mardi 20 mars 2012

La place des parents à l'école

Anne Coffinier, directrice de la Fondation pour l’école, et Jean-Paul Brighelli, professeur agrégé et auteur de La Fabrique du crétin, débattent de la place des parents dans l'école. Extraits :

« Anne Coffinier – Les parents sont les premiers éducateurs et les premiers responsables de leurs enfants. C’est une affirmation constante du magistère de l’Église et c’est aussi une vérité expérimentale vivement ressentie par chaque parent ! Il revient en revanche à l’État et aux organismes d’intérêt général compétents de mettre à la disposition de tous une information la plus complète, honnête et exhaustive possible sur la réalité de l’offre scolaire existante. Il faut bien voir que l’on est face à un choix de société fondamental. Pour qu’il y ait une véritable État de droit, il faut tout d’abord que le choix de l’école soit reconnu et garanti constitutionnellement aux parents, que l’information sur la qualité de l’offre soit accessible à tous et que les parents aient les moyens financiers de jouir effectivement de ce droit.

Si l’État s’arroge le droit de choisir le destin de nos enfants à notre place, nous sommes dans une société de type totalitaire caractérisée par l’emprise de la sphère publique sur les familles et les consciences. C’est hélas en partie le cas aujourd’hui. Dans la mesure où l’État rend gratuit un seul type d’enseignement, impose la carte scolaire et interdit, à coup de lois, à l’école privée d’être gratuite, il pèse lourdement sur le choix des familles, surtout des plus démunies.

Aujourd’hui, l’institution scolaire entretient une relation très ambiguë avec l’autorité des parents qu’elle prétend reconnaître et même vouloir renforcer, mais qu’en pratique elle sape consciencieusement. Les parents sont infantilisés, tenus à bout de gaffe loin de la salle de cours. Leur autorité est souvent bafouée par une Éducation nationale qui s’aventure impudiquement jusque dans la formation des consciences des enfants à travers l’éducation civique ou sexuelle, ou l’invasion plurimorphe du politiquement correct dans la vie de l’école. [...]

Jean-Paul Brighelli – Les trois quarts des parents ne connaissent rien au système éducatif — par manque de formation, d’information ou de temps. Et encore moins aux matières enseignées, qui bien souvent diffèrent de celles qu’on leur a jadis enseignées. L’idée qu’ils puissent choisir librement l’école de leurs enfants est pour moi une vue de l’esprit.

Quant à la carte scolaire, elle a été largement assouplie, mais aujourd’hui encore, c’est la proximité qui est le premier facteur dans le choix des parents. Tout le monde n’a pas le loisir d’amener ses enfants dans un établissement situé à des kilomètres. Ou de les faire amener. Il y a un univers où les gens travaillent, et travaillent tôt, vous savez… Et je préfère me battre pour que toutes les écoles soient d’excellence, plutôt que de voir une foire d’empoigne pour inscrire ses rejetons dans quelques établissements réputés, que cette réputation soit ou non fondée. [...]

A. C. - Sur le rôle des parents, je reconnais qu’il y a un monde entre l’idéal et la réalité. Ils sont incarnés, faillibles. Mais attention à ne pas prendre des décisions générales à partir de cas exceptionnels. C’est toujours comme cela que l’on supprime les libertés. Confier le pouvoir éducatif à l’État sous prétexte qu’il existe des parents indignes est irrecevable. Toute société libre doit être fondée sur la confiance dans les citoyens. Si vous établissez une société sur la défiance, vous sombrez dans le totalitarisme. On ne peut pas transgresser cette règle d’or. Tout doit être fait pour responsabiliser les parents, pour les placer dans une situation où ils seront contraints à poser des choix, donc à se renseigner pour choisir au mieux de l’intérêt de leur enfant. »




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Les écoles à charte américaines

Le développement des écoles à charte aux États-Unis fait désormais partie de la réflexion éducative menée sur l’ensemble du territoire américain. Selon les propos de Robin Lake, éditeur du dernier bulletin annuel du « Centre pour la Réinvention de l’Éducation Publique » (CRPE) intitulé « Espoirs, Peurs et Réalités », « les responsables scolaires en milieu urbain se rendent compte qu’une approche centralisée, taillée selon un format unique pour tous, n’est tout simplement plus viable et qu’ils ont besoin de partenariats réunissant le talent entrepreneurial et les équipes éducatives conscientes de leur mission ».

