mardi 30 avril 2024

Jonathan Haidt : les écoles devraient interdire les téléphones, donner aux enfants la possibilité de grandir et de jouer en groupe

Dans son article à succès paru au début mars dans The Atlantic, " Le coût terrible d'une enfance basée sur le téléphone ", le cofondateur de Let Grow (laisser grandir), Jonathan Haidt, affirme que notre culture a tout faux lorsqu'il s'agit des enfants : Nous les "sous-protégeons" dans le monde virtuel et les surprotégeons dans le monde réel.

C'est le pire des deux mondes si l'on veut élever des enfants sains et heureux.

Ce qui se passe lorsque nous sous-protégeons les enfants dans le monde virtuel

L'article insiste beaucoup sur la façon dont les téléphones intelligents, apparus il y a une quinzaine d'années, ont "recâblé" l'enfance. Ils y sont parvenus en partie en plongeant les enfants (et le reste d'entre nous) dans un maelström de "j'aime", de comparaisons et d'informations erronées. Mais les téléphones ont également altéré la vie des enfants en leur faisant perdre le temps qu'ils passeraient dans le monde réel à courir, jouer, flirter, explorer et même dormir. Ce sont des choses dont les enfants ont besoin, mais qu'ils ne font pas assez.

Résultat ? Une génération de jeunes de plus en plus déprimés, anxieux et qui se font du mal, explique Haidt. Ses graphiques susciteront la peur dans le cœur de tous les parents :

Graphique tiré de l'article de The Atlantic sur l'automutilation

Mais Haidt ne se contente pas de dénoncer. Il propose quatre solutions. Trois d'entre elles concernent les téléphones : Les retirer des écoles, de l'arrivée à la sortie. Ne pas laisser les enfants posséder un téléphone intelligent avant l'âge de 14 ans. Et empêcher tout le monde d'utiliser les médias sociaux jusqu'à l'âge de 16 ans.

Ne pas surprotéger les enfants dans le monde réel

Son quatrième et dernier plaidoyer ? Redonner aux enfants un peu d'indépendance et de liberté de jeu. Pour ce faire, les écoles et les parents devraient se tourner vers les organisations qui œuvrent en faveur d'une enfance plus ludique et plus autonome. Plus précisément :

L'une des organisations que j'ai cofondées, LetGrow.org, propose une variété de programmes simples [gratuits] pour les parents ou les écoles, tels que le cercle de jeu (les écoles gardent la cour de récréation ouverte au moins un jour par semaine avant ou après l'école, et les enfants s'inscrivent pour jouer sans téléphone, avec des âges différents et de manière non structurée, comme activité hebdomadaire régulière) et l'expérience Laissez Grandir (une série de devoirs pour lesquels les élèves - avec l'accord de leurs parents - choisissent quelque chose à faire par eux-mêmes qu'ils n'ont jamais fait auparavant, comme promener le chien, grimper à un arbre, marcher jusqu'à un magasin ou cuisiner un dîner).

Comme le dit Haidt :

Ce serait une erreur de négliger cette quatrième norme. Si les parents ne remplacent pas le temps passé devant un écran par des expériences réelles impliquant des amis et des activités indépendantes, l'interdiction des appareils sera ressentie comme une privation, et non comme l'ouverture d'un monde aux multiples possibilités.

Voir aussi

lundi 29 avril 2024

Colombie-Britannique renonce à décriminaliser la drogue en public suite à un tollé sur l'insécurité engendrée


Bien que le Premier ministre de la Colombie-Britannique, David Eby (Nouveau Parti démocratique, à gauche du spectre politique), ait déjà défendu le projet pilote de décriminalisation des drogues de la province, il a finalement décidé d’y mettre un terme.

La Colombie-Britannique est revenue sur son projet pilote de décriminalisation des drogues, et interdit désormais la consommation de drogues dans tous les espaces publics, y compris les hôpitaux, les transports en commun et les parcs.

Ce revirement ne criminalise pas la possession de drogues dans les résidences privées ou dans les sites de prévention des surdoses et les lieux de contrôle des stupéfiants.

La province a inversé sa politique à la suite des critiques formulées par les maires, les politiciens provinciaux et fédéraux, et d’un récent tollé de la part des professionnels de la santé qui se sont sentis menacés par des patients consommant des drogues dans les hôpitaux.

« Notre priorité absolue est d’assurer la sécurité des personnes. Bien que nous soyons attentifs et compatissants à l’égard des personnes qui luttent contre la toxicomanie, nous n’acceptons pas les désordres de la rue qui font que les communautés ne se sentent pas en sécurité », a déclaré M. Eby.

La semaine dernière, de hauts responsables de la police ont témoigné devant une commission parlementaire, indiquant que le projet pilote de décriminalisation de la Colombie-Britannique ne comportait pas suffisamment de garde-fous pour maintenir l’ordre public.

Ce changement intervient le jour même où la ministre de la Santé mentale de la Colombie-Britannique, Jennifer Whiteside, a rencontré son homologue fédérale, Ya'ara Saks, à Vancouver, pour demander au gouvernement libéral d’aider la province à résoudre son problème de consommation de drogues dans l’espace public.

Par ailleurs, le NPD doit faire face à des élections cette année et les partis d’opposition, notamment le Parti conservateur de la Colombie-Britannique et BC United, se sont engagés à revenir sur la décriminalisation.

M. Whiteside a demandé à M. Saks de l’aider à renforcer la surveillance des lieux de consommation de drogue.

La police aura désormais la possibilité de lutter contre la consommation de drogues dans tous les espaces publics, mais les arrestations pour possession de drogues illégales ne pourront avoir lieu que dans des « circonstances exceptionnelles ».

« Nous prenons des mesures pour nous assurer que la police dispose des outils dont elle a besoin pour garantir des communautés sûres et confortables pour tout le monde, alors que nous élargissons les options de traitement pour que les gens puissent rester en vie et se rétablir », a ajouté M. Eby.

La police est encouragée à demander aux toxicomanes de partir, à saisir les drogues et, en dernier recours, à les arrêter si nécessaire.

Le ministre de la Sécurité publique de la Colombie-Britannique, Mike Farnworth, a déclaré que la province continuerait à cibler les bandes et les organisations criminelles qui fabriquent et trafiquent des drogues toxiques, tout en prenant des mesures pour interdire la consommation de drogues dans les espaces publics.

« Nos communautés sont confrontées à de grands défis. Des gens meurent à cause des drogues létales de rue, et nous sommes conscients des problèmes liés à l’usage public et au désordre dans nos rues », a déclaré M. Farnworth.

Le personnel hospitalier a également signalé une augmentation de la consommation de substances illicites dans les chambres et les salles de bains des patients, y compris dans les services de maternité, ce qui, selon lui, met en péril la sécurité du personnel et des patients.

Outre l’interdiction de la consommation de drogues dans les hôpitaux, la province a déclaré qu’elle améliorerait la sécurité des patients, des visiteurs et du personnel soignant.

Les patients admis dans les hôpitaux seront interrogés pour savoir s’ils ont un problème de drogue. S’ils répondent par l’affirmative, ils bénéficieront d’un soutien et d’une surveillance médicale pour s’assurer qu’ils reçoivent des soins personnalisés afin de les aider à gérer leur dépendance et leurs problèmes médicaux.

Le ministre de la Santé de la Colombie-Britannique, Adrian Dix, s’est félicité de la manière dont la nouvelle politique rendra les hôpitaux plus sûrs.

« Le plan d’action lancé aujourd’hui améliorera la manière dont les patients souffrant d’une dépendance sont soutenus lorsqu’ils ont besoin de soins hospitaliers, tout en évitant que d’autres personnes soient exposées aux effets secondaires de la consommation de drogues illicites », a déclaré M. Dix.

Tout en interdisant les drogues, la province accroît la disponibilité et l’accessibilité des opioïdes pour les personnes qui en sont dépendantes.

La province a déclaré qu’elle intégrerait les services d’aide aux toxicomanes dans les soins de santé, le logement et d’autres services connexes. La Colombie-Britannique a également fait part de son intention de travailler avec des experts pour « développer des méthodes permettant de suivre les solutions de remplacement prescrites dans le but d’identifier et de prévenir les détournements ».

La consommation de drogues illégales a explosé sur les plages, dans les parcs et dans les hôpitaux de la Colombie-Britannique depuis que le projet de décriminalisation de la province a été mis en œuvre le 31 janvier 2023, ce qui a suscité de vives réactions de la part du public.

Les consommateurs de drogues étaient autorisés à posséder et à utiliser de petites quantités de diverses drogues toxiques, comme le fentanyl, en public, sans être arrêtés ni subir de conséquences juridiques.

Les maires de toute la Colombie-Britannique ont qualifié de « crise » la consommation généralisée de drogues en public.

La Colombie-Britannique a enregistré un record d’au moins 2 511 décès présumés dus à la consommation de drogues illégales en 2023, malgré le projet pilote de décriminalisation en cours.

Quand les Français étaient fiers et heureux de lire des livres

L’effondrement de la lecture chez les plus jeunes suscite l’inquiétude. Le livre imprimé était révéré depuis Gutenberg. Et cette histoire fait comprendre la rupture vertigineuse que nous vivons.

Pause lecture dans l’herbe, en 1933

La jeunesse française lit de moins en moins, selon une étude récente du Centre national du livre (nos éditions du 9 avril). Le livre imprimé perd son prestige pour la génération née à l’ère d’internet, qui vit saturée d’écrans. Et seul le recul de l’histoire permet de mesurer ce qui se déroule sous nos yeux incrédules.

