dimanche 8 septembre 2019

Orban : la procréation plutôt que l'immigration

Enfants hongrois
Procréer ou faire face à l’extinction : le Premier ministre hongrois Viktor Orban s’est fait une nouvelle fois le champion de « la famille traditionnelle », devant un parterre de personnalités venues du Brésil, des États-Unis, d’Afrique et d’Europe de l’Est, rassemblé pour encourager la natalité au nom des « valeurs chrétiennes ».

« Mathématiquement, il n’est pas difficile de concevoir qu’un dernier homme devra éteindre la lumière » dans les pays les plus petits d’Europe centrale, a lancé le Premier ministre.

Le président serbe Aleksandar Vucic, le Premier ministre tchèque Andrej Babis et l’ancien premier ministre australien Tony Abbott ont fait le déplacement, jeudi 5 septembre à Budapest, pour ce « sommet démographique », tout comme des ministres en exercice bulgare, brésilien, letton, polonais, bangladais et cap-verdien, ainsi qu’un représentant du Congrès américain et des personnalités religieuses.

« Oublions le non-sens vert » de la surpopulation

« Oublions ce non-sens vert qui dit que nous avons besoin de moins de monde. L’humanité fait partie de la nature », a poursuivi Viktor Orban, en stigmatisant les préoccupations environnementales liées à la surpopulation.

« Si l’Europe n’est pas peuplée par les Européens à l’avenir, et si nous prenons cela pour acquis, nous parlons d’un échange de populations pour remplacer la population des Européens par d’autres » a ajouté le dirigeant hongrois, en référence à la théorie complotiste d’extrême droite du « grand remplacement ». « Il y a des forces politiques en Europe qui veulent un remplacement de la population pour des raisons idéologiques ou autres ».

Les paroles d’Orbán ont été corroborées par l’un des invités d’honneur du sommet, l’ancien Premier ministre australien Tony Abbott, qui a salué le dirigeant hongrois pour avoir « le courage politique de défier le politiquement correct ». Abbott a déclaré que la dénatalité, et non le changement climatique, constituait la plus grande menace pour la civilisation occidentale. Il a également critiqué le Prince Harry et Meghan Markle qui avaient affirmé récemment qu’ils n’auraient pas plus de deux enfants à cause des effets négatifs sur l’environnement. « Avoir moins d’enfants dans les pays occidentaux n’aura guère d’effet sur le climat alors que tant d’enfants naissent ailleurs », de déclarer l’ancien Premier ministre Abbott.

« L’Europe est devenue le continent des berceaux vides alors que l’Asie et l’Afrique font face à des défis démographiques inverses », a déclaré Katalin Novak, ministre d’État hongroise pour la famille, la jeunesse et les affaires internationales.

De son côté, le président du parlement Laszlo Kover a suggéré que les individus sans enfants n’étaient « pas normaux ». « Avoir des enfants est une question d’intérêt public et non privée », a-t-il martelé.

Depuis la crise des migrants de 2015, Viktor Orban a mis l’opposition à l’immigration au centre de sa rhétorique, tout en cherchant à enrayer le déclin démographique de son pays. La population de la Hongrie pourrait se réduire de 9,8 millions d’habitants à 8,3 millions d’ici à 2050, selon les projections. Selon les statistiques de l’ONU, les dix pays où la population se contracte le plus rapidement dans le monde se trouvent en Europe centrale et orientale : parmi eux, Bulgarie, la Croatie, la Serbie, la Pologne, la Roumanie et la Hongrie.

Le Premier ministre tchèque, Andrej Babiš, et le président serbe, Aleksandar Vučić, ont également assisté à ce sommet de deux jours. Ils ont tous deux déclaré que l’augmentation du taux de natalité était une priorité pour le développement à long terme de leur pays. Vučić a déclaré que, chaque année, la Sernie perdait l’équivalent de la population d’une ville de taille moyenne, « Le peuple serbe a une expression pour désigner cette croissance démographique négative : la peste blanche », a-t-il ajouté.

