samedi 7 novembre 2009

Claude Lévi-Strauss meurt à 100 ans : « Le mirage de l’entente universelle »

France 2 lors de son 20 heures commençait ainsi son journal de ce jour :
« Le dernier géant de la pensée, un homme qui a bouleversé la perception des sociétés... Les hommages sont très nombreux après l'annonce de la mort de Claude Levi- Strauss... Pour ceux qui le connaissaient mal, son principal apport aura été de mettre en évidence ce que les communautés humaines ont en commun... Des tribus amazoniennes aux sociétés développées... »
Admirez le très moderne « ont en commun » — c'est beau comme un cours d'ECR — en oubliant les condamnations de Claude Lévi-Strauss sur le rêve d'homogénéisation de l'humanité et la contradiction entre diversité et ouverture universelle à l'autre.



Le mirage de l’entente universelle
« Sans doute nous berçons-nous du rêve que l’égalité et la fraternité régneront un jour entre les hommes sans que soit compromise leur diversité.

Si l’humanité ne se résigne pas à devenir la consommatrice stérile des seules valeurs qu’elle a su créer dans le passé (…), elle devra réapprendre que toute création véritable implique une certaine surdité à l’appel d’autres valeurs, pouvant aller jusqu’à leur refus, sinon même leur négation.

Car on ne peut, à la fois, se fondre dans la jouissance de l’autre, s’identifier à lui, et se maintenir différent.

Pleinement réussie, la communication intégrale avec l’autre condamne, à plus ou moins brève échéance, l’originalité de sa et de ma création.

Les grandes époques créatrices furent celles où la communication était devenue suffisante pour que des partenaires éloignés se stimulent, sans être cependant assez fréquente et rapide pour que les obstacles indispensables entre les individus comme entre les groupes s’amenuisent au point que des échanges trop faciles égalisent et confondent leur diversité.

Il n’y a pas, il ne peut y avoir, une civilisation mondiale au sens absolu que l’on donne souvent à ce terme, puisque la civilisation implique la coexistence de cultures offrant entre elles le maximum de diversité, et consiste même en cette coexistence.

La civilisation mondiale ne saurait être autre chose que la coalition, à l’échelle mondiale, de cultures préservant chacune son originalité. »
Claude Lévi-Strauss, Race et Histoire, Race et culture, Source

« L’humanité s’installe dans la mono-culture ; elle s’apprête à produire la civilisation en masse, comme la betterave. Son ordinaire ne comportera plus que ce plat. »
Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, 1955



Claude Lévi-Strauss par Régis Debray (chez F.-O. G.)

Lors de l’émission de Franz-Olivier Giesbert, digne et docile représentant du prêt-à-penser, Vous aurez le dernier mot du 6 novembre, Régis Debray revient sur la présentation tronquée de Claude Lévi-Strauss faite par les médias et les politiques au grand public. Régis Lebray déclare alors à F.-O. G. qui se dit nul en la matière : « Tout ce qui se dit actuellement me paraît baroque et totalement faux. Lévi-Strauss était un homme très incorrect politiquement. Tous les lieux communs sous lesquels on l'enterre aujourd'hui quand on lit la presse [ne correspondent pas à ses écrits] — mais heureusement on ne le lit pas — [...] Le dialogue des cultures ça le fait rire. Il pense que par chance il y a un arc-en-ciel des cultures, mais il ne faut surtout pas qu’elles se rapprochent : il faut maintenir des écarts sinon elles n’auront plus rien à se dire… »





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Tout est pour le mieux au pays des merveilles ECR

Jeudi 5 novembre se tenait une table ronde au Musée de la civilisation1 de Québec sous le titre Le cours Éthique et culture religieuse. Un an après ? État de la situation. La table ronde était organisée par le Conseil interconfessionnel de la région de Québec. Pour une école libre au Québec y avait un observateur.

On ne parlerait pas de la valeur intrinsèque du programme ECR

Le Conseil interconfessionnel est très favorable au cours gouvernemental d’Éthique et de culture religieuse (ECR) imposé à tous les élèves du Québec (sauf, de droit, à ceux de la C.S. Kativik et, dans la pratique, aux juifs orthodoxes). D’emblée, l’animatrice, Catherine Lachaussée, a prévenu l’assistance que l’objet de la soirée et des échanges ne porterait pas sur la valeur ou la pertinence du programme ECR. Il s’agirait plutôt de donner l’occasion à une enseignante et un enseignant de faire état de leur expérience à propos de ce cours : M. Gilles Carrier, enseignant au primaire et formateur en ECR et Mme France Desjardins, enseignante en ÉCR au niveau secondaire.

