Recension du dernier ouvrage de Mathieu Bock-Côté, Le Nouveau Régime, par Éric Zemmour dans Le Figaro.
Quand j’étais enfant, je croyais que tous les Canadiens français étaient bûcherons ou chanteurs. Depuis lors, les bûcherons ont appris à dissimuler leurs mains calleuses dans les poches de leurs costumes Armani et les chanteurs à textes pour un concert à Bobino sont devenus des chanteuses pour beuglants de Las Vegas. Les paysans français de Louis XV sont désormais citoyens du monde. Ils ont troqué la religion catholique pour celle des droits de l’homme. Le Premier ministre canadien, le sémillant Justin Trudeau, est l’incarnation du destin qu’on leur réserve — le destin qu’on nous réserve : ses ancêtres sont français, mais il prononce son prénom à l’anglaise. En 2014, le Québec a voté une loi autorisant le suicide assisté. Une Pakistanaise en octobre 2015 a prêté serment en niqab avec l’accord des tribunaux. La commission scolaire de Montréal a supprimé les références aux mots « père » et « mère ». Le Parti libéral a débattu de la reconnaissance possible d’un troisième sexe.
Le destin du Québec montre comment l’immigration peut être un instrument redoutablement efficace pour détruire l’identité d’un peuple. En 1970, le leader québécois indépendantiste, René Lévesque, avait fait scandale en déclarant : « On s’est donné un ministère de l’immigration. L’autre à Ottawa, pour lequel on paye, il a le droit de continuer à nous noyer, c’est lui qui a le pouvoir. Mais on en a un au Québec pour enregistrer la noyade. » René Lévesque avait tout compris. Le Québec ne pourra plus jamais voter en faveur de son indépendance, car les Canadiens français ne sont plus seuls sur leur terre. Certains parlent de « groupe démographique majoritaire » pour les désigner et le français est langue facultative à Montréal. Là où l’on criait naguère « Vive le Québec libre », des policières règlent la circulation en voile islamique.
Le Canada est le pays dont rêvent nos élites, de Juppé à Macron, d’Attali à Berger. Le Québec était notre passé oublié ; il est devenu notre avenir annoncé. L’avion qui transporte les passagers de Montréal à Paris est aussi machine à remonter le temps.
Avec sa culture classique, sa passion pour l’histoire et la politique, son libéralisme aronien, son amour de la France en particulier et des nations en général, Mathieu Bock-Côté incarne « l’infâme réac » au Québec tandis qu’a Paris il devient Cassandre nous décrivant la prochaine catastrophe qui nous tombera dessus. Cassandre, mais rond, jovial, sympathique, chaleureux. Cassandre qui a troqué l’incantation prophétique pour l’analyse subtile de l’idéologie dominante, ses non-dits et sa tyrannie. Tout y passe : le « multiculturalisme de droit divin », la théorie du genre qui n’existe pas tout en existant, la prétendue « fin des idéologies », le suicide assisté transformé en droit de l’homme, etc.
Le style de notre auteur est comparable à une vague qui frappe inlassablement la roche pour mieux l’user et l’éroder. Il abuse des adverbes, ose un « vastement », et met des « conséquemment » à toutes les sauces qui perdent de leur charme à l’écrit, lorsqu’ils ne sont plus enrobés dans le papier chatoyant de l’accent québécois. Il excelle à la fin de ses raisonnements, quand il lâche enfin ses coups : « La référence au populisme a ceci d’intéressant qu’elle réintroduit, en la diabolisant, le peuple dans la démocratie... La nouvelle vocation messianique de la civilisation occidentale : s’extraire elle-même de son histoire, pour permettre l’avènement de l’humanité mondialisée... Dès lors qu’on ne définit plus la nation comme une réalité historique, mais comme une communauté de valeurs, on tombe dans ce piège qui la condamne à l ’impuissance parce qu’elle ne parvient plus à expliciter son identité... »
Tout en ressort concassé, démantibulé : Bock-Côté déconstruit avec efficacité les déconstructeurs. Il le fait à sa manière, jamais de front, toujours de biais. Il concède avant de rejeter. On a l’impression qu’il a besoin de s’échauffer avant de frapper. Comme s’il avait malgré lui intériorisé les interdits du politiquement correct, et qu’il devait les endosser avant de s’en débarrasser. Donner des gages pour pouvoir être audible dans un univers intellectuellement cadenassé [Note du carnet : Zemmour a bien compris le Québec-qui-pense-avec-les-sous-du-contribuable : cadenassé, étriqué, peu original et incestueux]. Ainsi. dit-il, « l’islam n’est pas l’islamisme », avant de traiter le voile islamique ou le burkini de « formes d’exhibitionnisme identitaire ».