Augmentation de la fécondité en Hongrie, baisse au Québec et en France

Le gouvernement hongrois affirme avoir doublé les aides familiales entre 2010 et 2019. Le taux de fécondité (nombre moyen d’enfants par femme en âge de procréer) s’est rapproché de la moyenne européenne de 1,6, en passant de 1,2 (en 2010) à 1,5 (2018) par femme, loin toutefois du niveau de 2,1, nécessaire pour le renouvellement de la population. Novak, dans des réponses écrites antérieures aux questions du Guardian, a déclaré que le gouvernement hongrois avait doublé les dépenses familiales entre 2010 et 2019, dans le but de parvenir à « un retournement durable du processus démographique d’ici 2030 ». Notons que l’indice de fécondité au Québec a diminué et est passé de 1,7 en 2010 à 1,59 en 2018, malgré une reprise économique importante. L’indice de fécondité de la France métropolitaine est, pendant la même période, passé de 2,01 enfants par femme en 2010 à 1,84 enfant en 2018.

Doublement des aides familiales

De nouvelles mesures ont été annoncées par les autorités hongroises en février : une exonération fiscale pour les femmes ayant quatre enfants ou plus ; un prêt de 10 millions de florins (30 000 €, 44 000 $ canadiens) accordé aux familles de trois enfants ; et des incitations financières en faveur des familles nombreuses pour l’achat de véhicules à sept places. Fin août, selon les statistiques gouvernementales, 23 000 couples avaient demandé le prêt et 10 000 familles avaient sollicité l’aide à la voiture.

La Hongrie doit également compter avec une forte émigration. Environ un million de citoyens hongrois auraient quitté le pays entre 2008 et 2018, selon l’OCDE. Cet exode se traduit par des pénuries de main-d’œuvre dans les services publics comme la santé et la poste. En dépit de sa rhétorique officielle hostile à l’immigration, le gouvernement hongrois autorise l’arrivée de « travailleurs invités » venus des pays voisins.

Les gouvernements d’Europe centrale ont mis en place des incitations financières pour les enfants. La Pologne a mis en place le programme « 500+ », qui verse aux parents 500 złoty (144  €,  166 $ canadiens) par mois et par enfant à partir du deuxième enfant. Le régime polonais a été étendu en juillet de cette année à tous les enfants, y compris le premier, sans condition de revenu.

Babiš a déclaré que la République tchèque souhaitait également encourager les familles nombreuses. « C’est le troisième enfant qui revêt une importance capitale... Nous ne souhaitons pas soudoyer quiconque à avoir un troisième enfant, mais nous devons apporter un soutien principalement aux familles qui entreprennent volontairement d’avoir un troisième enfant », dit-il.

Novak a nié que ces politiques poussent les femmes à avoir des enfants : « Contrairement aux accusations injustifiées et motivées par des considérations politiques, nous ne voulons forcer personne à avoir des enfants… Il est choquant de constater que nous sommes constamment attaqués pour avoir essayé de soutenir les familles par tous les moyens disponibles... »


Rappelons que les familles européennes et nord-américaines veulent en moyenne, cela varie d’un pays à l’autre, un peu moins d’un enfant de plus qu’elles n’auront. On parle en termes techniques de « déficit important entre descendance idéale déclarée et descendance réelle ». C’est ainsi que les Françaises ont moins d’enfants que ce qu’elles souhaiteraient idéalement et ça fait plusieurs décennies que ça dure. À l’heure actuelle, si elles avaient le nombre d’enfants qu’elles disent vouloir idéalement, l’indice conjoncturel de fécondité serait de ~2,4 enfants par femme au lieu de ~1,9 enfant par femme. Voir https://ifstudies.org/blog/the-global-fertility-gap. Une des raisons de cet écart entre le nombre idéal d’enfants voulu et le nombre obtenu : le coût lié à l’accueil d’un enfant supplémentaire.


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Le Québec prend un coup de vieux, aucune mesure d'aide à la naissance malgré un désir d'enfants ?

Combien coûte un enfant en France et au Québec

France

151 000 € pour un enfant jusqu’à sa majorité.

