samedi 26 août 2023

« Sur l’immigration, les chiffres sont manipulés »

Le consultant international sur l’Afrique et les migrations regrette l’absence, à gauche comme à droite, d’approche purement scientifique du rapport coût/bénéfices de l’immigration. Extrait issu du « Figaro Magazine.



— Vous dénoncez une « désinformation » sur la question du coût de l’immigration. Qui en est responsable ?

Jean-Paul GOURÉVITCH. — En 2010, l’économiste Xavier Chojnicki, de l’université de Lille-III, a mené à la demande de l’État une évaluation du rapport coûts/bénéfices de l’immigration pour notre système social pour l’année 2005. Il laissait de côté les coûts régaliens, sécuritaires, sociétaux, humanitaires, le surcoût des migrations irrégulières… Surtout il ne prenait pas en compte les coûts engendrés par les descendants directs d’immigrés. Sa première étude, qui aboutissait à un solde positif de 12 milliards, ayant provoqué un tollé, il en a refait une dans laquelle ce solde n’était plus que 3,9 milliards.

Et finalement en 2018, dans l’étude du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), il a admis que le solde était négatif. Je ne remets pas en cause son honnêteté intellectuelle, mais celle des médias et des politiques qui ont manipulé son travail pour dire que l’immigration rapportait plus qu’elle ne coûtait. Une partie de la presse a décidé que ces sujets n’étaient pas prioritaires, et que les drames individuels ou collectifs des migrants étaient beaucoup plus importants.

— La question ne fait toujours pas consensus aujourd’hui…

— Aucun économiste scientifique, quelle que soit son orientation politique, ne vous dira que l’immigration rapporte plus qu’elle ne coûte, pour une raison précise : le nombre d’immigrés qui travaillent est très inférieur à celui des immigrés qui ne sont pas encore en âge de travailler ou qui ne travaillent pas. Prenons l’exemple des descendants directs des immigrés d’Afrique subsaharienne : selon l’Insee, 56 % sont mineurs, donc ne travaillent pas, et une partie de ceux qui pourraient travailler est au chômage.

— Vous parlez de manipulation à gauche. Et à droite ?

Arabie séoudite — Deux cours de chinois par semaine au secondaire

Des supporters de football séoudiens apprennent à écrire des caractères chinois à l’extérieur du stade Lusail au Qatar, le 22 novembre 2022
 
Les autorités éducatives d’Arabie séoudite auraient demandé à toutes les écoles secondaires publiques et privées d’assurer deux cours de chinois par semaine. Des experts ont déclaré jeudi que cette mesure aurait des « conséquences importantes » en offrant aux élèves la possibilité d’apprendre le chinois et de découvrir une culture différente. Elle témoigne également de l’intensification de la collaboration entre les deux pays dans le domaine de l’éducation.

La quatrième période de chaque dimanche et de chaque lundi sera consacrée à l’enseignement du chinois, a rapporté mardi la Saudi Gazette. 

Il s’agit d’une nouvelle « positive » pour l’enseignement du chinois en Arabie séoudite, car les écoles ont accueilli plus de 7 millions d’étudiants au cours du nouveau semestre, a déclaré Chen Ming, un professeur qui enseigne le chinois à l’Université du Roi Séoud, au Global Times jeudi.

Selon les médias, plus de 7 millions d’étudiants séoudiens ont repris le chemin des écoles et des universités le 20 août, premier jour de la nouvelle année académique. 

Le plan d’enseignement a des « répercussions importantes » et constitue également une autre « initiative majeure » depuis que l’Arabie saoudite a accepté d’inclure la langue chinoise dans le programme des écoles et universités séoudiennes en 2019, a déclaré jeudi au Global Times Li Bowen, professeur de langue chinoise à l’Université du roi Abdoulaziz et directeur adjoint du Centre de test de compétence en chinois à Riyad.

 
 En 2019, les deux pays ont convenu d’inclure la langue chinoise dans le programme d’études à tous les stades de l’éducation dans les écoles et les universités d’Arabie saoudite, afin d’enrichir la palette culturelle des étudiants.

La popularisation des cours de chinois dans les écoles primaires et secondaires peut « offrir davantage de débouchés » aux étudiants qui se spécialisent en chinois, et encourager davantage de personnes à apprendre le chinois, selon M. Li.

