jeudi 28 octobre 2021

Mères porteuses : un enfant à emporter avec ça ?

Un texte d’Antoine Malenfant, rédacteur en chef pour Le Verbe. Antoine Malenfants est également animateur de l’émission On n’est pas du monde. Il est diplômé en sociologie et en langues modernes.

« La société évolue et cela doit se refléter dans le droit », estime le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette. Pour ce faire, il propose le projet de loi n° 2 de l’actuelle session parlementaire qui comprendra des balises pour encadrer la gestation pour autrui (GPA), mieux connue sous le vocable de « mères porteuses ». Les plus nobles intentions — ici, donner la vie — risquent toutefois de faire écran aux enjeux éthiques les plus sensibles.

Le phénomène n’est pas complètement nouveau. Dans un article de la BBC soulignant sans vergogne que « le monde a besoin de règles pour “vendre” des bébés », on apprend que la maternité de substitution — ou gestation pour autrui — est une pratique millénaire.


C’est pas faux.

En fait, même la Bible rapporte que le vieil Abraham a eu recours aux services reproductifs d’Agar, la servante de sa femme, puisque celle-ci, plus très jeune non plus, ne pouvait lui offrir une descendance. Mais ce n’est pas exactement vrai non plus parce que même si on peut forcer un rapprochement entre le père Abraham et Joël Legendre, le contexte actuel (mondialisation et percées en biotechnologie) est inédit et change gravement la donne.

Notons tout de suite que le simple fait qu’une pratique existe depuis la nuit des temps ne garantit en rien sa contribution au bien commun. Ne pensons qu’aux bavures de guerre, aux violences sexuelles et à l’esclavage. D’ailleurs, ce chapitre de la vie d’Abraham n’est pas spécialement couronné de succès.

Ba (na) liser la situation

Pour l’heure, le contrat entre les « parents d’intention » et la mère porteuse n’a aucune valeur légale. Les instigateurs du projet parental peuvent donc se retirer de l’entente à tout moment de la grossesse (et même une fois l’enfant né), tout comme la mère porteuse pourrait encore refuser de « rendre » un enfant qu’elle aurait porté, mais qui avait été projeté par le couple commanditaire.

Le législateur a donc voulu baliser la situation.


Baliser, donc normaliser. Et normaliser, donc banaliser.

Il fallait absolument encourager une GPA éthique1 et fournir un cadre législatif à une pratique déjà existante, « pour le plus grand bien des enfants », dit-on.

« En quelques décennies, le capitalisme s’est immiscé dans la sphère intime de la famille de telle sorte qu’on en est venu à concocter un enfant selon les règles de base du management. »

Dès l’adoption de la loi 2, le contrat — notarié, comme pour une hypothèque ou une importante transaction financière — ne pourra être résilié. Un juge pourra donc contraindre les parents d’intention à accueillir l’enfant porté neuf mois par la mère porteuse même s’ils changent d’idée en cours de grossesse. Bonjour l’ambiance à la maison !

Or, ce n’est ni notre sens aigu des emmerdes ni, diront les mauvaises langues, notre attachement maladif au modèle familial patriarcal qui nous poussent à crier haut et fort qu’il y a subterfuge. En fait, pour tout dire, c’est exactement le contraire : c’est au nom de la liberté, de la dignité de la personne et justement contre un patriarcat qui s’ignore que nous protestons ici.


 [La gestion de projet de la vie]

Il faut l’avouer d’emblée, la GPA n’était que le chainon manquant d’un vaste dispositif déjà en place dans la plupart des foyers modernes : le projet parental.

Résumons grossièrement.

En quelques décennies, le nouvel esprit du capitalisme (c.-à-d. la gestion par projet) s’est immiscé dans la sphère intime de la famille de telle sorte qu’on en est venu à concocter un enfant selon les règles de base du management. Le couple moderne raisonnable empruntera aux techniques de gestion de projet les étapes nécessaires à la réussite d’un projet parental :

  1. Planifier à tout prix le bon moment de la conception pour éviter que cela nuise trop à la carrière de l’un ou au prochain voyage de l’autre ;
  2. Organiser les conditions matérielles de la grossesse et de l’arrivée du petit Jean-Bertrand en prenant soin de peindre la chambre de la bonne couleur avant l’accouchement ;
  3. Diriger les opérations, entouré des bons partenaires, et mener l’exécution du projet (nous vous épargnons les détails, mais nous sommes persuadés que votre imagination fera bien le reste) ;
  4. Contrôler la qualité du produit de la conception par une batterie de tests et de dépistages prénatals.

