vendredi 25 janvier 2013

Cour suprême du Canada : affaire Lola, une victoire à la Pyrrhus pour ceux qui distinguent mariage et union libre ?

Mise à jour du vendredi 25 janvier

La Cour suprême du Canada met un terme à la saga judiciaire de Lola contre Éric en statuant que le régime québécois des conjoints de fait est constitutionnel. Selon le plus haut tribunal du pays, le fait d'exclure les unions de fait de certains droits accordés aux couples mariés, comme le prévoit le Code civil québécois, est également conforme à la Charte des droits et libertés.

Dans un jugement partagé de 5 juges (la juge en chef McLachlin et les juges puînés LeBel, Fish, Rothstein et Moldaver) contre 4 (les juges puînés Abella, Deschamps, Cromwell et Karakatsanis), le plus haut tribunal du pays donne raison au gouvernement du Québec dans cette affaire et consacre donc le statu quo en matière d'union libre pour 1,2 million de Québécois qui ont opté pour ce type d'union.

Pour le sociologue et commentateur Mathieu Bock-Côté :
« Pour une fois, les juges ont résisté à la tentation de faire la loi à la place du législateur, ils ont résisté à la tentation d’imposer leur vision du bien à la société, en transformant une de ses institutions fondamentales, le mariage, au nom d’une vision délirante de la «lutte contre les discriminations». Ils ont résisté à la tentation de dynamiter le mariage et de sacraliser l’union libre. Ils ont résisté à la tentation de dissoudre une réalité complexe dans une idéologie qui prétend réduire le réel à ses seules obsessions. Ils ont résisté au fantasme d’un égalitarisme absolu et malsain qui vient dissoudre toutes les institutions et qui plus est, aurait généralisé dans ce pays le mariage forcé. Les caprices des uns et des autres ne sont pas automatiquement des droits fondamentaux. »
Toutefois, même si la Cour suprême déboute Lola, elle a quand même rendu un jugement majoritaire selon lequel les conjoints de fait sont des personnes vulnérables victimes de discrimination au Québec, tout en précisant que cette discrimination serait « acceptable dans une société libre et démocratique ».

Elle risque par là d'ouvrir une boîte de Pandore. En effet, le plus haut tribunal du pays a statué que les relations conjugales libres ne relèvent plus de la liberté individuelle sur laquelle elle n'a rien à dire en absence de contrat, mais sont sujettes à un examen sous le prisme des catégories de personnes vulnérables et discriminées. En cela, ce jugement annonce peut-être des revendications ultérieures sous cet angle. Une victoire à la Pyrrhus ?

L'avocat de Lola, Me Guy Pratte (le frère d'André Pratte de La Presse) a d'ailleurs profité de ce jugement pour souhaiter que le législateur se saisisse de ce dossier et fasse en sorte que les conjoints de fait soient protégés en raison de leur « vulnérabilité », d'autant plus que plus d'un million de Québécois vivent en union libre.

Le ministre de la Justice du Québec, Bertrand St-Arnaud,  tout en se réjouissant officiellement de la décision de la Cour suprême a d'ailleurs déclaré qu'il serait peut-être temps d'amorcer une réflexion sur l'ensemble du droit familial au Québec, la dernière réforme sur la question datant de 1980. Il a refusé de dire quelles réformes il envisagerait.

Portrait des couples en union libre

— 31,5 % des couples québécois vivent en union libre; c'est 12,1 % dans le reste du Canada
— 51,9 % des ménages québécois sont mariés, contre 67 % des ménages canadiens
— 37,8 % des enfants âgés de 14 ans et moins vivent avec des parents en union libre; c'est 16,3 % pour le reste du pays

Source : Statistique Canada, septembre 2012
Union de fait p/r mariage

Les conjoints mariés ont accès à une série de protections, dont le droit de demander une pension alimentaire, la protection de la résidence familiale et le partage du patrimoine familial.

