samedi 11 mars 2017

L'école doit-elle faire connaître une histoire honnête du pays ou du monde ou former des historiens ?

Extraits d’une chronique intéressante de Louis Corneiller (que nous avons éreinté pour ses dérives d’un étatisme crispé par ailleurs) sur les objectifs du cours d’histoire à l’école. Nous sommes d’accord avec lui que l’école ne doit pas d’abord chercher à former des historiens, mais d’abord à faire connaître une histoire honnête du pays ou du monde où les élèves grandissent. Notons également que nous ne sommes pas non plus pour un cours d’histoire dont la méthodologie ou les moindres lignes seraient prescrites par l’État. Il est légitime de demander aux écoles d’apprendre les grandes lignes de l’histoire du pays où elles se trouvent, mais pas de leur dire comment l’enseigner en détail. 

[...]

« L’enseignement de l’histoire à l’école publique sème la controverse depuis plus de cent ans un peu partout dans le monde. Le Québec ne fait pas exception à cette règle », écrivent justement Marc-André Éthier et David Lefrançois dans l’introduction de Quel sens pour l’histoire ?, un ouvrage collectif qui se penche sur le nouveau programme (2016) d’histoire du Québec et du Canada au secondaire.

Les six didacticiens ou enseignants qui signent ce manifeste aiment l’histoire autant que moi et souhaitent, eux aussi, que cette matière occupe une place centrale à l’école. Toutefois, sur la manière, nos conceptions divergent.

Un enseignement scientifique

Éthier, Lefrançois et leurs collègues plaident pour un enseignement scientifique de l’histoire. Pour eux, il importe surtout d’apprendre aux élèves à « penser un peu comme le font les historiens », c’est-à-dire, ainsi que le résument Yelle et Déry, « à faire un travail d’analyse critique des sources selon une question posée pour établir des faits historiques et les organiser afin de mieux répondre aux questions d’aujourd’hui » dans une démarche d’enquête. Pour Éthier et Lefrançois, « c’est en faisant de l’histoire que l’on devient historien ».

Cette approche, plus axée sur les compétences que sur les connaissances, s’oppose à l’enseignement traditionnel de l’histoire nationale, fondé sur la transmission d’un récit chronologique des grands événements du passé. Cette histoire-récit, selon les didacticiens, aurait pour défauts d’être anecdotique, d’imposer une banale mémorisation et de reposer « sur la soumission à l’autorité extérieure », alors que la pratique de la pensée historienne qu’ils prônent permettrait le développement de l’esprit critique et de l’autonomie.

Boutonnet déplore d’ailleurs que le nouveau programme reproduise « des formes traditionnelles, conservatrices et obsolètes de l’enseignement de l’histoire nationale qui ne s’appuient sur aucune donnée probante de la recherche récente en didactique ». Demers, quant à elle, s’inquiète du tour nationaliste que prend ce programme aux allures de « roman national ».

Dans Le bonheur d’apprendre (Points, 1997), le journaliste français François de Closets exprimait son désaccord, que je partage, avec cet enseignement scientifique de l’histoire, qui veut faire acquérir aux élèves « les fondements d’un savoir universitaire dans une pure logique de chercheur ».

L’histoire-récit traditionnelle, reconnaissait-il, a des défauts (elle véhicule quelques clichés), mais elle a « le double mérite de passionner les enfants et de leur fournir d’indispensables repères chronologiques ». Elle s’est d’ailleurs bonifiée, depuis, en intégrant à sa narration principalement politique des thèmes relevant de l’histoire sociale (économie, religion, classes sociales, histoire des femmes et des minorités [Note du carnet : ce n’est pas nécessairement une bonification, car on voit bien l’exploitation politique qui en est faite...†]) et en reconnaissant le pluralisme interprétatif (au sujet de la Conquête, des patriotes, de la Confédération).

Éthier et Lefrançois ont peut-être raison de dire que c’est en faisant de l’histoire que l’on devient historien. Toutefois, on peut penser que le rôle de l’école n’est pas de former des historiens, mais des citoyens qui ont une connaissance honnête de l’histoire, comme on n’enseigne pas la littérature pour former des écrivains, mais des lecteurs.

De même, avoir un regard critique sur notre histoire nationale est certes nécessaire, mais encore faut-il d’abord avoir une bonne connaissance de cette dernière avant de la déconstruire, pour ne pas se complaire dans un procès intempestif du passé.





† On voit ainsi les pouvoirs publics sortir des inconnus de l’obscurité historique la plus totale afin d’étayer une conception moderne et souvent importée de l’histoire du pays (par exemple, le mois de l’Histoire des Noirs importé des États-Unis).

À tel point, par exemple, que Postes Canada «  a voulu mettre en avant un personnage historique qui a captivé et émerveillé les esprits, dont l’auréole continue d’étonner les chercheurs, historiens et autres auteurs. » L’émerveillement et l’auréole sont tels qu’il s’agit d’un personnage, Mathieu Da Costa, dont on ne connaît en pratique quasiment rien (on ne sait pas, par exemple, s’il est même venu au Canada, ni s'il était métis plutôt que noir). On comprend l'étonnement... On n’a pour tous documents que de très courtes et vagues mentions à cet homme.

Selon L'Encyclopédie canadienne, «[l]e seul fait connu et vérifiable sur Mathieu da Costa est un document révélant qu’il se trouve en Hollande en février ou mars 1607. » Par un autre document, « plusieurs historiens ont spéculé que da Costa accompagne Pierre Dugua de Mons et Samuel de Champlain lors d’un ou de plusieurs de leurs voyages en Acadie et dans la région du Saint-Laurent. Cette hypothèse est plausible, mais dans les premiers mois de l’exécution de son contrat, il est certain qu’il n’est pas à bord d’un navire à destination de l’Amérique du Nord. Au printemps 1609, il se trouve plutôt à Rouen en Normandie et le 15 juin de cette même année, Bauquemare met fin à son contrat sous prétexte « que ledict n---- s’est deffaict de moi ». En conséquence de quoi « certains historiens remettent en cause sa venue au Canada en raison du manque de preuves historiques ». C'est bien maigre pour un timbre, mais bon il fallait bien trouver quelqu'un pour illustrer l'histoire des minorités ethniques en Nouvelle-France...

Voir comment Radio-Canada décrit cette initiative difficile de Postes Canada de rendre hommage en 2017 à ce personnage historique « énigmatique ». On attend le timbre commémoratif historique sur le 375e anniversaire de la fondation de Montréal de la part de Postes Canada, plutôt qu’un timbre qui célébrerait par exemple le multiculturalisme moderne. À notre connaissance, aucun timbre à caractère historique n’est prévu pour ce 375e anniversaire.


Portrait imaginaire de Mathieu da Costa.

Bien que l’histoire de Mathieu Da Costa demeure incomplète [grand prix de l'euphémisme], l’intérêt pour sa vie et pour le lien unique qu’il avait noué avec notre pays nous rappelle les valeurs de respect, de tolérance et de diversité que les Canadiens chérissent tant.

– Deepak Chopra, Président-directeur général de Postes Canada