Le mot «livre» vient du latin liber, qui désigne à l’origine la partie de l’écorce de l’arbre utilisée pour porter un texte écrit. Imaginons un Romain cultivé qui, au Ier siècle après J.-C., lisait Virgile. Le lecteur tenait de la main droite le rouleau-livre (volumen) en papyrus d’Égypte et le déroulait de la main gauche à mesure qu’il progressait dans sa lecture. Dès le début du IIe siècle, ce rouleau est supplanté par des pages de parchemin cousues ensemble, moins chères, aptes à contenir davantage de caractères et plus maniables. D’ordinaire, on ne lisait pas en silence, mais à haute voix. Les adeptes de la lecture silencieuse, peu nombreux, étaient parfois regardés comme des originaux. Dans ses Confessions, saint Augustin rapporte avec surprise que l’évêque de Milan, saint Ambroise, lisait ainsi. Ces habitudes de lecture changent au Moyen Âge dans l’occident latin. Dans les monastères, la lecture à haute voix devient collective et cousine du chant liturgique. La lecture à voix basse (ruminatio)a pour but de mémoriser les textes sacrés pour mieux les retranscrire, et s’en nourrir l’âme. Mais il arrive aussi que des scribes monastiques lisent en silence. Aux XIIe et XIIIe siècles, cette dernière façon de lire est adoptée par les universitaires, eux-mêmes des clercs, puis, aux XIVe et XVe siècles, par aristocrates et humanistes. En 1454-1455, le premier ouvrage que Gutenberg choisit de fabriquer avec une presse à imprimer est le livre par excellence dans l’europe de l’époque : la Bible. Grâce à l’imprimerie, une production standardisée, rapide, à grande échelle et à un coût moindre devient possible, et rencontre le désir des humanistes de revenir au texte biblique en écartant les œuvres qui le commentaient. L’humanisme, au XVIe siècle, invite aussi, par la lecture, à redécouvrir les chefs-d’œuvre de l’antiquité et à étancher une soif de savoir nouvelle.

Montaigne n’éprouve aucun scrupule à annoter les ouvrages de sa bibliothèque pour pallier sa mauvaise mémoire. Au type de lecteurs distingués qu’il représente s’ajoutent des amateurs de romans (de chevalerie, et, surtout au XVIIe siècle, d’amour ou d’aventure). Le nombre de pages ne fait pas peur : Clélie, histoire romaine, de Mme de Scudéry, fait 10 volumes, parus entre 1654 et 1660. D’autres auteurs sont plus «grand public» et il est courant que des paysans ne sachant pas lire s’assemblent, à la veillée, autour d’une figure locale qui leur fait la lecture. Cervantès le dépeint dans Don Quichotte. Au XVIIIe siècle, le nombre de livres en circulation bondit. Une gravure d’après Greuze, La Bonne Éducation (1766), représente une jeune paysanne qui a appris à lire et fait la lecture à ses parents émus. La lecture personnelle devient l’objet d’un investissement affectif nouveau à mesure qu’apparaissent les prémices de l’individualisme. La Nouvelle Héloïse (1761) de Rousseau est un des livres les plus lus de son temps. Les passionnés apprennent par cœur leurs passages préférés du roman, ce qui ne semble pas avoir été le cas à ce degré dans les siècles antérieurs. Des âmes sensibles écrivent à l’auteur, s’épanchent et sollicitent parfois l’honneur d’un entretien. Le grand écrivain devient le directeur de conscience du lecteur, concurrençant le clerc.

Stendhal, dans Le Rouge et le Noir (1830) dépeint Julien Sorel dévorant le Mémorial de Saint-Hélène jusqu’à en oublier la scierie paternelle qu’il est chargé de surveiller. Le vieux paysan vitupère son fils, qu’il appelle « chien de lisard ». L’étude, donc la lecture, représente plus que jamais, au XIXe siècle, l’accès au savoir et l’espoir d’une ascension sociale. Mais aussi la soif de connaissance par ambition purement intellectuelle. Lycéen, Champollion apprend, outre le latin et le grec, l’hébreu, le syriaque et le chaldéen. Ce goût de l’absolu dans l’ordre de l’esprit, très présent au XIXe siècle, fertile en œuvres à l’ambition prométhéenne, Balzac le décrit dans Louis Lambert (1832). « Dès lors, la lecture était devenue chez lui une espèce de faim que rien ne pouvait assouvir », écrit l’auteur au sujet de son personnage, pensionnaire chez les Oratoriens de Vendôme. La création d’une école primaire dans chaque commune de plus de 600 habitants, gratuite pour les enfants de familles pauvres, et la constitution d’un corps d’instituteurs (loi Guizot de 1833); les lycées de jeunes filles (loi Duruy de 1867) ; l’école primaire obligatoire, gratuite et laïque (lois Ferry de 1881-1882) font entrer la lecture dans l’ère des masses. Sous la IIIe République naissante, en 1877, un manuel scolaire pour l’apprentissage de la lecture, Le Tour de France par deux enfants, devient le bréviaire de générations d’écoliers. La révérence pour le livre sérieux et le sa(1953), voir se manifestent aussi par les cours du soir pour adolescents (il était courant de travailler dès 13 ans) et adultes dispensés par les « hussards noirs de la République» et des sociétés philanthropiques. En 1900, l’alphabétisation des Français est quasi générale. Toute la nation est entrée dans la culture écrite. Journaux et hebdomadaires fleurissent, proposés à prix modique. Les classiques des belles lettres coexistent avec la littérature populaire et de jeunesse où triomphent des genres anciens, comme le roman d’aventures, ou nouveaux, tel le roman policier (en particulier avec Arsène Lupin de Maurice Leblanc), souvent publié d’abord en feuilleton. La France s’enorgueillit alors de la réputation flatteuse d’être une nation littéraire, en raison d’un lien séculaire entre l’état, la politique et les lettres.

Des professeurs s’inquiètent pourtant. Avant même la Grande Guerre, «la langue courante s’est altérée, surtout à Paris, sous l’action des articles de journaux écrits à la hâte et par l’adoption de termes de la langue administrative et des expressions barbares ou étrangères employées dans la publicité commerciale », estime en 1933, au soir de sa vie, une figure de la Sorbonne, Charles Seignobos. Le radical poursuit cependant : «Mais l’instruction donnée dans les écoles et l’exemple des écrivains soucieux de la correction du style ont maintenu l’usage de la langue, et même de la prononciation, à peu près conforme à la tradition» (Histoire sincère de la nation française, rééditée chez Bartillat). À la même époque, Georges Duhamel, revenu horrifié d’un voyage aux États-unis, sonne le tocsin dans Scènes de la vie future (1930). À l’en croire, la civilisation de son pays, et donc au premier chef la lecture, sont menacés par les moeurs d’outre-atlantique. « L’Amérique semble prendre à cœur de précéder le reste de l’humanité dans la voie des pires expériences », écrit Duhamel. Tout le heurte aux États-unis : les gratte-ciel, le culte de la voiture, la mécanisation, le matérialisme qu’il croit voir partout. Mais le pire fléau pour Duhamel, c’est le bruit qui tue le silence indispensable à la lecture. L’écrivain soutient aussi que la radio habitue au règne de l’oralité, à l’à-peu-près, au délayage. Le secrétaire perpétuel de l’académie française précise plus tard sa critique : « Les auditeurs lettrés, dès qu’ils écoutent la radio, sont indisposés non seulement par l’extrême confusion des éléments de connaissance répandus au gré des ondes, mais encore par la faible quantité de substance intellectuelle vraiment nutritive qui se trouve diluée dans ce torrent de bruit » (séance publique annuelle des cinq académies, 25 octobre 1938).

Ces craintes, longtemps, ont paru démenties par les faits. Tout paraît concourir à la bonne santé de la lecture dans la France des Trente Glorieuses : besoin d’évasion de la jeunesse, lancement du livre de poche qualité du lycée et considération pour la littérature. Il en va tout autrement aujourd’hui. La fermeture de la célèbre librairie des PUF, qui trônait place de la Sorbonne à Paris, et son remplacement par un magasin de vêtements en 2006, ont pris valeur de symbole. Au règne des écrans s’ajoutent un déferlement d’anglicismes sans nécessité et un relâchement quasi général de la langue. L’appauvrissement du vocabulaire est manifeste dans les livres pour enfants et le passé simple, proscrit. Dans la traduction de 1955 du Club des cinq et le passage secret, encore vendue dans les années 1970, on lit : «Puis, ce fut le matin du départ. Dans une atmosphère de bruyante allégresse, les élèves de Clairbois achevèrent de boucler et d’étiqueter leurs valises. On attendit ensuite l’arrivée des autocars qui devaient transporter les pensionnaires et leurs bagages à la gare. Les minutes semblaient interminables. Enfin, les lourds véhicules franchirent les grilles du parc et vinrent s’arrêter devant le perron de la pension. Ils furent pris d’assaut en quelques instants par les jeunes voyageuses impatientes.» Or ce passage, dans l’édition de 2006, devient : « Arrive le matin du départ. Dans un brouhaha incessant, les élèves de Clairbois achèvent de boucler leurs valises avant de se précipiter dans les cars qui les emmèneront à la gare.» Plus loin, en 1955 : « Bientôt, les enfants virent déboucher la locomotive, coiffée d’un panache de fumée. » La phrase devient, en 2006 : « Bientôt, les enfants voient déboucher le train. »