Bien que l’enseignement du chinois en Arabie séoudite soit entré dans une période de développement accéléré, il demeure inégal dans les différentes régions du pays. Par exemple, dans les 13 régions d’Arabie saoudite, la population étant principalement concentrée à Riyad et à Djeddah, les cours de chinois sont aussi principalement offerts dans ces deux villes, a expliqué M. Li.

À la fin de l’année 2022, 11 universités séoudiennes au total auront mis en place des cours de chinois. Parallèlement, le nombre d’établissements d’enseignement et de formation en chinois augmente rapidement, a ajouté M. Li.  

L’apprentissage du chinois connaît actuellement un engouement de la part des Séoudiens, car beaucoup d’entre eux pensent qu’ils auront plus de perspectives à l’avenir s’ils parlent chinois, a noté Chen. Entre-temps, de nombreux enseignants comme Chen travaillent dans ce domaine pour promouvoir l’enseignement du chinois en Arabie séoudite et faciliter la coopération entre les deux pays. 
 
La Chine et l’Arabie séoudite ont convenu de continuer à faire de leurs relations bilatérales une priorité et de construire un modèle de solidarité et de coopération mutuellement bénéfique pour les pays en développement, selon une déclaration commune publiée par les deux pays en décembre 2022.
 
L’Arabie saoudite intéressée par les centrales nucléaires chinoises
 
L’information est sortie juste au lendemain de l’annonce de l’entrée de l’Arabie saoudite dans le club des BRICS ( (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Riyad évaluerait une offre chinoise pour la construction d’une centrale nucléaire, selon le Wall Street Journal.
 
La portée de cette éventuelle collaboration industrielle dépasse de loin le seul domaine de l’énergie atomique, car si elle se concrétisait, elle aurait une longue portée géopolitique. On peut y voir l’importance que l’alliance des Brics, renforcée par six nouveaux pays accueillis jeudi au sommet de Johannesburg, veut se donner, comme un bloc anti-G7. La construction de réacteurs chinois en Arabie saoudite confirmerait aussi, puissamment, la prise de distance de Riyad par rapport à Washington, son protecteur historique. Enfin, elle alimenterait, via le royaume wahhabite, l’affrontement politico-commercial qui oppose depuis 2018 la Chine et les États-Unis.

Le grand écart : ce fossé qui se creuse entre les valeurs « occidentales » [progressistes] et celles du reste du monde

On a longtemps pensé que les différences culturelles entre les grandes civilisations allaient s’estomper avec le temps et le développement économique. Mais tel n’est pas le cas.

 
The Economist  (voir la traduction de la majorité de l’article ci-dessous) souligne, en s’appuyant sur le World values survey, que contrairement à ce qu’on a longtemps pensé, les valeurs occidentales divergent du reste du monde. À quel point ce phénomène est-il marqué ?

Vincent Tournier — On a longtemps pensé que les différences culturelles entre les grandes civilisations allaient s’estomper avec le temps et le développement économique. Telle était la thèse optimiste qui a été avancée par Francis Fukuyama au début des années 1990, au moment de la chute de l’URSS et au début de la mondialisation. Le politologue américain Ronald Inglehart, décédé récemment, qui est le concepteur des World Values Survey (WVS), est allé dans le même sens. Sa réflexion a été fortement influencée par le contexte français puisqu’il est venu en France lors des événements de Mai-1968. Il a pensé qu’une profonde transformation des valeurs était à l’œuvre qui se caractérisait par le déclin du nationalisme, de la religion et du consumérisme au profit de ce qu’il appelait les valeurs post-matérialistes : l’autonomie individuelle, la recherche du bien-être, l’engagement civique. Pour désigner cette mutation, il parlait d’une « révolution culturelle ». Ses principaux ouvrages datent des années 1990, au moment où l’optimisme était à son maximum.

