Lettre ouverte du 25 mars dernier de Charles Castonguay, professeur retraité de mathématiques à l’Université d’Ottawa.
« Quelle est la meilleure façon d’enseigner l’anglais au Québec ? Nous semblons incapables de nous appuyer sur des données objectives pour trancher la question. Le discours populiste occupe le haut du pavé et l’envolée idéologique tient lieu de raisonnement.
Quel est, par exemple, l’âge optimal pour commencer l’anglais ? Fort du préjugé populaire en faveur de l’apprentissage précoce d’une deuxième langue et sur la foi de quelques « projets pilotes », le gouvernement Bourassa du début des années 1970 a voulu faire commencer l’anglais dès la 1re année. Il tombait mal. À l’époque, une expérience britannique d’envergure concluait qu’à un nombre égal d’heures d’apprentissage, il valait mieux retarder l’enseignement d’une deuxième langue jusqu’à un âge où l’enfant est le plus en mesure d’en profiter.
On est arrivé à ce résultat en Angleterre en suivant un protocole rigoureux. Des dizaines de milliers de sujets expérimentaux ont commencé le français au début du primaire. À la fin du secondaire, on a comparé leur maîtrise du français à celle de dizaines de milliers de sujets témoins qui l’avaient commencé trois ans plus tard, tout en ayant accumulé autant d’heures de français que les sujets expérimentaux.
Des recherches réalisées dans d’autres pays ont abouti au même constat. La commission Larose a par conséquent recommandé en 2001 de ne commencer l’anglais qu’à la fin du primaire, en l’enseignant de façon concentrée au dernier cycle ainsi qu’au secondaire.
Qu’importe. Attentif au seul préjugé populaire, Jean Charest a jugé que le fruit était mûr. En arrivant au pouvoir en 2003, il impose l’anglais en 1re année partout.
En fin de mandat, il refait le coup. Il décrète en 2011 l’enseignement « intensif » de l’anglais en 6e année dans toutes les écoles.
L’expression est trompeuse. Il s’agit de l’enseignement exclusif de l’anglais — à l’exclusion de toutes les autres matières ! — durant la totalité de la seconde moitié de la dernière année du primaire.
Comme d’habitude, le décret ne s’appuie que sur des « projets pilotes » menés par-ci par-là. Toujours avec le même succès, à en croire la Société pour la promotion de l’enseignement de l’anglais au Québec (SPEAQ), un lobby financé par Patrimoine canadien.
Le gouvernement Marois n’a pas mis fin à cette improvisation. Tout au plus a-t-il ralenti la cadence en renvoyant au conseil d’établissement de chaque école la décision de mettre le plan Charest en œuvre ou non. Sur quoi pourra-t-on fonder cette décision ?
Le gouvernement Marois a aussi confié à l’ENAP le soin d’évaluer l’enseignement exclusif de l’anglais en 6e année. Sur quoi l’ENAP s’appuiera-t-elle ?
Une évaluation adéquate comparerait le niveau atteint en anglais, en français et en mathématiques à la fin du secondaire par des sujets expérimentaux passés par l’anglais exclusif en 6e, avec le niveau atteint par des sujets témoins qui auraient bénéficié d’une augmentation identique mais plus étalée du nombre d’heures d’anglais au dernier cycle du primaire et au secondaire.
Comme celle réalisée en Angleterre, une telle évaluation ne se fait pas en criant lapin. Le rapport de l’ENAP ne pourra donc pas être concluant. Or, le temps presse. S’il devient premier ministre, Philippe Couillard s’est engagé à relancer l’anglais exclusif en 6e.
Cet engagement est-il responsable ? L’électeur est réduit à en juger avec les moyens du bord, soit les données du recensement.
La SPEAQ assure qu’après être passé par l’anglais exclusif, « l’élève s’exprime avec aisance et utilise un vocabulaire et des expressions variés dans une multitude de situations ». Quasiment tous devraient donc pouvoir soutenir une conversation en anglais, c’est-à-dire être bilingues selon le recensement. [Un Québec entièrement bilingue est-ce là la seule mesure de succès, de prospérité ?]
Comme exemple de réussite, la SPEAQ cite à répétition le projet pilote d’anglais « intensif » mené dans la Commission scolaire du Lac-Saint-Jean. La CSLSJ s’est appliquée à répandre cette méthode dans ses écoles primaires dès 2005. Le recensement de 2011 devrait par conséquent révéler un niveau élevé de bilinguisme parmi ses écoliers.
Pas du tout. Il n’a compté que 10 % de bilingues parmi les enfants francophones âgés de 10 à 14 ans dans la CSLSJ.
Peut-être est-ce mieux qu’ailleurs ? Non plus. Dans les trois autres commissions scolaires du Saguenay–Lac-Saint-Jean, où l’enseignement « intensif » de l’anglais était moins répandu, le taux correspondant se situait entre 7 et 11 %. Aucune différence significative avec la CSLSJ.
