vendredi 20 juin 2008

« Privée d'excursion, elle traîne son père en justice et gagne ! », réactions de chroniqueurs

Deux réactions à la décision stupéfiante d'une juge québécoise qui a donné raison à une jeune adolescente privée d'excursion par son père pour avoir désobéi et avoir affiché des photos indécentes d'elle-même sur Internet.

Mario Roy écrit :
« Il est devenu courant pour un enfant privé de dessert ou de télé de menacer papa ou maman : « Je vais appeler la DPJ ! » la Direction de la protection de la jeunesse, bien sûr, dont le pouvoir est expliqué aux marmots à la garderie et à l'école dès qu'ils ne sont plus aux couches. Dorénavant, peut-être les tout-petits pourront-ils recourir aussi aux plus hauts tribunaux du pays...

[...]

L'affaire s'inscrit évidemment dans un contexte de divorce, de désaccord entre ex-conjoints, d'adaptation difficile de l'enfant à une famille reconstituée. Néanmoins, elle dit un certain nombre de choses sur les contradictions de l'État ainsi que sur la place dévolue au père dans ce qu'on appelle encore, faute de terme plus approprié, la famille.

[...]

Si la « délinquance » informatique de la pré-ado est réelle, peut-on blâmer un père d'avoir pris les moyens pour y mettre fin ? Pour coincer les prédateurs du web, l'État, lui, ne mobilise-t-il pas des hordes de policiers - efficaces, on vient de le voir à Montréal ? Alerté par le Conseil du statut de la femme, l'État ne dénonce-t-il pas les dangers de l'hypersexualisation, s'apprêtant à ensevelir ce fléau consumériste sous des argents considérables ? Les pères, eux, n'ont-ils rien à faire dans tout ça ? Ce père en particulier, qui a la garde légale de l'enfant, a-t-il surévalué ces dangers et été trop sévère ? Et même si c'est le cas, appartient-il à la justice d'en décider ?

L'affaire sous examen est exceptionnelle, assure Me Fortin [avocat de l'enfant], qui n'y voit pas une porte ouverte au «droit» pour un enfant de réclamer l'examen judiciaire des sanctions parentales. Or, c'est exactement ce que craint Me Beaudoin, qui se pourvoira en appel.

On verra bien.

Mais on sait déjà à quel point l'État et la justice - jadis boutés hors de la chambre à coucher ! - ont à nouveau envahi l'espace familial. Et on sait aussi que, lorsqu'un « droit » accède à l'existence, il demeure rarement inutilisé. »


Yves Boisvert pour sa part conclut sa relation de cette affaire par :
« Mais que reste-t-il de l’autorité parentale si elle peut être révisée sur toute question à la demande d’un enfant ? La Cour supérieure est-elle devenue une cour d’appel des punitions parentales ? On n’en aurait pas fini…

À moins de cas nettement excessifs ou mettant l’enfant en danger, les juges n’ont pas d’affaire dans la révision des punitions, même quand elles sont malavisées.

[...]


En attendant que la Cour d’appel nous éclaire, j’ai pour ma part caché le journal à mes enfants.

Abus d’autorité parentale, me dira-t-on. Je n’en disconviens pas. Mais comme j’essaie de l’expliquer en vain à mes enfants, une famille n’est pas une démocratie. »

Une décision judiciaire stupéfiante sur l’autorité parentale soulève des questions sur le droit des parents à choisir l’éducation de leurs enfants

Ottawa Citizen, le 19 juin 2008

Si vous empêchez vos enfants de regarder la télévision ou les privez de leur argent de poche, peuvent-ils vous traîner en justice ? Et avoir gain de cause ?

Ce scénario invraisemblable s’est réalisé alors qu'un juge de Gatineau a donné raison à une jeune fille de 12 ans qui avait défié son père après que celui-ci lui eut refusé de la laisser partir en excursion scolaire parce qu’elle n’avait pas respecté son interdiction d’utiliser l’Internet.