Assez rapidement toutefois, les données ont indiqué que son schéma évolutionniste ne marchait pas complètement. Alors que les pays occidentaux connaissent toujours un processus de libéralisation des mœurs, ce que vient de confirmer une équipe française dirigée par Pierre Bréchon qui travaille sur les données européennes des WVS, les comparaisons internationales montrent que les zones de fracture sont toujours très nettes. Même si la plupart des pays évoluent, il y a toujours des différences très fortes entre les grandes ères civilisationnelles : l’Asie, l’Amérique latine, l’Europe et ses divisions (protestants, orthodoxes et catholiques), le monde musulman.

— Concrètement, quelles sont les valeurs où l’on observe les écarts se creuser ?

Vincent Tournier Les principaux points de clivage portent sur le rapport à l’autorité, aux hiérarchies sociales, à la religion et aux mœurs. Ce dernier point occupe une place particulièrement saillante, notamment la question de l’homosexualité. Le rapport à l’homosexualité cristallise les antagonismes. Les pays occidentaux voient l’homosexualité comme une situation légitime qui mérite de recevoir une pleine reconnaissance sociale et juridique, alors que le reste du monde, à des degrés divers, considère que l’homosexualité est une situation anormale qui doit rester tabou ou cachée [ou punie…]. Précisons que cette divergence ne concerne pas seulement les hommes, car, dans la plupart des pays, les deux sexes ont généralement des opinions assez proches sur les mœurs.

— Y a-t-il néanmoins des thématiques où une convergence s’opère ?

Vincent Tournier — Les convergences se font plutôt au sein des zones civilisationnelles. C’est particulièrement le cas en Europe occidentale : les pays du sud, traditionnellement plus catholiques, ont tendance à se rapprocher des pays protestants du nord sur les questions de société.

Pourquoi pensait-on, notamment Inglehart, que, avec le temps, les valeurs allaient converger ?

Vincent Tournier — La thèse de Ronald Inglehart est que la sécurité matérielle conditionne les valeurs individuelles : plus la sécurité progresse, plus les individus ont tendance à adhérer aux valeurs post-matérialistes. Ce schéma n’est pas faux : le développement des valeurs individualistes à partir des années 1960 doit beaucoup à la hausse du pouvoir d’achat et du niveau d’éducation, ainsi qu’à la mise en place de la sécurité sociale et au bouclier américain, autant de facteurs qui ont créé un environnement rassurant, ce qui permet par exemple aux individus de prendre leurs distances avec la religion.

Mais Inglehart a sous-estimé plusieurs éléments. Il a d’abord eu une vision radicale de l’opposition entre les valeurs matérialistes et les valeurs post-matérialistes. Non seulement le consumérisme n’a pas disparu en Occident, y compris dans les milieux éduqués, mais dans le reste du monde, la hausse du niveau de vie n’a pas toujours fait reculer les valeurs traditionalistes. Ensuite, Inglehart n’a pas vu que, en Occident, la sécurité matérielle pouvait s’accompagner d’une insécurité psychologique et existentielle, ce qui se manifeste notamment par de nouvelles formes de religiosités telles que les croyances ésotériques ou complotistes. Même la Silicon Valley semble gagner par un technomessianisme empreint de religiosité.

Enfin et surtout, Inglehart a mal évalué les réactions de rejet que pouvaient susciter les valeurs post-matérialistes. Il en a pris conscience tardivement, dans un ouvrage intitulé Cultural backlash, que l’on pourrait traduire par « retour de balancier ». En voulant trop analyser les valeurs à partir de la psychologique individuelle, il a oublié que les valeurs ont aussi une dimension politique, ce qui signifie qu’elles peuvent se politiser et devenir un objet de conflit. On l’a vu en France lors de la loi sur le mariage gay et on le voit aujourd’hui avec les débats sur la GPA ou l’euthanasie. C’est aussi le cas avec l’immigration qui est devenue un point de polarisation très important dans beaucoup de pays occidentaux.

— Qu’est-ce qui peut expliquer que, plutôt que de converger, les valeurs divergent ? Faut-il s’en inquiéter ?

Vincent Tournier — L’économie ne fait pas tout. Le développement économique n’a pas d’effets mécaniques et systématiques. Malgré les progrès, beaucoup de régions du monde sont loin de bénéficier d’un environnement aussi sécurisé que celui que connaît l’Occident, lequel constitue finalement une exception dans le monde actuel.