Un exemple concret en est donné avec ce reportage sur la Noble Charter School de Chicago.



Le mal dont souffre le système scolaire américain est facile à définir : l’argent déversé dans les innombrables programmes d’aménagement du système est inversement proportionnel à la dégradation des conditions scolaires et des chances des élèves à développer leur potentiel personnel et à accéder aux formations universitaires qu’ils auraient envisagées. Les budgets ne cessent de progresser alors que les évaluations du niveau des élèves de l’enseignement public sont en régression au niveau national et international. Les parents, quant à eux, recherchent désespérément les écoles où leurs enfants auront la meilleure chance d’être préparés à leur vie adulte.

Pourtant, dans quarante États des États-Unis, l’expérience des écoles à charte ("charter schools") ne cesse de rallier les parents et les élèves originaires de divers milieux sociaux culturels et ethniques en raison des succès incontestables qu’elles obtiennent du point de vue de la bonne intégration des élèves et de la qualité de leur formation. Ces écoles bénéficient de par la loi d’une prise en charge financière, mais sont libres de choisir leur gestion budgétaire et pédagogique ainsi que leur forme de vie scolaire. Le directeur et ses équipes enseignantes n’ont pas seulement un emploi, mais ils se sentent également investis d’une mission éducative.

L’enquête réalisée à la Noble Charter School de Chicago depuis 1999 démontre la réussite d’une école autre, basée sur des principes de liberté, de responsabilité, de discipline, de motivation du personnel et de diminution drastique des contraintes administratives. S’ajoutent à ces critères la liberté de choix des familles et l’adhésion des élèves à leur école. L’évidence se confirme d’année en année : ce type d’écoles est de plus en plus attractif pour la seule et unique raison qu’elles « fonctionnent ». Le niveau et les résultats des élèves progressent, leurs perspectives d’accéder aux études universitaires s’améliorent, les conditions de vie scolaire sont considérablement meilleures. Le nombre d’heures d’enseignement a augmenté au point de gagner un an de scolarisation effective sur l’ensemble du cursus scolaire (journée scolaire de 7 heures par jour contre 5 heures ou 5 h 30 dans l’école publique). De par les témoignages recueillis chez les élèves, ce rythme scolaire se réalise sans malaise ni stress excessif.

La plus forte opposition au réseau des Noble charter schools provient de la Chicago Teachers’ Union, le syndicat enseignant majoritaire. Il s’agit en fait d’une résistance farouche qui se traduit par des déclarations incendiaires des délégués syndicaux, des dénonciations virulentes des privilèges que représentent de tels établissements, des manifestations de rue qui vont jusqu’aux affrontements avec les forces de l’ordre, incitant ces dernières à arrêter des manifestants pour alerter et rallier l’opinion publique à la cause syndicale. En dépit de ces vociférations, l’école continue d’attirer les enfants de toutes catégories sociales et ethno-culturelles, au grand dam de l’extravagante présidente du syndicat enseignant Karen Lewis qui se fait une gloire de faire un jour partie des représentants syndicaux arrêtés.

Bien plus, des procès sont intentés à Noble par le même syndicat, d’ailleurs sans aboutir, en raison du statut totalement légal des écoles à charte. Occasion pour le maire démocrate de Chicago Rahm Emanuel, défenseur convaincu du développement du réseau des écoles Noble, de faire remarquer que le temps des éducateurs est mieux utilisé dans les salles de classe que dans les salles de tribunal.

Bill Olsen, directeur de l’école, souligne la fausseté des arguments utilisés à l’encontre de ce type d’écoles : contrairement aux accusations qui leur sont faites, et de la bouche même des enseignants interrogés, le recrutement n’est pas basé sur le revenu des familles, mais il est aléatoire : les élèves sont sélectionnés suivant un système de loterie. L’accusation d’écrémage des élèves suivant leur niveau est contredite par le fait que le taux de renvoi ou d’abandon d’élèves est extrêmement faible. A noter que les écoles à charte sont tenues légalement par l’obligation du NCLB (No child left behind) « N'abandonner aucun enfant ».