Ainsi, bien avant que la technologie biomédicale permette à des couples stériles (qu’ils soient homosexuels ou hétérosexuels) d’avoir des enfants, toute notre façon de gérer l’émergence de la vie dans nos foyers faisait le lit de ce projet de loi du ministre Jolin-Barrette.

De l’enfant-projet à l’enfant-droit, il n’y avait qu’un pas. Et ce pas a été franchi le 7 juin 2002 avec la loi 84, faisant désormais reposer la filiation non plus sur la biologie mais sur le projet parental. Quelques juristes levèrent timidement la main pour signifier qu’il serait préférable que l’enfant soit le sujet du droit et non son objet. Trop peu trop tard, c’était le progrès, et Dieu sait qu’on n’arrête pas ce bulldozer avec de jolis principes anthropologiques.

Dans ce contexte législatif, que la gestation pour autrui ait pris presque vingt ans avant d’être encadrée et reconnue par la loi québécoise relève de l’anomalie. À moins que l’on trouve des explications du fait de quelques remords archaïques ayant osé barrer la route à une instrumentalisation (parfois consentante) du corps de la femme pour le projet d’hommes (et aussi de quelques femmes, c’est vrai).

Et peut-être qu’il nous restait des relents de pudicité et d’honneur devant l’invasion croissante d’un capitalisme qui n’a cure des frontières de l’intime, du don, de l’amour et de la vie. 

[Quand les mercantis en bébés se pourlèchent les babines]

Bien sûr, on nous proposera une GPA éthique, des mères porteuses altruistes et humanistes, désintéressées comme des Mère Teresa. Jamais nous n’oserons douter des intentions de ces femmes2.

Toutefois, même si nous fermons les yeux sur l’exploitation sans fard de centaines de femmes dont la dignité est bafouée dans les « usines à bébés » en Asie et en Europe de l’Est, il n’en demeure pas moins que le babybusiness d’ici se pourlèche les babines avec l’ouverture d’un nouveau marché — grâce à la générosité de femmes formidables qui ont la main sur le cœur.

 

Précisons. Au Québec, aujourd’hui autant que lorsque la loi 2 sera votée, aucune rémunération à proprement parler ne peut être versée à la mère porteuse. Seulement une compensation (pouvant atteindre parfois 20 000 $) ou un dédommagement pour frais supplémentaires encourus durant la grossesse peuvent être octroyés par le couple d’intention à la gestante altruiste. « Ainsi, le sanctuaire du don de la vie n’est pas souillé par de viles considérations pécuniaires ! », serions-nous tentés de jubiler. Ce serait faire abstraction du lucratif babybusiness qui ne manquera pas de faire la piasse once again sur le corps de femmes généreuses et dévouées.

Ce qu’on proclame un peu moins fort aussi dans les articles des quotidiens qui soulignent les « enjeux éthiques » et les « questions » que ça soulève sans jamais les nommer, c’est que, pour parvenir à implanter un embryon dans Gisèle, il faut en produire plus d’un. Ce sont quelques-uns des dizaines de milliers de dommages collatéraux de ces projets parentaux. On les appelle « embryons surnuméraires ». Joli nom. Pour certains, ce sont des tas de cellules (comme vous et moi, après tout !), alors que pour d’autres, ils sont Jean, Lucia et Camille3.

Nec plus ultra du patriarcat ?

Alors que les recherches sur les liens profonds et durables qui se tissent entre la mère et l’enfant lors de la grossesse sont légion, en prétextant le bien de l’enfant, on encadre une loi qui l’arrachera de manière préméditée au sein qui l’aura formé.

C’est entendu, l’adoption brisait déjà ces liens de filiation entre les parents biologiques et l’enfant, au « profit » du parent d’adoption et de l’enfant. Mais l’adoption est un bien qui vise à réparer un mal (décès, incapacité parentale, etc.). Tandis qu’ici, on crée cette rupture de toutes pièces en tentant de réparer ce qui est perçu comme une injustice. Nuance.

Il semble que notre époque a la formidable capacité de voir du patriarcat partout sauf là où il se trouve sous ses formes les plus violentes. Si le patriarcat peut se définir en un système ou une organisation sociale fondée sur la domination masculine, il n’est pas rare que ses formes les plus tordues s’accompagnent d’une mainmise sur l’utérus des femmes, leur instrumentalisation et leur réduction au statut de moyen d’assouvissement (sexuel, financier, etc.).

Ici, avec la GPA, le corps des femmes — parfois avec leur consentement, mais pas toujours ! — est mis à la disposition du projet des hommes (pas toujours, mais souvent) et dans une forme des plus néfastes pour l’enfant à naitre, mais aussi potentiellement dangereuse pour la santé de la mère4.

