mardi 26 mars 2024

Le piège de la faible fécondité en Chine

La politique de l’enfant unique est peut-être révolue, mais ses effets néfastes perdurent.


Un nombre devrait hanter le sommeil des dirigeants chinois : 1,1. C’est le nombre d’enfants que, compte tenu des tendances actuelles, chaque femme chinoise devrait avoir en moyenne au cours de ses années fécondes. L’indice synthétique de fécondité (ISF) de la Chine, pour reprendre le terme des démographes, est tombé bien en dessous des 2,1 enfants nécessaires à la stabilité de la population. En 2023, la population chinoise a diminué pour la deuxième année consécutive.

Les dirigeants du parti communiste peuvent se raccrocher à un (mince) réconfort. Ce désastre a de nombreuses causes, dont une est la politique de l’enfant unique, un système sévère qui, entre 1980 et 2016, a contraint la plupart des familles urbaines à n’avoir qu’un seul enfant, et de nombreuses familles rurales à n’en avoir que deux. La baisse de la fécondité en Chine s’est surtout produite dans les années 1970, sous l’effet de facteurs tels que l’urbanisation et l’allongement des études des femmes (les appels de l’époque de Mao en faveur des familles nombreuses ont également cessé). Des forces similaires ont fait chuter les taux de natalité dans toute l’Asie de l’Est. Au Japon, l’ISF est tombé en dessous de 1,3 et en Corée du Sud, ce qui est catastrophique, il est inférieur à 0,8. Le vieillissement rapide de la population chinoise suit également les tendances observées dans toute la région.

Néanmoins, des remords devraient troubler les rêves des chefs du parti. La politique de l’enfant unique n’est pas la seule cause de cette crise, mais son héritage fera qu’il sera exceptionnellement difficile pour la Chine d’échapper à un destin démographique funeste. La structure démographique de la Chine est durablement déséquilibrée. Des fonctionnaires brutaux et souvent corrompus ont fait respecter les règles en recourant à la propagande, aux amendes et à des dizaines de millions d’avortements et de stérilisations, souvent forcés. On compte aujourd’hui environ 150 millions de familles à enfant unique. Pire encore, de nombreux parents qui voulaient des fils ont choisi d’avorter des filles, laissant la Chine avec 30 millions de femmes de moins que d’hommes.

Cette politique était à la fois cruelle et une erreur. Les responsables de la planification familiale pensaient que les taux de natalité repartiraient à la hausse une fois les contrôles abolis. Hélas, ils ont trop bien rééduqué les parents. L’enfant unique est devenu la norme, surtout dans les villes. Considérons un autre chiffre qui devrait hanter les dirigeants : 1,7. C’est le nombre d’enfants que les femmes chinoises en âge de procréer considèrent comme idéal. L’idéal chinois est l’un des plus bas du monde, bien inférieur à celui du Japon ou de la Corée du Sud. Les Chinoises nées après 1995 sont celles qui en veulent le moins : 48,3 % d’entre elles ont déclaré à l’enquête sociale générale chinoise de 2021 qu’elles ne souhaitaient qu’un seul enfant ou pas d’enfant du tout. Il est de plus en plus évident que ces attitudes sont fortement influencées par la façon dont les gens et leur entourage ont vécu la politique de l’enfant unique.

Lorsqu’on leur demande pourquoi ils veulent des familles peu nombreuses, les parents chinois invoquent généralement le coût de l’éducation des enfants. En fait, il n’y a pas de lien direct entre les taux de fécondité et les revenus moyens. Les taux de natalité sont très bas dans la ville la plus riche de Chine, Chang-haï (Shanghai), mais aussi dans le nord-est post-industriel du pays. Ces endroits très différents ont un point commun. Chang-haï appliquait sévèrement les règles en matière de natalité. Il en va de même pour les entreprises d’État qui emploient des millions de personnes dans le nord-est du pays, note Yu Jia, du Centre de recherche sociale de l’université de Pékin.


Lorsqu’on leur demande pourquoi ils veulent des familles peu nombreuses, les parents chinois invoquent généralement le coût de l’éducation des enfants. En fait, il n’y a pas de lien direct entre les taux de fécondité et les revenus moyens. Les taux de natalité sont très bas dans la ville la plus riche de Chine, Chang-haï (Shanghai), mais aussi dans le nord-est post-industriel du pays. Ces endroits très différents ont un point commun. Chang-haï appliquait sévèrement les règles en matière de natalité. Il en va de même pour les entreprises d’État qui emploient des millions de personnes dans le nord-est du pays, note Yu Jia, du Centre de recherche sociale de l’université de Pékin.

