Les marins normands au Brésil avant 1555
Les marins français fréquentaient les côtes du Brésil depuis la découverte du Nouveau Monde. Des flottes parties de Honfleur et de Dieppe allaient commercer le bois de braise ou bois brésil, de couleur rouge, si recherché pour la teinture. Cherchant à s’immiscer dans le commerce des épices, les négociants se rabattaient sur les côtes du nord et du sud du Brésil, nouant ici et là des alliances avec les populations, établissant des bases que les Portugais s’efforçaient de détruire.
François Ier n’accepta pas la division du Nouveau Monde entre Espagnols et Portugais, il lança : « Le soleil luit pour moi comme pour tous les autres. Je voudrais bien voir la clause du Testament d’Adam qui m’exclut du partage du monde. » Il obtint du pape Clément VII une révision favorable du traité de Tordesillas : il fut alors convenu que le partage du monde signé en 1494 ne s’appliquait qu’aux terres déjà connues, et non aux « terres découvertes ultérieurement par d’autres couronnes ».
Malgré le programme de colonisation officiellement lancé en 1548 par la monarchie portugaise, des enclaves françaises subsistaient. Au sud, par exemple, dans la capitainerie de Rio de Janeiro, les populations autochtones, menées par leur chef Cunhambebe, s’allièrent avec les Français. L’Amiral de Coligny, futur chef du parti protestant, soutint l’idée d’un poste fortifié en Amérique du Sud, et la baie de Rio semble parfaitement adaptée à ce projet. Ce tournant est significatif : le Brésil devint désormais une affaire d’État pour la France, et non plus une entreprise financée par des fonds privés.
L’expédition de 1555
Le vice-amiral français Nicolas Durant de Villegagnon (ou Villegaignon) partit le 14 août 1555 de Dieppe (après un faux départ du Havre quelques semaines auparavant) avec 600 hommes.
Les navires arrivèrent le 10 novembre dans la baie de Guanabara (baie de Genèvre pour les Français), dont l’entrée est gardée par le Pain de Sucre — que les navigateurs français nommèrent le « Pot de Beurre », l’influence de la cuisine normande sans doute.
Le chevalier de Malte Villegagnon avait reçu le commandement de la flotte mise par Henri II à la disposition de Gaspard de Coligny pour installer une colonie au Brésil.
Il construisit dans la baie sur une île qu’ils baptisent Villegagnon un fort, nommé Fort Coligny en hommage à l’amiral, et sur la terre ferme Henriville.
L’objectif de l’expédition était d’installer des colons pour le commerce avec la France. Au début, les Français furent très bien accueillis par les Indiens les Tupinambas qui voyaient en eux des alliés venus les aider à lutter contre les Portugais.
Bien accueillis par les Tupinambas (Topinambous), les Français peuvent compter sur ceux que l’on appelle les « truchements », des marins le plus souvent normands installés bien avant l’arrivée de Villegagnon parmi les Indiens et partageant leur mode de vie. Ils servaient d’interprètes. Mais les premières tensions apparurent très vite.
Les tribus indiennes longtemps protectrices, frappées par une épidémie,
montrent des signes d’inimitié. En février 1556, une partie des colons,
dont l’aumônier André Thevet, regagne l’Europe.
Appel à Calvin
Désireux de peupler l’île, Villegagnon pria Calvin qu’il connaissait personnellement de lui envoyer des ministres protestants.
Fuyant la France, des protestants rejoignent en mars 1557. Cette seconde expédition avait été mise sur pied par un noble calviniste, Philippe de Corguilleray, avec à son bord deux pasteurs, Pierre Richer, âgé d’une cinquantaine d’années, et Guillaume Chartier, jeune étudiant de théologie de Genève. Outre ces deux ministres du culte, on trouvait également le cordonnier Jean de Léry — qui fera plus tard un récit de son voyage — et neuf autres personnages calvinistes de Genève. L’expédition fut financée par l’amiral réformé Coligny et Villegagnon. L’expédition transportait près de trois cents personnes, dont cinq jeunes filles qui devaient se marier au Brésil et 10 jeunes garçons destinés à devenir des truchements.