Alors que plusieurs de nos contemporains sont tentés d’applaudir l’apparition d’une énième brèche dans les structures traditionnelles familiales (donc forcément liberticides), les écueils à la liberté ont lieu, certes, mais pas là où nous les attendions.

Quelle liberté pour l’enfant qui nait comme le projet planifié, désiré, bien sûr, mais pas pour lui-même, plutôt pour ce qu’il comblera le droit au bonheur des parents lésés par leur histoire, leurs choix ou par la nature ? Comment pourrait-il croitre pour lui-même, diverger des attentes de ses « parents d’intentions » sans cumuler des charbons d’anxiété au-dessus de sa tête ?

Poser ces douloureuses questions nous renvoie incontestablement au fait que nous avons tous, à divers degrés, embrassé cette idée du projet parental. Et que nos enfants seront en droit — sujets de droit cette fois — de nous en vouloir longtemps.

Notes :

 1. Après la porno éthique, l’optimisation fiscale éthique et la mafia éthique, la nouvelle tendance est à l’exploitation éthique de l’utérus. Le lecteur pourra se demander quelle barbarie se verra bientôt affublée de la noble étiquette éthique? Cocaïne bioéquitable, produite sans additifs et dans le respect des normes du travail ? Tueur à gages éthique qui prend le temps de partager un thé avec sa victime et qui l’endort avec une comptine avant l’exécution ? On l’a compris depuis 1984, pervertir le sens des mots suffit à déliter le cours des évidences les plus primaires.

2. Ce qui ne nous empêchera pas, pour autant, de déposer ici le témoignage du veuf de Lydia Cox, mère de quatre enfants désormais orphelins de mère après une « grossesse pour autrui » qui a mal viré parce que, il faut le dire, les grossesses pour autrui sont des grossesses à risque. Pour la mère porteuse, s’entend.

3. Selon un reportage de Radio-Canada, il y aurait 1 million de ces embryons dans les limbes des cliniques de fertilité dans le monde.

4. Quelle féministe peut souhaiter à des enfants de naitre sans mère ? Une mère serait donc accessoire ?

Voir aussi sur le site du Verbe

Déconstruire la GPA « éthique »

GPA, filiation, accès aux origines : le Québec entame une réforme du droit de la famille

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Lien connexe

Dans les médias, on nous présente la gestation pour autrui, communément appelée GPA, comme souhaitable et pratiquement inéluctable. Malgré les quelques bémols apportés au sujet des dangers pour la mère porteuse, les médias participent à ce que Noam Chomsky appelle la « fabrication du consentement » : belles photos et histoires touchantes occultent la marchandisation des enfants et des femmes. Lire le texte de quatre femmes membres de Pour les droits des femmes du Québec Québec doit dire non à l’encadrement de la marchandisation des femmes et des enfants.

Covid-19: les labos de Wuhan financés par les États-Unis auraient bien manipulé des coronavirus

Des documents publiés par le NIH, l’Institut national de la santé américain, soulèvent de nouvelles questions sur les recherches en virologie menées par la Chine et sur certains financements octroyés par les États-Unis. Ils viennent confirmer en partie les soupçons que les laboratoires de Wuhan auraient conduit leurs travaux au-delà de ce qui avait été précédemment officiellement admis, notamment en manipulant génétiquement des coronavirus. Ils tendent aussi à montrer que l’ONG EcoHealth Alliance, qui les a en partie financés avec des fonds publics américains, a singulièrement manqué de transparence à leur propos.

Ces révélations placent dans une position délicate Anthony Fauci, principal conseiller de Joe Biden sur les questions de santé et directeur de l’Institut national des allergies et des maladies infectieuses, qui avait affirmé cet été devant le Sénat que le NIH n’avait pas financé des recherches incluant des manipulations génétiques de coronavirus.

Or, près de vingt-deux mois après le début de l’épidémie, le NIH a reconnu la semaine dernière dans une lettre au Congrès américain qu’EcoHealth Alliance a effectivement subventionné des travaux de gain de fonction menés par l’Institut de virologie de Wuhan sur des coronavirus de chauve-souris. Ces manipulations consistant à faire muter un virus pour qu’il devienne potentiellement plus infectieux pour l’homme, sont très contestées par de nombreux chercheurs, en raison de leur dangerosité.