Le niveau était-il encore plus médiocre auparavant ? Pas davantage. En 2006, le taux de bilinguisme était de 9 % parmi les 10-14 ans dans la CSLSJ. Aucune évolution significative, donc.
Le site de Statistique Canada remonte jusqu’au recensement de 2001 pour les agglomérations urbaines. Celle d’Alma regroupe 63 % de la population de la CSLSJ. Le taux de bilinguisme des 10-14 ans y était de 13 % en 2001, 10 % en 2006 et 11 % en 2011.
En définitive, l’anglais spécialement intensif dans la CSLSJ depuis 2005 n’a rien donné de plus que son enseignement plus habituel offert auparavant ou dans les trois commissions scolaires avoisinantes.
La SPEAQ nous assure encore que « les élèves ayant suivi un cours intensif au primaire ont maintenu un niveau élevé de compétence fonctionnelle en anglais [au secondaire] et tiennent à [le] maintenir en lisant, en regardant la télévision, en cherchant des occasions de parler en anglais, en naviguant sur Internet, et ce, tout en anglais ». [En s'assimilant donc à l'anglosphère ?] Or sur le territoire de la CSLSJ, 29 % des 15-19 ans étaient bilingues en 2011, comparativement à un taux variant entre 28 et 30 % dans les trois commissions scolaires avoisinantes. Le taux dans la CSLSJ était de 28 % en 2006.
Rien ne fait ressortir non plus du rang le degré de bilinguisme en 2011 des jeunes francophones du Saguenay–Lac-Saint-Jean et, en particulier, de la CSLSJ, par comparaison avec les taux correspondants en 2011 dans les autres régions administratives à population très fortement francophone. Bref, une surdose d’anglais au dernier cycle du primaire ne serait qu’un coup d’épée dans l’eau, sans effet durable. [Mais quel effet sur la maîtrise des autres matières qui ne sont plus enseignées comme le français ?]
L’efficacité tant vantée de l’anglais «nbsp;intensif » serait-elle une fumisterie ? Les données de recensement indiquent que oui. Certes, elles ne permettent pas d’évaluer l’effet d’un arrêt de l’enseignement des mathématiques et du français, par exemple, à la fin du primaire, sur le degré d’aisance des élèves dans ces matières l’automne suivant, en arrivant au secondaire. Mais de toute évidence, cet effet ne saurait être positif. »
« Quelle est la meilleure façon d’enseigner l’anglais au Québec ? Nous semblons incapables de nous appuyer sur des données objectives pour trancher la question. Le discours populiste occupe le haut du pavé et l’envolée idéologique tient lieu de raisonnement.
Quel est, par exemple, l’âge optimal pour commencer l’anglais ? Fort du préjugé populaire en faveur de l’apprentissage précoce d’une deuxième langue et sur la foi de quelques « projets pilotes », le gouvernement Bourassa du début des années 1970 a voulu faire commencer l’anglais dès la 1re année. Il tombait mal. À l’époque, une expérience britannique d’envergure concluait qu’à un nombre égal d’heures d’apprentissage, il valait mieux retarder l’enseignement d’une deuxième langue jusqu’à un âge où l’enfant est le plus en mesure d’en profiter.
On est arrivé à ce résultat en Angleterre en suivant un protocole rigoureux. Des dizaines de milliers de sujets expérimentaux ont commencé le français au début du primaire. À la fin du secondaire, on a comparé leur maîtrise du français à celle de dizaines de milliers de sujets témoins qui l’avaient commencé trois ans plus tard, tout en ayant accumulé autant d’heures de français que les sujets expérimentaux.
Des recherches réalisées dans d’autres pays ont abouti au même constat. La commission Larose a par conséquent recommandé en 2001 de ne commencer l’anglais qu’à la fin du primaire, en l’enseignant de façon concentrée au dernier cycle ainsi qu’au secondaire.
Qu’importe. Attentif au seul préjugé populaire, Jean Charest a jugé que le fruit était mûr. En arrivant au pouvoir en 2003, il impose l’anglais en 1re année partout.
En fin de mandat, il refait le coup. Il décrète en 2011 l’enseignement « intensif » de l’anglais en 6e année dans toutes les écoles.
L’expression est trompeuse. Il s’agit de l’enseignement exclusif de l’anglais — à l’exclusion de toutes les autres matières ! — durant la totalité de la seconde moitié de la dernière année du primaire.
Comme d’habitude, le décret ne s’appuie que sur des « projets pilotes » menés par-ci par-là. Toujours avec le même succès, à en croire la Société pour la promotion de l’enseignement de l’anglais au Québec (SPEAQ), un lobby financé par Patrimoine canadien.
