Pour Valeurs actuelles, Didier Lemaire, ex-professeur de philosophie à Trappes, a bien voulu se pencher sur la série « L’École de la vie », diffusée sur France 2 depuis le mois d’avril. La saison 5, vivement critiquée sur Twitter pour son très idéologique scénario, confronte notamment le héros, le professeur d’histoire Vincent Picard, à un élève très critique à l’égard de la repentance coloniale, parce que secrètement radicalisé par les thèses de l’extrême droite. L’élève finira d’ailleurs par rejoindre un groupe néonazi et tenter de poignarder un élève d’origine maghrébine. Alors, fantasme ou réalité ?
Médiocre, mais révélateur
Contacté par téléphone, Didier Lemaire confie d’emblée « la souffrance » qu’il a eue à visionner cette série à la fois « d’une incroyable médiocrité » et « intéressante à analyser ». Le professeur de philosophie, actuellement en disponibilité après la polémique autour de Trappes, tient d’abord à se pencher sur le titre de la série, « L’École de la vie », « qui exprime déjà une première confusion, puisqu’il laisse entendre que l’école serait le lieu d’apprentissage de la vie par l’expérience et la pratique, alors que l’école est justement l’inverse, un lieu de transmission du savoir par les livres et l’écrit ». Et d’ajouter : « Philosophiquement, on apprend à vivre… par la vie », tout simplement.
Autre confusion entretenue par la série : l’absence de frontière entre le monde des adultes — « eux-mêmes totalement immatures » — et le monde des élèves. « Cet effacement des âges, cette absence de frontière entre ces deux mondes, rend l’acte de transmission — par nature vertical — impossible. On nage en plein pédagogisme », explique-t-il, avant de pointer le contenu des cours d’histoire du professeur Vincent Picard. « Il n’y a pas d’enseignement dans ses cours, mais seulement des débats — dont le but est de convaincre son adversaire et non pas d’acquérir une connaissance — ou des ateliers vidéo, comme si la dimension scientifique de la matière était totalement évacuée. »
Le bien de gauche remplace le vrai
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Plus exactement, relate Didier Lemaire, en référence à l’enseignement sur la colonisation, « dans les cours de Vincent Picard, le bien remplace le vrai, puisque tout est jugement de valeur, dénaturant ainsi la dimension scientifique de sa discipline ». Ce qui n’est, là encore, absolument pas la vocation de l’histoire, « qui consiste à comprendre le passé, avec les normes des hommes du passé, et non pas à condamner le passé avec les normes du présent ». Et d’ajouter, non sans humour : « C’est comme si je faisais de l’astrologie pendant mes cours de philosophie. » Au fond, précise-t-il, « Vincent Picard ne se comporte pas comme un professeur, mais comme un prêtre ou un idéologue. Il dit ce qui est bien et ce qui est mal ».
Dans sa longue carrière de professeur, Didier Lemaire raconte avoir croisé ce style d’enseignants, « qui prennent leurs représentations idéologiques pour le bien moral » ; une confusion « classique de la gauche française », qui confond par exemple « l’antiracisme universaliste, nécessaire pour protéger l’humanité de chaque personne » et « l’antiracisme racialiste, qui est la sacralisation d’une communauté ou d’une identité fantasmée ».
Même critique sévère sur le choix de représenter la radicalisation d’un élève, non pas vers l’islamisme, comme ce fut le cas dans les classes de Didier Lemaire et dans de nombreuses villes de France, mais vers l’extrême droite. « On a un fantasme total de l’extrême droite », analyse l’ex-professeur de Trappes, pour qui le néo-nazisme est un danger mineur en France. Lui-même d’ailleurs, durant ses 30 années d’enseignement, n’a pas connu d’élèves tombant dans cette idéologie, mais reconnait avoir émis plusieurs signalements pour radicalisation islamiste.
L’école rêvée des gauchistes
Ce qui lui fait dire, entre autres : « Si je devais noter le scénario sur l’échelle du réel, ce serait proche du 0. Ce n’est que la réalité vue à travers un prisme idéologique. Cette série est une dystopie sur l’école rêvée des gauchistes, proche de ce qui se faisait dans les écoles de l’Union soviétique », où Didier Lemaire s’était rendu au cours de sa scolarité pour apprendre le russe, en pleine Guerre froide. « Il y avait la même absence de distance entre les élèves et leurs professeurs. Tout le monde semblait appartenir à la même famille. »
Ce qui nous amène à la dernière remarque, centrale dans la critique de Didier Lemaire : l’amour. « Lorsque l’on regarde cette série, on a l’impression que le lycée est un lieu de relations affectives et amicales, tant dans la vie scolaire, qu’entre les professeurs et leurs élèves ». Il précise : « Les personnages, complètement infantiles, ne cherchent dans l’amour qu’à combler leurs propres failles. C’est le cas par exemple du héros, qui vient de perdre son épouse, et la femme du parc, qui s’est fait plaquer après avoir accouché. » D’ailleurs, s’étonne-t-il encore, « tout le monde est victime : la fille Zoé est victime de sa mère précaire, qui est victime de son mari, qui ne verse pas la pension, etc. ». Même Alex, qui incarne le mal en se radicalisant, est lui aussi victime du manque d’attention de ses parents, qui oublient son anniversaire. Au fond, « Alex est peut-être le seul personnage sympathique de ce film même s’il s’égare complètement, parce que c’est le seul à remettre les choses en question ».
Pour conclure, « la morale de l’histoire serait que le but de l’enseignement c’est d’être aimé de ses élèves, et même de pouvoir leur exposer ses propres failles. Or, qu’il soit aimé ou non, le seul objectif d’un enseignant doit être de faire grandir ses élèves par la connaissance et l’usage de la raison. Il m’est arrivé dans ma carrière de garder des liens amicaux avec des élèves, une fois qu’ils ont grandi, mais ce n’est pas un objectif pédagogique ! »
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