Une partie de la nouvelle génération, née à l’heure d’internet, récuse comme scandaleuse l’idée d’une hiérarchie des livres et des écrivains où trôneraient, à son sommet, les chefs-d’oeuvre de la littérature légués par les siècles. Affirmer la supériorité de Chateaubriand ou de Victor Hugo sur une personnalité « vue à la télé » ou un livre de « dark romance » fabriqué de façon industrielle est souvent ressenti comme une offense à la démocratie. L’égale valeur de tout livre imprimé prend pour de nombreux jeunes gens un caractère d’évidence. Dans ce relativisme général, le libre choix du consommateur doit prévaloir, ce qui autorise toutes les démagogies. Jean-Michel Delacomptée, à qui on emprunte l’exemple du «Club des cinq», l’a souligné dans un magnifique essai, Notre langue française (Fayard, 2018). Il s’inquiète de voir louées, jusque par l’éducation nationale, « des œuvres de fiction publiées depuis peu et qui, outre une valeur incertaine, coincent dans leur époque les juvéniles lecteurs. Ouvrir ces romans, c’est allumer la télévision. Pas seulement celle des séries américaines, mais des “news”, avec une prédilection pour le sanglant, les faits divers sordides, ainsi que pour les drames politiques et les questions sociales toujours abordés sous l’angle du conformisme esthétique et moral. »

Il demeurera toujours, peut-on espérer, des lieux pour étudier les géants de la littérature, de tous les collèges et lycées qui ont la chance de bénéficier de professeurs de français exigeants jusqu’aux hypokhâgnes et khâgnes. Et il y aura toujours, assurément, des lecteurs pour les chefs-d’œuvre. Reste à savoir combien.



samedi 27 avril 2024

« Les enfants du Québec ne vont pas très bien »

Jérôme Blanchet-Gravel reçoit Joël Monzée aux grandes entrevues. Docteur en neurosciences, conférencier et auteur de plusieurs livres, notre invité constate que « les gens vont de moins en moins bien au Québec ».

jeudi 25 avril 2024

Chine — La sort des diplômés serait bien pire qu'on ne le pensait

C’est à peu près à cette époque que, chaque année, les entreprises se rendent sur les campus universitaires chinois à la recherche d’employés potentiels. Cette année, l’ambiance est morose. Lors d’un salon de l’emploi à Wuhan, une entreprise cherchait à embaucher des stagiaires en gestion, mais elle ne voulait que des diplômés d’élite et n’offrait que 1 000 yuans (140 dollars américains) par mois, selon un message qui est devenu viral sur les médias sociaux. Lors d’un salon à Jilin, la plupart des postes annoncés nécessitaient des diplômes de haut niveau, a déclaré en ligne un futur diplômé. « La prochaine fois, ce n’est pas la peine de nous inviter. » Une autre a déploré que les entreprises n’embauchent pas. Le processus de recrutement est « un leurre », a-t-elle écrit.

Les données dressent un tableau tout aussi sombre. Le taux de chômage des personnes âgées de 16 à 24 ans dans les villes a atteint un niveau inégalé de 21,3 % en juin dernier. C’était sans doute trop embarrassant pour le gouvernement chinois, qui a donc cessé de publier la série de données tout en modifiant ses calculs afin d’exclure les jeunes à la recherche d’un emploi pendant leurs études. (Les États-Unis, la Grande-Bretagne et de nombreux autres pays incluent ces étudiants dans le calcul de leurs taux.) Les nouveaux chiffres sont moins élevés, mais toujours aussi décourageants : en mars, 15,3 % des jeunes des villes étaient au chômage. C’est presque trois fois plus que le taux de chômage national.

Pour les jeunes diplômés, la situation est probablement encore plus désastreuse. La Chine ne publie pas de taux de chômage pour cette cohorte. Mais The Economist a passé au peigne fin les données du recensement décennal du pays et de ses annuaires statistiques afin de produire une estimation. D’après ses calculs (y compris les étudiants à la recherche d’un emploi), le taux de chômage des jeunes de 16 à 24 ans ayant suivi des études universitaires était de 25,2 % en 2020, dernière année pour laquelle des données de recensement sont disponibles. Ce taux était 1,8 fois supérieur au taux de chômage de l’ensemble des jeunes à l’époque.

Il se peut que la situation se soit améliorée depuis 2020 ou que les variables affectant ces calculs aient changé de manière imprévisible. Mais il est également possible que la situation ait empiré. Pour simplifier, si l’on suppose que la relation proportionnelle de 2020 se maintient, plus d’un tiers des jeunes diplômés pourraient être au chômage aujourd’hui.

L’une des raisons de penser que la situation actuelle ne s’améliore pas est que la proportion de diplômés par rapport aux jeunes chômeurs augmente plus rapidement que ne l’expliquent les tendances démographiques générales (voir le graphique 1 de la page suivante). Les diplômés des universités et des établissements d’enseignement professionnel et technique représenteront 70 % des jeunes chômeurs en 2022, contre 9 % il y a vingt ans. En pourcentage de la population des jeunes, ces diplômés représentaient 47 % en 2020.

L’atonie relative de l’économie chinoise est au moins en partie responsable de cette situation. La demande de diplômés stagne. Dans le même temps, l’offre de diplômés augmente. Cette année, près de 12 millions d’étudiants devraient obtenir un diplôme d’un établissement d’enseignement supérieur, soit une augmentation de 2 % par rapport à l’année dernière. Entre 2000 et 2024, le nombre de diplômés chinois par an a plus que décuplé (voir graphique 2).



Cette tendance remonte à Min Tang, un économiste chinois qui a proposé d’augmenter le nombre d’inscriptions dans l’enseignement supérieur pour faire face à la crise financière asiatique de la fin des années 1990. Selon lui, une telle politique aurait pour effet de retarder l’entrée des jeunes sur le marché du travail et de stimuler l’économie par le biais des dépenses en éducation. Le gouvernement a adopté son plan, qui a coïncidé avec des changements sociétaux allant dans le même sens. Les enfants nés dans le cadre de la politique de l’enfant unique ont commencé à atteindre l’âge adulte en 1999. La taille des familles étant limitée, les parents avaient plus de moyens à consacrer à chaque (rare) enfant et étaient davantage incités à encourager leurs études, puisque ces enfants étaient censés subvenir aux besoins de leurs parents lorsqu’ils seraient âgés.

Avec l’augmentation de la demande de places, les universités ont pris de l’ampleur et se sont multipliées. Les lois adoptées au début des années 2000 ont permis aux entreprises de se lancer dans ce domaine. Les établissements privés, appelés minban daxue, demandent des frais d’inscription nettement plus élevés que les universités publiques et sont incités à admettre toujours plus d’étudiants. Les inscriptions dans ces universités ont explosé, augmentant de 560 % depuis 2004. À l’époque, un étudiant sur dix étudiait dans une minban daxue. Aujourd’hui, c’est le cas d’un étudiant sur quatre.

Les minban daxue ont tendance à exiger des résultats moins élevés à l’examen d’entrée à l’université, le gaokao, que les établissements publics. Mais le taux d’acceptation dans tous les collèges et universités est en hausse. Avant 1999, moins d’un quart des candidats au gaokao étaient acceptés dans ces établissements. Aujourd’hui, la plupart y parviennent (voir graphique 3).

L’augmentation du nombre de diplômés ne serait guère un problème s’ils acquéraient les compétences recherchées par les employeurs. Mais les entreprises chinoises se plaignent de ne pas trouver de candidats qualifiés pour les postes à pourvoir. Le problème est en partie dû à la faible qualité des minban daxue. Toutefois, l’inadéquation des compétences s’étend à l’ensemble de l’enseignement supérieur. Ainsi, le nombre d’étudiants en sciences humaines augmente alors que la demande pour ces diplômés est beaucoup plus faible que pour les spécialistes d’autres disciplines.

Certains étudiants tentent d’échapper au difficile marché de l’emploi dans le secteur privé. Le nombre de candidats à l’examen de la fonction publique chinoise a atteint le chiffre record de 2,3 millions en 2024, soit une augmentation de 48 % d’une année sur l’autre. D’autres poursuivent des études supérieures. Le nombre d’étudiants en maîtrise et en doctorat a tellement augmenté que certains campus manquent de logements.

Incapables de trouver un emploi correspondant à leur diplôme, un certain nombre de diplômés se contentent d’emplois peu qualifiés, comme la livraison de repas. L’année dernière, une note de service d’un aéroport de Wenzhou indiquait qu’il avait embauché des architectes et des ingénieurs pour assurer l’entretien des terrains et la lutte contre les volatiles nuisibles.

Xiaoguang Li, de l’université Xi’an Jiaotong, et Yao Lu, de l’université Columbia, ont étudié le sous-emploi en Chine. À partir des données d’une enquête nationale, ils ont constaté que 25 % des travailleurs âgés de 23 à 35 ans étaient surqualifiés pour leur emploi en 2021, contre 21 % en 2015. Selon Mme Lu, le problème risque de s’aggraver, car les diplômés confrontés au chômage n’ont d’autre choix que d’accepter des emplois subalternes.

En conséquence, il semble que la poursuite d’études supérieures soit de moins en moins rentable. Dans un document de travail publié l’année dernière, des chercheurs dirigés par Eric Hanushek de l’université de Stanford ont constaté qu’en Chine, l’avantage salarial associé à l’enseignement supérieur a chuté de 72 % à 34 % entre 2007 et 2018 pour les personnes âgées de moins de 35 ans.

En 2008, un fonctionnaire du ministère de l’Éducation a semblé admettre que l’État avait commis une erreur en augmentant aussi rapidement le nombre d’inscriptions dans les universités. Mais le ministère a rapidement fait marche arrière. Aujourd’hui, le gouvernement semble se soucier davantage de la taille du système éducatif que de sa qualité. Soixante et une nouvelles écoles supérieures et universités ont ouvert leurs portes en Chine l’année dernière. « Notre pays a mis en place le plus grand système d’enseignement supérieur du monde », s’est vanté le Quotidien du peuple, porte-parole du parti.