Par contre, au Québec, les conjoints de fait, en vertu du Code civil, n'ont aucun droit, ni devoir, ni obligation l'un envers l'autre. En cas de rupture, ils ne peuvent exercer aucun recours alimentaire, ni demander le partage du patrimoine familial, à moins d'avoir conclu une entente écrite en ce sens.

En ce qui concerne les enfants, la loi leur accorde les mêmes droits, peu importe qu'ils soient issus d'un mariage, d'une union civile ou d'une union de fait.

Historique

Dans cette affaire, Lola — prénom fictif pour « préserver l'anonymat de ses trois enfants mineurs nés de cette union » —  réclamait une pension alimentaire pour elle-même et l'accès au patrimoine financier de son ex-conjoint de fait, un homme d'affaires multimillionnaire.

La décision de 300 pages rendue vendredi par le plus haut tribunal du pays renverse donc un jugement antérieur de la Cour d'appel du Québec, qui avait donné en partie raison à Lola en novembre 2010. Les juges avaient alors statué qu'il est discriminatoire de priver les conjoints de fait qui se séparent de la possibilité d'obtenir une pension alimentaire pour leurs propres besoins.

Quelques semaines après le jugement de la Cour d'appel, le gouvernement du Québec a décidé de porter cette cause devant la Cour suprême. Le ministre de la Justice de l'époque, Jean-Marc Fournier, estimait que la décision rendue par la Cour d'appel brimait le droit des conjoints vivant en union libre. C'est-à-dire de décider eux-mêmes entre une union civile ou religieuse régie par le droit matrimonial ou encore une union libre sans principes d'obligation alimentaire entre les conjoints.

Selon Québec, la décision de la Cour d'appel alignait l'ensemble des types d'union disponible sur le modèle marital.

Équivalence des droits des conjoints mariés et de fait — la Cour suprême rendra sa décision vendredi


La Cour suprême a annoncé vendredi qu’elle rendra sa décision vendredi prochain, soit le 25 janvier, dans la cause baptisée Éric contre Lola, traitant des droits des conjoints de fait.

La cause, qui a fait l’objet de débats au Québec au cours des dernières années, a trait aux droits des conjoints de fait par rapport aux droits des personnes mariées ou vivant en union civile.

Dans cette cause, Lola et son conjoint de fait, un millionnaire, ont cohabité pendant sept ans et ont eu trois enfants. Après leur séparation, Lola a obtenu une pension alimentaire pour les enfants, mais pas pour elle-même. Elle s’est adressée aux tribunaux, notamment pour contester la constitutionnalité de plusieurs dispositions du Code civil du Québec. Elle veut ainsi obtenir pour les conjoints de fait les mêmes droits que ceux qui sont accordés aux conjoints mariés ou unis civilement.

En vertu du Code civil du Québec, les conjoints de fait n’ont ni droits, ni devoirs, ni obligations l’un envers l’autre découlant de la vie commune. Ils ne peuvent donc exercer de recours alimentaire l’un contre l’autre ni partager le patrimoine familial. Lors d’une rupture, une pension alimentaire est accordée pour les besoins du ou des enfants issus de l’union des conjoints de fait.

C’est sur le volet constitutionnel de la requête que la Cour suprême tranchera, vendredi prochain. La cause avait été entendue en janvier 2012 par la Cour suprême. Environ 1,2 million de Québécois vivent en union libre.

Cette prochaine décision a des échos sur les réseaux sociaux où certains lancent un « dernier avertissement aux intéressés... Il est encore temps de vous séparer de votre conjoint de fait. »

« Beaucoup de gens n'auraient pas vécu en union de fait s'ils avaient su qu'il y avait une obligation de pension alimentaire », rappelait Me Hénault à l'issue du jugement de la Cour d'appel.


Patrick Lagacé s'entretient avec Me Anne-France Goldwater, l'avocate de Lola





Soutenons les familles dans leurs combats juridiques (reçu fiscal pour tout don supérieur à 50 $)