L’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (Onpes) a sorti un rapport en 2015 sur les budgets de référence dans les villes moyennes élaborés par le Credoc et l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires). Ces deux organismes y analysaient l’effet de la présence d’un enfant sur les revenus en intégrant tous les frais fixes. La méthode dévoilait un surcoût global mensuel situé entre 575 et 652 € pour une famille monoparentale, et entre 578 et 771 € pour un couple. Avec une moyenne de 700 €, le montant final est spectaculaire : un enfant coûterait 151 000 € de sa naissance à ses 18 ans ! Et encore, le Credoc entend intégrer dans son prochain rapport de nouvelles dépenses imposées aux parents (téléphonie mobile, Internet, sport, vêtements de marque, activités culturelles et sportives diverses, etc.), capables de saler un peu plus la note.

Selon la Depp, le coût moyen des dépenses de rentrée serait de 580 € pour un écolier, 890 € pour un collégien et 1 160 € pour un lycéen. Sans compter la cantine…

Raboté deux fois sous le quinquennat Hollande, le plafonnement du quotient familial (la division des revenus familiaux par un facteur lié au nombre d’enfants) crée encore la polémique. Rappelons que l’idée du quotient familial était de ne pas défavoriser les gens avec enfants par rapport à ceux sans enfants ayant les mêmes revenus initiaux. Il ne fallait pas qu’une catégorie de personnes ne fasse pas d’enfants (par exemple la classe moyenne) parce qu’elle est désavantagée en ce faisant : les pauvres étant soutenus par l’État et les vraiment riches assez riches pour que la venue d’un enfant n’entame pas sérieusement leur train de vie. Les gouvernements successifs de gauche en France ont subverti ce système, la natalité a d’ailleurs chuté en même temps, alors qu’elle se relevait ailleurs en Europe. On a donc désormais un État qui ne soutient plus la natalité des parents aisés (avant d’avoir des enfants), mais qui soutient la natalité des classes moins nanties dont les enfants nécessiteront encore plus de soutiens à l’école (dédoublement de classe par exemple).

Les réformes successives de gauche ont conduit à diviser par quatre les allocations familiales des foyers aux revenus dépassant 8 000 €, et à couper en deux celles destinées aux familles gagnant entre 6 000 et 8 000 €. « La mesure ne touche pas les vrais riches, mais pénalise les catégories dites aisées », décrypte dans les colonnes de Marianne Jean-Philippe Vallat, directeur des recherches, études et actions politiques de l’Unaf (Union nationale des allocations familiales).

Québec/Canada

Selon une étude de MoneySense.ca en 2015, le coût moyen pour élever un enfant jusqu’à ses 18 ans est de 253 950 $. Soit 13 365 dollars par enfant et par an, soit 1 114 dollars par mois. Et cela avant de les envoyer à l’université.

CatégorieCoût de la catégorie
Nourriture1 799,94 $
Augmentation des coûts du ménage2 834,88 $
Les frais de garde d’enfants coûtent4 141,84 $
Vêtements874,44 $
Augmentation des coûts de transport2 152,22 $
Soins de santé255,35 $
Soins personnels260,56 $
Fournitures récréatives/scolaires1 046,40 $
COÛT ANNUEL MOYEN D’ÉLEVER UN ENFANT13 365,63 $
COÛT TOTAL JUSQU’À SES 18 ANS253 946,97 $

Bien évidemment, il s’agit là d’une moyenne qui varie grandement selon le lieu. Le coût du logement augmentant grandement dans les métropoles où l'immigration se concentre. C’est aussi, logiquement, dans ces métropoles que la fécondité est la plus basse.

 

Voir aussi

Coût annuel des garderies au Québec : 2,3 milliards (2014) (chaque place coûtait alors 10 455 $ par an, une subvention que ne recevaient et ne reçoivent toujours pas les familles traditionalistes qui gardent elles-mêmes leurs enfants en bas âge)

Résultat désastreux de la dévalorisation de la transmission des connaissances à l'école primaire

Pour Natalie Wexler, auteur de L’Écart de connaissances : la cause cachée de la faillite du système scolaire américain — et comment y remédier, dans les petites classes, les écoles américaines valorisent la compréhension de la lecture par rapport aux connaissances. Les résultats sont dévastateurs, en particulier pour les enfants issus de milieux pauvres.

À première vue, la classe de cette école dans un secteur défavorisé de Washington où s’était rendue Natalie Wexler était un modèle de zèle et de diligence. L’institutrice était assise à un bureau dans un coin, examinant le travail des élèves, tandis que les élèves de première année remplissaient discrètement une feuille de travail destinée à développer leurs compétences en lecture.

