Nous reproduisons ci-dessous une tribune libre écrite par des anthropologues et publiée dans l'hebdomadaire Marianne. Cinq anthropologues ont été bannies d'un colloque qui se déroulera à Toronto, au Canada, du 15 au 19 novembre, au motif que leurs travaux ne sont pas conformes à l'idéologie transgenre. 70 personnalités signent ci-dessous une tribune, lancée à l'initiative de plusieurs universitaires, afin de rappeler les principes de la liberté scientifique.Cinq collègues anthropologues se voient interdites de colloque au Canada. Leur panel s’intitulait «
Parlons sexe et procréation : pourquoi le sexe biologique demeure une catégorie analytique nécessaire en anthropologie » – et devait se tenir en novembre à Toronto. Il s’agit du Congrès annuel 2023 de l’American Anthropological Association (AAA) et de la Société Canadienne d’Anthropologie (CASCA) sur le thème des « Transitions ». Mais les conseils d’administration de ces deux instances les ont « déprogrammées » au motif que «
l’expression des idées avancées pouvait nuire aux membres trans et LGBTQI de la communauté anthropologique et au-delà ».
Ce panel mettrait en cause « le respect pour les valeurs, la sécurité et la dignité » de la communauté anthropologique, ainsi que « l’intégrité scientifique du programme ». La censure s’exerce sur Kathleen Lowrey, Elizabeth Weiss, Silvia Carrasco, Kathleen Richardson et Michèle Sirois [
auteur de Cette nouvelle idéologie qui efface les filles et les femmes].La liberté scientifique compromiseLe raisonnement visant à interdire de parole les anthropologues est fallacieux. Ce panel réunit des femmes anthropologues de quatre pays, de trois langues différentes et trois domaines d'anthropologie. Elles s’interrogent sur l'effacement des femmes à la fois dans la vie sociale et dans la recherche. Dans son argumentaire, Kathleen Lowrey, reconnaît que les anthropologues n'ont pas tous besoin de différencier sexe et genre. Mais l’AAA adopte quant à elle la position officielle selon laquelle le fait de soutenir l'utilisation des catégories de sexe biologique (par exemple, mâle et femelle, homme et femme) mettrait en péril la sécurité de la communauté LGBTQI. Dans sa présentation intitulée
« Pas de doute : les squelettes sont binaires ; peut-être pas les gens », Elizabeth Weiss écrit : « En médecine légale,
cependant [??], les anthropologues devraient travailler (et travaillent) sur les moyens de s'assurer que les découvertes de squelettes sont identifiées à la fois par le sexe et l'identité de genre. »
L’anthropologue espagnole Silvia Carrasco prévoyait de présenter des données sur « l'oppression, la violence et l'exploitation basées sur le sexe » et la difficulté de résoudre ces problèmes lorsque le sexe biologique est désavoué. Le résumé de l’anthropologue britannique Kathleen Richardson mettait en évidence les problématiques liées aux disparités matérielles entre les hommes et les femmes dans l'industrie des technologies et qui sont effacées par le fait de compter les hommes qui s'identifient comme trans, plutôt que par le fait d’avoir plus de femmes qui entrent dans la profession. L'anthropologue québécoise Michèle Sirois a proposé un compte rendu ethnographique des moyens mis en place par les féministes du Québec pour documenter, clarifier et s'opposer à l'industrie de maternité de substitution qui se cache sous couvert « d’équité » et « d’inclusion » et dont les politiques d’exploitation des femmes pauvres sont cyniquement formulées comme libératoires.
La décision de jeter l’anathème sur certains participants de ce colloque relève d’une décision fondée sur l’idéologie plutôt que sur la rationalité. Ainsi les données scientifiques et biologiques incontestables sont effacées au profit de l’idéologie du genre issue d’une sociologie dénaturée. La censure subie par nos collègues anthropologues est l’illustration même que la liberté scientifique est compromise au profit d’une idéologie politiquement correcte.
Les germes du totalitarisme ?
Non seulement cette décision interdit d’emblée le débat d’idées, mais ce processus d’exclusion ressemble fort au phénomène Lyssenko (ce biologiste et généticien de l'URSS qui s'est acharné jusqu'à l'aberration à faire coller la science aux principes du régime stalinien), exemple de perversion de la science par l’idéologie avec le blanc-seing de la communauté scientifique. Plus grave encore, l’intention affichée pour l'AAA et la CASCA de « se renforcer et s’unifier » en introduisant dans le futur « une évaluation approfondie des processus d’évaluation des soumissions aux colloques annuels, avec la participation des conseils d’administration » ressemble plus aux pratiques totalitaires que nous avons connues lors des dictatures communistes ou fascistes.
La soumission de sociétés savantes à l’idéologie du genre, du wokisme ou de l’intersectionnisme, est consternante. Pour mémoire, les totalitarismes prospèrent grâce aux lâches, aux opportunistes et aux faibles d’esprit, ce qui doit nous faire comprendre que l’heure est grave.
Certains anthropologues parmi les signataires ont grandi et vécu dans les pays communistes d’Europe de l’Est, et sont profondément outrés et choqués par ce type de censure et d’exclusion. Ils se rappellent avoir reçu de telles lettres durant le totalitarisme, les accusant de « non-respect pour les valeurs, la sécurité et la dignité des membres » du Peuple ou d’attenter à « l’intégrité scientifique du programme » du Parti.
