Le sahel |
Climatiquement sinistrée dans les années 1980, la zone enregistre depuis plusieurs années des pluies abondantes et des récoltes records.
Le 10 mai
2023, le ministère malien de l’Agriculture a mis en ligne un communiqué très
positif sur la récolte de céréales en 2023-2024. Cette saison encore, elle
devrait battre celle de l’année précédente (de 6 % exactement), « sous l’effet
d’une expansion des superficies plantées, d’une météorologie favorable et d’une
distribution améliorée des engrais aux producteurs ». Le Mali exporte désormais
10 à 15 % de ses céréales vers les pays voisins. En décembre 2022, le
gouvernement a même décidé de les bloquer dans l’espoir de ralentir la hausse
des prix en interne !
Les disettes subsistent au Sahel, mais beaucoup
moins désormais à cause du climat qu’en raison de l’insécurité, qui gêne le
travail des agriculteurs. C’est le cas au Niger. Dans ce pays, classé parmi les
plus pauvres d’Afrique, les récoltes battent des records : + 69 % pour les
céréales en 2022 par rapport à l’année précédente, avec une hausse d’un tiers de
la superficie totale des cultures emblavées. L’insécurité alimentaire est causée
par les islamistes et le manque d’engrais, bien plus que par la
sécheresse.
L’anomalie climatique des années 1970 et 1980
Pour les
spécialistes, ces informations n’ont rien de surprenant. Le grand public a gardé
du Sahel une image surannée, fixée dans les années 1980 : une immense zone
subsaharienne inexorablement grignotée par le sable et les dunes, faute de
précipitations. « L’Afrique de l’Ouest a effectivement connu un épisode de
sécheresse brutal de 1968 à 1993 », explique Luc Descroix, hydrologue à
l’Institut de recherche pour le développement. « C’est du passé. Nous avons
désormais des données robustes qui nous permettent de dire que la pluviométrie
est revenue à son niveau moyen de long terme. »
Bonne nouvelle
supplémentaire, le retour de la pluie au Burkina Faso, au Mali, en Mauritanie,
au Niger et au Tchad va se pérenniser, sous l’effet du changement climatique. «
Les terres se réchauffent plus vite que l’eau dans le golfe de Guinée, explique
Luc Descroix. Cela rend la mousson plus puissante. »
Le phénomène est
comparable à ce que les météorologues appellent un « épisode cévenol », ou les
marins un « thermique », mais à l’échelle d’un continent. Schématiquement, l’air
surchauffé du Sahel monte, ce qui pompe vers l’intérieur de l’Afrique des masses
d’air océanique, relativement plus fraîches et surtout chargées d’humidité. « On
est parti pour des moussons efficaces au moins jusqu’en 2100 », résume Luc
Descroix. À tel point que le Sahel connaît parfois maintenant des inondations
!
L’analyse des séries de photos satellites confirme « une tendance au
reverdissement à l’échelle régionale comme résultat de l’amélioration des
conditions pluviométriques à partir des années 1990 », expliquent des chercheurs
français et africains dans une étude parue en 2021 dans la revue Physio-Géo. La
période 1968-1994 était « une anomalie sèche », aux causes encore mal
comprises.
Quand la surpopulation fait reculer la famine
Luc Descroix
fait beaucoup de terrain. Il se trouvait en Guinée lorsque Le Point l’a
interrogé. Il explore sur place un autre phénomène, encore plus contre-intuitif
qu’un reverdissement lié au réchauffement climatique. Le recul de la famine
serait parfois la conséquence, et pas seulement la cause, de la hausse de la
population au Sahel. « On observe un reverdissement accéléré dans les régions
les plus peuplées », relève l’hydrologue.
Il a une hypothèse, assise sur
ses observations, à confirmer : « Les paysans, plus nombreux, ont les moyens de
passer d’une agriculture extensive à une agriculture intensive réfléchie. Rien
de nouveau. On pourrait comparer certains secteurs du Sahel aux zones de culture
en terrasses de Toscane. La terre est ingrate, mais, avec un travail important,
elle peut nourrir beaucoup de monde. »
En deux décennies, dans de
nombreuses zones rurales du Sahel, la population a doublé et les rendements ont
triplé, amorçant une boucle vertueuse. « Il y a de la main-d’œuvre pour
travailler, de la pluie pour faire pousser des acacias qui fixent l’azote et de
l’argent pour acheter des intrants. Résultat, la sécurité alimentaire
s’améliore. Les terres sont très médiocres, mais, avec un travail intensif,
elles nourrissent 400 habitants par kilomètre carré », soit une densité quatre
fois supérieure à celle de la France, plus proche de celle des
Pays-Bas.
La surpopulation n’épuiserait-elle donc pas forcément une terre
spontanément nourricière ? « L’idée fait son chemin, mais elle ne fait pas
encore consensus, sourit Luc Descroix. Disons que je fais figure
d’afro-optimiste… »
Source : Le
Point
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