dimanche 13 juin 2021

Les Italiens étaient-ils vraiment refusés des écoles francophones ? (Rediff)

Né en Italie en 1945, l'écrivain Marco Micone est arrivé au Québec en 1958. Il a écrit une nouvelle fois il y a quelques semaines avoir été refusé par une école francophone (Saint-André-Apôtre dans le quartier Ahuntsic) et avoir été obligé d'étudier d’abord en anglais. Ailleurs, il a affirmé « Quand les immigrants des années 50 disent que les écoles françaises les ont refusés, ils ont raison. Je l'ai vécu ! »

Il n'est pas question ici de remettre en question l'expérience personnelle de Marco Micone (on n'est pas à l'abri d'une direction bornée ou soumise à des conditions particulières comme le manque de place), mais plutôt de s'interroger sur l'idée reçue selon laquelle les Québécois auraient refusé les Italiens, des catholiques de langue romane, dans leurs écoles catholiques de langue française... Bref, que les Québécois francophones sont des xénophobes et que leur marginalisation démographique serait un peu de leur propre faute.

Le reportage de Radio-Canada ci-dessous semble bien indiquer que les immigrés choisissaient d'eux-mêmes l'anglais comme langue de promotion économique et sociale à 90 %. On se rappellera également que les Italiens protesteront en 1968 et 1969 à Saint-Léonard quand la commission scolaire locale tentera d'imposer l'enseignement en français à leurs enfants.

(La vidéo a été supprimée de YouTube depuis la première diffusion de ce billet en 2011)

Le reportage est aussi intéressant sous l'angle linguistique : plusieurs Italiens disent mieux parler le français que l'anglais (et c'est compréhensible étant donné la proximité linguistique des deux langues), mais qu'ils ont trouvé que leur manque de connaissance de l'anglais les a défavorisés dans leur recherche d'emploi.

Au-delà de ces aspects anecdotiques, il existe des raisons scientifiques de remettre en question l'idée que les écoles francophones refusaient (souvent ou systématiquement) les élèves italiens : les statistiques.

Voici ce qu'en dit le statisticien Charles Castonguay :

Marco Micone trace un parcours trompeur des Québécois d’origine italienne. Il insiste sur le fait qu’une école française l’a refusé, lui, lors de son arrivée au Québec dans les années 1950. Puis, en faisant un usage incorrect des données de recensement, il soutient que les « italophones » se francisent plus souvent qu’ils ne s’anglicisent, notamment en ce qui a trait à leur comportement linguistique au travail ou à la maison.

J’avais plutôt retenu que ce sont les Italiens qui, de leur propre chef, ont tourné le dos à l’école française et que leur préférence pour le français, du moins comme langue d’usage au foyer, est chose du passé. Pour tirer les choses au clair, j’ai consulté certains rapports ainsi que les résultats du recensement de 2006 qui sont accessibles à tout venant sur le site de Statistique Canada.

Dans une étude réalisée pour la commission Gendron, le démographe Robert Maheu relève qu’au début des années 1950, la moitié des enfants d’origine italienne inscrits à la Commission des écoles catholiques de Montréal étudiaient en français. Cela laisse entendre qu’en général, les écoles françaises de la CECM ne refusaient pas les jeunes Italiens. Maheu ajoute qu’au début des années 1960, cette proportion avait fondu à 28 %. Il semble bien qu’ayant constaté que la langue d’avancement socioéconomique à Montréal était plutôt l’anglais que le français, un nombre croissant de parents italiens choisissaient d’inscrire leurs enfants à l’école anglaise.

Quant à la langue d’assimilation préférée des italophones, que Micone prétend être toujours le français, la commission Laurendeau-Dunton notait, il est vrai, qu’au recensement de 1961 la population d’origine ethnique italienne au Québec avait plus souvent le français que l’anglais comme langue maternelle. Cette information témoignait cependant de la langue d’assimilation des parents, grands-parents ou ancêtres des personnes recensées, soit de ce qu’on peut nommer l’assimilation ancestrale.

