Lettre de Nadia El-Mabrouk, professeur à l’Université de Montréal, membre de l’Association Québécoise des Nord Africains pour la Laïcité (arguments similaires au MLQ) :
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ECR : Des musulmans modérés dénoncent le contenu des manuels
Monsieur François Blais,
Ministre de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche,
Pour faire suite à la lettre que vous envoyait en mars dernier PDF Québec concernant le cours Éthique et culture religieuse (ÉCR) dispensé aux enfants du Québec, j’aimerais vous faire part de mes constatations suite à une analyse approfondie que nous avons menée sur l’ensemble des manuels scolaires du primaire pour ce cours. Comme il s’agit de manuels qui ont reçu l’approbation officielle du ministre de l’Éducation, il nous semble important de vous en informer.
Cette étude a été motivée par la constatation que le volet « culture religieuse » du cours ÉCR avait pour effet de stigmatiser nos enfants en les incitant à s’identifier à des pratiques religieuses stéréotypées, sexistes et souvent fondamentalistes.
« Parle de ta religion ». Voici le genre de devoirs auxquels doivent se soumettre nos enfants. N’est-ce pas une atteinte à leur vie privée ? Ni les enfants ni les parents ne devraient avoir à révéler leur croyance ou leur non-croyance publiquement.
Mais en tant que néo-Québécoise de culture musulmane, j’ai été particulièrement scandalisée par l’image de l’islam transmise à nos enfants. Nous avons été plusieurs à nous exprimer publiquement à ce propos au cours des dernières semaines. « Tu n’es pas musulman puisque ta mère n’est pas voilée ». Voici le genre de commentaire à l’égard de son fils, que rapportait un Québécois d’origine syrienne, à TVA nouvelle le lundi 23 novembre 2015 en parlant de l’impact du cours ÉCR sur sa famille.
C’est ce genre de constatations qui nous a amenées à analyser les manuels scolaires pour le cours ÉCR. Il en ressort une vision stéréotypée et folklorique de toutes les cultures religieuses : le chrétien porte une croix, le juif une kippa, l’autochtone des plumes, l’hindoue un bindi (point rouge sur le front) et un beau sari et le bouddhiste un habit orange de moine.
Pour ce qui est de l’islam, c’est le voile islamique de la femme qui a été choisi comme marqueur pour cette religion. Il apparait comme la norme vestimentaire pour la femme, et le symbole de l’islam. Dans presque toutes les images illustrant l’islam et représentant une femme, ou une petite fille, celle-ci est voilée. Des petites filles voilées, qui n’ont clairement pas l’âge de la puberté, se retrouvent un peu partout dans les manuels scolaires et cahiers d’exercices. Le texte, quant à lui, parle d’obligation religieuse, de pudeur, ou d’une façon d’exprimer son attachement à sa religion. Quelle sorte de conditionnement transmet-on aux petites filles musulmanes ? Ce choix d’images et de textes s’apparente à une promotion du voile islamique. Comment expliquer cette orientation idéologique, d’autant plus que la majorité des musulmanes du Québec ne porte aucun signe distinctif ?
Le niqab quant à lui est banalisé du fait qu’il est présenté comme un code vestimentaire parmi d’autres pour l’islam. Les auteurs des manuels ne semblent pas saisir que ce voile intégral est une coutume qui va à l’encontre de l’article 5 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 qui stipule que « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ». Le voile intégral est sans contredit un traitement dégradant et un instrument de maltraitance envers les femmes.
De plus, il est associé au wahhabisme pratiqué en Arabie saoudite, laquelle met en pratique la version de la charia la plus radicale et la plus discriminatoire envers les femmes. De cela, bien sûr, les manuels pour le cours Éthique et culture religieuse ne parlent jamais.
En fait, aucune réserve n’est formulée à l’égard d’aucune pratique religieuse ou culturelle. Ce cours, qui est sous la responsabilité du Comité sur les affaires religieuses, ne présente qu’une vision positive des religions. En fait, le « dialogue de respect » prôné par les concepteurs du programme pour le volet « culture religieuse », exclut toute critique vis-à-vis des croyances et des pratiques religieuses. Cela mène bien souvent à une autocensure qui dissimule la ségrégation sexuelle et la position inférieure des femmes dans la plupart des religions.
Cependant, les images sont révélatrices. Elles sont d’autant plus importantes qu’elles s’adressent à de tout jeunes enfants. Alors que, dans le volet « éthique », il y a un réel souci pour contrer les stéréotypes sexistes et équilibrer les représentations d’hommes et de femmes, dans le volet « culture religieuse », les hommes sont davantage présents que les femmes et les rôles stéréotypés sont omniprésents.
C’est le cas notamment du judaïsme et des religions autochtones où la représentation masculine est presque dix fois supérieure à la représentation féminine. Dans le cas de l’islam, il est remarquable de constater le peu d’images illustrant une mixité, soit la présence d’hommes et de femmes dans la même image. Bien que la distribution des rôles soit très marquée de ségrégation sexuelle, cette notion n’est jamais, ni évoquée, ni dénoncée, contrairement, par exemple, à la ségrégation raciale dont il est largement question.
Pis encore, cette posture de respect absolu des religions mène bien souvent à un relativisme culturel dangereux pour nos enfants. Un exemple choquant se retrouve dans le manuel Vers le monde (Manuel B, CEC, 2009, p. 100). On y voit une petite fille de 7 ou 8 ans en habit de mariée — à faire rêver bien des petites filles — avec la légende « Jeune mariée berbère, en Tunisie, dans le nord de l’Afrique ». Rien dans le texte ne vient dénoncer les mariages précoces ou les mariages forcés. Bien au contraire, une phrase à l’effet qu’au Moyen-âge en Europe, les femmes se mariaient à 14 ans et que c’est toujours la coutume dans certaines régions d’Afrique, vient banaliser cette coutume. N’est-ce pas invalider de nombreuses tentatives pour éradiquer cette pratique illégale au Québec qui handicape le développement physique, psychologique et social de la jeune fille ?
Après avoir parcouru toute la documentation disponible pour ce cours, il nous semble évident, Monsieur le Ministre, que le volet « culture religieuse » ne permet pas d’atteindre les objectifs du « vivre ensemble » initialement visés. Bien au contraire, il pousse au cloisonnement des individus dans des groupes identifiés par des pratiques religieuses, parfois très contraignantes et discriminatoires envers les femmes.
Alors que la majorité des nouveaux arrivants ne demandent qu’à s’intégrer, le cours ÉCR pourrait les conduire au repli identitaire. En outre, il amène les enfants à se distancer des « autres » qui autrement, sans leur étiquette religieuse, seraient exactement comme eux. On apprend ni plus ni moins à nos enfants à faire du profilage ethnico-religieux.
Il faudrait plutôt s’assurer que l’école soit un milieu d’épanouissement pour les enfants. Les enfants, qu’ils soient noirs, blancs, juifs, musulmans, autochtones, sont d’abord des enfants. Plutôt que de les amener à mettre en relief ce qui les différencie, il faudrait plutôt les faire converger vers ce qui les rassemble.
À la lumière de ce que nous venons de vous présenter, nous vous demandons, Monsieur le Ministre, de revoir en profondeur le cours Éthique et culture religieuse, et d’envisager le retrait de la compétence « culture religieuse » au primaire.
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