Dans son discours sur l’état de la nation, le mois dernier, Li Qiang, le Premier ministre, a au moins évoqué l’idée de veiller à ce que davantage de diplômés acquièrent les compétences nécessaires dans des secteurs tels que l’industrie manufacturière de pointe et les soins aux personnes âgées. Mais nombreux sont ceux qui continueront à constater que leur diplôme ne leur donne pas accès à un bon emploi alors qu’on leur a dit pendant des années que l’enseignement supérieur était un tremplin vers une vie meilleure.


mercredi 24 avril 2024

Le mouvement des écoles catholiques indépendantes offre aux parents ontariens une alternative


Un groupe de personnes investies dans l’éducation catholique développe un réseau pour aider le mouvement des écoles catholiques indépendantes en Ontario.

Le Consortium des écoles catholiques indépendantes de l’Ontario (Consortium of Independent Ontario Catholic Schools — CIOCS) est un réseau d’écoles dont l’objectif principal est de favoriser la collaboration et la communion entre les écoles membres tout en soutenant des valeurs, une mission et un engagement communs envers l’éducation catholique.

John Pacheco, l’un des directeurs du Consortium, a expliqué l’une des motivations du groupe.

« On parle beaucoup aujourd’hui d’identité, et nous croyons que l’identité de chaque enfant doit s’enraciner et se conformer à l’image de Jésus-Christ, à l’image immuable duquel nous avons été créés », a-t-il déclaré.

« D’un point de vue pratique, nous cherchons à développer une structure de soutien pour aider nos écoles membres actuelles et futures dans divers domaines. L’un des principaux objectifs du CIOCS est de trouver des moyens de réduire les coûts afin de mettre l’enseignement privé catholique à la portée des parents ».

En s’appuyant sur l’expérience et les connaissances collectives des écoles existantes et de leurs fondateurs, la CIOCS espère que les membres existants et nouveaux pourront acquérir des connaissances inestimables les uns des autres, collaborer, planifier des initiatives communes, des événements et des rassemblements annuels, susciter et partager le développement de l’enseignement professionnel, développer une économie naissante enracinée dans les principes sociaux catholiques légitimes et la loi naturelle, bénéficier d’avantages financiers grâce à des économies d’échelle, présenter une voix collective pour engager des tiers à promouvoir les objectifs communs des membres et enfin, se soutenir moralement et s’encourager les uns les autres.

Un autre objectif du réseau est de fournir une tribune et des moyens d’action aux nouvelles écoles et à ce que la CIOCS appelle les « parents missionnaires », c’est-à-dire les parents qui cherchent une alternative aux écoles publiques existantes financées par le gouvernement en créant leurs propres écoles avec des parents partageant les mêmes idées.

Pacheco déclare que le CIOCS « existe pour accroître le nombre de membres de son réseau afin de permettre aux parents qui le souhaitent de créer de telles écoles et d’autres lieux d’enseignement là où ils vivent. Le Consortium existe en partie pour répondre à leur première question : “Par où pouvons-nous commencer ?” »

Un autre objectif du réseau est de représenter les écoles membres lorsqu’elles traitent avec des tiers, y compris d’autres associations partageant les mêmes idées, le gouvernement et même la hiérarchie de l’Église catholique dans des domaines d’intérêt commun pour les écoles.

Au cours des dernières années, des parents ont exprimé leur inquiétude au sujet de l’éducation catholique en Ontario, face au succès du mouvement transgenre qui a promu la confusion du genre dans les écoles financées par le gouvernement, ainsi qu’à la réticence des conseils scolaires à écouter les préoccupations des parents. Récemment, les écoles catholiques publiques ont même refusé d’affirmer l’enseignement catholique sur le caractère sacré de la vie humaine. Trois membres de la Commission scolaire catholique de Toronto (TCDSB) ont publiquement rejeté l’initiative pro-vie proposée par un collègue pour que toutes les écoles du district arborent le drapeau pro-vie au mois de mai prochain.

Interrogé sur cette colonisation idéologique des écoles catholiques financées par le gouvernement, M. Pacheco a fait remarquer :

Le CIOCS estime que les parents catholiques — et non l’État ou les conseils scolaires — sont les premiers et principaux éducateurs de leurs enfants. C’est l’enseignement catholique, et il n’est pas très bien compris ni reconnu. Toutes les agences tierces n’existent que pour aider et coopérer avec les parents dans leur rôle de premiers éducateurs, y compris pour transmettre les valeurs catholiques authentiques qu’ils souhaitent partager avec leurs enfants.

Les rôles en matière d’éducation ont été brouillés ces dernières années, et nous voulons offrir un choix et une voie aux parents catholiques pour qu’ils retrouvent ces rôles traditionnels. La CIOCS s’intéresse au choix de l’école, à la transparence, à la prise de décision éclairée et à la responsabilité de servir la vérité telle qu’elle est exprimée dans la grande tradition catholique. L’éducation doit avoir des alternatives pour une société saine et prospère, et nous espérons fournir une base pour cette alternative. Nous espérons également que notre présence et notre succès aideront les écoles catholiques publiques à retrouver leur identité d’écoles catholiques.

Le premier événement majeur de la CIOCS, une « Journée de la communauté catholique et un salon de l’école », aura lieu à Ottawa le 18 mai. Les organisateurs envisagent cette manifestation comme une réunion annuelle qui rassemblera les responsables catholiques, les entreprises et les écoles catholiques de la région d’Ottawa afin de promouvoir la collaboration et la coopération au sein de l’ensemble de la communauté catholique et de soutenir la croissance de l’enseignement catholique indépendant à Ottawa.

Commentant l’événement à venir, M. Pacheco a déclaré : « Nous devons remédier à la fragmentation de la société et de l’Église — en particulier au cours des dernières années — en organisant un événement qui rassemble les fidèles catholiques autour d’une mission commune et d’une véritable communion et fraternité spirituelles. Je pense que cette journée communautaire est exactement ce qu’il nous faut, et j’espère que nous pourrons la reproduire dans toute la province au cours des prochaines années. J’espère que les catholiques de la région d’Ottawa répondront présents et manifesteront leur soutien ».

Pour plus d’information sur le CIOCS et sa première Journée communautaire et foire scolaire, visitez la page de l’événement à ciocs.ca/events.

Parmi les membres de la CIOCS, on trouve l'école catholique francophone d'Ottawa Sainte-Marie mère de Dieu, 20 avenue Fairmount.

Source : QCV

Voir aussi

La présentation sélective et tronquée des faits par Isabelle Hachey (voir 3. Le cas de Josh Alexander, élève de 16 ans en Ontario, élève dans une école en principe catholique).

Une grande partie des États-Unis se dépeuple

Cairo, une ville située à l’extrémité sud de l’Illinois et fondée au début du XIXe siècle, a été baptisée ainsi parce qu’elle était appelée à devenir une grande métropole. Située au confluent du Mississippi et de l’Ohio, elle était le centre de transport d’une région surnommée « Petite Égypte » en raison de ses immenses plaines deltaïques où les agriculteurs pouvaient tout cultiver.

Aujourd’hui, cependant, ce nom évoque des civilisations disparues. Se promener dans la ville est une expérience étrange. Les maisons victoriennes s’écroulent doucement et sont envahies par les mauvaises herbes. Ce qui était autrefois le centre-ville (photo) ressemble à un plateau de tournage abandonné. Cairo n’a ni stations-service, ni pharmacies, ni hôpitaux. Il est passé de six écoles à deux, toutes deux à moitié vides. « Lorsque j’étais enfant, dans les années 1970, nous avions deux épiceries, deux stations-service. Vous savez, beaucoup de commerces étaient encore ouverts », raconte Toya Wilson, qui dirige la belle bibliothèque victorienne de la ville, toujours en activité. Une modeste épicerie subsiste, mais elle est gérée à perte par une association caritative et, lors de la visite du correspondant de The Economist, elle était d’un calme mortel, avec de nombreux rayons vides.

Cairo est en passe de devenir la nouvelle ville fantôme des États-Unis. Sa population, qui avait culminé à plus de 15 000 habitants dans les années 1920, n’était plus que de 1 700 personnes lors du recensement de 2020. Le comté d’Alexander, dans l’Illinois, dont elle est la capitale, a perdu un tiers de ses habitants au cours de la décennie qui s’est écoulée jusqu’en 2020, ce qui en fait l’endroit des États-Unis où la décroissance est la plus rapide.

Huckleberry Finni

Les causes de cet effondrement sont multiples. Il y a un siècle, le remplacement du transport fluvial par le chemin de fer a amorcé le déclin. Dans le sillage de la législation sur les droits civiques dans les années 1970, les entreprises appartenant à des Blancs ont fui pour éviter d’embaucher des Noirs. Au cours de la dernière décennie, la démolition des logements sociaux a déplacé encore plus de résidents. Mais le plus gros problème de la ville est aujourd’hui le déclin démographique de l’ensemble du pays. Entre 2010 et 2020, plus de la moitié des comtés du pays, où vit un quart des Américains, ont perdu de la population (voir la carte). Au cours des prochaines décennies, ils seront encore plus nombreux, car la population américaine croît plus lentement. Le changement sera brutal, en raison des particularités démographiques et administratives des États-Unis.