Nous, signataires de cette lettre, vous adjurons, pour la liberté scientifique, de réintégrer nos cinq collègues dans votre colloque.
Premiers signataires :
1. Albert Doja, Professeur d’Anthropologie, Université de Lille
2. Claudio Rubiliani, Physiologiste de la Reproduction, Docteur d’État.
3. Céline Masson, psychanalyste, Professeur des universités
4. Caroline Eliacheff, pédopsychiatre, psychanalyste
5. François Rastier, directeur de recherche honoraire au CNRS
6. Pierre-André Taguieff, philosophe et historien des idées, CNRS
7. Martine Benoit, Professeur d’études germaniques, Université de Lille
8. Isabelle de Mecquenem, Professeur agrégée de philosophie
9. Bernard Ferry, psychanalyste
10. Laurence Croix, Enseignant-chercheur, CRPMS / IHSS, université Paris-Cité, France
11. Luis Fernando Macias García, Psicoanalista, profesor Universidad de Guanajuato, Mexico
12. Laure Caille, présidente Libres MarianneS
13. Jean Szlamowicz, linguiste, Professeur des universités
14. Nathalie Heinich, sociologue, Directrice de recherche
15. Patrick Miller, psychiatre, psychanalyste
16. Brigitte Poitrenaud-Lamesi, Maître de conférences émérite en Études italiennes, université de Caen Normandie
17. Luc Vandecasteele, médecin généraliste
18. Samuel Veissière, PhD, Anthropologist, psychosocial clinician
19. Michèle Vianès, Présidente de Regards de Femmes
20. Eva-Marie Golder, psychologue, psychanalyste
21. Didier Sicard, médecin interniste
22. Daniel Halpérin, Pédiatre, Genève (Suisse)
23. Wiktor Stoczkowski, anthropologue, École des hautes études en sciences sociales
24. Pierre Lévy-Soussan, psychiatre, psychanalyste (SPP., IPA).
25. Dominique Schnapper, sociologue
26. Maurice Berger, pédopsychiatre, professeur associé de psychologie de l'enfant
27. Louise L. Lambrichs, écrivain, chercheuse indépendante CRPMS
28. Béryl Koener, Pédopsychiatre, MD PhD
29. Jean-Daniel Lalau, Professeur d’endocrinologie et praticien hospitalier
30. Claude Habib, Professeur honoraire université Sorbonne nouvelle
31. Jean-François Braunstein, philosophe, Professeur des universités
32. Hubert Heckmann, maître de conférences en littérature, Université de Rouen
33. Joël Kotek, Professeur de Sciences Politiques (ULB)
34. Sonia Timsit, psychiatre, psychanalyste
35. Philip Carl Salzman, Emeritus Professor of Anthropology, McGill University
36. Roy Eappen, Endocrinologist
37. Marie Myriam Boutillier, Chef d'établissement
38. Frances Widdowson, Professor
39. Barbara Kay, journaliste
40. Guillaume Gillet, Psychologue clinicien, psychothérapeute, chargé de cours
41. Caroline Valentin, avocate
42. Luana Maroja, Professor of biology
43. Valeria Martucci Psychologue clinicienne, Psychothérapeute
44. Gilles Falavigna, essayiste et éditeur
45. Jacqueline Schaeffer, psychanalyste, Société psychanalytique de Paris
46. Jean-Pierre Lebrun, psychiatre, psychanalyste
47. Jean-Paul Leclercq, Psychologue
48. Anne Brun, Professeur de Psychopathologie et psychologie clinique, université Lyon 2
49. Jean-Marie Lacroix, Professeur des Universités, génétique, Université de Lille
50. Belinda Cannone, comparatiste, Université de Caen
51. Véronique Segonne, Psychanalyste, Ancienne attachée de l'AP-HP
52. Annie Sugier, Présidente de la Ligue du Droit International des Femmes
53. Jean Giot, professeur émérite, Université de Namur (Belgique)
54. Marianne Baudin, Professeur émériteUniversité Paris-Sorbonne, psychanalyste
55. Nora Markman, psychanalyste
56. Xavier-Laurent Salvador, Maître De Conférences
57. Eric Suire, Professeur des universités
58. Philippe de Lara, Maître de Conférences
59. Gilbert Abergel, psychanalyste
60. Michel Fichant, Professeur émérite des universités
61. Anne-Laure Boch, neurochirurgien
62. Laurent Le Vaguerèse, Psychiatre-psychanalyste
63. Isabelle Denys médecin gynécologue médicale
64. Wilfried Gontran, psychologue, psychanalyste
65. Claire Squires, psychiatre, Maître de conférences honoraire des universités
66. Gérard Rabinovitch, sociologue, chercheur honoraire CNRS
67. Joseph Ciccolini, Pharmacologue, Aix Marseille Univ & Assistance Publique Hôpitaux de Marseille
68. Monette Vacquin, psychanalyste
69. Paul Denis, Psychiatre, psychanalyste, Membre de la Société psychanalytique de Paris.