mercredi 4 mars 2020

« Ce n'est pas beau, c'est symétrique »

Dans un débat enlevé sur l’art (voir la vidéo ci-dessous), le philosophe et critique d’art Yves Michaud déclare que « Versailles n’est pas beau, mais symétrique »...




Si l’art ne se résume pas à la beauté (l’émotion et l’inventivité en font aussi partie), il nous semble que M. Michaud évacue un peu vite la beauté de l’art. Plus grave, selon nous, ce philosophe oppose symétrie et beauté alors qu’il semble que ces deux notions soient fortement liées, peut-être même programmées, câblées au plus profond de nous.

Grâce à de nombreuses expériences astucieuses, les chercheurs ont confirmé plus un visage est symétrique plus il nous est attrayant. C’est une constante à travers toutes les cultures et les époques historiques.

Comme tous les vertébrés, l’homme se développe selon une symétrie bilatérale. Pour la plupart, notre côté droit se développe comme une image miroir de notre côté gauche. Depuis le stade embryonnaire et pendant toute notre croissance et maturité, les mêmes gènes de développement doivent être activés dans les mêmes cellules au même moment et avec la même dose. Dans la situation idéale, tout cela se déroule à l’identique des côtés gauche et droit de nos visages; ce qui aboutit à une parfaite symétrie entre les deux moitiés.


Bien sûr, dans le monde réel, la moindre fluctuation de l’expression des gènes et de l’activité cellulaire conduit à de petites différences entre les deux moitiés de notre visage. Regardez attentivement votre visage dans le miroir (ou le visage d’un ami...). En général, un œil est légèrement plus grand que l’autre. L’œil plus grand est également généralement un peu plus haut que l’autre. Les narines présentent généralement également une asymétrie dans leur taille et leur forme. La hauteur et la taille des oreilles peuvent également être étonnamment asymétriques. Toutes ces microasymétries se traduisent par une note de symétrie générale pour chaque visage humain. Et ces notes de symétrie influencent fortement la façon dont nous évaluons l’attrait d’un visage. En utilisant l’informatique, les chercheurs peuvent transformer un visage que la plupart des gens jugent très attrayant en une image très mal notée, simplement en en modifiant la symétrie. Voir les deux visages ci-dessous.



Mais pourquoi trouvons-nous les visages symétriques plus attrayants ? L’explication scientifique dominante veut que la symétrie indique un développement harmonieux et l’absence de mutations, de faiblesses ou de maladies délétères chez le sujet observé. En effet, si la grande chorégraphie de l’expression des gènes de développement est parfaitement exécutée, le résultat est une symétrie parfaite. En conséquence, la moindre imperfection, la moindre asymétrie indique une sorte de dysfonctionnement, même minime. Si, d’un côté du visage, un gène s’exprime trop ou trop peu, au mauvais endroit, ou un peu tôt ou tard, le tissu prendra une forme légèrement différente de celle de l’autre côté du visage. La plupart de ces petites fluctuations entraînent ce qu’on appelle des microasymétries que nous ne pouvons pas détecter à l’œil nu, mais dont nous pouvons parfois saisir l’effet dans son ensemble.

De plus grandes asymétries peuvent indiquer des problèmes qui se sont produits (ou sont en cours) dans la croissance et le développement de la personne en question. Certains facteurs connus pour affecter la symétrie faciale sont les infections, les inflammations, les réactions allergiques, les blessures, les mutations, le stress chronique, la malnutrition, les dégâts subis par l’ADN, les parasites et les maladies génétiques ou métaboliques. Chacun de ces facteurs peut représenter un désavantage pour la personne et sa progéniture.

L'idée admise en science veut donc que l'homme a appris à valoriser les visages symétriques, car la symétrie serait gage d'une bonne santé du propriétaire. Nous aurions donc une répugnance instinctive pour la laideur, pour les difformités qui trahiraient des défauts de développement, un patrimoine génétique affaibli ou une santé moindre. Valorisation de la symétrie qui s'étend à l'ensemble du corps (qui est bilatéral) chez l'homme et même au-delà en architecture où la symétrique est également gage d'équilibre et de solidité.