De plus, il ne faut pas sous-estimer la dimension répulsive des valeurs individualistes. Les polarisations que l’on observe au sein des pays occidentaux se retrouvent aussi au niveau international. Le libéralisme des mœurs ne s’exporte pas facilement. Il est d’autant moins attractif qu’il est perçu comme le symbole de l’Occident. Les pays occidentaux sont fiers de leurs valeurs et ils sont tentés d’en faire une référence universelle. Curieusement, alors que l’histoire coloniale de l’Europe est regardée avec horreur, cette ambition moralisatrice n’est pas perçue comme une forme de néo-colonialisme. Or, pour beaucoup de pays, ces injonctions moralisatrices relèvent d’un interventionnisme inacceptable. Du Brésil à la Russie sans oublier les pays musulmans, le sentiment se développe que les Occidentaux veulent imposer un modèle de société qui n’est pas forcément conforme à leur culture. 

Repoussoir pour beaucoup dans le Tiers-Monde : Macron reçoit à l’Élysée des « artistes » pratiquant une danse urbaine qui trouve son origine dans la communauté LGBT (Lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) noire américaine.

Le problème est que les pays occidentaux considèrent que ces valeurs libérales ou individualistes sont consubstantielles à la démocratie elle-même. En somme, elles sont censées former un tout indissociable : si vous voulez être démocrate, il faut aussi souscrire au panel de valeurs que les Européens ont défini comme incontournables. Cette confusion entre la politique et la morale n’est pas saine, car elle peut rendre la démocratie moins désirable. Si beaucoup de gens aspirent à vivre dans un régime démocratique, tout le monde n’a pas forcément envie de copier le mode de vie occidental. C’est une des raisons qui peut expliquer le désamour pour la démocratie et le regain d’intérêt pour les pouvoirs autoritaires. En Afrique, les pays qui se présentent comme des contre-modèles occidentaux (Chine, Russie, Turquie, pétromonarchies) rencontrent un certain succès. Dans le cas du Sahel, où plusieurs coups d’État se sont produits (Mali, Burkina Faso, Niger), une partie du sentiment anti-français peut aussi venir de là. Le modèle français fait d’autant moins rêver que les gouvernements africains, soutenus par la France, sont accusés de corruption et d’inefficacité dans la lutte contre le djihadisme. De ce point de vue, la théorie de Inglehart n’est pas totalement dépassée : c’est parce que les habitants de ces régions se sentent en insécurité qu’ils ne sont pas prédisposés à accueillir dans la joie les valeurs post-modernes. 

Source

 

Extraits de l’article de The Economist

EN 1981, plus de 40 % de la population mondiale vivait dans l’extrême pauvreté. Mais la croissance économique commençait à s’accélérer dans les pays en développement. Ron Inglehart, professeur à l’université du Michigan, organise une enquête mondiale pour vérifier la théorie selon laquelle, lorsque les paysans échappent à la pauvreté, ils commencent à penser et à se comporter différemment, comme l’ont fait les gens dans le passé lorsqu’ils ont rejoint les classes moyennes.  

Ils pourraient accorder une plus grande priorité à l’éducation, à l’élargissement des connaissances de leurs enfants, que ne l’avaient fait leurs propres parents. Ils pourraient accorder plus d’importance à leur propre expérience et à leur raisonnement, et moins aux livres religieux ou à l’autorité des rois. Et peut-être que ces nouvelles façons de faire, ces valeurs fondamentales, commenceraient à converger dans le monde entier. Inglehart pensait que l’on pouvait tester ces éléments en posant des questions révélant des valeurs sous-jacentes telles que « Quelle est l’importance de la religion dans votre vie ? », « Seriez-vous heureux de vivre à côté d’un étranger ? » et « Pouvez-vous faire confiance à la plupart des gens ? ».  

 Quarante ans plus tard, seuls 8 % de la population mondiale sont encore en situation d’extrême pauvreté ; plus de la moitié, selon certaines mesures, font partie de la classe moyenne. Le World Values Survey (WVS), le bébé d’Inglehart, est devenu le plus grand réseau de recherche sociale au monde. Tous les cinq ans environ, ses chercheurs se rendent sur le terrain pour interroger, aux dernières nouvelles, près de 130 000 personnes dans 90 pays. Pourtant, la dernière vague de résultats, qui couvre la période 2017-22, ne confirme que partiellement l’idée selon laquelle les valeurs fondamentales tendent à converger à mesure que les gens s’enrichissent. De manière significative, les différences entre les modes de pensée des différentes parties du monde semblent se creuser.
 