En regardant autour d’elle, Natalie Wexler a remarqué une petite fille en train de dessiner sur un morceau de papier. Dix minutes plus tard, elle avait dessiné une série de figures humaines et était occupée à les colorier en jaune.

Natalie Wexler s’est agenouillée à côté d’elle et lui a demandé :

– Qu’est-ce que tu dessines ?

–   Des clowns, répondit-elle avec assurance.

–   Pourquoi dessines-tu des clowns ?

–  Parce qu’il est dit ici « Dessine des clowns », a-t-elle expliqué.

Sur sa feuille de travail se trouvait une liste de compétences liées à la compréhension en lecture : trouver l’idée principale, tirer des déductions, faire des prédictions. La jeune fille montrait la phrase « tirer des conclusions » (dessiner des conclusions littéralement en anglais). Elle était censée tirer des conclusions d’un article sur le Brésil qui était reproduit sur le verso d’une feuille retournée sur son pupitre. Mais elle ignorait que le texte était là jusqu’à ce que je retourne la feuille. En outre, elle n’avait jamais entendu parler du Brésil et était incapable de lire le mot.

Selon la doctrine officielle, peu importe ce que les enfants lisent — il vaut mieux pour eux d’acquérir des aptitudes qui leur permettront de découvrir des connaissances plus tard par eux-mêmes que de leur fournir directement des connaissances. Ils doivent donc passer leur temps à « apprendre à lire » avant de « lire pour apprendre ». Les connaissances peuvent attendre ; la science viendra plus tard, l’histoire, trop abstraite pour être comprise par de jeunes esprits, aussi. Le temps consacré à la lecture est plutôt rempli par une variété d’opuscules et de passages sans aucun lien entre autres si ce n’est ces « compétences de compréhension » que ces textes sont censés permettre d’acquérir.

En 1977 déjà, les instituteurs du premier cycle du primaire consacraient plus de deux fois plus de temps à la lecture qu’à l’apprentissage de connaissance en sciences, en histoire et en géographie. Mais depuis 2001, année où la législation fédérale No Child Left Behind a légalisé les résultats normalisés en lecture et en mathématiques pour mesurer les progrès accomplis, le temps consacré à ces deux sujets n’a fait qu’augmenter. Et, logiquement, le temps consacré à l’apprentissage de connaissance en sciences, en histoire et en géographie a chuté, en particulier dans les écoles où les résultats aux tests standardisés étaient et sont faibles.

Pourtant, malgré l’énorme dépense de temps et de ressources consacrés à la lecture, les enfants américains ne lisent pas mieux. Au cours des 20 dernières années, environ un tiers seulement des élèves ont atteint ou dépassé le niveau « compétent » aux tests nationaux. Le tableau est particulièrement sombre pour les enfants issus de familles à faible revenu et appartenant à une minorité. Leurs résultats moyens aux tests sont bien inférieurs à ceux de leurs pairs plus riches, en majorité blancs, phénomène que l’on qualifie généralement d’écart de réussite. À mesure que cet écart s’est creusé et que la proportion d’élèves blancs a diminué dans une Amérique de plus en plus « diverse », la position de l’Amérique dans les classements internationaux en matière d’alphabétisation, déjà médiocre, a chuté. « Nous semblons être en train de décliner alors que d’autres systèmes s’améliorent », a déclaré un des responsables fédéraux de l’administration de tels tests à Education Week.

Ce qui soulève une question troublante : et si les recettes prescrites n’avaient fait qu’aggraver le retard, en particulier pour les enfants pauvres ? Et si le meilleur moyen d’améliorer la compréhension en lecture ne consistait pas à enseigner aux enfants des compétences isolées (ici de « lecture »), mais à leur enseigner le plus tôt possible des connaissances délaissées, notamment l’histoire, la géographie, la science et d’autres contenus susceptibles de renforcer leur culture générale et le vocabulaire dont ils ont besoin pour comprendre les textes écrits et le monde qui les entoure ?