Le recensement de 1971, le premier à poser la question sur la langue d’usage actuelle à la maison, permet d’observer l’assimilation courante, c’est-à-dire celle réalisée par les répondants eux-mêmes, de leur vivant. Il montre que les adultes de langue maternelle italienne âgés de 25 ans ou plus avaient effectivement adopté plus souvent le français que l’anglais comme langue d’usage au foyer, mais il révèle en même temps que, déjà à cette époque, la jeunesse italophone préférait s’angliciser.

Les recensements suivants n’ont cessé de confirmer cette nouvelle préférence. Celui de 2006 a compté 17 000 italophones (langue maternelle) de langue d’usage française au Québec, soit exactement le même nombre qu’en 1971. Mais le nombre d’italophones anglicisés est passé entre-temps de 15 000 en 1971 à 53 000 en 2006. La francisation a ainsi marqué le pas pendant que les générations montantes se sont anglicisées par dizaines de milliers.

Plus de détails

Pour en finir avec un mythe : le refus des écoles catholiques d'accepter les immigrants (23 pages, par Robert Gagnon de l'Université d'Ottawa)


Surfinancement des établissements anglophones au Québec

Extraits de l’allocution de Frédéric Lacroix devant le Comité permanent des langues officielles.

[…]

[La fausse symétrie des minorités linguistiques]

À mon avis, le principal problème avec la Loi sur les langues officielles est le concept artificiel de « double majorité » : la loi institue une majorité anglophone hors Québec et une majorité francophone au Québec. À chaque « majorité » est associée sa minorité : francophone hors Québec et anglophone au Québec.

Ce concept de « double majorité » n’a aucune réalité sociologique. Cela est manifeste quand on s’attarde au fait que les anglophones du Québec, qui constituent une minorité numériquement, assimilent en réalité environ la moitié des immigrants allophones qui s’installent au Québec. Les anglophones constituent, du point de vue de la langue maternelle, 8 % de la population du Québec mais assimilent la moitié des immigrants allophones qui s’installent au Québec. Les quelque 80 % de francophones au Québec assimilent l’autre moitié. Il y a 10 fois plus de locuteurs de français au Québec que de locuteurs de l’anglais, cependant les substitutions linguistiques se font moitié-moitié vers chaque langue. Le rapport de force entre les langues au Québec est donc d’un facteur 10 en faveur de l’anglais.

Les anglophones du Québec ont la vitalité linguistique d’une majorité.

Dans les faits, la Loi sur les langues officielles entérine un bilinguisme compétitif et inégalitaire entre l’anglais et le français partout au Canada, incluant au Québec.

Depuis 2001, le poids relatif des francophones recule à grande vitesse au Québec tandis que celui des anglophones se maintient ou est même en progrès. Ceci est dû à la disproportion des substitutions linguistiques canalisées vers l’anglais au Québec ; la moitié des substitutions des immigrants allophones alimente un groupe qui constitue seulement 8 % de la population.

[…]

Ce qui signifie ceci : il n’existe au Canada [y compris au Québec] qu’une seule véritable majorité, qui est anglophone. Le Canada est un pays à majorité anglophone. Le concept de double majorité est faux et trompeur.

La loi sur les langues officielles devrait être fondée sur la reconnaissance de cette réalité. Cette loi devrait être asymétrique.

3. Le financement des universités au Québec

J’ai appliqué la notion de complétude institutionnelle pour étudier le financement des universités au Québec. Les universités, en tant que lieu de production et de transmission du savoir, constituent une institution clé pour ce qui est de la vitalité d’une communauté linguistique.

La dynamique actuelle des universités au Québec est marquée par un effritement relatif de la fréquentation des universités de langue française et une hausse de la fréquentation des universités de langue anglaise.