La lettre fait aussi apparaître qu’EcoHealth Alliance a violé les termes des conditions de la subvention reçue par le NIH, en ne signalant pas un résultat qui aboutissait à décupler la capacité infectieuse d’un agent pathogène. Le NIH décrit dans sa lettre comme « inattendu » le résultat de ces travaux, s’abstenant cependant d’employer l’expression gain de fonction.

Les interrogations avaient déjà été relancées au début du mois de septembre, quand le site d’information The Intercept avait publié plus de 900 pages de documents obtenus dans le cadre de la loi américaine sur la liberté d’information, concernant les subventions du NIH à EcoHealth Alliance.


Parmi ces documents figuraient deux demandes de subventions déposées par l’ONG. L’une des propositions, intitulée « Comprendre le risque d’émergence des coronavirus de chauve-souris », détaillait un projet de recherches potentiellement dangereuses menées sur des coronavirus de chauve-souris à Wuhan. Dans une première version de ces documents, reçus par The Intercept plus d’un an après en avoir fait la demande, ne figuraient pas les derniers rapports d’avancement de la subvention, qu’EcoHealth Alliance aurait dû soumettre à la fin de sa période de subvention en 2019.

Ce rapport a finalement été inclus dans sa lettre remise la semaine dernière au Congrès par le NIH. Daté d’août 2021, le document décrit une « expérience limitée » dans laquelle des souris de laboratoire infectées par un virus modifié sont devenues plus malades que celles infectées par « un virus naturel ».

Autre élément troublant sur le rôle d’EcoHealth Alliance, et de son directeur, Peter Daszak, le 20 septembre dernier, un groupe d’enquêteurs indépendants se faisant appeler Drastic (abréviation pour équipe radicale, autonome et décentralisée d’enquête sur le Covid-19), avait publié une demande de subvention de 14 millions de dollars que l’ONG avait soumise en 2018 à l’Agence pour les projets de recherche avancée de la défense (Darpa), un organisme dépendant du Pentagone et finançant des travaux de recherche scientifique. L’ONG proposait de s’associer à l’Institut de virologie de Wuhan pour opérer des manipulations de gain de fonction sur des coronavirus.

« Il devrait être viré pour manque de jugement »

La Darpa avait rejeté la proposition, estimant qu’elle ne tenait pas pleinement compte des risques liés à la recherche sur le gain de fonction. Mais cette proposition a frappé les chercheurs, notamment par sa mention d’un segment distinctif du code génétique du Sars-CoV-2, le site de clivage de la furine, qui rend le virus plus infectieux en lui permettant de pénétrer efficacement dans les cellules humaines.

Tous ces documents contredisent en partie les déclarations du Dr Anthony Fauci, qui avait démenti devant le Congrès américain en juillet dernier que le NIH ait sciemment financé des recherches sur le gain de fonction sur des virus, en réponse aux accusations lancées par le sénateur républicain du Kentucky, Rand Paul. Fauci avait admis qu’il n’avait en revanche pas de certitudes sur la façon dont le laboratoire chinois avait pu utiliser les subventions reçues. « Il devrait être viré pour son manque de jugement », a déclaré le sénateur Paul à propos du Dr Fauci dans un entretien au site Axios diffusé dimanche.

Fauci critiqué pour expériences sur des chiots dévorés vifs par des mouches

Un scandale a éclaté aux États-Unis après la découverte d’un laboratoire, situé en Tunisie et financé par Anthony Fauci, dans lequel seraient pratiquées des expériences scientifiques particulièrement cruelles sur des chiens Beagle.
 
Anthony Fauci, immunologue américain et président de l’institut des allergies et maladies infectieuses (NIAID), est accusé d’avoir financé des expériences où des chiots étaient enfermés dans des cages avec des phlébotomes (des mouches des sables) affamés qui les dévoraient vifs, et ce, dans le but de tester l’efficacité d’un médicament expérimental. Anthony Fauci est aussi conseiller en chef pour la santé publique dans le gouvernement de Joe Biden. Un poste qu’il a occupé auprès de huit présidents américains successifs, de Ronald Reagan à Joe Biden.
 

 
Le NIAID, aurait dépensé 1,68 million de dollars d’argent des contribuables pour ces expériences, selon des documents obtenus par l’ONG de défense des chiens, White Coat Waste.
 
Selon la même source, 44 chiots Beagle auraient fait les frais de cette expérimentation dans un laboratoire tunisien. Certains de ces chiens auraient eu leurs cordes vocales retirées, prétendument pour ne pas aboyer pendant que les scientifiques travaillent.
 

Voir aussi

Nicholas Wade : L’hypothèse la plus plausible est que la Covid-19 soit sortie du labo de Wuhan (m à j)