samedi 27 janvier 2018

France — Nouveau bac : fin de l'anonymat et du diplôme national, davantage de bachotage, pas plus d'excellence ?

Dans un entretien accordé au Figarovox au sujet de la réforme du Baccalauréat, Anne Coffinier, directrice de la Fondation pour l’école, explique pourquoi les pistes envisagées par le ministère ne sont pas encore de taille à « sauver l’école ».




Jean-Michel Blanquer présentera en février une nouvelle réforme du baccalauréat, encore une ! Pensez-vous que cette fois-ci, ce puisse être la bonne ?

Anne Coffinier. — La disette budgétaire actuelle, l’épuisement des syndicats et des forces sociales qui auront du mal à mobiliser contre cette réforme, la démonétisation notoire du baccalauréat sont autant de facteurs propices pour faire passer cette réforme. Mais quant à savoir si cette métamorphose de l’institution du baccalauréat est conforme à l’intérêt des lycéens et de notre pays, c’est une tout autre affaire. Que le coup soit politiquement faisable, je le crois, qu’il soit académiquement utile, c’est peu probable.

On parle d’avancer les dates du baccalauréat, pour que les notes obtenues par les élèves soient prises en compte dans la sélection pour les études supérieures. Un tel système serait-il plus juste que celui actuel ?

Anne Coffinier. — On prétend s’intéresser au groupe classe avant tout, mais c’est en réalité aux dépens de chaque élève dans sa singularité.


Dans les filières sélectives, ce qui compte est le lycée d’origine et les « bas de CV » (distinctions à des concours de référence, atouts personnels, engagements sociaux…), pas les notes, car tous savent que les bons lycées notent sec et que les bonnes notes des lycées publics lambda ne représentent plus rien. La démagogie dans la notation joue contre l’intérêt des enfants scolarisés dans des établissements sans réputation d’excellence scolaire ou dans les filières non cotées. Un bon élève méritant issu de nulle part n’arrive plus à se faire repérer pour accéder aux études et aux métiers dont il est capable. Le système n’est plus du tout fondé sur la méritocratie qui permettait à l’instituteur Monsieur Germain de tirer le jeune Albert Camus du ruisseau. On prétend s’intéresser au groupe classe avant tout, mais c’est en réalité aux dépens de chaque élève dans sa singularité.

Moins d’écrit et plus d’oral au bac… Est-ce vraiment une bonne idée ? Votre fondation alerte régulièrement sur le fait que les écoliers écrivent de moins en moins correctement le français !

Anne Coffinier. — La priorité est d’augmenter la maîtrise de la langue écrite, la maîtrise profonde du sens des mots, de la grammaire, de la syntaxe. Toute réduction de l’exigence de rigueur ou de culture générale sera une perte grave. Si les Français ne sont pas bien préparés à l’art oratoire et au travail en groupe, ce sont des choses que l’on peut aisément compenser dans le supérieur, ce qui n’est pas le cas d’une défaillance structurelle de la maîtrise de la langue française. Donner au bac une tournure de grand oral de Sciences Po est une mauvaise idée qui alimentera un bachotage tout en superficialité et fera perdre aux Français leurs atouts profonds (maîtrise de la dissertation, culture générale, précision de la langue) sans leur donner pour autant les atouts comparables aux lycéens britanniques très décomplexés à l’oral.

Que penser également de l’importance que pourrait prendre le contrôle continu dans les résultats du baccalauréat ? N’est-ce pas une mauvaise nouvelle pour les lycées les plus exigeants, dont la notation est souvent réputée plus sévère que dans d’autres établissements ?

Anne Coffinier. — Le contrôle continu de même que l’intégration de personnels issus du lycée d’origine du candidat dans le jury de l’examen oral semblent de mauvaises idées. Cela signifie la fin du caractère national du diplôme ainsi que la disparition de la protection de l’anonymat. Avoir le baccalauréat d’un lycée public mal coté situé dans une cité mal cotée n’aura aucun prix aux yeux des recruteurs du supérieur comme de ceux du marché du travail. Si l’on est attaché à la justice sociale, il faut maintenir un standard national et la protection de l’anonymat, en le renforçant à l’oral où le jury n’a à savoir ni le nom du candidat ni son établissement d’origine.

