec d’autres noirs (anglophones) ou d’autres musulmans (anglophones) qu’avec des francophones minoritaires hors Québec trop souvent perçus comme des perdants patoisants. 

Les élèves de français de la 11e année du collège francophone Louis-Riel d’Ottawa accueillaient en 2018 Madame Rollande Meunier, 87 ans.
 

  • la minorité historique du Québec doit être protégée. La minorité historique francophone de Flandres, présente depuis mille ans (lire Les Lys de Flandre de Luc Bever de Ryke), ne bénéficie pas les droits que les anglophones ont au Québec. L’anglais n’est en rien menacé dans le monde, il n’a pas besoin d’être protégé dans une province marginale à l'échelle mondiale. Il faut également tordre le cou à l’idée selon laquelle les anglophones qui profitent d’écoles, de cégeps, d’universités, d’hôpitaux ou de services administratifs  en anglais au Québec sont les ressortissants de la « minorité historique » anglophone du Québec. Une grande partie de cette minorité historique a déménagé depuis belle lurette pour des horizons souvent plus prospères (l'Ouest) et plus ensoleillés (le Sud, l'Ontario). À nos yeux, les anglophones au Québec aujourd’hui sont le plus souvent des allophones (grecs, juifs, italiens, pakistanais, antillais, etc.) assimilés à l’anglais ou des anglophones récemment installés au Québec. Dans un contexte minoritaire, il est suicidaire de leur accorder tant de facilités qu’ils n’ont objectivement absolument aucune raison d’apprendre ce qu'ils considèrent comme le baragouin local, à savoir le «French». À ce sujet, voir ce que rapporte La Presse sur la situation à Gatineau  : « [Les Ontariens qui déménagent à Gatineau] ne parlent pas français et ne souhaitent pas l’apprendre », de déclarer Émilie Sauriol. Cela n’étonne en rien le statisticien Charles Castonguay, qui depuis des années analyse les données sur la langue au Québec et au Canada. « Est-ce que je m’y attends ? Évidemment », tranche-t-il en entrevue. « Ça fait 15 ans que le poids du français baisse au Québec et que le poids de l’anglais augmente tranquillement, ajoute-t-il. Et ça fait 15 ans que le poids du français baisse dans la région de Gatineau et que l’anglais augmente tranquillement. »

Nous n’oublions pas les francophones voisins du Québec : peut-être une fois le Québec réellement francophone, l’importance du français augmentera-t-elle dans les régions francophones voisines au Québec. Des régions, comme l’Acadie, demanderont peut-être davantage de droits linguistiques à l’instar du Québec. Quoi qu’il en soit, le Québec ne plus se laisser entraver par le sort malheureux du français hors Québec, il doit d’abord s’assurer que le français s’épanouisse au Québec en y abolissant le principe de personnalité du bilinguisme canadien.


Il est où le français, il est où ? (par Josée Boileau)

En cet été d’aéroports bondés, j’ai choisi de « sauter dans mon char » pour traverser le Canada vers l’ouest, en me demandant par ailleurs jusqu’où j’allais croiser la « francophonie » canadienne…

[…]

Cela a commencé dès le nord de l’Ontario, où de nombreux panneaux publicitaires invitent fièrement les jeunes à s’inscrire à l’école française. Déduction du touriste devant ce signe tangible de vitalité linguistique : je peux donc entrer dans une station-service, un restaurant ou un hôtel en disant « bonjour » et on me rendra au moins la pareille…

Serions-nous mal tombés ? Pas une fois ce n’est arrivé ! Même pas à Sudbury, où pourtant le quart de la population est francophone. Dans cette ville, j’ai d’ailleurs insisté : « Vous parlez français ? » « Non. » Pas de « désolé », pas de « on va trouver quelqu’un », juste « non ». Sans hostilité (… que j’avais déjà ressentie lors de précédentes visites dans le Rest of Canada), plutôt une indifférence tranquille.

Cette scène s’est souvent répétée, même dans un hôtel ontarien qui annonçait ses services dans les deux langues officielles sur la porte d’entrée ! Cette fois-là, je n’ai pas renchéri : à quoi bon. Nous étions sur le chemin du retour et j’avais bien compris que le français, ça valait pour les apparences ou les initiés qui savent quelles adresses fréquenter et vous y guider.

On ne peut même pas se fier aux sites touristiques qui nous assurent de leur bilinguisme, tant l’offre en français y est inégale. Ainsi en va-t-il des parcs nationaux : accueil en français à Jasper et à Banff, mais pas dans les plus petits.

J’ai par ailleurs fini par mettre au rancart mon truc du « bonjour » qui restait sans réponse. Mais dans un supermarché de Kelowna, la caissière nous a d’elle-même parlé en français en nous entendant, mon mari et moi. C’était boiteux et elle s’en excusait : elle était pourtant francophone, fille d’une Montréalaise, élevée à Ottawa. Mais depuis le temps qu’elle était installée en Colombie-Britannique, elle vivait en anglais, comme tout le monde… Bien sûr.

