vendredi 18 janvier 2019

Sérotonine : modernité nue et inhumaine où la « carrière » des femmes et l'individualisme rendent impossible le bonheur

Michel Houellebecq revient aujourd’hui dans son dernier roman, Sérotonine, sur la question du sexe et de l’amour.

Bien plus qu’un « roman de la France périphérique » comme l’a vendu son éditeur, Sérotonine est le grand roman du couple, de son idéal éternel et de son impossibilité actuelle. Ses lecteurs attentifs l’avaient deviné depuis longtemps : Houellebecq est tout sauf un cynique, ou plus exactement, c’est un faux cynique, un cynique par dépit dont les personnages se réfugient dans le porno et le divertissement uniquement parce que la seule chose qui compte pour eux n’est plus possible en cette « période inhumaine et merdique ».

Et cette seule chose qui compte, c’est l’amour, ce « rêve à deux […] qui permet […] de transformer notre existence terrestre en un moment supportable — qui en est même à vrai dire le seul moyen ».

Les souvenirs de Florent-Claude des jours heureux passés avec son ex, Camille, et ses regrets sept ans après de n’avoir pas su la garder, sont parmi les plus belles pages jamais écrites par Houellebecq, dont on découvre le goût pour le bonheur, et le talent pour le partager. Michel Houellebecq, écrivain de l’amour et du bonheur ? Mais oui ! Sauf qu’il s’agit d’un amour et d’un bonheur constamment humiliés. D’un amour et d’un bonheur que la « carrière » que veulent désormais mener les femmes, leur individualisme, leur libertinage même, ont rendus impossibles. Tout s’oppose désormais à ce « modèle conjugal » idéal et pourtant détruit à jamais.

« J’étais heureux, jamais je n’avais été aussi heureux, et jamais plus je ne devais l’être autant […] J’aurais pu lui proposer d’arrêter ses études, de devenir femme au foyer, enfin de devenir ma femme, et avec le recul quand j’y repense (et j’y repense à peu près tout le temps), je pense qu’elle aurait dit oui […] mais je ne l’ai pas fait, et sans doute je ne pouvais pas le faire, je n’avais pas été formaté pour une telle proposition, ça ne faisait pas partie de mon logiciel, j’étais un moderne, et pour moi comme pour tous mes contemporains la carrière professionnelle des femmes était une chose qui devait être avant toute autre respectée, c’était le critérium absolu, le dépassement de la barbarie, la sortie du Moyen Âge. »


Le résultat de ce « critérium absolu », c’est une fille malheureuse qui élève seule son enfant ; c’est une femme qui a rêvé d’être comédienne et qui termine seule, elle aussi, et alcoolique, à animer des ateliers théâtre à destination des chômeurs de Pôle emploi ; c’est une autre femme, seule toujours, et bipolaire, qui vit enfermée dans sa résidence ultrasécurisée en ayant « peur de tout : du soja modifié, de l’arrivée au pouvoir du Front national, de la pollution aux particules fines » ; c’est un homme enfin, seul encore et toujours, bourré d’antidépresseurs, qui crève de solitude et de regrets, et rêve de se jeter par la fenêtre… La modernité est nue sous la plume de Michel Houellebecq. Elle n’est pas belle à voir.

Source : Valeurs actuelles