Entre 2010 et 2020, le nombre d’habitants du pays a augmenté d’environ 7,4 %. Il s’agit de la décennie de croissance la plus lente depuis la Grande Dépression (où la population avait augmenté de 7,3 %). Dans les années 1990, le taux de croissance était de 13 %. La chute des taux de natalité en est la principale cause. L’indice synthétique de fécondité, qui mesure le nombre d’enfants qu’une femme aura au cours de sa vie, est resté stable ou a augmenté pendant 30 ans à partir du milieu des années 1970. En 2008, cependant, il est tombé en dessous de 2,1, le niveau nécessaire pour maintenir la population stable, et a depuis diminué pour atteindre 1,67 (voir le graphique). S’il reste inférieur à 2,1, seule l’immigration peut maintenir la croissance de la population à long terme. Or, l’immigration nette serait elle aussi en baisse depuis les années 1990.

La pandémie a presque stoppé net la croissance de la population. En 2020, plus de 500 000 personnes supplémentaires sont décédées par rapport à 2019, alors que le taux de natalité a également baissé. Avec la fermeture des frontières et des postes diplomatiques américains, l’immigration nette a chuté précipitamment. En 2021, le Bureau du recensement a estimé que la population n’avait augmenté que de 0,2 %, soit le taux le plus bas de l’histoire du pays. Avec le recul du covid-19, le nombre de décès a baissé. Et depuis un an environ, selon les estimations publiées en janvier par le Congressional Budget Office, l’immigration a augmenté, en grande partie à cause des personnes qui franchissent illégalement la frontière sud. Toutefois, les démographes ne pensent pas que cette augmentation modifiera la tendance à long terme. Selon William Frey, de la Brookings Institution, un groupe de réflexion situé à Washington, la population devrait augmenter d’environ 4 % au cours de cette décennie. Même en supposant que l’immigration reste élevée, note M. Frey, l’Amérique « afficherait encore une croissance plus lente dans les décennies à venir qu’au cours de n’importe quelle décennie de l’histoire du pays ».

Le phénomène n’est guère propre aux États-Unis. La population de nombreux autres pays riches croît encore plus lentement ou diminue. Il en va de même pour de nombreux pays en développement. La population de la Chine, le plus grand rival géopolitique de l’Amérique, a diminué en 2023 pour la deuxième année consécutive. Son taux de fécondité est tombé à 1,15 enfant par femme. La population de la Russie est inférieure à ce qu’elle était en 1991. Les problèmes démographiques de l’Amérique sont bien moindres que ceux de ses pairs. Pourtant, il y a des raisons de s’inquiéter du fait que l’Amérique s’adaptera à une croissance lente encore moins facilement que les autres pays.

Grenouilles sauteuses réputées

La population américaine croît à peu près au même rythme que celle de la Grande-Bretagne et de la France. Mais l’Amérique se distingue de la Grande-Bretagne ou de la France par le fait que sa population est beaucoup plus encline à se déplacer à travers le pays. Certaines régions d’Amérique réussissent extraordinairement bien à attirer de nouveaux habitants. La population de l’État du Nevada a été multipliée par dix depuis le début des années 1960, époque à laquelle cet État était tellement vide qu’il pouvait être utilisé pour tester des bombes atomiques. Celle du Texas a plus que triplé au cours de la même période. D’une manière générale, les Américains ont longtemps afflué vers les États de la « ceinture de soleil », dans le sud et le sud-ouest. Dans le passé, cela ne posait pas de problème, car la population nationale augmentait suffisamment vite pour que de nombreuses personnes puissent quitter les États plus froids et plus nuageux du nord-est et du Mid-Ouest sans que leur population ne diminue. Mais si la population dans son ensemble augmente à peine, pour qu’une région connaisse une croissance rapide, une autre doit se contracter, note Beth Jarosz de la Population Reference Bureau, un organisme de recherche à but non lucratif qui travaille avec le Census Bureau. La croissance devient un jeu à somme nulle.

Entre 2010 et 2020, seuls deux États ont perdu de la population : Le Mississippi et la Virginie-Occidentale. La population de l’Illinois est restée pratiquement inchangée. Tous les autres ont augmenté. Mais en 2021, 17 États sur 50 ont diminué. La pandémie a sans doute exacerbé la tendance, mais les migrations internes ne montrent aucun signe de ralentissement, de sorte que ces contractions sont vraisemblablement un signe avant-coureur.

La décroissance est néfaste pour de nombreuses raisons. Lorsque les habitants quittent un endroit, des entreprises autrefois très prisées deviennent moins viables et ferment leurs portes. Les écoles qui n’ont pas assez d’élèves ont du mal à maintenir des équipes sportives ou des fanfares, ou à enseigner un programme d’études étendu, même si leur financement par élève reste généreux.

Mais le plus gros problème est qu’une fois qu’un endroit commence à se dépeupler, il peut déclencher un cercle vicieux qui accélère le déclin. Par exemple, lorsqu’il y a beaucoup plus de logements disponibles que de personnes pour les occuper, il en résulte généralement un effondrement de la valeur des maisons. Si la situation est suffisamment grave, les propriétaires et même les propriétaires occupants cessent d’entretenir leurs biens, car le coût des réparations est plus élevé que le rendement qu’elles procurent. Lorsque la dégradation qui en résulte s’étend et que les quartiers commencent à se sentir vidés de leur substance, l’incitation à rester sur place est encore plus faible. C’est ce qu’on appelle une spirale de mort.

Les spirales de mort ont tendance à s’aggraver en Amérique en raison du niveau remarquable de décentralisation du gouvernement. Par exemple, seuls 8 % des dépenses consacrées à l’enseignement primaire et secondaire proviennent du gouvernement fédéral, et moins d’un quart des dépenses consacrées à assurer le respect de la loi. Les autorités locales et régionales prélèvent 48 % de l’ensemble des impôts collectés en Amérique, contre seulement 20 % en France et 6 % en Grande-Bretagne. Et même les dépenses fédérales américaines prennent généralement la forme de subventions liées au niveau de population. Ainsi, lorsque les recettes fiscales locales diminuent, il faut réduire les services ou augmenter les impôts.

Les recherches menées par Christopher Berry, de l’université de Chicago, montrent qu’à mesure que les villes perdent des habitants, le coût des services publics tend à rester à peu près le même. « Pratiquement aucune ville ne réduit son secteur public en fonction de sa population », explique-t-il. Les raisons exactes de ce phénomène ne sont pas claires : il se peut que la desserte d’une zone géographique donnée entraîne des coûts fixes, indépendamment de la population ; il se peut aussi que le licenciement d’employés municipaux soit politiquement délicat. Quelle qu’en soit la raison, le résultat est que les contribuables restants doivent payer davantage simplement pour soutenir les mêmes services.

Lorsque des impôts élevés s’ajoutent à la détérioration des services publics, les gens s’en vont. Austin Berg, de l’Illinois Policy Institute, un groupe de réflexion de centre-droit, note que les habitants du sud de l’Illinois disposent d’un moyen facile d’échapper à une fiscalité plus lourde : ils peuvent tout simplement se rendre dans l’État voisin. Alors que le comté d’Alexander, dans l’Illinois, s’est considérablement réduit, les comtés voisins, situés juste au sud, continuent de croître. La population de Paducah, dans le Kentucky, à 50 km de Cairo, de l’autre côté de l’Ohio, a augmenté de 8,4 % dans les années 2010. Beaucoup de ceux qui sont restés sur place quittent néanmoins l’Illinois pour acheter de l’essence et des produits d’épicerie, afin de bénéficier de taxes sur les ventes moins élevées ailleurs. Alors que les recettes diminuent progressivement de cette manière dans une grande partie de l’Illinois, l’État devient de plus en plus dépendant des contribuables de sa seule métropole, Chicago.

Les pensions des fonctionnaires sont souvent le principal facteur de la spirale infernale. Avec le vieillissement de la population américaine, la charge globale du paiement de ces pensions s’alourdit partout. Mais de nombreuses pensions sont financées au niveau local, or il arrive souvent qu’il y ait des déficits. Les contribuables des villes ou des États qui se contractent se retrouvent avec une facture de pension datant d’une époque où la population était beaucoup plus nombreuse et où le nombre d’enseignants, de pompiers et de policiers l’était aussi. Il en résulte, selon M. Berry, que « les villes en décroissance sont condamnées ».



Lorsque Détroit a fait faillite en 2013, l’État du Michigan a renfloué ses retraités.
Mais ces renflouements dépendent de la bonne santé financière de l’État. Lorsque la population d’un État dans son ensemble stagne ou diminue, cela devient beaucoup moins probable. Dans l’Illinois, le poids total des engagements non financés des États et des collectivités locales au titre des retraites est estimé à quelque 210 milliards de dollars, soit environ quatre fois le budget annuel total de l’État. Malgré les réformes récentes, le gouvernement de l’État ne s’attend pas à ce que les pensions de l’État soient entièrement financées avant 25 ans. Chicago, quant à elle, est aux prises avec ses propres problèmes de retraite. Il ne reste donc pas beaucoup d’argent pour renflouer ou faire revivre des villes comme Cairo.

Est-ce grave que des villes meurent ? Certains diront que non. Les gens sont mieux lotis s’ils peuvent se déplacer vers de meilleurs horizons, au lieu d’être piégés dans des villes moribondes ou des zones rurales sans emploi. En effet, la concurrence entre les villes contribue à expliquer le dynamisme économique de l’Amérique ; de nombreux économistes souhaiteraient qu’il y ait encore plus de mouvement. Bien que les gens affluent vers de nouveaux emplois dans des villes comme Houston ou Atlanta, les coûts élevés du logement empêchent les travailleurs de se déplacer vers des emplois encore mieux rémunérés dans des villes comme San Francisco ou New York. Si ces villes construisaient davantage de logements, elles attireraient plus de travailleurs d’autres régions d’Amérique. Des endroits comme Cairo se contracteraient encore plus rapidement, mais l’Amérique dans son ensemble serait plus riche.

