jeudi 10 août 2023

Le Liban veut interdire Barbie, accusé de promouvoir l'homosexualité

Le film risque d’être interdit car il «va à l'encontre des valeurs morales et religieuses au Liban» a annoncé mercredi le ministre de la Culture libanais. Barbie devait sortir le 31 août dans le pays levantin.

Le ministre libanais de la Culture a annoncé mercredi avoir demandé l'interdiction du film Barbie, estimant qu'il faisait «la promotion de l'homosexualité», sur fond de rhétorique anti-LGBT+ croissante dans l'un des pays les plus libéraux du Moyen-Orient. Dans un communiqué, Mohammad Mourtada a estimé que le film, qui a dépassé le milliard de dollars de recettes au niveau mondial et devait être projeté au Liban à partir du 31 août, «va à l'encontre des valeurs morales et religieuses au Liban».

Barbie fait «la promotion de l'homosexualité et du changement de sexe, soutient le rejet de la tutelle du père, mine et tourne en ridicule le rôle de la mère et remet en question la nécessité du mariage et de la formation d'une famille», a ajouté le ministre. La comédie de la réalisatrice américaine Greta Gerwig, avec les vedettes hollywoodiennes Margot Robbie et Ryan Gosling, met en scène l'emblématique poupée Mattel, s'aventurant toute de rose vêtue aux côtés de son petit ami maladroit Ken (ci-dessous).



La décision du ministre intervient alors qu'une campagne anti-LGBT+ s'intensifie dans le pays, menée par le puissant Hezbollah pro-iranien. En juillet, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, avait affirmé que, selon la loi islamique, tout homosexuel «devrait être tué» et appelé à boycotter tous les produits arc-en-ciel. Le Liban est considéré plus «tolérant» que d'autres États arabes par rapport à l'homosexualité. Mais les institutions religieuses continuent d'exercer une influence majeure sur les affaires sociales et culturelles, et l'homosexualité reste sanctionnée par la loi.

Neuf députés ont présenté un projet de loi le mois dernier au Parlement pour décriminaliser l'homosexualité, mais ont été la cible d'une campagne de critiques. Le Liban a annulé à plusieurs reprises ces dernières années des activités de la communauté LGBT+, notamment sous la pression des autorités religieuses. L'an dernier, le film d'animation Buzz l'Éclair, où apparaît un couple de lesbiennes, y avait été interdit.

On apprend par ailleurs que le Koweït a interdit la projection de Barbie pour protéger la morale et les traditions publiques.


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Une étude sur le dispositif canadien d’euthanasie alerte sur ses impasses

Une récente étude publiée sur le site des Presses universitaires de Cambridge s’est penchée sur le dispositif d’euthanasie au Canada, et alerte sur ses impasses.

Intitulée “Les réalités de l’assistance médicale à mourir (AMM) au Canada“, cette étude avait pour objet d’examiner les impacts du programme canadien d’euthanasie et d’analyser les “sauvegardes” permettant d’éviter les dérives. Sa conclusion est inquiétante :

“Le régime canadien d’aide médicale à mourir ne dispose pas des mesures de protection, de la collecte de données et de la surveillance nécessaires pour protéger les Canadiens contre les décès prématurés. Les auteurs ont cerné ces lacunes dans les politiques et ont utilisé des cas d’AMM pour illustrer ces constatations“.

Les auteurs sont des médecins et un juriste, avec une expertise dans le domaine de la bioéthique. Ils ont travaillé à partir des données officielles, et des rapports sur les cas d’euthanasie, ainsi que de la presse et des publications du parlement.

Le système canadien d’euthanasie


Voté en 2016 sous le nom de “C14“, une législation a introduit une exemption à l’interdit de tuer pour les personnes majeures, consentantes, lucides, en cas de maladie ou infirmité avec une “mort naturelle raisonnablement prévisible” (MNRP, en anglais “reasonably foreseeable natural death” (RFND), un déclin irréversible des capacités, et une douleur intolérable (physique ou psychique). Si le suicide assisté est possible, c’est l’euthanasie qui est la forme la plus courante d’administration de la mort.

En 2021, une loi dite “C7” a étendu l’accès en introduisant un régime à deux voies : la voie “C14” et les cas de patients qui ne sont pas proches de leur mort naturelle, incluant donc toutes les personnes avec une infirmité. Un délai de mise en œuvre était prévu pour les personnes souffrant d’une maladie mentale jusqu’à mars 2023. Un nouveau report est voté jusqu’au 17 mars 2024.

Les auteurs rappellent que l’extension prévue par la loi C7 faisait suite à un seul jugement d’un tribunal dans la province de Québec en 2019 qui avait déclaré la disposition de mort naturelle raisonnablement prévisible inconstitutionnelle. Le gouvernement fédéral n’avait pas fait appel de ce jugement. Les auteurs rappellent aussi que “la Cour suprême a explicitement déclaré dans l’affaire Carter (Cour suprême du Canada, 2015) qu’elle ne se prononçait pas sur l’aide médicale à mourir pour la maladie mentale“.

Depuis sa légalisation, les données officielles montrent une hausse continue et forte des cas d’euthanasie : 2% des décès en 2019, 3.3% en 2021 soit 10064 décès. Dans certaines régions, le pourcentage atteint 7%. Par comparaison, en Californie, qui a légalisé le suicide assisté en 2016, on compte 486 cas en 2021, soit environ 0.2% des décès, les populations de ces deux Etats étant proches, ainsi que leur culture.

Résultats de l’étude


Suite à leurs recherches, les auteurs relèvent plusieurs problèmes dans le dispositif canadien actuel.

