mercredi 27 septembre 2017

Après l'éloge du polythéisme, l'attaque contre les racines et l'assimilation

Contre les racines, de Maurizio Bettini, est un plaidoyer antiraciste et multiculturaliste qui vient d’Italie. Et qui selon Éric Zemmour ressemble comme un frère jumeau au discours de la bien-pensance française des années 80 ou, selon ce carnet, au multiculturalisme à l’œuvre au Canada et au Québec, notamment à l’école.

Les Italiens nous ont tout appris. Le droit, la politique, l’art. Les plus grands analystes français ont pris l’habitude au XXe siècle de regarder l’Italie comme un laboratoire des nouveaux phénomènes politiques qui se répandent ensuite dans toute l’Europe : le fascisme dans les années 1920, le terrorisme rouge dans les années 1970, l’eurocommunisme déstalinisé à la même époque ; ou encore le populisme dès les années 1990. Alors, quand un intellectuel italien réputé nous envoie un bref opuscule intitulé Contre les racines, nous imaginons une nouvelle et décisive contribution au discours universaliste et antiraciste à bout de souffle en France. Maurizio Bettini a attiré l’attention il y a quelque temps en publiant un Éloge du polythéisme érudit et brillant.

Avec sa nouvelle livraison, on comprend ce que l’on avait pressenti : le polythéisme n’était que le paravent antique d’un multiculturalisme plus moderne. [Note du carnet : On peut en dire autant du programme d’éthique et de culture religieuse qui a une approche polythéiste face aux religions : elles sont toutes dans leurs diversités respectables et honorables, les élèves doivent l’apprendre, afin d’assurer le « vivre ensemble » dans notre société de plus en plus diverse, alimentée comme l'elle est par une immigration nombreuse et hétérogène.] Et derrière les dieux de l’Olympe se cachait Allah. Mais notre professore n’a pas la démonstration inventive. Il reprend presque mot à mot les manières et les arguments des théoriciens français de l’antiracisme dans les années 1980. C’est le monde à l’envers. C’est « retour vers le futur » version franco-italienne. On croit souvent relire une page dans le Libération de Serge July au temps de « Touche pas à mon pote ». On finit les phrases de notre professore. Tout y passe. La même ironie grinçante pour les pauvres attardés qui croient défendre leurs « racines ». Le même éloge vibrant — bien que contradictoire — de la différence et du métissage. La même « déconstruction » d’une histoire nationale dont on se complaît à révéler les omissions et les réinventions. Même détestation du passé et de l’identité. On connaît la litanie : racines, identité, tradition, terre… On écrit la suite : races, pureté, Hitler, guerre…

Mêmes sarcasmes élitistes pour la « nostalgie individuelle ». Même leçon docte : « La culture, c’est ce qui mute. » Mêmes références à Montaigne et Voltaire. Même évocation goguenarde de la tomate, élément majeur de la pizza, plat identitaire des Italiens, et qui vient d’Amérique ! Même utilisation savante de l’Histoire pour retourner et détruire le sentiment de dépossession produit par l’immigration massive : la Grèce n’a pas inventé la démocratie, seulement le mot ; il y avait des Maures, il y a plusieurs siècles sur la place de Livourne ; il est donc normal qu’ils soient revenus, avec leurs femmes voilées, leurs kebabs et leur musique à tue-tête. Ne nous laissons pas aller à une nostalgie imbécile : « Les lieux et les cultures de ceux qui les habitent ont toujours changé. » Rien n’existe, tout est inventé et réinventé. Il n’y a pas de traditions, il n’y a que des traditions forgées dans un « processus de reconstruction artificiel ». La consigne est simple et connue, mise en œuvre par l’Éducation nationale française depuis des années : « Il faut inventer des traditions durables, des traditions tolérantes, ouvertes. »

Nos antiracistes hexagonaux ressortaient à foison l’exemple des « immigrés qui avaient fait la France » : Platini, Montand, Adjani, Reggiani, etc. ; alors que c’était la France qui les avait faits. Notre Italien tire de la Rome antique l’exemple même de la ville-monde : « Si le mélange entre peuples a réussi à donner vie à un lieu aujourd’hui mythologisé — Rome une de nos capitales — pourquoi le même principe ne pourrait-il pas continuer à valoir aussi pour nous ? »

Notre professore ne se revendique du christianisme que lorsqu’il tend l’autre joue. Maurizio Bettini se réjouit que l’Europe ait renoncé à se référer dans son préambule constitutionnel aux racines chrétiennes de l’Europe. « À quoi aurions-nous pu les assimiler en effet ? » se plaint-il en faisant allusion aux immigrants musulmans. Notre professeur ne sait pas qu’ils ne s’assimileront pas. Qu’on renoncera à l’assimilation et même à l’intégration. Qu’à Rome, on ne fait plus comme les Romains. Qu’on inventera « le vivre-ensemble » pour mieux dissimuler qu’on ne vit plus ensemble. Mais notre professore ne le sait pas — ou plutôt fait semblant de ne pas le savoir — car en Italie, jusqu’à ces dernières années, les immigrants ne restaient pas : pas de regroupement familial, pas de droit du sol, pas d’allocations. Et surtout, un État trop faible pour empêcher les citoyens de se défendre.

Pour une fois, on peut raconter la suite de l’histoire. Pour une fois, nous avons quarante ans d’avance sur les Italiens. Pour une fois, la France est le laboratoire. Une diaspora étrangère de plus en plus importante qui attire toujours plus de migrants ; des quartiers entiers qui voient fuir leurs habitants indigènes ; des mosquées, des boutiques halal, des kebabs, la rue qui se transforme, les voiles pour les femmes et les djellabas blanches pour les hommes ; les cafés interdits aux femmes et les cités interdites aux « Gaulois » (en l’occurrence, aux Romains !) ; l’espace public qui s’islamise et les lois liberticides au nom de la lutte contre les discriminations. Sans oublier, bien sûr, les violences qui se multiplient, de plus en plus sanglantes.

Notre professore verra son rêve se réaliser. Mais le rêve sera cauchemar.

Aux racines honnies, il préfère l’image du fleuve avec ses innombrables affluents qui se mêlent harmonieusement. Mais dans quelle mer ce fleuve se jettera-t-il ? Quel est le mystère de cette haute intelligence européenne qui déploie des trésors de finesse et d’érudition pour mieux accepter la désagrégation et l’asservissement d’une civilisation millénaire ? Quel est cet individualisme, cet existentialisme, ce libéralisme qui, au nom des droits de l’homme et de la liberté absolue d’un individu-roi, fait le lit d’une culture qui nie les droits de l’homme et enrégimente l’individu dans une structure holiste de fer ? Puisque notre professore francophile aime les intellectuels français, nous lui livrons ceci, d’un de nos plus grands penseurs libéraux, qu’il affectionne sûrement, Benjamin Constant : « Tout est moral dans les individus, mais tout est physique dans les masses. Chacun est libre individuellement, parce qu’il n’a individuellement affaire qu’à lui-même, ou à des forces égales aux siennes. Mais, dès qu’il entre dans un ensemble, il cesse d’être libre. »
Contre les Racines,
Maurizio Bettini,
paru chez Flammarion,
à Paris,
dans la collection Champs,
le 6 septembre 2017,
172 pages.
ISBN-13 : 978-2081409460