vendredi 11 juillet 2008

Devoir d'apologétique de Georges Leroux au sujet du cours d'éthique et de culture religieuse

Dans un de ses derniers « devoirs de philo », le Devoir donnait la parole au philosophe Georges Leroux pour qui le philosophe anglais John Locke aurait encouragé l'adoption du cours d'éthique et de culture religieuse. Rien de moins.

Citons d'abord le passage où Georges Leroux s'avance de la sorte :
Le rapprochement peut surprendre, mais dans la mesure où un cours comme « Éthique et culture religieuse » n'est possible que si la laïcité est acquise, il suppose une forme de tolérance. La laïcité exige en effet une séparation radicale de la sphère du religieux et de la sphère de l'État.

On peut dire qu'un État qui offre à ses citoyens la possibilité de connaître le pluralisme religieux ne peut le faire que s'il leur propose cette connaissance dans un espace qui est laïque et pour des raisons qui ont à voir avec le mieux-être de la société: il ne saurait la proposer pour leur salut éternel ou pour leur bien-être spirituel, car ces finalités dépendent, comme Locke le soutenait, de la liberté individuelle privée.

Si l'État proposait la connaissance des religions dans un espace confessionnel, même en suivant un modèle « communautarien », il romprait avec le principe de la séparation des pouvoirs, il introduirait la confessionnalité dans la sphère civile et étatique.
Comme le signale Roger Girard « Contrairement à la majorité des articles offerts dans le cadre du « Devoir de philo », le présent article laisse un arrière-goût de plaidoyer justificateur. »

Notons d'emblée deux paradoxes :
  1. George Leroux utilise un argument d'autorité en invoquant John Locke pour essayer de justifier l'imposition de ce cours alors qu'il s'agit d'une pratique réprouvée quand on veut assurer un bon dialogue et un meilleur vivre-ensemble. M. Leroux ne met donc pas en pratique les principes du cours qu'il défend avec ferveur. Tsk tsk.
  2. Contrairement à ce que laisse entendre George Leroux pour qui John Locke aurait été un précurseur du laïcisme québécois, John Locke désirait en premier lieu protéger les Églises de toute ingérence étatique, ce qui n'est évidemment pas le cas pour le cours d'ECR qui verra l'État imposer ce cours de morale et de religion jusqu'aux écoles confessionnelles ne recevant aucune subvention de l'État !
M. Leroux semble utiliser une définition bien étrange de la laïcité. Par laïcité, on entend habituellement le fait que l'État ne se mêle pas de religion, mais considère les religions avec une neutralité bienveillante (à l'inverse du laïcisme plus militant qui cherche à chasser la religion de l'espace public).

Dans le cas de M. Leroux, voilà que l'État laïque impose un cours portant sur les religions et en décide le contenu : quelles religions aborder, avec quelle fréquence, quels figures, fêtes et récits fondateurs mentionner ! C'est pour le moins contradictoire. Enfin, on sait que le Québec est toujours « en avance ».

Remarquons également que la variante de la « laïcité » québécoise mise en œuvre par l'entremise du cours d'éthique et de culture religieuse est sournoise : on y met sur le même pied toutes les religions en prétendant ainsi être neutre alors que l'effet est d'affaiblir les traditions religieuses actuelles du Québec et bien évidemment le catholicisme. Il y a actuellement peu de bouddhistes au Québec, mais il pourrait bien y en avoir plus après ce cours, d'autant plus que ce qu'on décrit comme une philosophie orientale peut sembler peu exigeante.

Ou comme le déclarait le rapport Bouchard-Taylor :
« En exposant les élèves à une pluralité de visions du monde et de modes de vie, l’État démocratique et libéral rend la tâche plus difficile aux groupes qui cherchent à [...] perpétuer un style de vie fondé davantage sur le respect de la tradition que sur l’autonomie individuelle et l’exercice du jugement critique. La neutralité de l’État n’est de ce fait pas intégrale. » (p. 135)
Flatteur « exercice du jugement critique » des jeunes enfants délivrés de la tradition ! En réalité, l'élève — car on parle bien ici d'enfants — ainsi coupé de la tradition familiale religieuse est plus facilement influencé par les modes idéologiques privilégiées par l'école et la société ainsi que les différentes sous-cultures actuelles, dont celles des adolescents et des médias qui leur sont destinés.

Roger Girard cité plus haut conclut sa critique de l'article apologétique de Georges Leroux ainsi :
La prise en charge de l’éducation par l’État comporte évidemment une nouvelle donne bien étrangère à Locke. S’il avait été confronté au défi contemporain de l’enseignement relatif à la religion, il aurait sans doute été séduit par le système français qui dresse une frontière bien claire entre le domaine civil et public et le domaine convictionnel et privé, se limitant à aborder le « fait religieux » au fil des diverses disciplines sans élaborer un programme distinctif à cet égard. Le système belge aurait pu répondre tout autant à ses critères au plan de la pratique de la tolérance, puisque le pouvoir public ne s’engage pas sur un contenu qui, dans la perspective lockienne, ne lui appartient aucunement.

[…]

Il trouverait peut-être alors le futur programme québécois, bien que paré des « meilleurs principes du monde », assez faible au plan du réalisme pédagogique et peu en mesure de répondre aux situations vécues dans les divers milieux.

[…]

Il serait sans doute surpris, lui qui faisait face à de graves intolérances politiques et religieuses, de constater l’emphase mise sur notre contexte de pluralité religieuse pour justifier tout un appareillage qui risque de déformer la réalité sociale et de détourner des enjeux éducatifs plus essentiels. Lui-même formé à la pratique médicale, il devait s’appliquer à approfondir le diagnostic avant de proposer un traitement. En fin de compte, quand on résiste à la tentation d’accorder aux propos de Locke une valeur universelle plutôt désincarnée, il est raisonnable de penser qu’il aurait pu tout autant privilégier notre régime d’options en vigueur depuis quelques décennies et qui, malgré ses difficultés organisationnelles, ne comportaient pas tous les torts dont ses détracteurs l’ont affublé.