Une autre variation révélatrice concerne les quelque 9 % de Chinois qui appartiennent à des minorités ethniques. La politique a été appliquée (un peu) moins strictement pour les minorités, ce qui a permis aux familles nombreuses de rester la norme dans des endroits isolés comme le Tibet, mais aussi dans diverses régions rurales où vivent les Bai, les Miao, les Yi, les Zhuang et d’autres peuples. On peut encore aujourd’hui en observer les effets distinctifs. Même en tenant compte de l’éducation et du degré de contact social avec la majorité dominante han de la Chine, de nombreux groupes ethniques se distinguent par leur désir d’avoir des familles plus nombreuses. Selon Mme Yu, l’un des facteurs constants est que les ménages minoritaires se sont vu appliquer « des règles différentes en matière d’enfant unique ».

Intriguée, Mme Chaguan s’est rendue dans le Kouy-Tchéou (Guizhou), une province du sud-ouest de la Chine où vivent de nombreuses minorités et où le taux de natalité est le plus élevé de toutes les régions en dehors du Tibet. Les habitants expliquent de diverses manières les taux de fécondité élevés et se souviennent très bien des règles de planification familiale. En route vers le cœur montagneux du peuple Miao, la première étape  de Mme Chaguan a été la commune de Zhou Xi. Les habitants y affluaient à une foire en plein air marquant un festival Miao, le Lusheng. Les étals proposaient des mandarines, de la canne à sucre et du chien rôti. M. Wang, un père de famille d’une trentaine d’années, observait ses deux fils qui jouaient sur un château gonflable. Lui-même issu d’une fratrie de trois enfants, il se souvenait que sa propre mère se cachait des fonctionnaires chargés de faire respecter la limite de deux enfants dans son village. Les contrevenants bravaient les amendes et la confiscation des vaches, des poulets ou des cochons pour avoir des familles plus nombreuses. « Nous, les Miao, sommes plus hospitaliers à tous points de vue, nous préférons avoir beaucoup de parents et d’amis », explique M. Wang.

Ensuite, une route sinueuse mène à Puzi, un hameau de montagne à l’odeur de fumée de bois. De nombreux villageois en âge de travailler sont des Miao, mais ils travaillent dans de lointaines villes chinoises han. Certains d’entre eux ont adopté le point de vue des grandes villes. M. Mu a travaillé dans une usine de Dongguan, une ville côtière du sud, pendant près de 12 ans. Il est retourné à Puzi pour la récente fête du printemps et est resté pour assister à des funérailles. Il a deux fils et cite les croyances Miao selon lesquelles un seul enfant n’est pas suffisant. Mais ses voisins de Dongguan, qui n’ont qu’un seul enfant, ont une vie « plus facile », affirme-t-il. Face à la perspective d’aider ses fils à acheter des voitures et des maisons pour qu’ils puissent se marier, il soupire : « Je suis sous forte pression ».

Méfiez-vous des fonctionnaires qui prétendent planifier à long terme

La dernière étape a été Guiyang, la capitale provinciale endormie où les Chinois Han et les minorités vivent côte à côte. Dans un parc situé à l’extérieur d’un hôpital pour enfants, on rencontre un couple Han d’une trentaine d’années originaire de la province du Hunan, M. Luo et Mme Yang. Ils ont eu un premier enfant il y a 13 ans, alors qu’ils travaillaient dans la riche province orientale de Kiang-sou (Jiangsu), et craignaient qu’un autre enfant ne soit « trop fatigant ». S’ils étaient restés dans la province de Kiang-sou, ils en auraient encore un. Mais après avoir déménagé à Guiyang pour ouvrir un magasin, les voisins Miao les ont convaincus que les enfants uniques sont « solitaires ». Ils ont fini par en avoir trois, a déclaré Mme Yang en riant, tandis qu’une paire de petits enfants tiraient sur ses manches.

Même ici, les habitants dans la vingtaine s’alignent sur les normes nationales, se marient plus tard et ne veulent qu’un ou deux enfants, rapporte Mme Yang, qui ajoute : « Nous sommes probablement la génération qui aura le plus d’enfants ». Des mots qui hanteront les dirigeants chinois. 


Source : The Economist