La composition du jury (on parle également d’intégrer le CPE…) risque également de dégrader le niveau académique des épreuves pour en faire une aimable causerie. L’augmentation du contrôle continu conduira finalement aux mêmes effets négatifs que pour le brevet en 3ème : cela supprimera pour les élèves l’incitation à travailler, à s’organiser et à se dépasser que représentait un diplôme final de bon niveau académique.

On se dirige de plus en plus vers un lycée « à la carte » où les élèves sont davantage maîtres de leur parcours. Cela rejoint-il vos attentes, vous qui écrivez sur le site de votre fondation : « Les enfants sont uniques dans leurs talents comme dans leurs aspirations. Pour qu’ils déploient leurs potentialités, il faut diversifier l’offre scolaire » ?

Anne Coffinier. — Si cette réforme permet d’intégrer à haute dose des matières professionnelles dans des parcours de bacheliers généralistes, alors elle sera positive en tant qu’elle remettra en cause la logique de « collège-lycée unique » et déghettoïsera les matières professionnelles. Mais cela ne semble pas être la voie choisie. Le lycée à la carte demande une maturité importante des lycéens et une culture de l’exigence à l’égard de soi-même solidement instaurée. Est-ce vraiment le cas ?

Selon vous, cette réforme du bac est-elle une priorité pour que le ministère remette l’école française sur la voie de l’excellence ?

Anne Coffinier. — C’est une priorité budgétaire pour l’État, car le baccalauréat est un défi logistique au coût particulièrement exorbitant, mais ce n’est pas LA réforme qui permettra de relever l’école. Il eût mieux valu accroître la liberté de moyens des professionnels de l’éducation tout en les rendant comptables de leurs résultats. Cela se traduirait concrètement par une liberté pédagogique totale et une liberté programmatique accrue pour les professeurs et par l’instauration d’un solide système national d’évaluation des résultats [scolaires] des élèves, tout au long de leur scolarité, et en particulier en fin de CP, de CM2, de 3ème et de Terminale. Ce serait une solution à la hauteur du problème, et cela permettrait à des modèles éducatifs et des offres pédagogiques très variées de se développer. Un tel changement augmenterait aussi fortement l’attractivité de la profession d’enseignant en lui rendant sa noblesse. Mais c’est une révolution audacieuse par rapport à la mentalité qui prévaut, et qui est si profondément marquée par le centralisme bureaucratique.

La réforme du lycée envisagée par J.-M. Blanquer pourrait-elle poser des problèmes particuliers pour certaines catégories d’élèves ?

Anne Coffinier. — Oui, elle pose des problèmes importants aux enfants qui — dans l’état actuel des choses — sont privés par l’Éducation nationale du droit de bénéficier de points acquis en contrôle continu : il s’agit des enfants scolarisés à domicile, des enfants scolarisés en écoles hors contrat, des enfants qui ont manqué une partie de l’année pour cause de maladie ou de déménagement. Pour tous ces enfants, il faut trouver une solution. Soit — comme cela existe dans l’enseignement technique — un système d’agrément est mis en place pour que d’autres professeurs que ceux de l’Éducation nationale accordent des points en contrôle continu, soit on crée un système d’évaluation à double vitesse où ces lycéens continueront à avoir un diplôme acquis exclusivement en contrôle final quand ceux des lycées publics gagneront une partie significative des points en contrôle continu.

On arriverait alors à un résultat assez paradoxal : le baccalauréat des candidats libres vaudrait plus sur le marché que celui de l’Éducation nationale, mais [car] il serait plus difficile à obtenir. Les lycéens les plus faibles quitteraient massivement le privé pour se rabattre sur le public et augmenter ainsi leur chance de décrocher leur bac ! Les meilleurs rechercheraient les lycées hors contrat pour mieux mettre en valeur leurs avantages comparatifs, surtout quand ils n’ont pas accès — par déterminisme social et géographique — aux établissements publics et sous contrat bien côtés.