Une seule vache sacrée de l’époque échappe à sa verve iconoclaste : le féminisme. Ce qu’il appelle avec enthousiasme « l’émancipation féminine ». Notre auteur, soudain désarmé, semble avoir oublié ses lectures et ses repères. Lui qui a critiqué sévèrement le « contractualisme » forcené de notre temps oublie que le féminisme en est, selon Christopher Lasch, un des plus flamboyants. Il se moque de la théorie du genre et de son porte-voix le plus célèbre, Judith Butler, mais il ne voit pas — ou ne veut pas voir — que Judith Butler est tout entière dans Simone de Beauvoir, comme Staline est tout entier dans Lénine. La théorie du genre est une interprétation pédantesque à prétention scientifique de sa phrase célèbre : « On ne naît pas femme, on le devient. » La rupture du lien entre la féminité et la maternité, dénoncée aujourd’hui par notre auteur est revendiquée par Simone de Beauvoir. « Selon la théorie du genre, tout homme est un violeur barbare en puissance », se plaint Bock-Côté ; mais c’étaient déjà la vision et le slogan des féministes des années 1970.
Tous les adversaires de notre auteur aujourd’hui furent hier les alliés privilégiés des féministes : alliance politique entre Beauvoir (et Sartre) et le FLN dans les années 1950 ; alliance tactique des mouvements féministes et gays contre l’homme blanc hétérosexuel dans les années 1970 ; alliance idéologique et universitaire entre féministes et déconstructeurs à la Foucault ou à la Bourdieu dans les années 1980.
Notre auteur devient alors passionnant à double titre, dans ce qu’il dénonce, mais aussi dans ce qu’il ne dénonce pas. Comme une borne générationnelle de ce que même un tempérament rebelle, un esprit subtil et iconoclaste ne veut et ne peut remettre en cause de l’héritage légué par le progressisme des quarante dernières années
Le Nouveau Régime
par Mathieu Bock-Côté
publié chez Boréal
dans les « Papiers collés »
en 2017
à Montréal
314 pages
29,95 $
Voici la fin de la recension de David Leroux du même livre qui aborde la critique de Zemmour sur l’oubli par Bock-Côté d’une vache sacrée : le féminisme (triomphant au Québec tant à l’école, les médias de plus en plus féminisés ou dans l’orientation des politiques prétendûment familiales) :
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Quand j’étais enfant, je croyais que tous les Canadiens français étaient bûcherons ou chanteurs. Depuis lors, les bûcherons ont appris à dissimuler leurs mains calleuses dans les poches de leurs costumes Armani et les chanteurs à textes pour un concert à Bobino sont devenus des chanteuses pour beuglants de Las Vegas. Les paysans français de Louis XV sont désormais citoyens du monde. Ils ont troqué la religion catholique pour celle des droits de l’homme. Le Premier ministre canadien, le sémillant Justin Trudeau, est l’incarnation du destin qu’on leur réserve — le destin qu’on nous réserve : ses ancêtres sont français, mais il prononce son prénom à l’anglaise. En 2014, le Québec a voté une loi autorisant le suicide assisté. Une Pakistanaise en octobre 2015 a prêté serment en niqab avec l’accord des tribunaux. La commission scolaire de Montréal a supprimé les références aux mots « père » et « mère ». Le Parti libéral a débattu de la reconnaissance possible d’un troisième sexe.
