Un nouveau symptôme du phénomène du wokisme. Au Québec, dans le milieu de l’édition, les « traumavertissements » pullulent.
Ces derniers, aussi qualifiés de « trigger warnings » en anglais, ont pour but de mettre en garde les lecteurs vis-à-vis du contenu de l’ouvrage qu’ils ont entre les mains, relate le quotidien Le Devoir de Montréal. Violence, racisme, homophobie, misogynie… Le but est donc que les lecteurs qui ne souhaitent pas lire des propos en lien avec des thématiques jugées problématiques puissent être tenus au préalable au courant. Toutefois, plusieurs études ont démontré que ces avertissements… étaient tout bonnement inefficaces.
« Éviter un choc aux lecteurs »
Au Québec, certains éditeurs font le choix de n’inclure aucun « traumavertissement » afin de ne pas infantiliser leur lectorat, indique Courrier international. D’autres, au contraire, décident d’en ajouter afin que les lecteurs ne soient pas confrontés à un choc au moment de parcourir l’ouvrage en question. Parfois, il s’agit de recontextualiser les propos d’un livre écrit longtemps auparavant.
Concrètement, à quoi ressemblent ces mises en garde ? Comme l’indique Le Devoir, l’ultime roman du romancier québécois David Goudreault, intitulé Maple, s’ouvre sur ce « traumavertissement » : « Cette œuvre de fiction déborde de violence, de références explicites au racisme, au multiculturalisme […] aux homicides, aux féminicides et au suicide. » Auprès du journal, la directrice littéraire fiction chez Librex — Marie-Ève Gélinas — explique qu’en l’occurrence, c’est l’écrivain lui-même qui en est à l’initiative. Selon elle, il a été motivé par le souhait de « se moquer du climat de vertu et de bien-pensance qui prend place dans le milieu ».
Mon roman pose problème aujourd’hui
Aux éditions Héliotrope, l’autrice Catherine Mavrikakis a, de son côté, ajouté un long mot à la réédition en livre de poche d’un de ses romans. « En 2010, je publiais Les Derniers Jours de Smokey Nelson sans me poser de questions, lit-on. Me voici en 2021 en train d’accepter la réédition de ce texte, et il m’est nécessaire d’y ajouter un mot en ouverture pour venir dialoguer avec le monde et ce qu’il est devenu. En 2021, mon roman pose problème. » Son livre, à l’époque, avait passé la deuxième sélection du prix Femina.
L’autrice y prend la voix d’un homme noir, et aussi celle de Dieu. Elle utilise le mot « nègre » à maintes reprises. « Je crois encore que mon texte est souverain, analyse l’autrice. Mais il y a de nouvelles sensibilités, et je voyais très bien comment on allait pouvoir m’utiliser si je ne mettais pas d’avertissement. Ce n’est pas ce combat-là que je veux mener maintenant. »
C’est tout nouveau
Un avertissement comme celui-là, sur l’usage d’un mot, « c’est tout nouveau, à ma connaissance », situe Mathilde Barraband, cotitulaire de la Chaire collective de recherche franco-québécoise sur la liberté d’expression.
Les livres sont choisis, on ne lit pas le marquis de Sade par accident
Elle qui est aussi spécialiste en droit et littérature à l’Université du Québec à Trois-Rivières croit qu’une clé de la réflexion sur les avertissements en édition est de penser à l’accès aux textes, différent de celui des films, où les avertissements règnent. « Le livre, on va encore souvent l’acheter en librairie, ou l’emprunter à la bibliothèque. Les intermédiaires que sont les libraires ou les bibliothécaires ont-ils des classements pour prévenir les publics ? »
Oui. Dans les bibliothèques, en grande majorité, la carte d’abonné pour enfants ne permet d’emprunter que les documents de cette collection, à moins d’avoir l’accord d’un bibliothécaire. Les bibliothèques de la ville de Montréal ont une collection « Coup de poing » dûment identifiée, pour les récits aux sujets délicats et qui visent les jeunes.
En librairie, les livres érotiques ou les livres d’horreur ne sont pas à côté des rayons jeunesse. « Les endroits où les livres sont placés ne sont pas anodins, poursuit Mme Barraband. Est-ce que l’avertissement dans la chaîne du livre peut alors être regardé de la même manière que pour un autre produit culturel ? »
Une autre manière de le dire, c’est qu’on ne se met pas à lire le marquis de Sade par hasard. Ni Anne Archet. Aux Éditions remue-ménage, qui publient cette dernière, Mme Migner-Laurin le confirme : « On ne tombe pas sur nos livres par accident. » Ce qui fonctionne pour le cinéma et la télé ne peut être calqué sur la littérature aussi facilement. Encore moins sur la littérature militante ou de combat.