lundi 11 juin 2018

Plus d’autonomie pour moins de disparités socio-économiques

Les partisans d’une plus grande autonomie pour les écoles publiques québécoises risquent de trouver des munitions dans le dernier rapport sur les Politiques scolaires du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) de l’OCDE.

Ainsi, alors qu’a priori, on pourrait penser qu’en accordant plus d’indépendance aux écoles, on risque d’accroître les disparités entre les établissements et, par le fait même, nuire à la réussite des élèves évoluant dans des secteurs moins bien nantis, il n’en est rien, souligne le document rendu public lundi. En fait, ce serait même le contraire, observent les rapporteurs de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) responsables du PISA sans toutefois établir un lien de causalité entre les deux.

« Plusieurs pays [comme l’Irlande, par exemple] réussissent à accorder beaucoup d’autonomie aux écoles sans compromettre pour autant l’équité entre les établissements et les élèves, peut-on lire dans le document qui compile les données de 2015 de plus de 70 pays répartis sur cinq continents. Dans certains cas, on a même vu s’amoindrir les écarts entre les écoles défavorisées et favorisées. »

Et cette plus grande autonomisation peut prendre plusieurs formes : de l’embauche du personnel à la répartition des classes, en passant par l’établissement d’échelons salariaux qui tiennent compte de la charge de travail. Cette manière de faire, indique le rapport, repose sur le fait que ce sont les acteurs locaux qui ont une connaissance fine des enjeux et des besoins particuliers à leur milieu, ils sont donc les plus compétents pour intervenir sur le terrain.

À contre-courant

Les pays qui ont le plus progressé de 2006 à 2015 dans le classement PISA l’ont fait en donnant davantage de responsabilités aux établissements pour recruter les enseignants et pour fixer leur niveau de salaire, affirme l’OCDE : les résultats des élèves s’y sont améliorés et les inégalités s’y sont réduites.

« On va à l’encontre d’un discours selon lequel l’autonomie des établissements pourrait amener à moins d’équité, admet Noémie Le Donné, analyste et coauteure du rapport. C’est l’inverse qui en ressort, à savoir que l’autonomie de recrutement sert l’équité. Un chef d’établissement d’un lycée défavorisé va lui-même chercher à rendre son établissement attrayant en proposant un accompagnement à l’enseignant, avec des dispositifs pour le soutenir, et un salaire plus élevé. »

Son coauteur, Francesco Avvisati, précise que l’autonomie accrue conjuguée avec le fait de rendre publics des indicateurs de valeur ajoutée des établissements renforce encore cette « performance ».

Mesures de rétention

À l’heure actuelle, c’est dans les classes des écoles les plus défavorisées que l’on retrouve les enseignants les moins qualifiés et expérimentés, note-t-on également dans le rapport. Cette réalité, qui est encore plus marquée dans les pays où la répartition des effectifs est basée sur l’ancienneté, comme c’est le cas au Québec, a un impact direct sur la performance des élèves. Elle tendrait aussi à creuser le fossé qui existe déjà entre les écoles favorisées et défavorisées.

En décentralisant certains pouvoirs, comme les salaires, les écoles moins bien nanties seraient peut-être plus à même d’attirer — et de retenir — les enseignants, font remarquer les observateurs du PISA, et ce, malgré les difficultés liées à leur situation socio-économique particulière.

À cet égard, la Commission scolaire de Montréal proposait en février dernier que le gouvernement du Québec mette sur pied un système de prime pour récompenser les enseignants des secteurs défavorisés de Montréal. Pour l’heure, les enseignants reçoivent presque la même rémunération, peu importe où ils enseignent au Québec. Loin de faire l’unanimité, l’idée avait, entre autres, été décriée par le syndicat qui représente les enseignants montréalais.

Équilibre à trouver

Le rapport du PISA souligne tout de même qu’une décentralisation des pouvoirs en milieu scolaire puisse avoir des contrecoups non négligeables, notamment sur la répartition des ressources matérielles et sur la vocation même des établissements scolaires. Pour limiter les dérapages, le rapport souligne l’importance de mettre en place des mesures d’encadrement et des mesures incitatives pour s’assurer que les écoles et leur direction gardent le cap sur leur mission éducative.

La Suède, un contre-exemple

Une étude menée par le service statistique du ministère français de l’Éducation nationale (DEPP) en 2016 établissait pourtant un lien entre autonomie des établissements et baisse des résultats des élèves. La Suède, qui est allée très loin dans cette autonomie, a vu les résultats de ses élèves « baisser sensiblement » dans PISA, selon cette étude.

« La mise en place de l’autonomie doit s’accompagner de correctifs importants pour éviter des effets pervers », rétorque Francesco Avvisati, en évoquant l’importance d’une « forte péréquation » des ressources (formations pour les enseignants, personnels supplémentaires pour l’orientation, etc.). Alors que la Suède a, selon lui, manqué de moyens et a expérimenté une autonomie qui ne s’est pas limitée à la gestion budgétaire et humaine, mais comprenait aussi la définition des programmes scolaires.

Notons que la Suède souffre d’autres problèmes comme ceux liés à une forte immigration peu qualifiée. En effet, selon l’Éducation nationale suédoise, la baisse globale du niveau scolaire dans le pays est en grande partie imputable à l’arrivée d’élèves immigrés qui peinent à rattraper leurs condisciples.

Qualité des professeurs plutôt que la taille des classes

Noémie Le Donné cite en exemple l’Allemagne et le Portugal, où les établissements autonomes recrutent des enseignants sur profil. C’est l’autre conclusion du rapport : la qualité des professeurs est au cœur de la réussite. Et non pas la taille des classes, trop souvent utilisée, en France comme ailleurs, pour « compenser » les difficultés des établissements situés en éducation prioritaire (qui se retrouvent avec une moyenne de 25 élèves par classe, contre 33 dans les établissements les plus favorisés).

Francesco Avvisati va plus loin en affirmant que « les classes à taille réduite dégradent le niveau moyen d’expérience, car elles amènent à embaucher plus de contractuels pour faire face au besoin plus important d’enseignants ». En France, les lycées professionnels souffrent ainsi d’enseignants moins qualifiés : seuls 19 % des enseignants y sont certifiés et agrégés, contre 90 % dans les lycées les plus favorisés.

Chiffres clés en France

En France, en 2015, 12 % des élèves de quinze ans des lycées favorisés avaient des enseignants qui n’étaient pas assez bien préparés pour faire cours, selon les déclarations des chefs d’établissement. C’était 32 %, soit près de trois fois plus dans les lycées défavorisés. En moyenne, dans l’OCDE, l’écart n’atteint que 7 points de pourcentage.

34 % des élèves de quinze ans en France sont scolarisés dans des établissements qui ont une responsabilité importante dans le choix des enseignants recrutés (l’étude porte sur les lycées publics et privés sous contrat), contre 74 % des élèves dans la moyenne de l’OCDE.


Sources : Le Devoir et les Échos


Voir aussi

Les traits du système finlandais que copie l'étranger n'expliquent pas le succès finlandais, ils sont au contraire source de problèmes

Suède — La baisse du niveau scolaire en partie imputable à l’immigration ? 

Effet d'écrémage lié à la liberté scolaire : faible ou déjà présent

Suède — Échec de l’intégration des immigrés, ce n’est pas faute de moyens ou de bons sentiments

Bock-Côté : « Les tricheurs de l’éducation », mais comment réformer le Monopole ?

Les écoles québécoises manquent d’autonomie

OCDE — L’autonomie de gestion des établissements favorise-t-elle la performance des élèves ?