Le destin du Québec montre comment l’immigration peut être un instrument redoutablement efficace pour détruire l’identité d’un peuple. En 1970, le leader québécois indépendantiste, René Lévesque, avait fait scandale en déclarant : « On s’est donné un ministère de l’immigration. L’autre à Ottawa, pour lequel on paye, il a le droit de continuer à nous noyer, c’est lui qui a le pouvoir. Mais on en a un au Québec pour enregistrer la noyade. » René Lévesque avait tout compris. Le Québec ne pourra plus jamais voter en faveur de son indépendance, car les Canadiens français ne sont plus seuls sur leur terre. Certains parlent de « groupe démographique majoritaire » pour les désigner et le français est langue facultative à Montréal. Là où l’on criait naguère « Vive le Québec libre », des policières règlent la circulation en voile islamique.
Le Canada est le pays dont rêvent nos élites, de Juppé à Macron, d’Attali à Berger. Le Québec était notre passé oublié ; il est devenu notre avenir annoncé. L’avion qui transporte les passagers de Montréal à Paris est aussi machine à remonter le temps.
Avec sa culture classique, sa passion pour l’histoire et la politique, son libéralisme aronien, son amour de la France en particulier et des nations en général, Mathieu Bock-Côté incarne « l’infâme réac » au Québec tandis qu’a Paris il devient Cassandre nous décrivant la prochaine catastrophe qui nous tombera dessus. Cassandre, mais rond, jovial, sympathique, chaleureux. Cassandre qui a troqué l’incantation prophétique pour l’analyse subtile de l’idéologie dominante, ses non-dits et sa tyrannie. Tout y passe : le « multiculturalisme de droit divin », la théorie du genre qui n’existe pas tout en existant, la prétendue « fin des idéologies », le suicide assisté transformé en droit de l’homme, etc.
Le style de notre auteur est comparable à une vague qui frappe inlassablement la roche pour mieux l’user et l’éroder. Il abuse des adverbes, ose un « vastement », et met des « conséquemment » à toutes les sauces qui perdent de leur charme à l’écrit, lorsqu’ils ne sont plus enrobés dans le papier chatoyant de l’accent québécois. Il excelle à la fin de ses raisonnements, quand il lâche enfin ses coups : « La référence au populisme a ceci d’intéressant qu’elle réintroduit, en la diabolisant, le peuple dans la démocratie... La nouvelle vocation messianique de la civilisation occidentale : s’extraire elle-même de son histoire, pour permettre l’avènement de l’humanité mondialisée... Dès lors qu’on ne définit plus la nation comme une réalité historique, mais comme une communauté de valeurs, on tombe dans ce piège qui la condamne à l ’impuissance parce qu’elle ne parvient plus à expliciter son identité... »
Tout en ressort concassé, démantibulé : Bock-Côté déconstruit avec efficacité les déconstructeurs. Il le fait à sa manière, jamais de front, toujours de biais. Il concède avant de rejeter. On a l’impression qu’il a besoin de s’échauffer avant de frapper. Comme s’il avait malgré lui intériorisé les interdits du politiquement correct, et qu’il devait les endosser avant de s’en débarrasser. Donner des gages pour pouvoir être audible dans un univers intellectuellement cadenassé [Note du carnet : Zemmour a bien compris le Québec-qui-pense-avec-les-sous-du-contribuable : cadenassé, étriqué, peu original et incestueux]. Ainsi. dit-il, « l’islam n’est pas l’islamisme », avant de traiter le voile islamique ou le burkini de « formes d’exhibitionnisme identitaire ».
