jeudi 13 février 2025

Bruxelles, sculpture classique remplacée par une œuvre plus féministe sublimant « des déchets de chantiers »

 

La sculpture en marbre de Carrare de l’artiste Victor Rousseau (ci-dessus) sera déplacée du square où elle trône depuis un siècle, près la gare Centrale, après le refus du gouvernement bruxellois de la classer en tant que patrimoine protégé. Une nouvelle œuvre sera placée sur le site.

La polémique qui entoure le déplacement prochain de la Maturité n’est pas près de s’éteindre.

Cette sculpture du célèbre sculpteur Victor Rousseau trône depuis un siècle dans un square proche de la place Marché au Bois, au cœur de Bruxelles. L’œuvre est menacée par le réaménagement du site et, en septembre, la Commission Royale des Monuments et Sites avait demandé le classement de « la Maturité » en tant que patrimoine protégé.

Le gouvernement bruxellois avait refusé et s’était contenté d’inscrire cette œuvre sur la liste de sauvegarde, ouvrant ainsi la porte à son transfert en direction du square Gutenberg [plus éloigné du centre-ville].

La Ville de Bruxelles a refusé de classer l’œuvre de Victor Rousseau parce qu’« elle véhicule des valeurs qui ne sont plus en phase avec celles de la société actuelle ». Le monument se compose de six figures en marbre, représentées totalement nues ou presque, et reliées entre elles par une guirlande de fleurs et de fruits. Au centre, un homme barbu se tient assis sur un drap blanc ; il est entouré à gauche d’une femme qui porte une corbeille de fleurs et d’une jeune fille agenouillée qui en hume le parfum ; à droite, un jeune couple se tient la main tandis qu’un jeune homme assis tourne le dos aux autres personnages.

La Commission Royale des Monuments et des Sites (CRMS) avait alerté la Ville sur l’état de ce groupe sculpté, encrassé par la pollution et par le temps, dégradé par le vandalisme, mais aussi par les travaux de rénovation de la station de métro voisine qui ont provoqué le démontage d’une partie de la balustrade originale. Des engins et barrières de chantier obstruent régulièrement l’espace (ill. 2) ; les parterres sont dénudés, les pelouses pelées, les plantations non entretenues ont laissé place à une végétation sauvage, si bien que le monument n’est presque plus visible. Son état est alarmant et sa conservation menacée, la CRMS a donc proposé de classer la totalité du square en raison de son intérêt artistique, esthétique, historique, urbanistique et paysager.

Les différentes raisons pour lesquelles le classement n’est pas souhaitable sont sidérantes : la sculpture de Rousseau ne correspond pas aux « valeurs contemporaines d’égalité des genres, de pouvoir et de famille  » bien au contraire, elle offre « une vision patriarcale des rapports sociaux et familiaux […], avec des stéréotypes figés sur la famille et le pouvoir masculin ». Cette œuvre qui n’est pas adaptée au plan d’action de « gender mainstreaming [l’anglais fait chic à Bruxelles] et d’égalité entre les femmes et les hommes, […] met en lumière l’importance d’éliminer les stéréotypes de genre hérités du passé, et de rendre visible la contribution des femmes à la culture matérielle et à l’histoire urbaine. Cette réévaluation des œuvres publiques est nécessaire pour favoriser une représentation plus inclusive et équilibrée de l’histoire de notre ville. »

Remplacée par une œuvre réalisée à partir de débris de chantiers

On y apprend ainsi qu’une nouvelle œuvre d’art, réalisée par l’artiste plasticienne Aglaïa Konrad, une artiste née en Autriche qui vit à Bruxelles, sera installée sur la partie sud du Marché au Bois, proche de l’endroit où trône actuellement la Maturité.

Le style de l’œuvre « Rückbaukristalle : un Monument pour la ville », dont un aperçu a été donné par l’architecte Bas Smets dans l’enquête publique (via une œuvre déjà existante) tranche assez franchement avec le néo classicisme de la sculpture en marbre blanc de Carrare de Victor Rousseau.