Les universités de langue anglaise McGill, Concordia et Bishop’s récoltent 30 % des revenus globaux au Québec. Cela est 3,7 fois supérieur au poids démographique des anglophones au Québec. Les universités de langue anglaise sont en situation de surcomplétude institutionnelle. A contrario, les universités de langue française sont sous-financées relativement du poids démographique des francophones (70 % pour 78 % de la population). Cela pèse directement sur la vitalité linguistique du groupe francophone au Québec.

Le fonds de recherche fédéraux (CRSH, CRSNG, IRSC, Fondation canadienne pour l’innovation, Chaires de recherche du Canada), en particulier, sont canalisés massivement vers les universités de langue anglaise au Québec, qui reçoivent 38,4 % de ces fonds, soit presque 5 fois le poids démographique des anglophones.

4. L’argent fédéral anglicise les institutions postsecondaires de langue française au Québec

Le gouvernement fédéral verse des fonds au Québec (de l’ordre de 50 millions de dollars par année) pour soutenir le développement de l’enseignement en « langue minoritaire » via l’Entente Canada-Québec (« Ottawa verse des millions pour des programmes d’enseignement en anglais au Québec », Le Devoir, 22 décembre 2020). Ces fonds sont actuellement dirigés pour angliciser l’offre de cours dans les cégeps et universités de langue française.

De plus, de l’argent fédéral est aussi versé à Dawson College via ce programme. Dawson est déjà le plus gros et le plus riche cégep au Québec. La disponibilité directe de fonds fédéraux constitue donc un avantage compétitif indu pour ce cégep.

Le programme devrait être entièrement revu.

5. Le système de santé

Le gouvernement fédéral finance divers programmes afin d’augmenter l’utilisation de l’anglais, qui est conçu comme une langue minoritaire, dans le réseau de la santé québécois. Le fédéral investit des millions chaque année dans un programme géré par McGill University « Anglais en santé » afin de former le personnel de la santé francophone pour qu’il offre des services en anglais. Ceci au mépris des dispositions de la Charte de la langue française, qui assure théoriquement du droit de « travailler en français ». Entre 2008 et 2013, McGill a ainsi formé 6224 travailleurs de la santé. McGill a reçu 32 millions de dollars du gouvernement fédéral pour ce programme.

De par son pouvoir de dépenser, le fédéral contrecarre les intentions de l’Assemblée nationale du Québec. Ceci au nom du concept frauduleux de double majorité, charpente intellectuelle de la Loi sur les langues officielles.

6. Le financement des universités hors Québec

J’ai aussi utilisé le concept de complétude institutionnelle pour analyser le financement des universités bilingues ou de langue française hors Québec. Par exemple, pour l’Ontario, approximativement 3 % des revenus universitaires sont alloués aux programmes en français alors que les francophones constituent 4,7 % de la population de l’Ontario (langue maternelle, recensement de 2016). Le sous-financement des francophones est donc de l’ordre de 40 %. Ceci a des effets drastiques sur la vitalité linguistique des francophones. Une proportion importante des jeunes francophones (44 %) en Ontario opte pour des études postsecondaires en anglais parce que le programme de leur choix n’est pas disponible en français [4].

En Alberta, le campus Saint-Jean reçoit 0,37 % du budget destiné aux universités. Les francophones représentent 2 % de la population de l’Alberta. Le sous-financement des institutions francophones est de l’ordre de 81 % en Alberta !

Il y aurait lieu de dresser systématiquement le portrait de la complétude institutionnelle des institutions de langue française pour toutes les provinces du Canada. L’on trouverait que les institutions de langue française sont systématiquement sous-financées partout. Incluant au Québec.