Une seule vache sacrée de l’époque échappe à sa verve iconoclaste : le féminisme. Ce qu’il appelle avec enthousiasme « l’émancipation féminine ». Notre auteur, soudain désarmé, semble avoir oublié ses lectures et ses repères. Lui qui a critiqué sévèrement le « contractualisme » forcené de notre temps oublie que le féminisme en est, selon Christopher Lasch, un des plus flamboyants. Il se moque de la théorie du genre et de son porte-voix le plus célèbre, Judith Butler, mais il ne voit pas — ou ne veut pas voir — que Judith Butler est tout entière dans Simone de Beauvoir, comme Staline est tout entier dans Lénine. La théorie du genre est une interprétation pédantesque à prétention scientifique de sa phrase célèbre : « On ne naît pas femme, on le devient. » La rupture du lien entre la féminité et la maternité, dénoncée aujourd’hui par notre auteur est revendiquée par Simone de Beauvoir. « Selon la théorie du genre, tout homme est un violeur barbare en puissance », se plaint Bock-Côté ; mais c’étaient déjà la vision et le slogan des féministes des années 1970.
Tous les adversaires de notre auteur aujourd’hui furent hier les alliés privilégiés des féministes : alliance politique entre Beauvoir (et Sartre) et le FLN dans les années 1950 ; alliance tactique des mouvements féministes et gays contre l’homme blanc hétérosexuel dans les années 1970 ; alliance idéologique et universitaire entre féministes et déconstructeurs à la Foucault ou à la Bourdieu dans les années 1980.
Notre auteur devient alors passionnant à double titre, dans ce qu’il dénonce, mais aussi dans ce qu’il ne dénonce pas. Comme une borne générationnelle de ce que même un tempérament rebelle, un esprit subtil et iconoclaste ne veut et ne peut remettre en cause de l’héritage légué par le progressisme des quarante dernières années
Le Nouveau Régime
par Mathieu Bock-Côté
publié chez Boréal
dans les « Papiers collés »
en 2017
à Montréal
314 pages
29,95 $
Voici la fin de la recension de David Leroux du même livre qui aborde la critique de Zemmour sur l’oubli par Bock-Côté d’une vache sacrée : le féminisme (triomphant au Québec tant à l’école, les médias de plus en plus féminisés ou dans l’orientation des politiques prétendûment familiales) :
On pourrait reprocher à Bock-Côté, comme l’a fait Eric Zemmour, de ne pas aller au bout de sa pensée en restant trop attaché au libéralisme. La critique, d’un point de vue strictement idéologique, est tout à fait légitime. Il faut cependant différencier l’espace politique français de l’espace québécois. Dans ce dernier, beaucoup plus étouffant que l’espace français du point de vue des idées, Bock-Côté libère une parole conservatrice culturelle essentielle à la santé intellectuelle de la nation. Il éveille nombre de jeunes patriotes qui, autrement, se désintéresseraient de la chose politique par dédain naturel pour l’asepsie intellectuelle proposée par l’ordre actuel des choses. Ce livre, de ce point de vue, est une libération de plus pour la pensée québécoise et, en ce sens, même si l’on comprendra et approuvera même la critique zemmourienne, on ne l’importera pas au contexte québécois.
L’ouvrage, par ailleurs parsemé de références à des livres qu’on aura envie de courir se procurer, se termine en effet sur quelques hommages magnifiques à des écrivains et penseurs de la dissidence s’inscrivant en faux des dogmes berçant notre étrange époque tels que Raymond Aron, Chantal Delsol, Michel Houellebecq, Julien Freund et Éric Zemmour et sur un touchant éloge de l’amitié. On fermera le livre un sourire aux lèvres. On aura envie de continuer à réfléchir avec tous ces auteurs édifiants, d’étoffer notre bibliothèque de leurs œuvres, puis de partager nos lectures avec nos amis autour d’un repas rabelaisien, occupés que nous serons à tenter de conserver la beauté du monde de nos parents, « qui ne méritait pas qu’on en dise tant de mal. »
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