jeudi 21 avril 2011

Le conservatisme est l’essence même de l’éducation

Texte du Vandale sur la nature intrinsèquement conservatrice de l'éducation (on enseigne par définition les découvertes et la culture des « ancêtres ») :

« On me dit que la mission fondamentale de l’enseignant a changé, qu’il faut désormais un peu plus éduquer et et un peu moins instruire. Transmettre des savoirs, c’est devenu ringard, voire obscène : il faut socialiser, faire acquérir des compétences, communiquer, apprende à apprendre. L’École conçue comme lieu de vie… avec comme parrains Allègre-Meirieu et la FCPE.

J’avoue être perplexe. Faut-il au nom de la modernité introduire à l’école l’enseignement de la vie de tous les jours ? la pilule, internet, comment trouver un job d’été, le CAC 40 et la Tchéchénie, tout ce qu’on trouve dans les journaux ou au café du commerce ? Faut-il laisser la rumeur du monde envahir la classe, lors même qu’elle est déjà trop présente et qu’elle nuit à la concentration des élèves ? Faut-il au nom de la modernité adapter l’école à son environnement immédiat ? On voit déjà dans certains manuels de français de collège des exercices consistant à analyser une étiquette de bouteille de Coca-cola. Ailleurs on lit Stephen King ou on débat sans arguments sur le racisme. Au brevet des collèges, on doit rédiger une argumentation sur le thème « Persuadez votre mère d’acquérir un téléphone portable » (sujet 1999). On troque ainsi sans trop réfléchir une instruction reposant sur des fondements solides, une instruction capable d’accompagner chacun toute sa vie, une instruction donnant à réfléchir et structurant la pensée, pour des paillettes, de l’immédiat, de l’éphémère dont il ne restera rien, absolument rien, dans la tête du gamin une fois que la cloche aura retenti. À ce compte, arrêtons de recruter des professeurs à l’université et substituons aux cours en classe les débats de Delarue à la télé : ça coûtera moins cher au contribuable et puis, au moins, en regardant Delarue, on peut manger sans se fatiguer les neurones.

Le plus frappant, c’est que cette réforme, qu’on nous présente comme le comble de la modernité, a déjà été expérimentée et analysée sous d’autres cieux, il y a près d’un demi-siècle. Hannah Arendt décrit très bien dans La crise de l’éducation l’évolution qu’a connue le système américain dans la période récente, au cours de laquelle on a remplacé la transmission des savoirs par l’acquisition de « compétences ». Le remplacement de l’instruction par l’éducation, avec une grosse louchée de pédagogisme, les États-Unis le pratiquent depuis plus de 40 ans maintenant : ça donne des élèves sans doute très épanouis, et d’une dextérité étonnante pour manier la télécommande et le joystick. Mais aussi des individus illettrés, dont la seule fenêtre sur le monde est la banalité hertzienne quotidienne, des individus qui sont la proie facile des publicitaires et des politiques, des individus qui ne contesteront jamais le monde dans lequel ils sont, des individus qui n’auront jamais aucun sens critique. De parfaits consommateurs repliés sur leur tribu.

Cette défaite de la culture, Arendt l’explique par le fait qu’on s’est trompé sur la mission fondamentale de l’École : « En pratique, il faudrait bien comprendre que le rôle de l’école est d’apprendre aux enfants ce qu’est le monde, et non pas leur inculquer un art de vivre. Étant donné que le monde est vieux, toujours plus vieux qu’eux (les enfants), le fait d’apprendre est inévitablement tourné vers le passé, sans tenir compte de la proportion de notre vie qui sera consacrée au présent. »

Et quelques lignes auparavant : « il me semble que le conservatisme, pris au sens de conservation, est l’essence même de l’éducation, qui a toujours pour tâche d’entourer et de protéger quelque chose – l’enfant contre le monde, le monde contre l’enfant, l’ancien contre le nouveau. »

La mission fondamentale de l’École est de transmettre ce que les anciennes générations ont découvert, ce qu’elles ont pensé, la façon dont elles ont vécu. C’est la nature intrinsèque de l’Ecole que d’être tournée vers le passé et d’enseigner des choses vieilles, toujours plus vieilles que les enfants à qui elles s’adressent. L’objectif est de transmettre le témoin aux génération suivantes, en veillant à ce que le témoin ne tombe pas à terre, en veillant à ne pas rompre la chaîne de transmission qui lie le passé à l’avenir.