[…]

Voir aussi

« Tous les programmes qui continussent », dixit Robert Haché, recteur de la Laurentian University (devant le même Comité permanent des langues officielles le même jour)

Québec — Près de 70 % des francophones veulent que la loi 101 s'applique aux cégeps 

Québec — Un réseau collégial de plus en plus anglophone

Découverte de tombes d’enfants à Kamloops demande une enquête rigoureuse et non des conclusions trop hâtives et partiales

Pensionnat de Kamloops

Texte de Michael Haynes — Traduit par CQV

Kamloops, Colombie-Britannique, 9 juin 2021 — La triste découverte de 215 tombes anonymes d’enfants au pensionnat indien de Kamloops a suscité beaucoup de chagrin et d’indignation, ainsi que des attaques virulentes contre l’Église catholique.

Malgré cette réaction rapide, de nombreuses questions subsistent sur cette affaire. L’auteur canadien Michael O’Brien, lui-même ancien élève de l’un de ces pensionnats, a mis en garde contre le danger d’accuser l’Église de meurtre avant d’avoir obtenu des informations réelles sur les tombes récemment découvertes, y compris sur le contexte de la période des pensionnats.

Rosanne Casimir, chef de la Première nation Tk'emlups te Secwépemc, a révélé le 28 mai que les corps de 215 écoliers, dont certains n’avaient que trois ans, avaient été découverts sous terre grâce à un radar à pénétration de sol. Casimir a mentionné que c’était un « fait connu dans notre communauté », ce qui a mené à la recherche et à la découverte des corps.

Casimir a également noté que « ces enfants disparus sont des décès non documentés », ajoutant que de nombreuses questions restaient sans réponse, et laissant entendre qu’il était possible de trouver d’autres corps en attendant une enquête plus approfondie. Elle l’a décrit comme une « perte inconcevable, dont on parlait, mais qui n’avait jamais été documentée au pensionnat indien de Kamloops ».

Mme Casimir a noté que l’enquête était en cours depuis le début des années 2000, précisant que les récits d’anciens élèves avaient alimenté le désir de rechercher les tombes.

À la suite de cette découverte, des attaques virulentes ont été lancées contre l’Église catholique, qui dirigeait le pensionnat alors que l’État le finançait, et le sentiment anticatholique dans les médias grand public est à son comble.

Le système des pensionnats

Le pensionnat de Kamloops, situé dans le sud de la Colombie-Britannique, a été géré par l’Église catholique de 1890 à 1969, date à laquelle le gouvernement fédéral a pris en charge la gestion de l’établissement et l’a transformé en externat jusqu’à sa fermeture en 1978. À son apogée, Kamloops comptait plus de 500 enfants inscrits dans les années 1950 et était autrefois la plus grande école du réseau de pensionnats.

L’école a été confiée à la direction des Oblats de Marie Immaculée en 1893, sur ordre du gouvernement. Cependant, en 1910, le directeur a signalé que le gouvernement ne fournissait pas suffisamment de fonds pour nourrir correctement les enfants. Un rapport similaire a été fait dans les années 1920.

En 1924, le bâtiment a été partiellement détruit par un incendie.

L’école faisait partie du système national des pensionnats du Canada, dans le cadre duquel des enfants autochtones étaient injustement retirés de leur famille et emmenés dans ces écoles dans le but supposé de les éduquer et de les assimiler à la culture non autochtone. [Si les églises au Canada ont tenu de tels pensionnats, il ne faut pas oublier que ce ne sont pas elles qui retiraient les enfants de leur foyer, mais les autorités publiques.] Ces écoles étaient en grande partie gérées par l’Église catholique, bien qu’elles ne fussent en aucun cas exclusivement sous la responsabilité de l’Église catholique, puisque d’autres confessions chrétiennes géraient également certaines de ces écoles.

On empêchait les enfants placés dans ces écoles de parler leur langue maternelle ou de s’adonner à leurs pratiques culturelles familiales. Lorsque la fréquentation des écoles est devenue obligatoire dans les années 1920, les enfants ont été retirés de force de leur famille et les parents ont été menacés de prison s’ils n’obtempéraient pas. À leur arrivée au pensionnat, les enfants voyaient rarement leur famille, beaucoup même disparaissaient ou ne revoyaient jamais leur famille.

