samedi 14 mai 2022

Lettonie — Vers l'élimination de l'enseignement en russe en 2025

À partir de l’année scolaire 2025/2026, tous les enfants de Lettonie étudieront uniquement en letton, a souligné la ministre de l’Éducation et des Sciences, Anita Muižniece (Convervateurs), le 11 mai 2022 sur TV24.

Le ministre estime que la transition vers des études uniquement en letton au cours des trois prochaines années est tout à fait opportune. « J’aimerais avoir un livre blanc demain, mais il est important pour moi, en tant que ministre, de m’assurer que les décisions que nous prenons soient durables », a-t-il déclaré.

Jusqu’au 24 mai, les ministères devraient approuver les amendements aux textes réglementaires afin de mettre en œuvre la transition vers l’enseignement uniquement dans la langue d’État.

La proposition du ministère de l’Éducation et des Sciences prévoit qu’au début, les élèves de première, quatrième et septième années seront enseignés en letton, puis l’année suivante les élèves en deuxième, cinquième et huitième années, et à partir de l’année scolaire 2025/2026 — tous les enfants du pays seront enseignés dans la langue d’État.

Depuis 2018, il y a eu une transition progressive vers l’enseignement principalement en letton, et au cours de l’année scolaire 2021/2022, le processus touche à sa fin — actuellement, 50 à 80 % de l’enseignement dans les écoles primaires des minorités nationales (à 90 % russophones) se fait en letton.

L’Alliance nationale en demande davantage

Dans les écoles secondaires, l’enseignement est dispensé uniquement dans la langue d’État, ce qui maintient la possibilité pour les élèves d’étudier les langues minoritaires, la littérature et les matières liées à la culture et à l’histoire dans leur langue maternelle, note l’Alliance nationale (AN). L’Alliance nationale qui a récolté 16,61 % des voix aux législatives de 2018 est membre de la coalition conservatrice et libérale au pouvoir.

Logo de l’Alliance nationale
L’Alliance nationale est un parti national-conservateur, très hostile aux migrants et à toute forme de multiculturalisme ainsi qu’à l’expression des droits de la langue russe parlée par près de 40 % de la population à la maison. L’anticommunisme extrême du parti le conduit à considérer les collaborateurs pro-nazis de la Légion lettone comme des « patriotes ». Sur les questions de politique internationale, le parti est particulièrement hostile à la Russie. L’Alliance nationale demande instamment de passer à l’étape suivante et de veiller à ce que le programme scolaire ne soit enseigné que dans la langue d’État et ceci également au niveau de l’enseignement primaire.

Début mars, la Diète (le parlement) a rejeté les amendements proposés par l’AN à la loi sur l’éducation et à la loi sur les établissements d’enseignement supérieur, qui auraient prévu l’enseignement en letton uniquement dans les écoles dès la prochaine année scolaire.

Le russe, langue de la capitale et de 37 % des habitants du pays

La langue officielle de la Lettonie est le letton1 qui, pour environ 62 % de la population, est la principale langue parlée à la maison en 2011. Le russe est la principale langue parlée à la maison par environ 37 % des habitants du pays. Le letton est majoritaire dans tout le pays excepté dans les régions de Riga (la capitale) et de Latgale, où le russe est la langue de respectivement 56 % et 60 % de la population.

Éliminer le russe comme langue seconde

Le 3 février, le président letton Egils Levits a rencontré la ministre de l’Éducation et des Sciences Anita Muižniece au château de Riga. La réunion a porté sur la réforme du réseau scolaire à Dunebourg (Daugavpils) et, lors des discussions, Levits a exprimé l’avis que l’apprentissage d’une deuxième langue dans les écoles lettones devrait se concentrer sur les langues officielles de l’Union européenne — ce qui exclut notamment le russe.

Réforme de l’éducation de 2004

Une marche de protestation en 2003 contre le prochain transfert des écoles minoritaires en 2004 vers l’enseignement bilingue organisée par le Siège pour la protection des écoles russes,

En 2004, le ministère de l’Éducation et des Sciences de la Lettonie a imposé l’enseignement bilingue dans les écoles russophones (60 % en letton et 40 % en russe), provoquant une série de protestations et d’opposition de la part du Siège pour la protection des écoles russes et de l’Association de soutien des écoles de langue russe.