Le gouvernement Marois n’a pas mis fin à cette improvisation. Tout au plus a-t-il ralenti la cadence en renvoyant au conseil d’établissement de chaque école la décision de mettre le plan Charest en œuvre ou non. Sur quoi pourra-t-on fonder cette décision ?
Le gouvernement Marois a aussi confié à l’ENAP le soin d’évaluer l’enseignement exclusif de l’anglais en 6e année. Sur quoi l’ENAP s’appuiera-t-elle ?
Une évaluation adéquate comparerait le niveau atteint en anglais, en français et en mathématiques à la fin du secondaire par des sujets expérimentaux passés par l’anglais exclusif en 6e, avec le niveau atteint par des sujets témoins qui auraient bénéficié d’une augmentation identique mais plus étalée du nombre d’heures d’anglais au dernier cycle du primaire et au secondaire.
Comme celle réalisée en Angleterre, une telle évaluation ne se fait pas en criant lapin. Le rapport de l’ENAP ne pourra donc pas être concluant. Or, le temps presse. S’il devient premier ministre, Philippe Couillard s’est engagé à relancer l’anglais exclusif en 6e.
Cet engagement est-il responsable ? L’électeur est réduit à en juger avec les moyens du bord, soit les données du recensement.
La SPEAQ assure qu’après être passé par l’anglais exclusif, « l’élève s’exprime avec aisance et utilise un vocabulaire et des expressions variés dans une multitude de situations ». Quasiment tous devraient donc pouvoir soutenir une conversation en anglais, c’est-à-dire être bilingues selon le recensement. [Un Québec entièrement bilingue est-ce là la seule mesure de succès, de prospérité ?]
Comme exemple de réussite, la SPEAQ cite à répétition le projet pilote d’anglais « intensif » mené dans la Commission scolaire du Lac-Saint-Jean. La CSLSJ s’est appliquée à répandre cette méthode dans ses écoles primaires dès 2005. Le recensement de 2011 devrait par conséquent révéler un niveau élevé de bilinguisme parmi ses écoliers.
Pas du tout. Il n’a compté que 10 % de bilingues parmi les enfants francophones âgés de 10 à 14 ans dans la CSLSJ.
Peut-être est-ce mieux qu’ailleurs ? Non plus. Dans les trois autres commissions scolaires du Saguenay–Lac-Saint-Jean, où l’enseignement « intensif » de l’anglais était moins répandu, le taux correspondant se situait entre 7 et 11 %. Aucune différence significative avec la CSLSJ.
Le niveau était-il encore plus médiocre auparavant ? Pas davantage. En 2006, le taux de bilinguisme était de 9 % parmi les 10-14 ans dans la CSLSJ. Aucune évolution significative, donc.
Le site de Statistique Canada remonte jusqu’au recensement de 2001 pour les agglomérations urbaines. Celle d’Alma regroupe 63 % de la population de la CSLSJ. Le taux de bilinguisme des 10-14 ans y était de 13 % en 2001, 10 % en 2006 et 11 % en 2011.
En définitive, l’anglais spécialement intensif dans la CSLSJ depuis 2005 n’a rien donné de plus que son enseignement plus habituel offert auparavant ou dans les trois commissions scolaires avoisinantes.
La SPEAQ nous assure encore que « les élèves ayant suivi un cours intensif au primaire ont maintenu un niveau élevé de compétence fonctionnelle en anglais [au secondaire] et tiennent à [le] maintenir en lisant, en regardant la télévision, en cherchant des occasions de parler en anglais, en naviguant sur Internet, et ce, tout en anglais ». [En s'assimilant donc à l'anglosphère ?] Or sur le territoire de la CSLSJ, 29 % des 15-19 ans étaient bilingues en 2011, comparativement à un taux variant entre 28 et 30 % dans les trois commissions scolaires avoisinantes. Le taux dans la CSLSJ était de 28 % en 2006.
Rien ne fait ressortir non plus du rang le degré de bilinguisme en 2011 des jeunes francophones du Saguenay–Lac-Saint-Jean et, en particulier, de la CSLSJ, par comparaison avec les taux correspondants en 2011 dans les autres régions administratives à population très fortement francophone. Bref, une surdose d’anglais au dernier cycle du primaire ne serait qu’un coup d’épée dans l’eau, sans effet durable. [Mais quel effet sur la maîtrise des autres matières qui ne sont plus enseignées comme le français ?]
L’efficacité tant vantée de l’anglais «nbsp;intensif » serait-elle une fumisterie ? Les données de recensement indiquent que oui. Certes, elles ne permettent pas d’évaluer l’effet d’un arrêt de l’enseignement des mathématiques et du français, par exemple, à la fin du primaire, sur le degré d’aisance des élèves dans ces matières l’automne suivant, en arrivant au secondaire. Mais de toute évidence, cet effet ne saurait être positif. »
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