Inglehart (décédé en 2021) a soutenu que la sécurité — ou, pour être précis, l’insécurité — est à l’origine de la façon dont les gens pensent et de ce à quoi ils accordent de la valeur. Dans un monde incertain où les enfants ou les récoltes peuvent être anéantis par la maladie ou la sécheresse du jour au lendemain, la famille est souvent le seul rempart contre le désastre, tandis que l’église, la mosquée ou le temple sont les principaux pourvoyeurs de consolation ou d’explication. Mais à mesure que la richesse s’étend, l’insécurité de base recule. Dans un environnement plus stable, les gens peuvent penser davantage par eux-mêmes.
 
Inglehart pensait que ce processus se produisait sous deux formes légèrement différentes. Il a inventé des méthodes pour mesurer chacune d’entre elles.
  

La première évalue l’influence des sources d’autorité coutumières, telles que la famille et la religion. À une extrémité de ce spectre se trouve le respect de la tradition. À l’autre extrémité, on trouve les croyances laïques et une pensée plus scientifique. C’est ce qu’il a appelé l’axe « tradition-laïcité ». Votre position sur cet axe dépend de vos réponses à des questions telles que « Croyez-vous en Dieu ? » et « Quelle est l’importance de l’obéissance chez les enfants ? ».

La deuxième mesure évalue l’attachement des personnes à un groupe d’appartenance. À une extrémité, on trouve une association étroite avec une ethnie, une nation ou une race ; il y a une division nette entre « nous » et « eux ». À l’autre extrémité, on trouve un plus grand individualisme et le fait de penser par soi-même. Cette approche repose sur des questions telles que « Pouvez-vous faire confiance à la plupart des gens ? » ou « Seriez-vous prêt à signer une pétition ? ». Il s’agit d’une sorte d’indice de tribalisme politique, bien que les chercheurs soient trop polis pour l’appeler ainsi. L’ensemble de ces indices crée une carte des valeurs mondiales. 

Les populations voisines se regroupent librement :

  • Les Européens dans une région,
  • les Latino-Américains dans une autre,
  • les pays africains et islamiques dans une troisième, etc.

Et les valeurs ont tendance à ne pas changer rapidement.  Comme le dit Pippa Norris, l’un des coauteurs de l’étude d’Inglehart, « si elles changent, il s’agit d’opinions et non de valeurs ».  Mais au cours des dernières décennies, on a assisté à un changement substantiel — et extraordinaire.

  •  Les pays orthodoxes sont devenus plus traditionnels.
  •  Les pays latino-américains le sont moins.
  •  Les pays anglophones se distinguaient clairement des Européens protestants (dont l’appartenance religieuse est plus forte), mais les deux groupes sont devenus plus difficiles à distinguer.

[Si l’on compare les résultats de l’enquête de 1998 à ceux d’aujourd’hui, on constate que dans les deux cas], les Européens protestants sont les plus laïques et les plus individualistes. Les Européens catholiques ont des opinions similaires, bien que moins marquées. Dans les pays islamiques et africains, la religion et la famille tiennent le haut du pavé. Ce que le WVS appelle les pays « confucéens », dont la Chine, le Japon et la Corée du Sud, sont un mélange. Ils sont aussi attachés aux valeurs laïques que les Européens ; lorsqu’ils répondent à des affirmations telles que « en cas de conflit entre la religion et la science, la religion a toujours raison », ils sont même moins susceptibles d’être d’accord que les Allemands ou les Néerlandais. Mais ils sont loin d’être aussi tolérants que ces nations à l’égard des homosexuels et d’autres minorités.
 

Il y a deux décennies, un groupe de pays combinait les convictions religieuses avec le soutien à l’individualisme et à l’expression de soi, c’est-à-dire une sorte d’hybride de valeurs traditionnelles et modernes. Il s’agissait de l’Amérique, de l’Irlande et de certains pays d’Amérique latine, comme le Venezuela. Cet amalgame les place dans le coin inférieur droit. De nombreux pays orthodoxes (comme la Russie et la Roumanie) présentaient l’inverse : des valeurs religieuses faibles, mais des valeurs « tribales », ou collectives, fortes.
 