Deux principes en découlent. L’École ne peut pas être sous l’emprise continue des réformes, comme c’est le cas depuis 25 ans (une réforme tous les 2 ans en moyenne) : elle a besoin de stabilité. D’autre part, toutes les réformes de l’École qui visent à mettre l’École en phase avec la société au détriment de l’acquisition de connaissances sont destructrices de ce qui constitue l’essence même de l’École.

L’École est par essence ringarde. Elle doit même revendiquer et afficher sa ringardise. »

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« Les garçons se font punir pour affirmer leur virilité »

L’école fabrique-t-elle des petits caïds ? Une chercheuse a étudié le système des sanctions dans plusieurs collèges, résultat : 80 % des punitions s’appliquent à des garçons, qui les instrumentalisent pour affirmer leur virilité et parader devant les filles. Sylvie Ayral publie La fabrique des garçons (PUF), une enquête inédite sur les effets pervers de la discipline scolaire. Entretien avec un auteur dont les remèdes proposés nous semblent fortement contestables et que certains pourraient considérer comme une féminisation accrue et croissante de l'école (fini le sport masculin et viril !) L'entretien a été réalisée par Terrafemina qui se décrit comme « le magazine web de référence pour les femmes »

Sylvie Ayral a été institutrice en milieu rural pendant 15 ans et enseignante d’espagnol en lycée et collège. Professeur agrégé, docteur en sciences de l’éducation, elle est membre de l’Observatoire international de la violence à l’école.

Terrafemina — Dans « La fabrique des garçons », vous partez d’un constat déconcertant : 80 % des punitions au collège s’appliquent à des garçons. Comment en êtes-vous arrivée là ?

Sylvie Ayral — J’enseigne depuis 27 ans et suis toujours en exercice. J’ai commencé par analyser ce phénomène dans le collège où je travaille. L’asymétrie entre les filles et les garçons face aux sanctions m’avait interpellée. J’ai voulu étendre ma recherche à des établissements très différents, plus ou moins favorisés, du collège privé en ville au collège en ZEP réputé difficile. L’asymétrie s’est vérifiée à chaque fois : les garçons représentent 75,7 % à 84,2 % des élèves punis.

TF — Non seulement ils sont plus sanctionnés, mais ils le sont aussi pour des faits plus graves, selon votre recherche…

S. A. — Les chiffres que j’ai collectés et les entretiens que j’ai menés montrent en effet qu’on n’est pas puni pour les mêmes faits quand on est un garçon ou une fille. La variable « genre » est centrale, les transgressions sont très clairement sexuées : ce qui relève des rapports sociaux (insolence, indiscipline, défi) est majoritairement le fait des garçons, tandis que les manquements mineurs à la discipline (bavardage, oublis, retards, usage du téléphone portable) concernent surtout les filles.

TF — Vous avez interrogé les enseignants des 5 collèges étudiés. Comment justifient-ils le fait que les garçons soient beaucoup plus souvent punis que les filles ?

S. A. — C’est la deuxième chose qui m’a interpellée. Ils y voient une sorte de fatalité, comme si de toute façon aucune action éducative et pédagogique ne pouvait avoir d’effet, parce qu’il est dans la nature des garçons d’être plus agressifs, à cause des hormones, de la puberté, etc. Mais pourquoi tous les garçons ne sont-ils pas indisciplinés et violents dans ce cas ? Cette explication ne peut pas suffire.

TF — Si cela ne vient pas de leur nature, comment expliquer que les garçons soient plus indisciplinés que les filles ?

