lundi 28 avril 2014

« L’anglais exclusif en 6e année : une improvisation irresponsable »

Lettre ouverte du 25 mars dernier de Charles Castonguay, professeur retraité de mathématiques à l’Université d’Ottawa.

« Quelle est la meilleure façon d’enseigner l’anglais au Québec ? Nous semblons incapables de nous appuyer sur des données objectives pour trancher la question. Le discours populiste occupe le haut du pavé et l’envolée idéologique tient lieu de raisonnement.

Quel est, par exemple, l’âge optimal pour commencer l’anglais ? Fort du préjugé populaire en faveur de l’apprentissage précoce d’une deuxième langue et sur la foi de quelques « projets pilotes », le gouvernement Bourassa du début des années 1970 a voulu faire commencer l’anglais dès la 1re année. Il tombait mal. À l’époque, une expérience britannique d’envergure concluait qu’à un nombre égal d’heures d’apprentissage, il valait mieux retarder l’enseignement d’une deuxième langue jusqu’à un âge où l’enfant est le plus en mesure d’en profiter.

On est arrivé à ce résultat en Angleterre en suivant un protocole rigoureux. Des dizaines de milliers de sujets expérimentaux ont commencé le français au début du primaire. À la fin du secondaire, on a comparé leur maîtrise du français à celle de dizaines de milliers de sujets témoins qui l’avaient commencé trois ans plus tard, tout en ayant accumulé autant d’heures de français que les sujets expérimentaux.

Des recherches réalisées dans d’autres pays ont abouti au même constat. La commission Larose a par conséquent recommandé en 2001 de ne commencer l’anglais qu’à la fin du primaire, en l’enseignant de façon concentrée au dernier cycle ainsi qu’au secondaire.

Qu’importe. Attentif au seul préjugé populaire, Jean Charest a jugé que le fruit était mûr. En arrivant au pouvoir en 2003, il impose l’anglais en 1re année partout.

En fin de mandat, il refait le coup. Il décrète en 2011 l’enseignement « intensif » de l’anglais en 6e année dans toutes les écoles.

L’expression est trompeuse. Il s’agit de l’enseignement exclusif de l’anglais — à l’exclusion de toutes les autres matières ! — durant la totalité de la seconde moitié de la dernière année du primaire.

Comme d’habitude, le décret ne s’appuie que sur des « projets pilotes » menés par-ci par-là. Toujours avec le même succès, à en croire la Société pour la promotion de l’enseignement de l’anglais au Québec (SPEAQ), un lobby financé par Patrimoine canadien.

Le gouvernement Marois n’a pas mis fin à cette improvisation. Tout au plus a-t-il ralenti la cadence en renvoyant au conseil d’établissement de chaque école la décision de mettre le plan Charest en œuvre ou non. Sur quoi pourra-t-on fonder cette décision ?

Le gouvernement Marois a aussi confié à l’ENAP le soin d’évaluer l’enseignement exclusif de l’anglais en 6e année. Sur quoi l’ENAP s’appuiera-t-elle ?

Une évaluation adéquate comparerait le niveau atteint en anglais, en français et en mathématiques à la fin du secondaire par des sujets expérimentaux passés par l’anglais exclusif en 6e, avec le niveau atteint par des sujets témoins qui auraient bénéficié d’une augmentation identique mais plus étalée du nombre d’heures d’anglais au dernier cycle du primaire et au secondaire.

Comme celle réalisée en Angleterre, une telle évaluation ne se fait pas en criant lapin. Le rapport de l’ENAP ne pourra donc pas être concluant. Or, le temps presse. S’il devient premier ministre, Philippe Couillard s’est engagé à relancer l’anglais exclusif en 6e.

Cet engagement est-il responsable ? L’électeur est réduit à en juger avec les moyens du bord, soit les données du recensement.

La SPEAQ assure qu’après être passé par l’anglais exclusif, « l’élève s’exprime avec aisance et utilise un vocabulaire et des expressions variés dans une multitude de situations ». Quasiment tous devraient donc pouvoir soutenir une conversation en anglais, c’est-à-dire être bilingues selon le recensement. [Un Québec entièrement bilingue est-ce là la seule mesure de succès, de prospérité ?]

Comme exemple de réussite, la SPEAQ cite à répétition le projet pilote d’anglais « intensif » mené dans la Commission scolaire du Lac-Saint-Jean. La CSLSJ s’est appliquée à répandre cette méthode dans ses écoles primaires dès 2005. Le recensement de 2011 devrait par conséquent révéler un niveau élevé de bilinguisme parmi ses écoliers.