[…]

À première vue, cette évolution suggère que les gens pensent différemment lorsqu’ils échappent à la pauvreté et à l’insécurité. La ligne diagonale implique que les pays sont soit traditionalo-collectifs, soit rationalo-individualistes. Les pays les plus pauvres se trouvent (pour la plupart) à une extrémité et les plus riches (pour la plupart) à l’autre. On peut supposer que les pays les plus pauvres finiront par se déplacer le long de la diagonale.
 
 Peut-être. Mais pour l’instant, les résultats du WVS suggèrent que cela ne se produit pas sans obstacle ni détour. Si les pays pauvres convergeaient effectivement avec les pays riches en termes de valeurs, on pourrait s’attendre à ce qu’ils soient ceux où les valeurs évoluent le plus rapidement, tandis que les pays qu’ils rattrapent seraient plus stables. En fait, l’enquête révèle le contraire. Les pays qui sont déjà les plus laïques et les plus individualistes changent le plus rapidement et deviennent encore plus laïques ; ceux qui sont les plus traditionnels et les plus claniques changent moins et deviennent parfois plus traditionnels, et non moins. 

En 1998, 38 % des Européens protestants et 32 % des musulmans déclaraient que la plupart des gens étaient dignes de confiance. En 2022, la confiance avait augmenté en Europe (plus de la moitié des Européens déclarant faire confiance aux gens), mais elle s’était effondrée dans les pays islamiques, où seulement 15 % des personnes interrogées déclaraient que les gens étaient dignes de confiance. En 1998, les Européens catholiques et les Latino-Américains avaient des niveaux de confiance comparables. En 2022, la proportion d’Européens catholiques déclarant faire confiance aux gens était trois fois plus élevée que celle des Latino-Américains.
 
Tout comme la méfiance à l’égard des étrangers est une mesure des valeurs collectives, la réticence à signer des pétitions l’est également. En effet, les sociétés claniques ont tendance à ne pas croire que les autorités dirigeantes agiront dans leur intérêt, et ce par crainte de représailles. En 2022, près de la moitié des personnes interrogées en Amérique latine et dans les pays orthodoxes ont déclaré qu’elles ne signeraient jamais une pétition. Il s’agit d’une forte augmentation en Amérique latine depuis 1998, et d’une faible augmentation dans les pays orthodoxes. En revanche, le nombre d’Européens ayant déclaré qu’ils ne signeraient jamais une pétition a nettement diminué, pour atteindre des niveaux inférieurs de moitié à ceux de la plupart des pays du reste du monde. 

 Mesure après mesure, qu’il s’agisse de penser que les enfants doivent être obéissants, de tolérer l’homosexualité ou de convenir que « lorsque la religion et la science s’opposent, la religion a toujours raison », les pays européens ont évolué vers plus d’individualisme et de laïcité au cours des 25 dernières années. C’est également le cas de l’Amérique. Bien que les Américains aient longtemps été un peu plus religieux que la plupart des Européens, ils ont évolué au fil du temps vers plus d’individualisme et de laïcité, au moins autant que les Européens.
 
En 1981, par exemple, 47 % des Américains se décrivaient comme non religieux (déclarant que Dieu n’était pas important dans leur vie, qu’ils n’assistaient pas aux offices religieux, etc.)). En Suède, cette proportion était de 58 %. En 2022, la part des Américains avait augmenté de 14 points, atteignant presque celle de la Suède. Entre-temps, les pays orthodoxes, islamiques et latino-américains ont connu des changements moins importants ou, dans certains cas, une évolution vers plus de traditionalisme et de collectivisme. Cela n’invalide pas nécessairement l’idée que les valeurs mondiales convergeront un jour. Mais cela suggère que ce jour est peut-être [au minimum] encore loin.
    