J’ai néanmoins trouvé d’une infinie tristesse qu’au Musée de Saint-Boniface, lieu chargé de préserver la mémoire de ce bastion francophone, la jeune fille à l’accueil ce jour-là soit incapable de dire un mot de français. Une scène qui aurait été impensable il y a 10 ans, quand j’avais visité l’endroit pour la première fois…

Ce soir-là, nous avons longuement jasé avec la serveuse du resto où nous prolongions notre repas. Elle a fini par nous dire qu’elle avait étudié le français à Montréal et nous en a fait la démonstration (réussie !) avec une certaine gêne, expliquant n’avoir jamais l’occasion de le pratiquer à Winnipeg.

« Il suffit de fréquenter Saint-Boniface, non ? » avons-nous répondu. « Oh non, il n’y a presque plus de francophones là-bas ! » C’était en effet l’impression que nous avions eue en nous promenant dans le quartier : parmi les gens croisés, nous n’avions entendu personne parler en français…

J’ai éprouvé le même sentiment d’abandon dans les multiples villages aux noms français qui marquent le paysage du Manitoba, de la Saskatchewan et de l’Alberta, mais où la présence française se fait autrement très discrète, voire inexistante.

C’est le cas même dans les lieux mythiques de l’histoire canadienne-française.

À Batoche, par exemple, théâtre de la grande bataille de Louis Riel pour préserver les droits des Métis avec l’appui du Québec politique du XIXe siècle, le cimetière de l’endroit sert toujours. Mais sur les stèles funéraires des dernières années ne subsistent que les noms français : le reste des informations sur le défunt tout comme les prières sont écrites en anglais. Tout ça pour en arriver à ce renoncement…

D’ailleurs, dans les musées, les Métis sont dorénavant présentés comme les enfants d’une union entre une Autochtone et un Européen : l’épithète « canadien-français » est effacée, ou ramenée à la portion congrue de l’histoire de l’Ouest, au moment même où tout est fait pour valoriser la culture et l’histoire autochtones. Comme si les deux réalités ne pouvaient pas coexister…

Mon retour de voyage a coïncidé avec l’annonce du décès de Gisèle Lalonde, cette grande militante pour les droits des francophones en Ontario. J’en ai été touchée, me demandant si les francophones hors Québec pouvaient arriver à vivre sans avoir à constamment penser à leur identité… N’y a-t-il manière pour eux d’exister au quotidien qu’en se battant ou bien en développant leurs propres réseaux ? Se tenir à la marge, quoi, plutôt que de faire partie de la norme…

Ce questionnement ne se pose pas pour les anglophones du Québec, qui peuvent s’exprimer et être servis dans leur langue partout sur le territoire — il y a toujours quelqu’un pour les accommoder.

C’est un incident banal qui m’a fait pleinement prendre conscience de ce que cela implique dans la vie de tous les jours.

Nous visitions un musée de Winnipeg quand une alarme d’incendie s’est déclenchée. Fausse alerte ? Pendant un bon moment, les directives ont été confuses et données uniquement en anglais.

J’ai alors imaginé la même situation à Montréal, mais avec un message seulement en français : oh que quelqu’un aurait vite dénoncé sur les réseaux sociaux l’intolérable menace à la sécurité des gens !

On a finalement dû évacuer les lieux, beau prétexte pour jaser avec une sympathique bénévole en attendant l’arrivée des pompiers. La dame se pâmait sur Montréal, où sa fille était partie apprendre le français et où elle pourrait aussi l’utiliser, alors qu’ici, n’est-ce pas… Hé oui, hélas.

Source : L’Actualité

Voir aussi

Le client était unilingue francophone. Le procès s’est déroulé au Québec en français. Le jugement est en anglais uniquement. Un avocat québécois s'en plaint. Le conseil de discipline du Barreau reproche à Me Frédéric Allali d'avoir « manqué de respect » dans sa lettre envoyée à la juge Karen Kear. Il connaîtra sa sanction dans les prochains mois. Il aurait réclamé « de façon intempestive » des explications sur un jugement rendu en anglais dans une cause s'étant déroulée entièrement en français. Le Québec : là où tout être fait en anglais, héritage de privilèges exorbitants.

Le français ravalé au même rang que les langues autochtones ? Des fonctionnaires fédéraux de haut rang envisagent d’offrir des cours de langues autochtones aux employés fédéraux. Ils songent aussi à offrir une exemption à ceux qui en parlent déjà une tout en ayant une connaissance suffisante de l’anglais ou du français, révèlent des documents. Il est évident que cela profitera aux autochtones massivement anglicisés. La nomination de Mary Simon, une métis anglo-esquimaude, au poste de gouverneure générale, a soulevé la controverse, car elle ne parle que l’anglais et l’inuktitut (esquimaud), mais pas le français, bien que née au Québec ! Elle serait en train d’apprendre la langue de Molière depuis sa nomination il y a un an. On jugera de sa maîtrise de celle-ci grâce à la vidéo officielle ci-dessous... S'armer de patience et de bienveillance.