« La sculpture se présente comme deux colonnes fabriquées à partir de débris provenant de divers chantiers de démolition dans la ville. L’artiste sublime ces déchets de chantiers pour leur rendre hommage sous une forme tendre et sculpturale », peut-on lire dans la note explicative de l’enquête publique.

Style de l’œuvre qui devrait remplacer le monument « La Maturité »


Sources : La Dernière Heure, La Tribune de l'Art

Voir aussi

Le président du Sénat congolais regrette que le rapport officiel belge sur la colonisation en ait omis les aspects positifs (statue de Léopold II de Bruxelles vandalisée, pas celle à Kinshasa).

Bruxelles où l’on ne dit plus « être une femme »… mais « avoir un utérus »

Belgique — l’islamisme au quotidien à Bruxelles, rongée par le trafic de drogues et la violence

Belgique : le Musée des beaux-arts (« Bozar ») célèbre en anglais uniquement la naissance de Ludwig van Beethoven avec un Beethoven noir… (formation d’un mythe diversitaire) [Bozar parce que Beaux-Arts ferait trop français ? Et que Fine art en anglais ne marchait pas ?] 

Et l’angliche des eurocrates, c’est pour bientôt la sortie ?

Les nationalistes flamands s’opposent au projet des libéraux flamands de renforcer l’anglais à Bruxelles

Ne dites plus « Journées du Patrimoine », mais « Heritage Days » : « Un nouveau nom pour une dynamique plus inclusive »

Fonctionnaire de l’Union européenne : « Le français est une langue de merde qui doit disparaître »

Seul un quart des habitants de Bruxelles sont des Belges d’origine belge, ils sont encore 66 % en Wallonie, mais ils sont vieillissants (article de 2021 portant sur la population au 1er janvier 2020) 

À Bruxelles, 22,5 % de la population est belge d’origine belge

Le français menacé par l’anglais à Bruxelles ?

Éducation sur la colonisation belge au Congo dans une école belge

L’art contemporain, son « discours » et sa mission « provocatrice »

Les conservateurs du Canada anglais sont en panne de sens et leur logiciel idéologique tourne à vide

Le chef conservateur est compétent en économie, reconnaît l’historien Éric Bédard, mais Pierre Poilièvre doit encore définir ce qu’est le Canada, selon lui, et ce qui le distingue de son voisin. Texte paru dans La Presse de Montréal. Éric Bédard est historien et professeur à l’Université TELUQ. Il a récemment fait paraître Figures marquantes de notre histoire. Volume II : Lutter (VLB)

En temps normal, la politique se confond avec l’administration : améliorer les services rendus à la population, équilibrer les budgets, lancer des projets économiques structurants. De bons managers font l’affaire.

Mais en temps de crise, ces gestionnaires sont bien démunis. Car pour traverser des temps difficiles, il faut des politiques capables de mobiliser des affects et des mythes, proposer un récit qui donne un sens fort à l’aventure collective, dessiner des horizons inspirants.

En temps de crise, il faut s’élever au-dessus de la partisanerie et passer de la politique à la métapolitique. Jusqu’à maintenant, Pierre Poilièvre a complètement raté ce passage.

Il n’est cependant pas le seul responsable.

Depuis leur virage « continentaliste » des années 1980 et leur adhésion enthousiaste au libre-échange avec les États-Unis, les conservateurs sont en panne de sens et leur logiciel idéologique tourne à vide.

Longtemps, les conservateurs ont été les porteurs d’un nationalisme qui se définissait par la négative. Être Canadien, c’était refuser le modèle américain, c’est-à-dire un type de société qui se fondait sur une rupture avec l’ancien monde européen, une foi illimitée dans le progrès, un égalitarisme et un individualisme qui pouvait mener au désordre et à la guerre civile.