Pas du tout. Il n’a compté que 10 % de bilingues parmi les enfants francophones âgés de 10 à 14 ans dans la CSLSJ.

Peut-être est-ce mieux qu’ailleurs ? Non plus. Dans les trois autres commissions scolaires du Saguenay–Lac-Saint-Jean, où l’enseignement « intensif » de l’anglais était moins répandu, le taux correspondant se situait entre 7 et 11 %. Aucune différence significative avec la CSLSJ.

Le niveau était-il encore plus médiocre auparavant ? Pas davantage. En 2006, le taux de bilinguisme était de 9 % parmi les 10-14 ans dans la CSLSJ. Aucune évolution significative, donc.

Le site de Statistique Canada remonte jusqu’au recensement de 2001 pour les agglomérations urbaines. Celle d’Alma regroupe 63 % de la population de la CSLSJ. Le taux de bilinguisme des 10-14 ans y était de 13 % en 2001, 10 % en 2006 et 11 % en 2011.

En définitive, l’anglais spécialement intensif dans la CSLSJ depuis 2005 n’a rien donné de plus que son enseignement plus habituel offert auparavant ou dans les trois commissions scolaires avoisinantes.

La SPEAQ nous assure encore que « les élèves ayant suivi un cours intensif au primaire ont maintenu un niveau élevé de compétence fonctionnelle en anglais [au secondaire] et tiennent à [le] maintenir en lisant, en regardant la télévision, en cherchant des occasions de parler en anglais, en naviguant sur Internet, et ce, tout en anglais ». [En s'assimilant donc à l'anglosphère ?] Or sur le territoire de la CSLSJ, 29 % des 15-19 ans étaient bilingues en 2011, comparativement à un taux variant entre 28 et 30 % dans les trois commissions scolaires avoisinantes. Le taux dans la CSLSJ était de 28 % en 2006.

Rien ne fait ressortir non plus du rang le degré de bilinguisme en 2011 des jeunes francophones du Saguenay–Lac-Saint-Jean et, en particulier, de la CSLSJ, par comparaison avec les taux correspondants en 2011 dans les autres régions administratives à population très fortement francophone. Bref, une surdose d’anglais au dernier cycle du primaire ne serait qu’un coup d’épée dans l’eau, sans effet durable. [Mais quel effet sur la maîtrise des autres matières qui ne sont plus enseignées comme le français ?]

L’efficacité tant vantée de l’anglais «nbsp;intensif » serait-elle une fumisterie ? Les données de recensement indiquent que oui. Certes, elles ne permettent pas d’évaluer l’effet d’un arrêt de l’enseignement des mathématiques et du français, par exemple, à la fin du primaire, sur le degré d’aisance des élèves dans ces matières l’automne suivant, en arrivant au secondaire. Mais de toute évidence, cet effet ne saurait être positif. »

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L'écart de salaire entre diplômés du secondaire et de l'université diminue

Aller à l'école avec pour gagner plus peut constituer une erreur stratégique, selon une étude de Statistique Canada sur l'écart entre les revenus des jeunes diplômés.

L'étude démontre que les diplômés du secondaire ont rétréci l'écart de salaire horaire qui les sépare des diplômés universitaires. Du moins, c'est le cas pour les cohortes étudiées, soit celles des années 2000-2002 à 2010-2012 au Canada. Cette étude ne prend pas en compte le coût d'obtention du diplôme universitaire (endettement et manque à gagner par rapport aux jeunes qui commencent à travailler dès la fin du secondaire).

Les jeunes diplômés du secondaire, âgés de 20 à 34 ans, ont haussé leur salaire horaire pour le faire passer de 68 % à 75 % de celui gagné par leurs congénères détenteurs d'un baccalauréat.

Les femmes du même âge ont également rétréci cet écart, faisant passer leur salaire horaire de 64 % à 68 % de celui d'une détentrice d'un baccalauréat du même âge au cours de la période.

L'essor du secteur pétrolier des années 2000 et l'augmentation marquée du nombre relatif de titulaires d'un baccalauréat sont notamment responsables du rétrécissement de cet écart dans la rémunération horaire en dépit de l'écart de scolarisation.