En réalité, la décroissance est extrêmement impopulaire sur le plan politique car, inévitablement, de nombreuses personnes sont laissées pour compte et la vie de ceux qui ne veulent ou ne peuvent pas déménager se détériore à mesure que leurs voisins s’en vont. Les autorités fédérales, nationales et locales le savent. Elles sont donc disposées à faire pratiquement tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter la décroissance. Toutes sortes de grandes installations gouvernementales, des bases aériennes aux prisons, peuvent être implantées dans les zones rurales, garantissant ainsi des emplois qui, à leur tour, soutiennent le reste de l’économie. Pendant des décennies, les villes et les États américains ont également rivalisé pour attirer de nouvelles entreprises, en distribuant des terrains, des allègements fiscaux ou de l’argent aux sociétés qui ouvrent des usines ou des bureaux.

Aujourd’hui, les villes et les États courtisent aussi directement les travailleurs. Prenons l’exemple de Muncie, dans l’Indiana, une ville de 65 000 habitants située à environ 80 km au nord-est d’Indianapolis. Depuis 2021, elle offre une subvention de 5 000 dollars aux télétravailleurs qui acceptent de s’y installer. Selon Dan Ridenour, maire républicain de la ville, cette somme est essentiellement un outil de promotion visant à inciter les candidats au déménagement à envisager une ville dont ils n’auraient peut-être pas entendu parler autrement. « La concurrence est devenue très forte, et pas seulement pour les travailleurs éloignés, mais pour tous les travailleurs », ajoute-t-il.

Jusqu’à présent, 152 personnes ont déménagé dans la ville dans le cadre de ce programme, géré par MakeMyMove, une entreprise basée dans l’Indiana qui aide à promouvoir les programmes d’incitation des villes qui sont prêtes à payer les gens pour qu’ils s’y installent. Depuis sa création en 2017, MakeMyMove s’est énormément développé, explique Christie Hurst, sa porte-parole, notamment grâce à la pandémie, qui a libéré de nombreux travailleurs de l’obligation de se rendre au bureau. Il en résulte un vivier beaucoup plus important de travailleurs potentiellement mobiles pour lesquels les villes peuvent entrer en concurrence, d’où la croissance de l’entreprise. Pourtant, un contribuable gagné par Muncie, dans l’Indiana, est un contribuable perdu pour une autre ville. Et avec le ralentissement de la croissance globale, les villes ne sont pas toutes gagnantes. En fait, le télétravail ne peut qu’accélérer le déclin de certaines régions en difficulté, en permettant à un travailleur de Muncie, par exemple, de s’installer dans une jolie ville de montagne du Colorado.

En fin de compte, le risque est que toutes ces mesures ne fassent au mieux que « maintenir des localités sous assistance respiratoire », déclare M. Berry. Si la population américaine ne croît pas plus rapidement, de plus en plus d’endroits commenceront à mourir. Les conséquences politiques de cette situation seront désastreuses. Parmi les comtés qui ont perdu de la population au cours de la décennie jusqu’en 2020, 90 % ont voté pour Donald Trump en 2020. On peut supposer que ses récriminations sur le déclin de l’Amérique y trouvent un écho.

Pas de vie sur le Mississippi

En conduisant le correspondant de The Economist dans Cairo, Phillip Matthews, le président du parti démocrate du comté d’Alexander, énumère les services supprimés au fil des ans : logements publics fermés, bureaux gouvernementaux déplacés, écoles fermées. Il montre du doigt l’hôpital public dans lequel il est né et qui n’est plus qu’un amas de béton abandonné. « Le déclin de sa ville est en grande partie le fruit d’une volonté délibérée », déclare-t-il. Il entend par là que les hommes politiques ont pris de nombreuses décisions qui ont contribué à ce déclin. M. Matthews place ses espoirs dans un projet de 40 millions de dollars pour la construction d’un nouveau port fluvial à Cairo, soutenu par J. B. Pritzker, le gouverneur démocrate de l’État. Si le port est construit, Cairo se relèvera peut-être un peu. Mais en attendant, M. Matthews, un pasteur noir, dit comprendre pourquoi de plus en plus de gens dans sa région soutiennent M. Trump. « Le parti démocrate ne répond pas aux attentes de ses électeurs », explique-t-il. « Les gens ont peur de le dire, mais la vérité est la vérité ». Plus les choses iront mal, plus M. Trump y remportera de voix.




mardi 23 avril 2024

Si Apple perd face à la Chine, l'Occident perdra aussi selon The Spectator

Cela fait longtemps que l'Occident ne domine plus la construction navale ou la sidérurgie. Nous savons déjà que l'Occident perd du terrain dans le domaine des biens de consommation, ainsi que dans les secteurs de la finance et des transports. Si l'on fait le compte, on ne peut plus s'attendre à ce que les États-Unis, l'Europe ou leurs alliés dominent le marché mondial dans la plupart des grands secteurs d'activité. Pourtant, même si d'autres industries ont perdu du terrain, il y a une chose sur laquelle la plupart des économistes et des experts industriels étaient sûrs que nous pouvions compter : Apple. Rien, quoi qu'il arrive, ne ferait tomber son iPhone - sans conteste le produit le plus rentable au monde - de son perchoir bien assuré. Mais il n'en est rien. La part de marché d'Apple diminue à un rythme accéléré et ses rivaux chinois progressent rapidement.
    

Selon les chiffres publiés lundi, Apple n'est plus le premier fabricant mondial de téléphones intelligents, après une chute brutale des ventes au cours du premier trimestre de l'année. En 2024, Apple ne s'est adjugé que 17 % du marché, contre 20 % pour son grand rival Samsung. Xiaomi, la première marque chinoise, occupe la troisième place, avec près de 15 % du marché, non loin d'Apple, et Huawei, en pleine renaissance, a également réalisé d'importants progrès. Le Parti communiste chinois ayant restreint l'accès d'Apple au vaste marché chinois (ce qui n'est guère étonnant compte tenu du protectionnisme de l'administration Biden), cette tendance se poursuivra pendant le reste de l'année et au-delà.

Au cours des 20 dernières années, Apple a dominé le marché des téléphones intelligents haut de gamme, tandis que Samsung, qui utilise le logiciel de Google, occupait la deuxième place. La montée en puissance de la Chine dans le domaine des téléphones intelligents n'est toutefois qu'un aperçu de ce qui se passe déjà dans de nombreux autres secteurs. Dans l'automobile, avec les véhicules électriques comme moyen de pénétrer les marchés étrangers, la Chine est aujourd'hui le plus grand exportateur mondial, avec de nombreuses autres marques entrant sur le marché (y compris Xiaomi, qui devient rapidement un nom familier). Cela commence à se produire dans le domaine des puces électroniques, la Chine est forcée par les interdictions technologiques américaines de fabriquer ses propres semi-conducteurs à basse nanométrie ; dans le domaine pharmaceutique ; et cela pourrait se produire très bientôt dans l'aérospatiale, l'avion de passagers Comac C919 fabriqué en Chine étant déjà opérationnel et prêt à prendre des parts de marché à un Boeing de plus en plus en difficulté.

En réalité, la Chine est en train de passer du statut de fournisseur des entreprises occidentales à celui de concurrent direct. L'époque où les entreprises occidentales pouvaient utiliser les composants chinois bon marché et les usines hyperconcurrentielles de la Chine pour réduire leurs coûts et augmenter leurs marges bénéficiaires est révolue. Au lieu de cela, elles sont confrontées à une concurrence de plus en plus brutale de la part de rivaux chinois agressifs et bien gérés qui s'installent désormais sur les marchés de consommation courante. Même le puissant Apple pourrait ne pas être de taille à résister à cet assaut. Si Apple perd la guerre économique avec la Chine, l'Occident en fera de même - et à l'heure actuelle, les perspectives ne sont pas bonnes.


Source : The Spectator

Marguerite Stern et Dora Moutot alertent sur les dérives de l’idéologie transgenre

Figures du féminisme à la fin des années 2010, Marguerite Stern et Dora Moutot ont pris leur distance avec les mouvements qu'elles côtoyaient, tant ces derniers leur sont apparus gangrénés par l'idéologie transgenre. Aujourd'hui, elles tentent d'alerter sur les dérives de cette idéologie et des dommages qu'elle peut causer pour les plus jeunes et les plus vulnérables.

Dora Moutot et Marguerite Stern, essayistes et auteures de l'ouvrage « Transmania. Enquête sur les dérives de l'idéologie transgenre » aux éditions Magnus, répondent aux questions de Dimitri Pavlenko.


« Le destin belge de la France ? »

«Le destin belge de la France ?» (Partie 1) : l'édito de Mathieu Bock-Côté dans #Facealinfo sur CNews

2e partie


Suède — Malgré l'annonce du retour des manuels, encore des écrans à l’école

Le grand retour annoncé du papier-crayon pourrait prendre des années à se mettre branle, s’il se concrétise

En Suède, l’introduction aux appareils numériques est prévue dans le programme de la petite enfance, dans les services de garde du réseau scolaire. Il s’agit d’une orientation que le gouvernement veut modifier, une consultation est en cours présentement.

Alors que la présence des écrans dans les écoles québécoises est de plus en plus remise en question, la Suède est souvent citée en exemple comme étant le pays où le bon vieux livre a pris sa revanche sur la tablette en classe. Or la petite révolution annoncée n’est pas encore réalité et certains se demandent même si elle finira bel et bien par se concrétiser, a constaté Le Journal.