Aucune plainte des parents sur le programme

M. Carrier fit porter son intervention sur le fait qu’il avait saisi l’occasion d’être formateur en ECR comme un merveilleux défi qui l’aiderait à enseigner ce programme. Enseignement qu’il dit avoir été des plus stimulants et gratifiants. Il affirma en avoir retiré un sentiment nettement favorable à l’égard de ce nouveau programme. Quant aux parents qu’il avait eu l’occasion de rencontrer, il affirma qu’ils n’ont ni appréhension, ni questions sur ce programme. À ses yeux, ce qui leur importe se limite au fait que ce programme soit, comme dans les autres matières du primaire, enseigné par quelqu’un qui aime les enfants, le contenu de ce programme ne lui paraissant pas devoir comporter d’exigences particulières. Et, de façon plus globale, il ajouta que tous les groupes qu’il avait eu l’occasion de rencontrer, à titre de formateur ou comme enseignant, étaient favorables, voire enchantés du programme ECR. Pour ce qui est de Mme Desjardins, son expérience du programme au secondaire l’amenait à se prononcer dans le même sens. Elle ajouta qu’à son avis les parents sont favorables au programme parce qu’ils y voient un reflet de ce qu’est devenue la société québécoise. À son avis, s’il y a problème dans le système scolaire actuel, cela n’aurait aucun rapport avec le programme ECR mais serait le fait de la tristement célèbre réforme pédagogique…

Que du positif, que des lauriers !

On constate que ces deux intervenants ont fait peu état dans leurs exposés de situations concrètes où ils avaient à transmettre en classe des contenus d’apprentissage contrairement à ce que la présentatrice laissait entendre au débat de la réunion. Pas de référence explicite non plus aux contenus des manuels. Ce qui est tout de même étonnant, car cela aurait pu aider l’assistance à comprendre leurs prétentions unanimement favorables vis-à-vis ce programme. Les deux intervenants n’émirent aucune réserve au sujet d’un aspect ou l’autre du programme ou au sujet de certaines difficultés que soulèverait son enseignement, ni même celles attribuables aux élèves comme leur manque d’attention ou dissipation.

Questions du public sceptique

Après ces couronnes de laurier tressées en honneur du cours ECR vint la période des échanges et questions. La première remarque du public rappela que Mme Lachaussée avait déclaré que les exposés ne viseraient pas à se prononcer sur la valeur ou la pertinence du programme ECR, or les exposés proclamaient, bien au contraire, que le programme en était un de qualité sans qu’on ait exposé pourquoi. En donnant l’impression que tout était beau et que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, ce premier intervenant déclara qu’on avait le curieux sentiment que les exposés de M. Carrier et Mme Desjardins s’inscrivaient dans la dernière étape de la démarche du MELS qui après avoir imposé le programme allait maintenant organiser des réunions favorables au programme ECR pour conclure que tout allait pour le mieux dans son implantation. Cette intervention, bien qu’exposée de façon fort polie, n’a pas eu l’heur de plaire à l’animatrice qui pria instamment ce sceptique de poser une question aux panélistes dithyrambiques, et une question portant sur leur activité d’enseignement du cours !

Bien qu’exprimées de façon fort délicate et même parfois un peu trop détournée, les questions suivantes firent ressortir certaines difficultés que poserait le programme ECR. On peut les résumer ainsi : le caractère réaliste ou non de transmettre aux jeunes élèves des informations parcellaires sur six ou sept religions, le danger de créer chez les jeunes de la confusion, le risque de tout ramener à un système d’opinions subjectives au détriment de la recherche de la vérité, la tâche colossale de transmettre le contenu du programme malgré le fait, au dire d’une intervenante de l’auditoire, que les exposés des panélistes donnent l’impression que n’importe qui pourrait enseigner ce programme…

Réponses prévisibles des panélistes

Par leurs réponses à ces questions, les panélistes ont donné à entendre que, malgré certaines difficultés que peut soulever l’ÉCR, ces difficultés découlent foncièrement, selon eux, du simple du fait qu’il s’agit d’un nouveau programme, mais nullement de l’essence même du programme, de l’âge des enfants ou du manque de formation des enseignants.

D'autres encensements à venir

Le Conseil interconfessionnel a annoncé que la table ronde de jeudi n'était que la première d’une série de trois ; de telles activités semblent donc devoir se multiplier. Étant donné la nature flatteuse de cette première conférence, que cela soit intentionnel ou pas étant donné le choix des invités et le fait qu'on n'y remette pas en doute le bien-fondé du programme ECR, on ne peut douter que le Monopole de l'Éducation du Québec appréciera grandement ces réunions.





[1] Le Musée de la civilisation prêterait-il ses locaux pour un conférence opposée au programme ECR ? Le Conseil interconfessionnel reçoit-il des subventions de la part du gouvernement du Québec ?