Le système des pensionnats prit fin avec la fermeture de la dernière école en 1996. Les rapports suggèrent que plus de 150 000 enfants ont fréquenté les écoles pendant leur fonctionnement.

Les récits d’abus physiques, émotionnels ou sexuels étaient très répandus dans ces écoles. En ce qui concerne Kamloops, un ancien employé de l’établissement, Gerald Moran, [un moine quand il fut traîné en justice, voir aussi le bulletin de l’abbaye] a été reconnu coupable en 2004 de 12 chefs d’accusation d’abus sexuels et condamné à trois ans de prison.

Photo des pensionnaires et du personnel à l’école de Kamloops en avril 1937

La Commission nationale de vérité et de réconciliation a ensuite été créée à la suite d’un accord juridique entre les anciens élèves des pensionnats, l’Assemblée des Premières Nations, les représentants des Inuits, le gouvernement fédéral et les organismes religieux. Dans un long rapport publié en 2015, la Commission a interrogé des milliers de témoins, dont de nombreux anciens élèves des pensionnats, et a révélé que les enfants autochtones qui fréquentaient les pensionnats mouraient plus souvent que les enfants d’âge scolaire de la population générale.

Le rapport fait état de 3 200 élèves décédés alors qu’ils fréquentaient ces écoles, bien que le New York Times ait récemment rapporté que ce chiffre était d’au moins 4 100. Les causes de ces décès vont de la négligence à la maladie, en passant par des accidents ou de mauvais traitements.

Le Centre national pour la vérité et la réconciliation a recensé les dossiers de 51 enfants décédés à Kamloops entre 1900 et 1971, mais ce nombre est bien inférieur aux 215 corps récemment découverts.

Kamloops et l’Église catholique

À la suite de la découverte récente de tombes anonymes, de nombreuses personnalités ont attaqué l’Église catholique. Des appels à la responsabilité et des souhaits de réparation ont été lancés à tous les niveaux de la société. Des accusations de meurtre et de génocide ont été lancées contre l’Église depuis la découverte.

Dans une récente allocution télévisée, le Premier ministre proavortement Justin Trudeau a fustigé l’Église catholique pour son rôle à Kamloops et dans le système scolaire en général. Il a déclaré : « Il est clair que nous attendons de l’Église qu’elle assume la responsabilité de son rôle dans cette affaire et qu’elle soit là pour aider au deuil et à la guérison, notamment en fournissant les documents nécessaires. Nous attendons tous encore que l’Église catholique fasse cela. »

M. Trudeau avait déjà attaqué formellement le pape François il y a quelques années, l’accusant de ne pas avoir présenté d’excuses personnelles pour le rôle que l’Église avait joué dans le système des pensionnats.

Au cours des derniers jours, la hiérarchie catholique a fait des déclarations de tristesse et de sympathie. Le pape François s’est exprimé lors de l’Angélus de dimanche, déclarant qu’il « se joint aux évêques canadiens et à toute l’Église catholique au Canada pour exprimer sa proximité avec le peuple canadien, qui a été traumatisé par cette nouvelle choquante. »

La Conférence des évêques catholiques du Canada a publié sa propre déclaration, écrivant qu’elle « s’engage à continuer de marcher côte à côte avec les peuples autochtones dans le présent, en recherchant une guérison et une réconciliation plus grandes pour l’avenir. »

L’archevêque d’Edmonton, Mgr Smith, a également exprimé son « profond regret et ses profondes condoléances » aux familles des enfants, rappelant ses propres excuses présentées à la Commission de vérité et réconciliation.