Des experts en droit de la famille et de la protection de la jeunesse se disent sidérés par le jugement rendu vendredi passé par la juge Suzanne Tessier de la Cour Supérieure.

« Cela semble incroyable » bredouille Gene Colman, avocat de la famille chevronné de Toronto il a fondé la Revue canadienne de droit familial. « Je n'ai jamais entendu parler de ceci auparavant. »

« En tant qu'avocat et en tant que parent, » déclare Fred Cogan, avocat de la famille à Ottawa, « je pense qu’il s’agit d’une ingérence de la part de l’État dans un domaine où les tribunaux devraient s’abstenir d’intervenir. »

« J'ai six enfants », ajoute M. Cogan. « Je ne désire certainement pas que les juges surveillent tout ce que je fais, ni que mes enfants puissent se précipiter au tribunal. »

Mais peut-être tout le monde devrait-il prendre un Valium. Il y a peu d’indices qui suggèrent que les tribunaux canadiens suivront l’exemple de la juge Tessier.

« Les juges des tribunaux de la famille sont peu enclins à statuer dans le domaine de l’autorité parentale » a dit Peter Dunning, chef de la direction de la Ligue pour le bien-être de l’enfance du Canada.

Joan Durrant, pédopsychologue clinique et professeure en sciences sociales de famille à l'université du Manitoba, nous a confié que les tribunaux préfèrent habituellement ne pas intervenir dans le domaine de la discipline parentale, même lorsqu'elle implique l’usage excessif de la force.

« Quelques cas assez graves ont débouché sur un acquittement parce qu’on a décidé que les parents avaient le droit de décider. » Selon Mme Durrant, dans les rares cas où des enfants ont trainé leurs parents en justice, il existe souvent des antécédents de conflit au sein de la famille : « il ne s’agit habituellement pas d’un incident isolé au sein de la famille. »

Cheryl Milne, avocat pour la Canadian Foundation for Children, Youth and the Law, a indiqué que le scénario de Gatineau pourrait bien être spécifique au Québec en raison du Code civil qui lui est propre. « Je ne peux pas imaginer qu’une telle cause soit entendue en Ontario. »

Même au Québec, la décision est pratiquement sans précédent. Kim Beaudoin, avocate du père – on ne peut l’identifier afin de protéger l'identité de sa fille – dit ne pas avoir pu trouver de jugement comparable.

Le père, divorcé, a la garde légale de sa fille. Il lui avait interdit l’accès à
internet après que sa fille ait clavardé sur des sites Web qu’il réprouvait. Elle a alors utilisé la connexion internet d'un ami pour afficher des photos d’elle indécentes, devait préciser Mme Beaudoin.

Après avoir découvert ceci, le père a appris à sa fille qu’elle ne participerait pas à l’excursion de trois jours que son école organisait. Selon Mme Beaudoin, la fille « a alors claqué la porte » et s’est réfugiée chez sa mère qui était disposée à la laisser partir en voyage.

Cependant, l'école ne voulait pas permettre à la fille d'aller en excursion sans l’autorisation des deux parents ou qu’un juge statue en sa faveur. C’est ce qui a incité la fille, soutenue par sa mère, à intenter une action judiciaire contre son père. Action qui a abouti au jugement.

Selon Mme Beaudoin, la juge Tessier a trouvé que priver la jeune fille de son excursion de trois jours constituait une punition trop sévère. Le fait que la fille vit désormais avec sa mère a également joué un rôle dans la décision de la juge, a-t-elle ajouté.

Le père, qui en appelle de la décision, était « atterré » par le jugement, selon Mme Beaudoin. Il refuse de reprendre sa fille chez lui « car il n'a aucune autorité sur elle. »

Mme Beaudoin a dit qu'elle était « vraiment, vraiment étonnée » par la décision. « On aurait dû conseiller à la mère de respecter la décision du père. Au lieu de quoi, le tribunal a encouragé une dispute familiale, où l’enfant sert à marquer des points. »

Mais Mme Beaudoin ne veut pas exagérer l'impact de cette affaire. « Je ne pense pas que la plupart des enfants poursuivront leurs parents. »

Cependant, Dave Quist, chef de la direction de l'Institut du mariage et de la famille Canada, pense que le passage à une société fondé sur les droits [des enfants] sape l'autorité parentale.

