samedi 12 novembre 2022

À l'usage, l’écriture dite « inclusive » se révèle excluante

Texte paru dans La Dépêche du Midi en marge de la publication de l’ouvrage collectif intitulé Malaise dans la langue française. Pour La Dépêche, Sami Biasoni, qui a dirigé le projet, revient sur les questions soulevées par les signataires. 

 — Selon vous, le langage inclusif perturberait l’évolution de la langue française ?

— Ces personnes, favorables à l’écriture inclusive, pensent qu’on peut changer la langue française à l’image d’un produit mécanique. Mais nous pensons que de telles tentatives sont dommageables, car il ne faut pas oublier que nous avons affaire à un bien commun. On ne peut accepter, sans débattre, qu’il soit confisqué par certains aux revendications militantes queer ou wokistes, en vue d’être remanié et imposé à tous. D’ailleurs, à l’image du wokisme, qui pouvait avoir des aspirations justes, il y a des conséquences et une forme d’irresponsabilité dans ce mouvement.

Des femmes tués ?

— Pourquoi ne serait-il pas envisageable de modifier radicalement notre langue ?

— D’une part, parce que la langue se forme dans et par le temps. Elle est le résultat d’usages « naturels » entre des groupes d’individus libres de leurs choix langagiers et non pas de confrontations directes, au sens politique du terme. Ici, nous faisons face à une démarche forcée, c’est-à-dire que l’on vient édicter des règles, non pas parce qu’elles sont nécessaires à la langue, mais parce que d’aucuns estiment que les critères qui doivent prévaloir sont des critères de nature morale qui sont ceux des théories de la déconstruction. Par exemple, si via l’usage du point médian [ndlr : utilisé pour tenter de regrouper au sein d’un même mot le masculin et le féminin], on met les Françaises avant les Français, on peut sous-entendre que vous avez fait un choix de préférence sociale. C’est extrêmement dangereux. 


 

— Vous parlez de conséquences, quelles seraient-elles ?

— Dans l’ouvrage, Mazarine M. Pingeot évoque une ligne de fracture entre « nous et eux ». Ce « nous » désigne ceux qui détiennent le capital social et symbolique — les intellectuels, les milieux académiques — et qui sont capables de suivre ces évolutions très rapides de la langue et de comprendre pourquoi « iel » [ndlr: pronom qui évoquerait selon ses partisans une personne, quel que soit le « genre » qu’il prétend avoir] existe. Le « eux », c’est la grande majorité des Français qui récuse très fortement les formes dites « inclusives » dont il est question.

— Vous insinuez que l’inclusif pourrait mettre en difficulté certains Français ?

 Les grandes associations qui luttent contre la dyspraxie et la dyslexie le disent très clairement, de nombreux parents, personnels éducatifs ou psychologues également : il s’agit d’une difficulté supplémentaire majeure dans l’acquisition des compétences de lecture et d’écriture pour les enfants, notamment pour ceux qui se trouvent déjà en difficulté. C’est là une autre ligne de fracture : lorsque l’on ne maîtrise pas la langue et ses subtilités, on risque l’exclusion du monde du travail, comme du champ démocratique. C’est notamment en cela que l’écriture dite « inclusive » se révèle, à l’usage, excluante.

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