Par ailleurs, on constate que les salaires des enseignants du public en Illinois sont en moyenne de 74 000 $ par an et de 120 000 $ pour les responsables administratifs, alors que ceux des écoles à charte sont nettement moins élevés et plus proches de la moyenne salariale en Illinois de 50 000 $ par an. Pourtant la grande majorité des enseignants préfère le statut, les conditions, l’atmosphère et les relations humaines dont ils bénéficient dans leur établissement par rapport aux écoles publiques. Cela ne diminue en rien leur motivation ; celle-ci est renforcée par le soutien des parents et la satisfaction de constater la réussite des élèves, attestée par leur taux d’inscription dans les universités les plus sélectives.

Il apparaît donc que les professeurs préfèrent être respectés et s’impliquer dans leur mission d’éducateurs plutôt qu’être rémunérés à un taux plus élevé pour un travail qui ne les satisfait pas. Ils affirment par ailleurs ne regretter nullement de ne pas être syndiqués pour la simple raison qu’ils n’en éprouvent ni la nécessité ni le besoin.

Il faut noter que des signes d’échec de ce type d’école seraient rapidement sanctionnés par la suppression de leur financement. Rester compétitives au regard des autorités éducatives de contrôle est donc pour elles une affaire de survie. Elles sont tenues de fournir annuellement leur « rapport de progression » (AYP, adequate yearly progress report) aux organismes locaux ou d’État responsables de l’évaluation éducative (LEA, local education agency, et SEA, state education agency), ce qui les oblige constamment à faire leurs preuves en termes de qualité pédagogique et de bonne gestion avec la coopération et l’engagement du corps enseignant, des élèves et de leurs familles.

Noble Charter School ne badine pas avec le règlement intérieur de l’établissement. Ce qui nous paraîtrait trop strict ne l’est pas dans le contexte des quartiers difficiles de Chicago où se trouve l’école. Pas de pantalons tombants, pas de tatouages visibles, pas de piercings, pas de boucles d’oreille pour les garçons. Le port de l’uniforme est obligatoire et lors des compétitions sportives, l’attribution de drapeaux aux différentes équipes suscite fierté et émulation dans les classes. Des heures sont consacrées à des services communautaires (community service) et renforcent la cohésion des élèves et le sentiment de leur appartenance à une communauté de vie au sein de leur établissement.

Les écoles à charte démontrent ainsi, toutes preuves à l’appui, et avec un succès grandissant, la vérité et la mise en œuvre effective de leur objectif : offrir plus d’éducation avec moins de moyens.

Nous remercions M. Pierre Barthe pour le compte-rendu de ce reportage.


Ce carnet émet, cependant, quelques réserves par rapport à ces écoles à charte :

  1. elles sont toujours redevables aux autorités politiques plutôt qu'aux parents limitant de la sorte le choix pédagogique et de programme aux options approuvées par des politiciens ou des bureaucrates et non les parents ;
  2. les places sont alloués par loterie, ce qui semble empêcher par exemple la formation d'écoles confessionnelles à charte ayant une population homogène aux niveaux des convictions, elles défavorisent donc les parents religieux. ;
  3. le recours aux tests standardisés pour les évaluer peut conduire à limiter les options éducatives  et n'est pas exempt de fraudes potentielles.

Voir aussi


Angleterre — Écoles libres : la libéralisation de l’Éducation ?

Fascination française pour l'« Amérique d'Obama » et ses écoles à charte

Suède — Le monopole de l'Éducation incapable de répondre à tous les désirs

États-Unis — fraude systématique depuis dix ans dans les écoles publiques d'Atlanta

Washington (D.C.) — Des bons scolaires pour les pauvres plutôt que des subventions pour avorter

France — les écoles libres (hors contrat) n'en font qu'à leur tête




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