Des données officielles sans beaucoup de vérifications

Le système de collecte de données repose sur l’auto-déclaration par les praticiens, largement sous le format de cases à cocher. Sachant que pratiquer l’euthanasie en dehors des cas prévus par la loi reste illégal, il est peu probable que les praticiens déclarent d’eux-mêmes des cas non légaux. Bien que le rapport officiel de Santé Canada indique que les patients ayant opté pour l’AMM (assistance médicale à mourir) ont un fort taux d’accès aux soins palliatifs, une étude indépendante sur des patients dans un hôpital de l’Ontario a constaté l’inverse sur l’échantillon de cet hôpital: “Les soins palliatifs offerts aux personnes qui demandent l’aide médicale à mourir sont encore insuffisants“.

Un manque de supervision


L’étude fournit plusieurs exemples de personnes euthanasiées dont les familles n’ont pu avoir accès au dossier médical afin de déterminer si le processus avait bien été respecté. Le témoignage de la famille d’Alan Nichols devant le parlement en 2022 est poignant. Sur le fond, la question est proche de celle pointée du doigt par la CEDH en octobre dernier sur le dispositif belge d’euthanasie : la revue des cas ne peut se faire qu’après le décès, et les conditions d’accès aux dossiers restent difficiles. Comme l’écrivent les auteurs

“le ministre de la Justice a déclaré que la supervision doit être assurée par les membres de la famille qui se plaignent après le fait pour engager des mesures disciplinaires ou des enquêtes policières. Pourtant, les expériences des membres de la famille qui ont essayé de répondre aux préoccupations suggèrent que les cas ne peuvent pas être examinés de manière transparente, et les autorités sanitaires ont invoqué des exceptions de l’intérêt supérieur pour rejeter les demandes d’accès aux dossiers médicaux“.

Une priorisation de l’accès à l’euthanasie qui interroge 


Bien que l’arrêt de la Cour suprême n’a pas explicitement créé un “droit de mourir”, la loi C14 dans son préambule insiste sur un accès “universel” à ce processus : “il est souhaitable d’adopter une approche cohérente dans tout le pays en matière d’aide médicale à mourir“. Le risque pointé par l’étude est de prioriser cet accès plutôt qu’un accès à des soins appropriés mais plus couteux. Le Canada, selon une étude de l’OCDE, se situe en dessous de la moyenne des pays membres pour les dépenses publiques sociales. Dans une audition au parlement pour le projet de loi C7, la ministre Carla Qualthrough en charge de l’inclusion des personnes handicapées avait reconnu : “nous savons qu’il y a des régions du pays où il est plus facile d’obtenir l’aide médicale à mourir qu’un fauteuil roulant.” Le cas de Sathya Dhara Kovac est emblématique. Atteinte de SLA, et euthanasiée en octobre 2022, elle a écrit à ses proches :

“En fin de compte, ce n’est pas une maladie génétique qui m’a fait partir, c’était un système …Il y a un besoin désespéré de changement. C’est la maladie qui cause tant de souffrance. Les personnes vulnérables ont besoin d’aide pour survivre. J’aurais pu avoir plus de temps si j’avais eu plus d’aide“.

L’euthanasie comme levier d’économie budgétaire ? 

Par ailleurs, un rapport de l’office budgétaire canadien a estimé en 2020 que l’euthanasie pourrait être une source d’économies. Dans des pays vieillissant où les coûts de santé conduisent à des pressions financières sur les comptes publics, on peut s’interroger sur le conflit d’intérêt d’un Etat devant choisir entre le bien-être de ses citoyens et la tentation de faire des économies par la proposition extensible d’une assistance médicale à mourir. Le film Plan 75 en fournit une illustration certes fictionnelle mais crédible.

Proposer l’euthanasie à ceux qui ne l’ont pas demandé ?


La Nouvelle Zélande et un Etat australien (Etat de Victoria) interdisent au personnel médical d’initier une discussion sur l’euthanasie avec leurs patients. A l’inverse, au Canada, l’association canadienne des praticiens de l’AMM a publié des guidances dans laquelle elle estime que les médecins et infirmiers “impliqués dans les processus de planification des soins et de consentement ont l’obligation professionnelle d’amorcer une discussion sur l’aide médicale à mourir si un patient est admissible à l’aide médicale à mourir“. L’étude cite plusieurs cas de personnes à qui on a proposé l’euthanasie quand elles demandaient des ressources ou des accès à des soins. A la lumière des chiffres cités plus haut, le choix pour un praticien d’aborder sans entrave la question de l’AMM avec son patient pourrait ne pas être neutre dans les décisions de celui-ci.

Des difficultés de définition et un accès à l’euthanasie parfois plus rapide que celui des soins


L’étude aborde d’autres difficultés pour tout dispositif dit d’encadrement de la pratique d’une euthanasie :

La difficulté pour un médecin de pouvoir prédire correctement le “reste à vivre” des patients.
  • Les nombreuses études montrant qu’à l’annonce d’une maladie grave, le risque de suicide est élevé mais qu’il baisse ensuite.
  • La douleur comme notion qui a une composante psychosociale et renvoie donc à la qualité du soutien -physique, psychique, économique…- proposé par la société et l’entourage. Ainsi, dans certains cas sur le territoire canadien, les délais pour accéder à des soins dépassent les 90 jours nécessaires pour obtenir une euthanasie.
  • Enfin, l’étude mentionne le risque bien documenté de contagion suicidaire – effet Werther.
Cette revue détaillée du dispositif canadien d’euthanasie et suicide assisté illustre de nouveau l’incapacité “d’encadrer” la pratique de l’euthanasie malgré les moyens administratifs et les déclarations des pouvoirs publics.

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