« L’idée qu’un État ou un tribunal, mandataire de l'État, puisse empêcher un parent d’élever son enfant comme il le juge bon me fait peur » d’ajouter M. Quist.

Il y a quatre ans, la Cour suprême a interdit que des châtiments corporels soient infligés à des adolescents et à des enfants de moins de deux ans. Mais elle a confirmé la « Loi sur la fessée », comme on la nomme, pour les autres enfants.

M. Quist s’inquiète que nous ayons perdu de vue le droit des parents à élever et corriger leurs enfants dans certaines limites. « Si les tribunaux commencent à se mêler de ce domaine, je pense que les enfants passeront du monde familial à celui de l’État impersonnel et froid ».

« Quelle est la limite si un enfant peut aller au tribunal pour exiger qu'il parte en voyage scolaire? À un moment donné, cela devient ridicule. »

M. Quist a rappelé que l’intervention trop zélée par des directions de la protection de la jeunesse est un problème croissant. « Plusieurs familles ont été détruites ou lésées par l'intervention de l'État plutôt que protégées comme unité. »

M. Dunning a déclaré que les services de protection de l’enfance ont commencé à accepter plus d'enfants à la suite de plusieurs enquêtes très médiatisées dans les années 90. En près de six ans, le nombre des enfants protégés en Ontario est passé d’environ 10 000 à presque 20 000, a-t-il ajouté.

Québec — Les examens du ministère à nouveau mis en cause

Nous en avions déjà parlé dans Du côté des cobayes de la réforme : « Des exigences en béton, mais des connaissances bidon », les examens du Monopole de l'Éducation sont décriés par plusieurs professeurs et un syndicat de l'enseignement (FSE-CSQ).

Nous reproduisons ici le communiqué de la FSE.
La FSE demande un ajustement important

Québec, le 19 juin 2008. – La Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ) demande au ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) de revoir sérieusement ses examens de fin d’année, particulièrement ceux administrés en 6e année du primaire en mathématique, mais également certains autres comme les examens d’histoire et de mathématique de 3e secondaire.

Selon la FSE, qui a déjà fait plusieurs représentations au MELS à cet effet, ces examens doivent être revus, car ils ne sont pas toujours pertinents avec les programmes enseignés, sont souvent trop complexes pour les élèves et peuvent représenter une charge de travail hors de proportion pour les enseignantes et enseignants qui doivent les administrer.

Par exemple, l’épreuve de fin d’année de 6e année en mathématique, dont l’administration est obligatoire, prend 10 jours à compléter et est d’un niveau de complexité trop important pour les élèves de cet âge, de qui l’on attend un cheminement élaboré en plusieurs étapes pour la « confection la plus économique possible de dossards », sans jamais que ceux-ci soient certains du résultat de la voie empruntée. De plus, la grille de correction fournie par le MELS est imprécise et conçue pour une correction en cotes, alors que les notes sont exigées.

Autre exemple, l’examen administré à la fin de la troisième secondaire en histoire ne permet pas de rendre compte des connaissances apprises en cours d’année. Alors que le programme d’histoire de 3e secondaire couvre l’histoire du Québec, des premiers occupants à aujourd’hui, l’examen ne porte que sur la situation démographique des 25 dernières années. De plus, il évalue uniquement les compétences et prend cinq heures à compléter. Pourtant, les connaissances apprises et intégrées doivent avoir une place plus consistante dans l’évaluation, comme en témoignait la ministre Courchesne en réponse à une demande répétée de la FSE.