Réforme de l’éducation 2018-2021

Le 23 janvier 2018, le Conseil des ministres a convenu de lancer une réforme de l’éducation en 2019 qui comprenait une transition progressive vers le letton comme seule langue d’enseignement général dans toutes les écoles secondaires russophones et d’augmenter le pourcentage de matières générales enseignées en letton dans les écoles primaires russophones (au moins 50 % pour le primaire — 6 à 12 ans — et 80 % pour le secondaire inférieur niveaux — 13 à 15 ans), à l’exception de la langue maternelle, de la littérature et des matières liées à la culture et à l’histoire russes qui continueront d’être enseignées en russe.

Manifestation de russophones

Le 4 juillet 2018, le président letton de l’époque, Vējonis, a promulgué un projet de loi controversé proposé par le ministère de l’Éducation et des Sciences visant à étendre les mêmes restrictions linguistiques aux établissements d’enseignement supérieur publics et qu’elles s’imposent également aux universités et collèges privés à partir du 1er septembre 2019. Celles-ci ne seraient plus autorisées à admettre de nouveaux étudiants dans des programmes d’études enseignés dans des langues non officielles de l’Union européenne, à savoir en pratique le seul russe, et que ceux inscrits devront terminer les programmes d’études en cours respectifs d’ici le 31 décembre 2022. Le projet de loi a été opposé par le Parti social-démocrate d’opposition « Harmonie », ainsi que les chefs de plusieurs universités et de plusieurs ONG. Le vice-recteur de l’École internationale d’économie et d’administration des affaires de Riga, Igors Graurs, a déclaré que cela affecterait la capacité d’expatriation des diplômés lettons, entraînant une perte d’environ 54 millions d’euros pour l’économie lettone. Une opinion similaire a été exprimée par l’Union des étudiants de Lettonie qui a qualifié la proposition de « menace pour le développement des programmes d’études et la compétitivité de l’éducation dans l’Espace européen de l’enseignement supérieur, ainsi que dans le monde ».

Le 3 avril 2018, la Douma d’État (la diète russe) a publié une déclaration s’opposant fermement à la réforme et affirmant qu’elle « viole les principes observés par la plupart des pays civilisés ». Elle a exigé que des « mesures économiques spéciales » soient prises contre la Lettonie, tandis que le ministère des Affaires étrangères de Russie a averti que la nouvelle législation aurait un impact négatif sur les relations entre la Lettonie et la Russie. Le député russe Serge Jelezniak a qualifié la réforme de « génocide linguistique » et l’a comparée au « nazisme perpétré envers la population russe » qui aurait lieu en Ukraine. Le ministère des Affaires étrangères de Lettonie a répondu que « les responsables russes qui expriment leur point de vue sur les amendements aux lois lettones ne semblent pas du tout connaître le fond de la réforme ». Il a souligné que « le soutien de la Lettonie aux minorités est nettement plus élevé que dans d’autres pays européens, y compris la Russie ».

La réforme a été suivie de plusieurs manifestations de la part de Lettons russophones. Le ministre letton de l’Éducation et des Sciences, Kārlis Šadurskis, a qualifié les manifestations de « motivées politiquement », affirmant que le Kremlin désirait que les jeunes russophones de Lettonie aient de faibles compétences en letton et les maintiennent sous l’influence de la propagande russe.

Accueil réservé de la Commission de Venise sur les droits des minorités nationales

La Commission de Venise sur les droits des minorités nationales s’est penchée sur la réforme éducative en Lettonie. Elle a émis un avis en juin 2020 à ce sujet, on peut y lire aux paragraphes 119 et 120 sa conclusion :

119. Néanmoins, le système introduit par la législation récente concernant l’enseignement préscolaire doit être réexaminé pour faire en sorte que les personnes appartenant aux minorités nationales continuent de bénéficier de la possibilité de maîtriser leur langue, ce qui est essentiel pour la protection et la promotion de l’identité des minorités ainsi que pour la préservation de la diversité linguistique au sein de la société lettone. Selon la Commission, tant que la Lettonie garantit cette possibilité à toutes les minorités nationales, privilégier l’enseignement dans certaines langues — soit les langues officielles de l’UE — qui sont dans le même temps les langues de certaines minorités nationales serait acceptable. En outre, les écoles privées devraient être autorisées à dispenser un enseignement dans les langues minoritaires. La Commission rappelle que le respect du droit des personnes appartenant à des minorités de préserver et de développer leur langue ainsi que leur identité ethnique et culturelle est, pour la Lettonie, une obligation qui découle de ses engagements internationaux.