 Attention à l’écartement

Ces résultats soulèvent trois autres questions. Premièrement, combien de temps cet écart peut-il continuer à se creuser ? En particulier, les Européens et les Américains peuvent-ils vraiment continuer à devenir de plus en plus individualistes et laïques ? « Les gens ne cessent de me demander s’il y a une limite », déclare Christian Welzel, professeur à l’université Leuphana de Luneburg, en Allemagne, et l’un des coauteurs de l’étude d’Inglehart. « Mais je n’ai encore vu aucun signe ». Le Dr Welzel a examiné les données de la WVS par cohorte d’âges. Il constate que, dans chaque région, chaque génération devient plus individualiste et plus laïque que la précédente.
 
 En Europe, l’écart entre les jeunes et les vieux est particulièrement important et bien plus grand que dans les pays islamiques ou orthodoxes. Cela signifie que l’évolution vers une plus grande expression de soi se poursuivra dans la prochaine génération. En Amérique, il existe un écart de valeurs entre les régions les plus religieuses et les plus laïques du pays, ce qui pourrait théoriquement signifier que les régions religieuses (dans le Sud et le Midwest) ne participent pas à la dérive vers la laïcité. Pourtant, même cette hypothèse semble erronée. L’écart entre les États les plus et les moins religieux n’a pas changé de manière significative depuis 1981. Quelle que soit la cause de la polarisation inhabituelle de la politique américaine, il ne s’agit pas, comme le suggère le WVS, d’un changement fondamental des croyances dans les différentes régions du pays.

Deuxièmement, quelles sont les implications politiques et géopolitiques ? D’une manière générale, les valeurs et la politique sont manifestement et intimement liées. Les valeurs traditionnelles semblent être davantage associées aux autocraties ; les systèmes « une personne, une voix » incarnent des valeurs individualistes. Ce n’est pas une coïncidence si, au cours de la dernière décennie, les populistes autoritaires ont particulièrement bien réussi dans deux des régions où le ralentissement ou l’inversion des valeurs séculaires et rationnelles s’est produit : les pays orthodoxes (tels que la Russie et le Belarus) et l’Amérique latine (Brésil, Nicaragua, Venezuela).
 
Dans les pays orthodoxes, latino-américains et islamiques, le soutien à la démocratie s’est également effondré, mesuré par la part de la population estimant qu’il est bon ou assez bon d’avoir un dirigeant fort qui ne s’embarrasse pas de parlement ou d’élections. Dans les trois régions, cette proportion a augmenté d’un tiers à deux tiers entre 1998 et 2022. Cela n’augure rien de bon pour l’avenir de la démocratie.
 

Néanmoins, il n’existe pas de relation simple entre les valeurs et la politique, comme le suggère l’exemple des électeurs religieux américains. La persistance de la droite dévote et traditionaliste en Europe et en Amérique est clairement liée au mécontentement suscité par la diffusion de l’individualisme. Mais il n’est pas évident de savoir si les électeurs ont changé et se sont organisés en partis d’extrême droite plus puissants, ou si les partis ont simplement réussi, avec plus de succès que par le passé, à vendre leur politique à des électeurs qui n’ont pas tellement changé eux-mêmes.
 
 Une remarque similaire peut être faite à propos des valeurs et de la géopolitique. Les conflits internationaux sur les valeurs semblent s’étendre. Il ne se passe pas un jour sans que les gouvernements occidentaux et non occidentaux ne s’affrontent sur la question des droits des LGBT. Après que le président Joe Biden a critiqué l’introduction par l’Ouganda d’une loi anti-homo sévère au début de l’année, Anita Among, la présidente du parlement ougandais, a déclaré : « Le monde occidental ne viendra pas gouverner l’Ouganda ». Et lorsque Recep Tayyip Erdogan, le président turc, a menacé de bloquer la demande d’adhésion de la Suède à l’OTAN parce qu’un homme avait brûlé des pages du Coran en Suède, il a fait appel aux fortes convictions religieuses des Turcs. Mais pour de nombreux Suédois individualistes, le brûleur de livres avait tout à fait le droit de s’exprimer librement, tant qu’il respectait la loi. 