Héritage britannique

Être conservateur canadien, c’était être fidèle à l’héritage britannique, à ce monde d’avant l’âge d’un progrès débridé, technique, déshumanisant, des tares qu’incarnait la grande république américaine et qu’avaient rejeté les loyalistes à la fin du XVIIIe siècle. Jusqu’aux années 1960, le conservatisme canadien est un antiaméricanisme.

En 1962, John Diefenbaker est le seul dirigeant politique occidental à exiger une enquête indépendante durant la crise des missiles de Cuba. L’année suivante, il déclenche des élections précipitées parce qu’il refuse que le Canada accueille des missiles américains à tête nucléaire. Lors du débat sur l’unifolié, Diefenbaker, redevenu chef de l’opposition, affiche son patriotisme en se drapant dans le Red Ensign – l’ancien drapeau où les armoiries canadiennes côtoyaient la croix britannique.

L’ancien premier ministre du Canada, John Diefenbaker, en 1957

Dans Lament for a Nation, un essai crépusculaire publié en 1965, le philosophe conservateur George Grant pressentait la fin de ce Canada attaché à son passé et à ses traditions.

À ses yeux, la complaisance et la complicité coupable des élites canadiennes à l’endroit du géant américain annihilaient ce qu’il restait d’original dans l’identité canadienne, ou la vidaient de sa substance.

À la même époque, l’antiaméricanisme canadien passe à gauche. La jeunesse rejette la guerre du Viêtnam, le complexe militaro-industriel et les valeurs capitalistes des grandes corporations américaines. Pour cette gauche, ce qui distingue désormais le Canada des États-Unis, ce sont ses programmes sociaux beaucoup plus généreux, notamment son système de santé universel et gratuit, et une plus grande tolérance pour la diversité qu’incarnerait cette doctrine du multiculturalisme conceptualisée par des penseurs en vogue et inscrite dans la Loi constitutionnelle de 1982.

[Le Premier Ministre conservateur de 1984 à 1993] Brian Mulroney avait de belles qualités, mais il ne croyait pas beaucoup à la force des idées et à la contribution des intellectuels. Ce qu’il allait proposer aux Canadiens, c’était moins un nouveau programme idéologique qu’une simple alternance partisane. Car sur le fond, il souscrivait aux grands principes de la refondation de 1982 et ne proposait que des amendements mineurs (ex. : Accord du lac Meech). Le conservatisme canadien n’est devenu qu’économique et fiscal.

Un besoin d’élévation

Lorsqu’on écoute certaines entrevues de fond de Pierre Poilièvre, on constate vite ses compétences en économie et sa volonté sincère d’accroître le niveau de vie des Canadiens. Mais lorsqu’il doit réagir à la crise existentielle provoquée par les décisions erratiques du président Trump, il est incapable de mettre de côté la partisanerie et de montrer un peu d’élévation.

Au micro de Jordan Peterson pendant deux heures, il conclut son entretien de fond en répétant qu’il rêve d’améliorer le pouvoir d’achat du Canadien moyen. Dans sa réaction aux menaces de Donald Trump, il rappelle que les libéraux, avec leurs dépenses incontrôlées, ont brisé la « promesse canadienne » de prospérer et d’aspirer à une ascension sociale.

Ces objectifs sont certes nobles, mais Pierre Poilièvre devra nous expliquer : en quoi ils se distinguent de l’« American Dream » ?

Si le Canada des conservateurs n’est qu’une déclinaison du rêve américain, pourquoi ne pas accepter la proposition de Donald Trump de devenir le 51e État des États-Unis ?

Sinon, qu’est-ce que le Canada au juste, et quel serait son destin, son ambition, sa « vocation » selon lui ?

Pour répondre à ces questions, Pierre Poilièvre devra rouvrir ses livres d’histoire, laisser tomber un moment la partisanerie et passer de la politique à la métapolitique, c’est-à-dire à des considérations plus élevées sur le sens qu’il faut parfois donner, dans des circonstances hors de l’ordinaire, à une aventure collective. A-t-il les ressorts qu’il faut pour y arriver ?