120. Même si l’orientation générale des modifications récentes soumises au présent avis ne constitue pas une source de préoccupation, certaines de ces modifications sont toutefois critiquables, car elles n’assurent pas un juste équilibre entre la protection des droits des minorités et de leurs langues et la promotion de la langue officielle. Pour garantir un tel équilibre, la Commission de Venise recommande de :

  • […]
  • prendre les mesures nécessaires sur le plan législatif, notamment, pour faire en sorte que les écoles publiques proposent un programme d’enseignement pour les minorités chaque fois que la demande en ce sens est suffisante ;
  •  dispenser les écoles privées de l’application des proportions obligatoires relatives à l’emploi de la langue lettone qui sont valables pour les écoles publiques mettant en place des programmes d’enseignement pour les minorités ;
  • élargir les possibilités pour les personnes appartenant à des minorités nationales d’accéder à l’enseignement supérieur dans leur langue minoritaire, soit dans leurs propres établissements d’enseignement supérieur, soit au moins dans les établissements publics d’enseignement supérieur ;
  • contrôler constamment la qualité de l’enseignement reçu par les élèves qui suivent les programmes d’enseignement pour les minorités pour s’assurer que les modifications introduites dans le système éducatif ne nuisent pas à la qualité de l’enseignement et n’entament pas de façon disproportionnée la possibilité qu’ont les élèves d’acquérir une bonne maîtrise de leur langue minoritaire. Les autorités responsables de l’éducation devraient aussi procurer aux écoles qui mettent en place des programmes d’enseignement pour les minorités les supports pédagogiques requis, et donner aux enseignants de ces écoles les possibilités voulues de continuer d’améliorer leurs compétences en letton et dans les langues minoritaires, afin qu’ils soient en mesure de mettre en œuvre le processus éducatif en letton, dans la langue minoritaire et dans deux langues à la fois.

Situation actuelle de l’enseignement dans les langues minoritaires

Selon les informations mises en ligne sur le site internet du ministère des Affaires étrangères de la Lettonie en juin 2018, des programmes d’enseignement pour les minorités existent dans sept langues : 

  • le russe, 
  • le polonais, 
  • l’hébreu, 
  • l’ukrainien, 
  • l’estonien, 
  • le lituanien et 
  • le biélorusse. 

L’État a procuré des financements à 104 écoles mettant en place de tels programmes (parmi elles, 94 ont mis en place des programmes en russe et bilingues, 4 en polonais et bilingues, 1 en ukrainien et bilingues, 2 en hébreu et bilingues, 1 en letton et lituanien, et 1 en letton et en estonien) et 68 écoles proposant à la fois des programmes d’enseignement en letton et dans les langues minoritaires (« écoles à double cursus »). 

Pour l’année scolaire 2017-2018, 49 380 élèves au total étaient inscrits aux programmes d’enseignement de base pour les minorités (de la 1re à la 9e année) sur un total de 176 675 élèves pour ces années et 9 271 élèves aux programmes du second cycle de l’enseignement secondaire pour les minorités (de la 10e à la 12e année) sur un total de 36 693 élèves pour ces années.

Certaines écoles privées dispensent également un enseignement dans d’autres langues que le letton. Toutefois, le nombre d’établissements d’enseignement de base et secondaire privés utilisant d’autres langues est négligeable. Selon les données communiquées aux rapporteurs par le ministère de l’Éducation, en 2018-2019, 58 établissements d’enseignement de base et secondaire privés existaient en Lettonie (de la 1re à la 12e année) : 6 d’entre eux étaient des écoles internationales, 11 écoles enseignaient en russe, 8 en letton et en russe, 2 en anglais, 1 en allemand, 1 en letton et en français, 1 en hébreu, et le reste uniquement en letton. Au cours de cette même année scolaire, le nombre total d’élèves inscrits dans les programmes d’enseignement pour les minorités ethniques (russe-letton bilingue) des établissements privés s’élevait à 1 484.

 Sources : TV3.lv, lsm.lv, Commission de Venise

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