 Les dissentiments sur les valeurs sont également omniprésents dans la rivalité entre les superpuissances américaine et chinoise. Les dirigeants chinois se plaignent sans cesse que « les soi-disant valeurs universelles de l’Occident » n’existent pas (comme le dit Xi Jinping, le président chinois) et que les appels du gouvernement américain à de telles valeurs ne sont qu’un écran de fumée pour un nouveau type d’impérialisme. Dilma Rousseff, ancienne présidente du Brésil, qualifie le libéralisme occidental de « système de valeurs imposé ».
 
 Néanmoins, bon nombre de ces conflits se seraient certainement produits indépendamment des différences de valeurs. La Chine aurait défié l’Amérique pour des raisons stratégiques et technologiques. La Turquie aurait pu bloquer la Suède pour obtenir des concessions de l’OTAN. Vladimir Poutine, le président russe, affirme avoir envahi l’Ukraine parce que ce pays, qui faisait autrefois partie intégrante du monde orthodoxe, s’imprègne des habitudes de pensée européennes qui, selon M. Poutine, menacent la Russie. Mais M. Poutine avait de nombreuses raisons de prendre sa décision, qu’elles soient paranoïaques ou calculées. Il ne s’agit pas de dire que les différences de valeurs sont artificielles. Mais elles peuvent ne pas être déterminantes. Pour les gouvernements autoritaires, les « valeurs » sont une excuse aussi bien qu’un ensemble de croyances. 

Troisièmement, qu’est-ce que tout cela signifie pour les arguments sur les « valeurs universelles » ? La WVS implique que les valeurs laïques et libérales ne sont pas plus universelles que les valeurs religieuses et autoritaires. Les deux ensembles de valeurs se situent aux extrémités opposées du même spectre d’opinions ; tous deux sont des moyens par lesquels les gens s’adaptent à leurs circonstances, qu’elles soient sûres ou incertaines. En ce sens, M. Xi et d’autres ont raison : ces valeurs ne sont pas universelles. Mais elles ne dépendent pas entièrement de l’histoire ou de la culture politique d’un pays.
 
En règle générale, à mesure que la prospérité s’étend, que l’espérance de vie augmente, que les taux de fécondité diminuent et que l’éducation se développe, les gens tendent à se rapprocher de l’extrémité laïque/rationnelle du spectre. M. Welzel décrit ce phénomène comme un changement d’état d’esprit, passant d’une « orientation vers la prévention » (dans laquelle la principale préoccupation des gens est de prévenir les dommages et les pertes pour eux-mêmes et leur famille) à ce qu’il appelle une « orientation vers la promotion » (dans laquelle les gens recherchent l’expression de soi et la liberté de choisir la manière de vivre leur vie).
 
 Le WVS constate toutefois que la vitesse à laquelle ce changement se produit varie considérablement d’un pays à l’autre. Dans certains endroits, le processus s’inverse même. Les différentes générations s’adaptent plus ou moins facilement. Les gouvernements interviennent pour ralentir les choses si cela les arrange. Et il est clair que l’enrichissement n’est pas nécessairement suffisant pour déclencher le changement de valeurs, car les pays qui s’enrichissent peuvent souvent se sentir moins en sécurité. 

 
Pour toutes ces raisons, les modes de pensée traditionnels persistent et la convergence des valeurs qui devrait accompagner la croissance économique est loin d’être achevée. Pourtant, l’impact d’une plus grande sécurité sur les valeurs des gens ne disparaît pas. Lentement, sans certitude, les valeurs religieuses et autoritaires tendent à perdre de leur attrait, tandis que les valeurs laïques et libérales tendent à en gagner. La bataille des valeurs se joue entre ces deux pôles. 

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Étude — Baisse de « solidarité » corrélée à l’augmentation du nombre d’étrangers

Un Québec de plus en plus divers, est-ce vraiment une bonne chose ? 

Le révérend père Trudeau sermonne Meloni sur « les droits des 2ELGBTQI+ » lors du G7 au Japon

 « La modernité vous rend stérile »

Le consensus « conservateur » serait-il terminé ? Nationalistes contre Libéraux ?

La Banque mondiale suspend l’octroi de nouveaux prêts à l’Ouganda en raison de la loi anti-LGTV.

Ces autres Églises ou religions que l’ouverture à marche forcée à la modernité a… tuées

Pape François : convertir au Christ ou à la religion diversitaire ?