S. A. — Les garçons s’emparent du système punitif pour se donner à voir. En fait, au collège, ils sont soumis à deux normes : d’un côté la norme scolaire qui exige d’obéir, d’être sérieux et bon élève, de l’autre une norme impensée mais beaucoup plus puissante que les autres à cet âge, l’injonction permanente à donner la preuve de sa virilité devant les pairs. C’est bien cette injonction qui les pousse à transgresser et à se montrer insolents : nous sommes la plupart du temps aux antipodes de ce que l’on considère comme des problèmes de comportement mais, bien au contraire, dans des conduites très ritualisées, des conduites sociales pures. La sanction non seulement signe l’accession dans le groupe des garçons dominants, mais elle a des bénéfices secondaires : elle permet de conquérir les filles, qui préfèrent, de leur propre aveu, les garçons rebelles. C’est aussi un rite qui permet de se démarquer hiérarchiquement de tout ce qui est féminin, y compris au sein de la catégorie « garçons » : montrer qu’on n’a pas peur des punitions comme les filles, qu’on ne pleure pas, mais aussi qu’on n’est pas un « pédé » : sexisme et homophobie sont intimement liés. Il y a les garçons forts et les plus faibles, assimilés au féminin, souvent victimes d’insultes homophobes.

TF — Ce sont les enseignantes qui donnent le plus de punitions, ont-elles plus de mal avec les garçons qu’avec les filles ?

S. A. — Oui, elles sont plus souvent la cible de l’insolence des garçons, qui renversent le rapport de hiérarchie pédagogique en les renvoyant à leur condition de femme, donc leur faiblesse supposée. Les élèves avouent qu’ils ont plus tendance à respecter et craindre un homme qui lève la voix et bombe le torse… Mais le plus étonnant est que les femmes elles-mêmes peuvent paradoxalement avoir un discours très sexiste : beaucoup justifient l’asymétrie sexuée dans les sanctions par le fait que les filles « feraient tout en douce », seraient beaucoup plus « hypocrites », « tordues  » et même « vicieuses » et ne se feraient donc pas attraper alors qu’elles n’en feraient pas moins que les garçons qui eux, au moins, auraient le mérite de faire les choses « en face ». D’autre part, elles semblent avoir incorporé les principes de la domination masculine : elles ont tendance à se dévaloriser systématiquement et estiment incarner beaucoup moins l’autorité que les hommes.

TF — Quelles conséquences tirez-vous de ces observations ?

S. A. — Je pense que l’analyse par le genre peut apporter un éclairage renouvelé pour étudier les rouages de la violence au collège et dans la société en général, que ce soit dans les quartiers, dans les stades, sur la route ou dans les couples. Si 80 % des élèves punis sont des garçons, il faut aussi relever que 88 % des personnes mises en cause par la justice et 83 % des conducteurs impliqués dans la délinquance routière sont des hommes. Sur 192 décès enregistrés en France suite à des violences conjugales, 166 sont le fait des hommes. Le collège ne devrait-il pas être le lieu où l’on agit sur les leviers de cette violence ?

TF — Quelles pistes proposez-vous pour agir dans les collèges ? Faut-il interdire les sanctions puisqu’elles sont contre-productives ?

S. A. — Il n’est pas question évidemment de supprimer le principe de la sanction, elle est nécessaire dans certains cas, mais au quotidien, elle a un effet pervers qui est de renforcer les identités viriles. Je pense qu’il faut intervenir auprès des garçons au collège, parce qu’ils représentent aussi 4 élèves sur 5 en décrochage scolaire, et tout cela est lié. Il serait bon de les regarder non pas systématiquement comme des agresseurs potentiels mais aussi comme des victimes de l’injonction à la virilité. Chaque établissement pourrait évaluer ses propres pratiques et analyser leur dimension sexuée. L’école doit instaurer une mixité active, c’est-à-dire mettre en place des situations pédagogiques où l’on empêche la dévalorisation implicite de tout ce qui est féminin, où l’on propose des modèles de masculinité alternatifs, non compétitifs, où l’on propose des activités autour de ce que garçons et filles ont en commun au lieu d’organiser toujours et encore leur séparation et la hiérarchisation sexuée de leurs pratiques. Actuellement les activités proposées aux garçons sont encore trop souvent la boxe ou le rugby, tandis que les filles font de la GRS (gymnastique rythmique et sportive) ou de la danse… On pourrait aussi introduire des ateliers de psychologie et de philosophie, pour habituer les garçons à mettre leurs sentiments, leurs émotions en mots et leur ouvrir ainsi une autre voie que l’agressivité pour s’exprimer.

Sylvie Ayral,
« La fabrique des garçons »,
Presses universitaires de France,
Paris, 2011
224 pages
24 €.




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