Mai 2023. La nouvelle ministre de l’éducation suédoise, Lotta Edholm, annonce qu’elle veut réduire la place des écrans à l’école et y ramener les manuels scolaires et l’écriture manuscrite.

Des millions de dollars seront investis pour l’achat de livres dans les écoles suédoises, où les écrans sont présents depuis une bonne quinzaine d’années, et ce, parfois dès les classes de la petite enfance dans l’équivalent de nos garderies qui sont intégrées au réseau scolaire suédois.

« Les élèves ont besoin de davantage de manuels scolaires. Les livres papier sont importants pour l’apprentissage des élèves », a déclaré la ministre, qui estime que le réseau scolaire est allé « trop vite » avec l’introduction du numérique à l’école.

En Suède, de récentes études font état de problèmes de mémorisation, de concentration et d’apprentissage de la lecture liés à l’utilisation des tablettes en classe.

La proportion d’élèves suédois de 10 ans ayant de la difficulté à lire est d’ailleurs passée de 12 % à 19 % en cinq ans, ce qui a poussé le gouvernement de centre-droite à aller de l’avant avec ce virage.

La pandémie et la hausse récente de l’immigration dans ce pays pourraient toutefois aussi expliquer cette baisse, selon des experts.

Peu de changements concrets

Or depuis la rentrée, peu de changements ont réellement eu lieu dans les écoles suédoises.

Au cours des derniers jours, Le Journal a contacté une vingtaine d’écoles de Stockholm, sans réussir à en trouver une qui a procédé à des changements concrets cette année.

« Ce virage est très récent, aucune décision ou stratégie n’a encore été prise à ce sujet dans nos écoles », indique de son côté Nadia Bhere, agente des communications responsable des écoles primaires à Malmö, la troisième plus grande ville de Suède.

« Au cours des dernières années, nous avons consacré beaucoup d’efforts pour introduire le numérique en classe, il s’agit donc d’un grand virage annoncé, mais qui n’est pas encore amorcé », ajoute-t-elle.

Pas encore de directives
 
Il faut dire qu’aucune directive formelle n’a encore été adoptée à la suite de cette annonce.

Des démarches sont en cours afin de modifier le programme d’apprentissage en petite enfance, pour les enfants âgés de 5 ans et moins, afin de retirer l’obligation d’utiliser des appareils numériques dans les services de garde.

Une consultation menée par l’agence nationale d’éducation, qui encadre le réseau scolaire, se déroule présentement jusqu’au début juin.

La ministre veut aussi apporter des modifications au programme de l’école primaire, mais rien de concret n’est encore sur la table.

Réseau scolaire décentralisé

Le réseau scolaire suédois est par ailleurs très décentralisé et il sera difficile de mettre en branle des changements malgré de nouvelles directives nationales, ajoute un Québécois qui enseigne dans une école secondaire en Suède depuis des années, mais qui a refusé d’être identifié.

« Les écoles ici ont beaucoup de latitude, elles font à peu près ce qu’elles veulent. Les changements impliquent beaucoup de résistance, plusieurs élèves ont leur ordinateur ou tablette en classe, alors ça va être très difficile de revenir en arrière », affirme-t-il.

Un directeur d’école primaire située près de Stockholm partage son avis. « C’est une annonce qui est avant tout politique. Je ne pense pas que ça va amener beaucoup de changements concrets, les appareils numériques sont déjà dans les écoles », affirme Thomas Österas.

« Mais il est possible d’avoir une approche plus équilibrée, ajoute-t-il. Chez nous, comme dans d’autres écoles, on n’a jamais cessé d’utiliser des livres et des manuels scolaires, même si on a des tablettes. »

Source : Journal de Québec

Voir aussi
 
 

lundi 22 avril 2024

« On ne peut plus se contenter de défendre la liberté d’expression théoriquement. Il faut démanteler le complexe juridico-politique qui l’entrave »

Texte de Mathieu Bock-Côté paru dans Le Figaro du 20 avril 2024 sous le titre : « Trans­pho­bie » : quand les progres­sistes trans­forment leurs contra­dic­teurs en délin­quants idéo­lo­giques.

La ten­ta­tive de cen­sure du colloque des natio­naux-conser­va­teurs, à Bruxelles, auquel devait par­ti­ci­per Éric Zem­mour, et des confé­rences de Jean-Luc Mélenchon, a placé la ques­tion de la liberté d’expres­sion au coeur du débat public, au point où Emma­nuel Macron a cru devoir rap­pe­ler qu’en démo­cra­tie, mieux vaut com­battre poli­ti­que­ment une idée que l’inter­dire. Ce qui relève du simple bon sens, mais ce qui est bien peu, pour peu qu’on scrute l’actua­lité.

Car au même moment, une cam­pagne pour cen­su­rer la publi­cité d’un ouvrage était menée sur Twit­ter par des figures impor­tantes de la mai­rie de Paris, sans que cela ne sus­cite la moindre réac­tion. Elle visait Trans­ma­nia, de Mar­gue­rite Stern et Dora Mou­tot, un livre enquête sur l’idéo­lo­gie trans et les dan­gers qu’elle fait por­ter sur la jeune géné­ra­tion.

C’était le cas d’Emma­nuel Gré­goire, pre­mier adjoint à la mai­rie, qui a tweeté : « La trans­pho­bie est un délit. La haine de l’autre n’a pas sa place dans notre ville. Paris n’est pas la vitrine de cette haine crasse. » Il annonçait vou­loir sai­sir l’entre­prise expo­sant cette affiche «pour deman­der le retrait de cette publi­cité ». Il en rajou­tait le len­de­main. « Invo­quer la liberté d’expres­sion pour jus­ti­fier les dis­cours hai­neux, c’est la spé­cia­lité de l’extrême droite et c’est tou­jours aussi détes­table et ridi­cule. Paris est et res­tera une ville refuge pour tous et toutes. Ne lais­sons pas gagner les dif­fu­seurs de haine. »

David Bel­liard, autre figure de la mai­rie de Paris, n’était pas en reste : « (…) Cette publi­cité pour un bou­quin trans­phobe par­ti­cipe à la nor­ma­li­sa­tion de la haine envers les per­sonnes trans. Une idéo­lo­gie mor­ti­fère, à mille lieues des valeurs de Paris. Cette publi­cité doit être reti­rée. »

Le pan­neau publi­ci­taire a été retiré. La cam­pagne pour cen­su­rer la publi­cité du livre a fonc­tionné. On y trou­vait tous les élé­ments jus­ti­fiant aujourd’hui l’exten­sion du domaine de la cen­sure. D’abord l’assi­mi­la­tion de la cri­tique du pro­gres­sisme à un pro­pos hai­neux, la haine consis­tant à ne pas sous­crire au grand récit de la diver­sité heu­reuse. Dans le cas pré­sent, c’est la théo­rie du genre et l’idéo­lo­gie trans qu’il faut sanc­tua­ri­ser en expli­quant que leur cri­tique ne relève pas de l’opi­nion mais du délit et de la haine de l’autre : on parle alors de trans­pho­bie. On pour­rait aussi dire que la cri­tique de la théo­rie du genre relève désor­mais du délit d’opi­nion, même du délit de blas­phème, que le régime diver­si­taire a sécu­la­risé.

On en appelle alors à l’inter­dic­tion de tels pro­pos. Elle peut pas­ser par un appel clas­sique à l’invi­si­bi­li­sa­tion de celui qui est trans­formé en déviant idéo­lo­gique, en délin­quant de la pen­sée. Elle peut aussi pas­ser par des pour­suites judi­ciaires, menées par des asso­cia­tions mili­tantes, sou­vent publi­que­ment finan­cées, pra­ti­quant le har­cè­le­ment judi­ciaire contre ceux qui s’entêtent à mal pen­ser.

L’objec­tif est tou­jours le même : asso­cier une épi­thète calom­nieuse à un adver­saire poli­tique, géné­ra­le­ment en le fai­sant condam­ner par une jus­tice elle-même idéo­lo­gi­sée, et réduire désor­mais ce contra­dic­teur à cette condam­na­tion, en le trans­for­mant en délin­quant idéo­lo­gique, et en délin­quant mul­ti­ré­ci­di­viste, si les condam­na­tions s’accu­mulent. Le récit média­tique per­met­tra de pré­sen­ter le condamné en paria. Dès lors qu’un indi­vidu est asso­cié à «l’extrême droite», au «racisme», à la «trans­pho­bie», ou à d’autres termes sem­blables, il sera consi­déré comme radio­ac­tif. Tous com­pren­dront qu’il vaut mieux ne pas s’y asso­cier, sous peine d’être soi-même conta­miné par ces mêmes éti­quettes.




Il s’agit de condam­ner à la mort sociale, qui peut alors prendre la forme du ban­nis­se­ment des réseaux sociaux, de la per­sé­cu­tion ban­caire, de l’inca­pa­cité à tenir une confé­rence (car des anti­fas mena­ce­ront de la per­tur­ber, ce qui jus­ti­fiera son inter­dic­tion pour pré­ve­nir le moindre trouble à l’ordre public), et de bien d’autres méthodes qui condamnent objec­ti­ve­ment à une vie sous le signe de la dis­si­dence.

On ne peut plus se conten­ter de défendre la liberté d’expres­sion théo­ri­que­ment. Il faut déman­te­ler le com­plexe juri­dico-poli­tique qui l’entrave. Cela implique de reve­nir sur les lois sur les pro­pos « hai­neux» (et sur le concept même de «pro­pos hai­neux») qui se sont accu­mu­lées avec le temps, d’en finir avec le droit accordé aux asso­cia­tions de traî­ner les dis­si­dents devant les tri­bu­naux et de stop­per le finan­ce­ment d’asso­cia­tions mili­tantes dont la seule fonc­tion consiste à décré­ter un scan­dale média­tique quand l’idéo­lo­gie domi­nante est cri­ti­quée.