Source : Facial attractiveness, Philosophical Transactions of the Royal Society


Notons que par ailleurs, Yves Michaud, vient de faire publier un court essai (Ceci n’est pas une fleur) intéressant sur la commercialisation de l’art et la touristification de Paris. En voici une recension de Charles Jaigu.

Les ventes de test ADN s'effondrent aux États-Unis

Les deux principales entreprises commercialisant des tests génétiques à visée généalogique aux USA, sont confrontées à un effondrement de leur activité : – 54 % pour l’entreprise 23andMe et — 38 % pour les kits Ancestry. Les consommateurs se détournent de ces produits, car ils s’inquiètent de l’utilisation de leurs données personnelles.

Deux utilisations de la généalogie génétique par des tiers les ont conduits à réfléchir. Tout d’abord, le partage des informations collectées avec l’industrie pharmaceutique. Lorsque l’entreprise 23andMe a signé des accords importants avec des fabricants de médicaments, « les consommateurs ont commencé à réaliser qu’une fois encore, à l’instar des plateformes de partage social, ils étaient le produit »

Ensuite, l’utilisation de ces données pour résoudre des affaires criminelles a accéléré la chute des ventes. En 2018, des détectives californiens ont annoncé qu’ils avaient utilisé GEDmatch, une base de données généalogiques publique, pour résoudre l’affaire non élucidée d’un violeur et tueur sadique. Et l’hiver dernier, une société de tests Family Tree DNA, a révélé qu’elle avait coopéré avec le FBI à l’insu de ses utilisateurs. Or les Américains sont très sceptiques quant à l’utilisation par la police de leurs données personnelles, surtout qu’aucune règlementation ne prévoit quel type de crime ou d’infraction peut justifier une telle violation de la vie privée.

Pour compenser la baisse des ventes de leurs tests d’ascendance génétique, les entreprises recentrent désormais leurs efforts sur la vente de tests génétiques sur la santé. On peut désormais s’attendre « à moins de marketing sur le passé et plus sur l’avenir, moins sur les frissons des histoires ancestrales et plus sur les risques sanitaires dont nous avons hérité et que nous menaçons de transmettre, le tout formulé dans le même langage optimiste de la connaissance de soi — à partager largement ».

On ne voit cependant pas en quoi cela empêchera les deux utilisations mentionnées plus haut : le partage des informations collectées avec l’industrie pharmaceutique et l’utilisation de ces données pour résoudre des affaires criminelles.

Centaine de personnalités pour l'extension de la loi 101 au collégial public

Lettre ouverte d’une centaine de personnalités publiques et de professeurs publiée dans Le Devoir. Rappelons que si le cégep était fusionné à l’école secondaire, comme c’est le cas en Europe pour les lycées, athénées et gymnases, la loi 101 s’y appliquerait déjà. Ceci nous paraît nettement plus important que les maternelles 4 ans, très chères, peu utiles et dont on peine à recruter du personnel.

Le réseau collégial français est mal en point, en particulier sur l’île de Montréal. Il est mal en point parce qu’il est victime de la dynamique linguistique actuelle. Si le récent palmarès des cégeps a montré une chose, c’est bien celle-là. Les cégeps anglophones débordent et écrèment les meilleurs étudiants, non seulement les anglophones, mais aussi les allophones et les francophones. Le problème est autant quantitatif que qualitatif. Les effectifs sont en baisse constante et accélérée dans le réseau français, au moment même où son « élite » étudiante se rue vers le réseau anglais. Et tout ça, remarquons-le d’emblée, se fait à même les fonds publics.

En désespoir de cause, les directions se tournent vers la solution à leur portée : angliciser l’offre de services dans l’espoir de séduire la « clientèle ». Les manchettes récentes sur le comptoir montréalais uniquement anglophone du cégep de la Gaspésie-et-des-Îles et le projet de cégep bilingue de Vaudreuil ne représentent que la pointe de l’iceberg. Il s’agit d’une tendance de fond. La plupart des cégeps francophones de l’île de Montréal ont essayé, essaient et essaieront de se tourner vers l’anglais pour sauver les meubles. Le MEES vient d’ailleurs d’autoriser de nouveaux devis de programmes en sciences humaines et en sciences pures avec « langue seconde enrichie » : on devine laquelle. Il semble que le réseau collégial français, du moins sur l’île de Montréal, soit en train de se bilinguiser sous nos yeux.