Il a été soutenu par l’archevêque de Vancouver, Michael Miller, qui a parlé de la « nécessité permanente de mettre en lumière chaque situation tragique survenue dans les pensionnats administrés par l’Église. Le passage du temps n’efface pas la souffrance qui touche les communautés indigènes concernées, et nous nous engageons à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour guérir cette souffrance. »

Michael O’Brien met en garde contre les jugements hâtifs

Dans le sillage de cette soudaine poussée de rhétorique anticatholique, fondée sur la découverte tragique, mais encore inexpliquée, des tombes non marquées, LifeSite s’est longuement entretenu avec l’auteur catholique canadien bien connu Michael O’Brien qui a lui-même passé trois ans dans l’un des pensionnats. O’Brien a par la suite témoigné devant la Commission de vérité et réconciliation lors des nombreuses audiences menées en vue de la rédaction du rapport final.

M. O’Brien a mis en garde contre l’utilisation des récentes nouvelles comme tremplin pour attaquer l’Église catholique.

O’Brien a révélé qu’il avait effectivement été témoin d’abus lorsqu’il était à l’école, mais de la part d’employés laïcs et non du clergé ou des religieuses.

Il a également attiré l’attention sur le principal problème sous-jacent, à savoir l’abus institutionnel d’enfants retirés de leur famille par les autorités publiques, puis emmenés dans ces écoles, soulignant les « effets psychologiques et sociaux à long terme de cette situation ».

Mais dans le cas spécifique de l’école de Kamloops, il a réitéré l’appel à la prudence. « Quels sont les faits connus à ce jour ? », a-t-il demandé. « Pour le moment, il n’y a que des insinuations et des sous-entendus. »

Les tombes de Kamloops dans leur contexte : les taux de mortalité infantile

Son avertissement est en effet bien fondé. Alors que le chef Casimir a mentionné les rumeurs existantes de tombes non marquées, il n’a pas expliqué pourquoi elles pourraient être là. Toutes sortes de causes de la mort des enfants peuvent être proposées, et les accusations et explications concernant les corps ne pourront être étayées par des faits qu’après des examens médico-légaux.

Un autre point soulevé par O’Brien est l’absence apparente d’enquête sur les registres de mortalité pendant les années d’exploitation de Kamloops, afin de déterminer le niveau attendu de décès d’enfants qui serait normal pour cette période. Certaines statistiques montrent que pour la mortalité infantile (c’est-à-dire les décès des enfants âgés de moins d’un an), le taux était de 187 décès pour 1 000 naissances en 1900. Des taux de mortalité élevés ont également été observés entre 1910 et 1920, coïncidant avec l’épidémie de grippe espagnole.

À une époque marquée par une mortalité infantile aussi élevée et, en outre, dans une école qui était la plus grande en son genre, un tel nombre ne serait pas inattendu au cours de ses 80 ans d’existence ; cependant, des questions demeurent quant à la raison pour laquelle ces 215 décès n’apparaissent pas dans les registres officiels.

Par ailleurs, le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans atteignit 296,75 décès pour 1 000 naissances en 1900 dans la population générale. Ce chiffre n’est passé sous la barre des 100 décès pour 1 000 naissances qu’en 1935, les taux de mortalité infantile étant constamment élevés de 1910 à 1920. [À Montréal, en 1899, on compte 2 071 morts avant l’âge d’un an pour 7 715 naissances, soit un taux de 26,8 %. Les statistiques de la ville de Québec pour la même année sont encore plus significatives : sur 1 332 naissances, on compte 665 morts, soit un taux de 49,9 %.]

« Toute discussion sur la mortalité infantile et l’expérience des enfants et des familles confrontés à des problèmes médicaux potentiellement mortels doit être replacée dans le contexte de l’amélioration de la santé des enfants au cours du siècle dernier », a écrit le National Center for Biotechnology Information. À titre d’exemple de cette évolution de la mortalité démographique : en 1900, 30 % de tous les décès aux États-Unis concernaient des enfants âgés de moins de cinq ans, contre seulement 1,9 % en 1999.