Villegagnon, austère, ne supporte pas la nudité des Indiennes et encore moins la manière dont vivent les truchements, intégrés au point de partager les mœurs cannibales de leurs hôtes. Il donne à ses hommes tentés de rejoindre les Indiennes le choix entre le mariage et la pendaison. Villegagnon avait fait « défense à peine de la vie, que nul ayant le titre de chrétien n’habitât avec les femmes des sauvages », ce en quoi Léry le calviniste, souvent très critique du chevalier de Malte, l’approuvait.
La colonie fut secouée par des conflits d’ordre religieux entre réformés et catholiques. La discorde eut pour cause première une divergence d’interprétation quant au sacrement de l’Eucharistie et la Présence réelle ou non du Christ dans l’hostie. Le chevalier défendit fermement le dogme alors que les réformés rejetèrent « ce méchant hérétique dévoyé de la Foi ». À la suite de ces disputes, les calvinistes décidèrent de ne plus participer aux corvées, ce qui leur valut d’être privés de nourriture. Au bout de quelques semaines, ils quittèrent le fort pour trouver refuge sur le continent, au lieu dit « la Briqueterie ». Rentrés en France en 1558, non sans peine, les protestants relatent aussitôt les cruautés infligées aux indigènes et aux colons.
En 1559 Villegagnon retourna en France pour des raisons judiciaires et laissa la colonie aux mains de son neveu Legendre de Bois-le-Compte.
La réaction portugaise
Après une belle résistance française, la petite colonie fut prise par les Portugais d’Estácio en 1560 qui voyaient d’un mauvais œil l’influence française se développer au Brésil.
Cinq ans après sa fondation, ce fut la fin de l’établissement de la France Antarctique.
La résistance se poursuivit néanmoins sur la terre ferme jusqu’en janvier 1567 et le démantèlement ne mit pas à un terme à la présence française. Les incursions corsaires et le commerce interlope se poursuivirent, et la mémoire de la France antarctique inspira l’expérience de la France Équinoxiale de 1612 à 1615 près de l’équateur à Saint-Louis du Maragnan.
Il ne reste guère de vestiges de cette colonisation française à Rio si ce n’est que l’île Coligny est appelée l’île de Villegagnon par les Cariocas, elle abrite aujourd’hui l’école navale de la Marine brésilienne. Jusqu’il y a peu une cotte de mailles d’origine normande datée du milieu du XVIe siècle était un témoin de cette expédition, elle a malheureusement disparu dans l’incendie du Musée national en septembre 2018.
Ci-dessous premier épisode (de deux) du feuilleton Rouge Brésil
Le feuilleton en deux épisodes est intéressant et bien mené. L’acteur suédois qui incarne Villegagnon crève l’écran, on a affaire à de véritables Indiens et non des caractères de carton-pâte. Cependant ce téléfilm n’est pas toujours historique et il n’échappe pas à un exotisme naïf assez moderne.
C’est ainsi que, dans le téléfilm, le ministre calviniste se demande où est la chapelle et s’insurge de son absence, mais selon Jean de Léry (1536-1613) qui se rendit en France antarctique, la salle à Fort Coligny où les calvinistes s’assemblaient servait tant pour manger que pour faire le prêche (chapitre VII), il ne s’en offusque nullement. Et ce sont les « reconquérants » catholiques (tant les Portugais au Brésil que, plus tard, les Espagnols en Floride) qui s’indigneront de l’absence de tout édifice sacré, preuve à leurs yeux du satanisme de ces deux colonies conçues, en partie, comme des refuges calvinistes.
La fin est du plus pur romanesque digne de Dumas. En effet, Villegagnon n’était plus là quand les Portugais attaquèrent et rasèrent le fort en 1560, il était rentré depuis un an en France contrairement à ce que prétend le feuilleton. Just et Colombe sont des personnages de fiction qui se découvrent finalement, dans un retournement rocambolesque, ne pas être frère et sœur. Quant aux colons calvinistes, chassés par l’intransigeance de Villegagnon, ils avaient quitté l’île plus tôt comme on l’a dit pour s’établir sur la terre ferme, ils ne furent donc pas chassés par l’arrivée de la flotte portugaise deux ans plus tard. De nombreux réformés retournèrent en France avec Jean de Léry en janvier 1558. Le 20 janvier 1567, sept ans après la chute de Fort Coligny, les Portugais infligèrent une défaite définitive aux forces françaises restées sur la terre ferme dans la région de Rio et les expulsèrent de cette partie du Brésil.