On sait pourtant depuis longtemps que le bilinguisme institutionnel est un cul-de-sac. L’anglais et le français ne peuvent pas cohabiter durablement à l’intérieur d’un même établissement. L’anglais est la langue la plus attractive au monde, tandis que le français est, en Amérique du Nord, une « fleur de serre », comme disait André Laurendeau. Le rapport de force est trop inégal. La bilinguisation du réseau postsecondaire sur l’île de Montréal ne pourrait donc bien être que le prélude à son anglicisation pure et simple — le cas de l’Université « bilingue » d’Ottawa est éloquent à cet égard : y donner des cours en français relève de plus en plus du parcours de combattant.

Vitalité du Québec français

Le réseau collégial français sur l’île de Montréal serait-il donc en train de s’écrouler ? La situation est en tout cas plus que préoccupante. L’éducation supérieure française est déclassée par l’éducation supérieure anglaise dans la métropole du Québec, une province dont 78 % des habitants ont le français comme langue maternelle. La chose est surréaliste. Comprend-on bien que c’est l’outil même qui nous permet de faire notre travail, notre langue, qui est en train de perdre son statut et son prestige ? Comme professeurs francophones, nous commençons à avoir un arrière-goût de langue morte dans la bouche. Une langue n’est pas un moyen de communication neutre, qui peut être changé indifféremment pour un autre, c’est une expérience située du monde, unique et irremplaçable. La dynamique actuelle ne nous demande pas simplement de nous « adapter » : elle invalide notre rapport — français — au monde. Elle nous tasse de côté. Nous, nous ne trouvons pas cela « emballant ».

Il ne s’agit toutefois pas que des intérêts des professeurs de cégeps francophones. Tout d’abord, les intérêts des professeurs d’université sont aussi en jeu, car le choix du cégep anglais est en même temps, pour la plupart des étudiants, le choix de l’université anglaise. Mais laissons de côté ces considérations, disons, « corporatistes ».

Ce dont il est vraiment question ici, c’est de la vitalité du Québec français. L’actuelle poussée vers la bilinguisation n’augure rien de bon à cet égard. Un véritable Québec français est difficilement imaginable sans un réseau d’éducation supérieure francophone complet, intègre et assuré de lui-même dans sa métropole. Comment pourra-t-on continuer à penser et dire le réel, à chercher et à découvrir, à évaluer et à critiquer, à imaginer et à rêver en français, puis passer aux suivants, si les établissements au sein desquels se font prioritairement ces activités basculent vers l’anglais ? Qu’adviendra-t-il de la vie culturelle et intellectuelle au Québec ?

Un point capital est que cette transformation linguistique du réseau postsecondaire engage le trésor public. Il ne s’agit pas seulement des préférences des jeunes Québécois qui choisissent de s’angliciser ; il s’agit aussi de décider si, collectivement, nous voulons subventionner ce choix. Ne serait-ce qu’en tant que contribuables, nous avons notre mot à dire. Le fait est que les Québécois sont en train de financer la marginalisation de leur propre langue dans leurs établissements d’enseignement supérieur. Faut-il vraiment accepter cela ? Au nom de quoi ?

Le droit à une éducation supérieure subventionnée par les contribuables est un droit positif, qui n’est pas du même ordre que le droit à la sécurité ou encore à l’expression. Ce droit peut tout à fait être assorti de certaines conditions si un intérêt public supérieur l’exige. À ce titre, l’intégrité et la continuité du réseau postsecondaire français se qualifient très certainement.

Le gouvernement est précisément en train de réactualiser la loi 101. Le moment n’est-il pas opportun de lui envoyer le message que des mesures cosmétiques ne suffiront pas ? Nous pensons qu’il faut remettre sur la table la question de l’extension des clauses scolaires de la loi 101 au collégial public (ou une mesure équivalente). La situation est critique. Pour le Québec français, il en va de la suite du monde.