L'expansion pétrolière et son impact sur la croissance économique seraient ainsi responsables du cinquième de ce rétrécissement d'écart du salaire horaire entre les deux groupes, selon l'étude. L'embellie de l'industrie pétrolière a davantage fait augmenter la demande pour des travailleurs plus faiblement scolarisés.

Le nombre de jeunes femmes titulaires d'un baccalauréat a augmenté de 42 % pendant que le nombre de titulaires d'un diplôme de niveau secondaire augmentait de 5 %.

Chez les hommes, le nombre de bacheliers a augmenté de 30 % au cours de la même période pendant que le nombre de diplômés du secondaire augmentait de 16 %.

L'étude précise que la forte augmentation de bachelières est responsable de 40 % de la réduction de l'écart des salaires chez les femmes, alors que l'augmentation de ce nombre de diplômés n'a eu que peu d'effet sur la variation de l'écart salarial du côté masculin.


En revanche, la différence des taux d'emploi à temps plein s'est accentuée. La proportion des jeunes bachelières occupant un emploi à temps plein est demeurée autour de 63 % au cours de la période, alors que ce taux est passé de 49 % à 44 % pour les diplômées du secondaire.

Chez les hommes, le taux d'occupation d'un emploi à temps plein est passé de 68 % à 61 % pour les diplômés du secondaire pendant qu'il passait de 72 % à 68 % pour les bacheliers.

L'étude « Salaires et taux d'emploi à temps plein des jeunes titulaires d'un diplôme d'études secondaires et des jeunes titulaires d'un baccalauréat, 1997 à 2012 », s'appuie sur les données de l'Enquête sur la population active des jeunes hommes et femmes de 20 à 34 ans de 1997 à 2012.

Résumé

Trois grandes constatations se dégagent de l’étude.

Premièrement, alors que la hausse des prix mondiaux du pétrole qui a eu lieu pendant la plupart des années 2000 a eu tendance à réduire l’avantage salarial lié aux études chez les jeunes hommes ainsi que chez les jeunes femmes, l’effet des autres facteurs déterminants variait selon le sexe. Les augmentations du salaire minimum réel et de l’offre relative de titulaires d’un baccalauréat ont joué un rôle important pour les jeunes femmes, mais pas pour leurs homologues masculins. Les variations du taux de syndicalisation et de l’importance relative de l’emploi temporaire ont eu une incidence sur l’avantage salarial lié aux études chez les jeunes hommes, mais non chez les jeunes femmes.

Deuxièmement, les variations du salaire minimum réel semblent avoir eu un effet double chez les jeunes femmes. Alors que la hausse du salaire minimum réel était associée à une diminution des écarts salariaux entre les niveaux de scolarité, elle était également associée à un accroissement des différences de taux d’emploi rémunéré à temps plein. Ce résultat met en relief le fait que les changements institutionnels pourraient avoir un effet différentiel sur les résultats des travailleurs, c’est-à-dire qu’ils pourraient modifier la structure de la rémunération et de l’emploi de façons différentes.

Troisièmement, la diminution des écarts salariaux entre les jeunes titulaires d’un baccalauréat et ceux titulaires d’un diplôme d’études secondaires occupant un emploi à temps plein a été compensée par un accroissement des différences de taux d’emploi rémunéré à temps plein entre ces deux groupes. Par conséquent, les différences entre les gains hebdomadaires moyens non conditionnels ou la rémunération annuelle moyenne des jeunes titulaires d’un baccalauréat et de ceux titulaires d’un diplôme d’études secondaires ne présentaient aucune tendance durant la période de référence de l’étude. Cette constatation est importante, car elle enrichit le débat sur l’inégalité des gains entre les titulaires d’un baccalauréat et ceux titulaires d’un diplôme d’études secondaires. Elle montre que, même si l’inégalité de la rémunération annuelle entre les deux groupes ne présentait aucune tendance durant les années 2000, l’inégalité des salaires horaires (ou des salaires hebdomadaires) entre les deux groupes s’est amenuisée en raison de plusieurs facteurs, dont les fluctuations du prix du pétrole, la hausse du salaire minimum réel et les effets de l’offre relative de main-d’œuvre. En résumé, après s’être accentuées de 1980 à 2000, les différences de prix de la main-d’œuvre selon le niveau de scolarité ont effectivement diminué chez les jeunes travailleurs au cours des années 2000.

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Idées fausses sur les différences salariales entre hommes et femmes

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Recension de Economic Facts and Fallacies de Thomas Sowell

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