« Nous croyons que le MELS doit retourner plusieurs de ses examens à la planche à dessin pour qu’ils deviennent conformes aux contenus de formation et au degré de maturité des élèves à qui ils s’adressent. Voilà un exemple de plus que le ministère est déconnecté de la réalité de la classe, et que ses directives ne sont pas toujours réalistes. Il y a beaucoup de grogne dans les rangs des enseignants à cet effet, mais ce n’est qu’un autre exemple éloquent des dérives du MELS en ce qui concerne l’évaluation. Est-ce que le ministère de l’Éducation peut finir par comprendre ce que disent les enseignantes et enseignants à propos de toute la question de l’évaluation ? », a conclu Mme Johanne Fortier, présidente de la FSE.

Du côte des cobayes du Monopole : les parents de la Réforme ne peuvent plus aider leurs enfants

Constat intéressant de la part d'une jeune mère de famille universitaire dans le Devoir concernant l'impossibilité désormais pour les parents de la « Réforme » de vérifier les connaissances et compétences de leurs enfants et de les aider.
Ma fille a terminé cette semaine ses fameux «examens du ministère». Sans manuels — il a fallu les rendre à l'école et ils n'ont désormais qu'un rôle accessoire —, sans notes de cours détaillées à relire, ni même de matière précise à réviser, il s'est avéré quasi impossible pour moi d'aider ma fille à préparer ses examens du secondaire 1.

Je n'ai même pas pu consulter les différents tests qu'elle a subis au cours de l'année pour revoir avec elle la matière abordée, puisqu'au moment de «vider» son casier — un moment survenu avant les examens —, le bac à recyclage a accueilli la plupart des travaux en question; ma fille n'est pas conservatrice, dira-t-on. Interrogé sur le contenu des examens et la manière d'aider ma fille à réviser, le personnel de l'établissement (public) s'étonne de ma frustration : « Vous devriez savoir comment ça fonctionne, votre fille est une enfant de la réforme ! »

Des effets du renouveau sur les parents « réactionnaires »

En effet, depuis sa première année, nous vivons avec ce renouveau pédagogique qui table sur « une approche centrée sur le développement de compétences et non plus seulement sur l'acquisition de connaissances ». Je ne remettrai pas en question la pertinence de cette approche, je n'en ai pas les compétences (transversales). Il reste que, de mon point de vue de parent, le jargon et les stratégies de la réforme me renvoient périodiquement une image d'incapable ou pis, de réactionnaire (!), moi qui vient à peine de quitter l'université.
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Le prétexte habituel : les temps ont changé

Confrontés à ma frustration de mère désireuse d'aider son enfant à préparer ses examens, le directeur, son adjointe, la professeure d'anglais, attrapés dans les couloirs de l'école, me confirment que les temps ont changé. On ne révise plus une matière acquise tout au long de l'année avant un examen.

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Dans une brochure publiée en 2006 au sujet du renouveau pédagogique, le ministère de l'Éducation rappelle l'importance de l'engagement des parents pour favoriser la réussite des élèves. Je conçois bien que l'école favorise l'apprentissage de compétences et explique aux enfants comme les appliquer: dans une société aussi pragmatique que la nôtre, réfléchir pour réfléchir n'est pas très tendance, n'en déplaise aux philosophes. Mais si les parents pouvaient jadis facilement vérifier l'acquisition des connaissances, qu'en est-il des SAE [« situations d'apprentissage et d'évaluation » dans le jargon] ? Les bras ballants et le regard désolé, le directeur de l'école n'a su me dire comment aider ma fille à préparer ses examens.

Croiser les doigts ou brûler des cierges

Au fil des années, j'ai vu bien des profs désarmés par mes commentaires sur le caractère alambiqué et empreint de rectitude politique des critères d'évaluation. La réforme n'empêchera peut-être pas les bons élèves de réussir, c'est le cas de mon autre fille. Mais si un enfant a le malheur d'être moins motivé ou autonome, que se passe-t-il ?

Le constat est désolant: je n'ai pas pu aider ma fille à rattraper les compétences non acquises au cours de l'année. En 2008 au Québec, la seule chose que je peux faire, comme parent, c'est me croiser les doigts pour que mes filles « répondent suffisamment aux attentes » et « développent de façon satisfaisante leurs compétences ». Quand elles seront rendues au secondaire V, j'en serai quitte pour brûler des cierges...