À la fin des années 1980, deux chercheurs du Wisconsin, Donna Recht et Lauren Leslie, conçurent une expérience ingénieuse pour tenter de déterminer dans quelle mesure la compréhension en lecture d’un enfant dépend de sa connaissance antérieure d’un sujet. À cette fin, ils ont construit un terrain de baseball miniature et l’ont peuplé de joueurs de baseball en bois. Ils ont ensuite fait venir 64 élèves de septième et huitième années qui avaient été testés pour leur capacité de lecture et leur connaissance du baseball.

Recht et Leslie ont choisi le baseball, car ils pensaient que beaucoup d’enfants qui n’étaient pas de grands lecteurs connaissaient néanmoins assez bien le sport. On a demandé à chaque élève de lire d’abord la description d’une manche fictive de baseball, puis de déplacer les figurines en bois pour la reproduire. Par exemple : « Churniak prend son élan et frappe une balle qui rebondit lentement en direction de l’arrêt-court. Haley arrive, jette la balle et lance au premier but, mais trop tard. Churniak est le premier avec un simple, Johnson reste en troisième position. Le prochain frappeur est Whitcomb, le joueur de champ gauche des Cougars. »)

Il s’est avéré que la connaissance préalable du baseball avait un énorme impact sur la capacité des étudiants à comprendre le texte — bien plus que leur supposé niveau de lecture. Les enfants qui connaissaient peu le baseball, y compris les « bons » lecteurs, s’en sont tous mal sortis. Et tous ceux qui connaissaient bien le baseball, qu’ils soient de « bons » ou de « mauvais » lecteurs, s’en sortaient bien. En fait, les « mauvais » lecteurs qui en savaient beaucoup sur le baseball ont surpassé les « bons » lecteurs qui ne connaissaient pas le jeu.

Près de 25 ans plus tard, une variante de l’étude sur le baseball a permis de mieux comprendre la relation entre connaissance et compréhension. Cette équipe de chercheurs s’est concentrée sur les enfants d’âge préscolaire issus de différents milieux socio-économiques. Ils ont d’abord lu un livre sur les oiseaux, un sujet sur lequel ils avaient déterminé que les enfants dont les parents sont à l’aise financièrement en savaient davantage que ceux issus de familles plus pauvres. Quand ils ont testé la compréhension du texte lu, les chercheurs ont constaté que les enfants les plus riches réussissaient nettement mieux que les autres. Mais ensuite, ils ont lu une histoire portant sur un sujet que tous les enfants ignoraient : des animaux fictifs appelés « wugs ». Dans ce cas, alors que les connaissances antérieures des enfants étaient égales, leur compréhension du texte était, selon Natalie Wexler, essentiellement la même, peu importe leur milieu social d’origine. En d’autres termes, le manque de compréhension dans le cas du texte portant sur les oiseaux n’était pas un manque de compétences, il s’agissait plutôt d’un manque de connaissances préalables.

Pour diverses raisons, les enfants de familles plus instruites — qui ont également tendance à avoir des revenus plus élevés — arrivent à l’école avec plus de connaissances et de vocabulaire. Les enseignants m’ont dit que, dans les premières années de l’école, les enfants de familles moins éduquées ignorent parfois le sens de mots simples comme « derrière ». J’ai vu un élève de première année se débattre avec un problème mathématique simple parce qu’il ne comprenait pas le mot « avant ». Au fil des années, les enfants de parents instruits acquièrent davantage de connaissances et de vocabulaire en dehors de l’école, ce qui leur permet plus facilement d’acquérir encore plus de connaissances, car, comme le velcro, les connaissances adhèrent mieux à d’autres connaissances similaires.

Pendant ce temps, leurs pairs moins fortunés sont de plus en plus à la traîne, surtout si leurs écoles ne leur transmettent pas de connaissances. Cet effet boule de neige a été surnommé « l’effet Saint-Matthieu », d’après le passage dans l’Évangile selon Matthieu, selon lequel les riches deviennent de plus en plus riches et les pauvres, de plus en plus pauvres. Chaque année que l’effet Saint-Matthieu se fait sentir, il devient plus difficile de le contrer. C’est pourquoi plus on transmet tôt des connaissances aux enfants, meilleures seront les chances de réduire cet écart. La réduction de cet écart est un objectif louable et désirable pour toute société, cela ne veut cependant pas dire que cet écart peut être totalement éliminé même (ou a fortiori) dans une société qui récompense de plus en plus le travail intellectuel puisque les revenus des parents dépendraient de leurs compétences cognitives et que celles-ci sont en partie héritables, sujet en grande partie tabou toutefois.