En fait, l’inquiétude concernant la mortalité infantile nationale du Canada était telle que le politicien ontarien Newton Rowell a soulevé la question devant la Chambre des communes en 1919. De plus, les Premières nations elles-mêmes ont toujours été moins résistantes aux maladies infectieuses, comme les épidémies de grippe, de rougeole et de variole.

M. O’Brien a également demandé qu’un examen soit effectué sur les tombes et le nombre de corps retrouvés. Les registres officiels font état de 51 enfants, et avec la dernière découverte, on sait que quelque 266 enfants sont morts ou ont été enterrés à l’école. À une époque marquée par une mortalité infantile aussi élevée, et dans une école qui était la plus grande de son genre, un tel nombre ne serait pas inattendu au cours de ses 80 ans d’existence ; cependant, des questions demeurent quant à la raison pour laquelle ces 215 décès n’apparaissent pas dans les registres officiels.

« Le ministère des Affaires indiennes refusait d’expédier les corps des enfants chez eux pour des raisons de coût »

O’Brien a noté que les difficultés de transport abondaient pendant les années de fonctionnement de Kamloops. Cela signifiait que les corps des enfants décédés, quelle qu’en soit la cause, ne pouvaient très souvent pas être rendus à leurs familles et étaient donc enterrés sur le terrain de l’école. Il a été soutenu en cela par le National Post, qui a noté que le « ministère des Affaires indiennes du gouvernement refusait d’envoyer les corps des enfants à leur famille pour des raisons de coût. »

En fait, le National Post a écrit que les tombes non marquées n’étaient pas rares dans les pensionnats, affirmant que ce n’était « pas du tout un secret que les sites des pensionnats indiens regorgeaient de tombes d’enfants morts. »

Les cimetières des pensionnats étaient parfois utilisés par les habitants de la région même après la fermeture de l’école, mais le plus souvent les cimetières ont été envahis par la végétation, endommagés par les feux de prairie et les inscriptions funéraires en bois détruites au fil du temps.

« Tant que nous ne connaîtrons pas davantage de faits, nous ne pourrons faire que des insinuations »

Après une enquête plus approfondie sur le contexte des pensionnats, la découverte récente de 215 tombes non marquées ne permet à la société de tirer aucune conclusion, si ce n’est la simple présence physique des tombes.

En l’absence de preuves médico-légales, et sans qu’aucun corps n’ait été exhumé, rien ne peut être avancé sur la façon dont les enfants sont morts ni sur le moment de leur mort. Compte tenu du taux de mortalité élevé en général et du taux de mortalité encore plus élevé des Premières Nations, il faut s’attendre à des taux de mortalité infantile plus élevés à l’époque des pensionnats ─ et aux tombes qui les accompagnent ─ qu’aujourd’hui.

Les mises en garde d’O’Brien ont été appuyées par le National Post, qui a souligné que les tombes tombent facilement en ruine avec le temps et sous l’effet de forces extérieures comme les ravages de la nature ou le développement des terres.

S’il est indéniable que les pensionnats ont causé de grands dommages de multiples façons, comme l’a décrit de manière souvent pénible et limitée le rapport de la Commission vérité et réconciliation et comme en témoigne l’atteinte portée par le gouvernement aux droits parentaux des parents des Premières Nations, il faut veiller à ne pas utiliser la découverte des 215 tombes comme un moyen d’attaquer aveuglément l’Église sans aucune preuve à l’appui.

Les écoles, financées par l’État et dirigées par diverses églises, et pas seulement par l’Église catholique, demeurent une période sombre de l’histoire du Canada. Toutefois, M. O’Brien a mis en garde contre le fait de « projeter sur le passé notre conscience actuelle ».

« Tant que nous ne connaîtrons pas davantage de faits, nous ne pouvons qu’insinuer », a-t-il expliqué.