Bien que, à certains égards, les écoles américaines diffèrent énormément entre elles, la même structure de base se retrouve dans presque toutes les classes du primaire. La journée est divisée en un « bloc math » et un « bloc de lecture », ce dernier prenant entre 90 minutes et trois heures.

Dans peut-être la moitié des écoles primaires, les enseignants sont censés utiliser un manuel de lecture qui comprend divers passages et thèmes de discussion ainsi qu’un guide de l’enseignant. Dans d’autres écoles, les enseignants sont laissés à eux-mêmes. Ils décident comment enseigner la lecture et s’appuient sur des livres pour enfants disponibles dans le commerce. Dans les deux cas, en matière d’enseignement de la compréhension, l’accent est mis sur les compétences. Et la très grande majorité des enseignants se tournent vers Internet pour compléter ces outils, bien qu’ils n’aient pas été formés à la conception de programmes. Une enquête menée par la Corporation Rand auprès des enseignants a révélé que 95 % des instituteurs du primaire avaient recours à Google pour obtenir du matériel et des plans de cours ; 86 % se tournent vers Pinterest.

En règle générale, un enseignant se concentre sur la « compétence de la semaine », en lisant à haute voix des livres ou des passages choisis non pas pour leur contenu, mais parce qu’ils permettaient de faire la démonstration d’une compétence donnée. La démonstration d’une compétence peut, toutefois, ne comporter aucune lecture. Une façon courante de modéliser la capacité de « comparer et contraster », par exemple, consiste à faire venir deux enfants devant la classe et à les amener à discuter de leurs vêtements, en quoi ils sont similaires ou différents.

Ensuite, les élèves pratiquent cette technique seuls ou en petits groupes, sous la direction d’un enseignant, en lisant des livres d’un niveau de lecture prédéterminé, lequel peut être très inférieur à leur niveau scolaire. Encore une fois, les livres ne partagent pas nécessairement un thème commun ; beaucoup sont de simples fictions. La théorie est la suivante : si les étudiants lisent suffisamment et consacrent suffisamment de temps à la compréhension, ils seront finalement en mesure de comprendre des textes plus complexes.

Nombre d’enseignants ont affirmé à Natalie Wexler qu’ils aimeraient consacrer plus de temps à la culture générale (études sociales et sciences), car leurs élèves aiment clairement apprendre des faits réels. Mais on leur a dit que les compétences pédagogiques sont le moyen de renforcer la compréhension en lecture. Les décideurs et les réformateurs en pédagogie ne remettent généralement pas en cause cette vision des choses et, en fait, en insistant sur l’importance des tests de compréhension, ils l’ont en fait exacerbée. Les parents, comme les enseignants, s’opposent parfois sur l’insistance accordée à la « préparation aux tests », mais ils ne visent pas la racine du problème. Si les écoliers manquent de connaissances et de vocabulaire pour comprendre les passages des tests de lecture, ils n’auront pas l’occasion de démontrer leur habileté à faire des déductions ou à trouver l’idée principale. Et s’ils arrivent à l’école secondaire sans avoir été exposés à l’histoire ou aux sciences, comme c’est le cas pour de nombreux étudiants issus de familles à faible revenu, ils ne pourront ni lire ni comprendre les documents de niveau secondaire.

Les normes communes d’alphabétisation de base, qui depuis 2010 ont influencé les pratiques en classe dans la plupart des États des États-Unis, ont aggravé la situation à bien des égards. Dans le but d’élargir les connaissances des enfants, les normes exigent que les enseignants du primaire exposent tous les élèves à une écriture plus complexe et à moins de fiction. Cela peut sembler un pas dans la bonne direction, mais les textes de non-fiction nécessitent généralement encore plus de connaissances de base et de vocabulaire que les écrits romanesques. Lorsque la non-fiction est combinée à l’approche centrée sur les compétences, comme dans la plupart des salles de classe, les résultats peuvent être désastreux. Il arrive que les enseignants soumettent des textes impénétrables aux enfants et les laisser se débrouiller. Ou peut-être dessiner des clowns.

Source : The Atlantlic