Les seules limites à la liberté d’expres­sion devraient être l’appel à la vio­lence et la dif­fa­ma­tion. Pour le reste, en démo­cra­tie libé­rale, les argu­ments s’échangent dans le débat public, et non pas devant les tri­bu­naux. Rares sont ceux, hélas, qui sont prêts à une telle remise en ques­tion du dis­po­si­tif de cen­sure que subissent nos contem­po­rains.

Transmania
par Dora Moutot et Marguerite Stern,
paru le 11 avril 2024,
chez Magnus,
398 pp.,
ISBN-10 ‏ : ‎ 2384220403
ISBN-13 ‏ : ‎ 978-2384220403.

Voir aussi

Sur l'interdiction d'une réunion politique à Bruxelles par un bourgmestre belgo-turc lié aux Loups Gris :

dimanche 21 avril 2024

Écosse : la Santé publique interrompt la prescription de bloqueurs de puberté pour les mineurs

À la suite du rapport du Dr Hilary Cass insistant sur les « faibles preuves » et le manque de recherches sur les bloqueurs de puberté, la clinique Sandyford de Glasgow, le seul service spécialisé dans les questions de genre en Écosse, a décidé d’interrompre la prescription de bloqueurs de puberté aux mineurs. Quant aux nouveaux patients de 16 ou 17 ans, ils ne recevront plus de traitements hormonaux de changement de genre avant l’âge de 18 ans. Les jeunes qui reçoivent déjà un tel traitement ne seront pas concernés par cette mesure.

Le 18 avril, le NHS Greater Glasgow and Clyde (NHSGGC) a révélé qu’il avait déjà suspendu le traitement de nouveaux patients depuis la mi-mars suite à la décision du NHS England de suspendre la prescription de bloqueurs de puberté.
 
Les bloqueurs de puberté provoquent des problèmes de fertilité « irréversibles »

Selon une étude prépubliée fin mars sur le serveur bioRxiv [1], les bloqueurs de puberté peuvent provoquer des problèmes de fertilité « irréversibles » chez les garçons. Pour arriver à cette conclusion, onze scientifiques de la Mayo Clinic, basée à Rochester, ont analysé les cellules testiculaires de garçons, âgés de 17 ans ou moins, qui avaient pris des bloqueurs de puberté pendant une période allant de 3 à 52 mois, et les ont comparées aux cellules d’un groupe témoin qui n’avait pas pris de bloqueurs (cf. Enfants « trans » : des études, des faits). Parmi les 87 patients inclus dans l’étude, 16 garçons se déclaraient du sexe opposé et 9 d’entre eux prenaient des bloqueurs de puberté (cf. Bloqueurs de puberté : un effet souvent négatif sur la santé mentale des adolescents).

Des preuves « sans précédent »

« Nous fournissons des preuves histologiques sans précédent qui révèlent des réactions néfastes des glandes sexuelles testiculaires pédiatriques à ces traitements », affirment les auteurs de l’étude. Ils ont en effet observé « une atrophie légère à sévère des glandes sexuelles chez les enfants traités par des bloqueurs de puberté ». Un garçon de 12 ans, sous traitement depuis 14 mois, avait « près de 60 % de ses glandes sexuelles “complètement atrophiées” ». Deux patients présentaient des caractéristiques anormales au niveau des testicules observables lors d’un examen physique.

Les scientifiques ont en outre constaté l’apparition de microlithiases, c’est-à-dire de petits amas de calcium dans les testicules. Or une autre étude de la Mayo Clinic a associé ce phénomène à un risque accru du cancer des testicules.

Une nouvelle alarme

Les chercheurs tirent la sonnette d’alarme alors que le site web de la clinique soutient encore que les bloqueurs ne font que « mettre en pause » la puberté sans provoquer de changements physiques permanents. « À notre connaissance, aucune étude rigoureuse n’a été réalisée sur le blocage prolongé de la puberté dans les populations pédiatriques et ses conséquences à long terme sur la capacité de reproduction », soulignent-ils.

Face au manque de données sur les bloqueurs de puberté, plusieurs pays ont mis en place des restrictions ou des interdictions comme la Finlande, les Pays-Bas, la Norvège, la Suède et le Royaume-Uni (cf. Angleterre : le NHS met fin aux bloqueurs de puberté ; Genre aux É.-U. : de nouvelles lois pour protéger les mineurs ; « Transidentification des mineurs » : des sénateurs LR [centre-droit en France] lancent un cri d’alarme).

 
Sources : The Guardian, Libby Brooks (18/IV/2024); BBC, Mary McCool (18/IV/2024), Daily mail, James Reinl (5/IV/2024) ; CNA, Kate Quinones (11/IV/2024) ; Fox news, Melissa Rudy (11/IV/2024), via Généthique

Voir aussi

 

La thérapie hormonale, et les conséquences irréversibles de la chirurgie pour les enfants dits « trans »

Trans — Recours constitutionnel d’une enseignante québécoise obligée de mentir aux parents

Bloqueurs de puberté : des données « insuffisantes »

Canada — Personne qui souhaite avoir à la fois un vagin et un pénis obtient un financement public pour cette chirurgie non pratiquée ici 

Le nouveau calendrier liturgique officiel : le jour de la fierté, la semaine de la fierté, le mois de la fierté et la saison de la fierté

J.K. Rowling et Sunak contre une loi écossaise censée lutter « contre l’incitation à la haine transgenre »

Extrémisme — vandalisme contre Radio-Canada pour un documentaire sceptique envers les « soins transgenres » sur les ados

Sortie « culturelle » scolaire, spectacle de « cirque » travesti pour lutter contre les stéréotypes de genre

La présentation sélective et tronquée des faits par Isabelle Hachey de la Presse

 

Réputés singes pacifiques, les bonobos sont plus bagarreurs qu’on ne l’imaginait

Les mâles les plus querelleurs s’accouplent plus souvent avec les femelles, pour une raison qui reste encore à établir.


Il faut se méfier des bonobos. Sous leurs airs pacifiques, ces singes parfois qualifiés de « hippies » cachent en réalité des comportements violents, pas très différents des autres grands primates. À une nuance près. Quand la violence des chimpanzés est souvent intense et aveugle, pouvant aller jusqu’à l’infanticide, celle des bonobos est plus mesurée et ciblée. Les mâles bonobos ne se battent presque exclusivement qu’entre eux et ne s’entre-tuent pas. Une étude menée par la chercheuse française Maud Mouginot, actuellement en poste à l’université de Boston, et publiée dans la revue Current Biology, révèle en outre que ce comportement bagarreur offre plus de succès auprès des femelles..

«De précédents travaux avaient révélé plus d’inégalités reproductives entre les mâles chez les bonobos que chez les chimpanzés, explique Maud Mouginot. Cela pouvait indiquer l’existence d’une compétition intense entre mâles. On a donc voulu étudier et comparer les stratégies d’agression chez ces deux espèces.» Les scientifiques ont observé pendant deux ans douze bonobos mâles de trois communautés dans la réserve de Kokolopori, située au cœur de la République démocratique du Congo, et quatorze chimpanzés mâles de deux communautés du parc national de Gombe Stream, en Tanzanie..

Sociétés matriarcales.

Les deux espèces sont très proches génétiquement mais vivent dans des environnements différents. Les chimpanzés occupent ainsi de vastes étendues d’Afrique centrale, y compris des zones montagneuses où ils doivent rivaliser avec les gorilles ou les babouins pour se nourrir. Les bonobos, quant à eux, ne vivent que dans une partie relativement isolée du bassin du Congo, dépourvue de montagnes et d’espèces concurrentes. Là où les chimpanzés se répartissent sur une plus grande aire géographique et ont commencé à se battre pour des ressources limitées, les bonobos cantonnés au sud du fleuve Congo semblent bénéficier d’un environnement plus tranquille.

Ces deux espèces ont donc un comportement très différent. Les chimpanzés évoluent dans un environnement patriarcal. Les mâles forment des coalitions qui patrouillent sur un territoire. «Les rencontres intergroupes de chimpanzés sont impossibles, commente ainsi Maud Mouginot. Car, en fonction du nombre d’individus dans chacun des groupes, le risque qu’ils s’entre-tuent est très important ! ».

À l’inverse, les bonobos sont beaucoup moins nombreux (environ 15.000 individus restants selon l’union internationale pour la conservation de la nature, UICN) et vivent dans des sociétés matriarcales. Les interactions amicales entre les communautés sont courantes et fréquemment marquées par des démonstrations d’activité sexuelle enthousiastes. Ils sont notamment connus pour leurs comportements homosexuels très répandus, notamment chez les femelles, et pour leur propension à partager leur nourriture. « Il y a eu une tendance à sous-estimer, a priori, la violence chez les bonobos à cause de ces comportements que l’on considère très amicaux », commente Maud Mouginot. Il faut aussi rappeler qu’aucun meurtre de bonobo par un congénère n’a jamais été documenté dans la littérature scientifique, ce qui allait aussi dans ce sens..

Pourtant, les analyses de l’équipe de Maud Mouginot montrent que les mâles bonobos avaient presque trois fois plus d’interactions agressives que les chimpanzés, et trois fois plus d’altercations physiques. Si aucune des rencontres ne s’est avérée mortelle, les bonobos n’ont pas hésité à pousser, frapper ou mordre leurs adversaires. La violence est donc un trait commun aux deux espèces, que l’on retrouve au passage également chez leur plus proche cousin commun, l’être humain. Il est donc probable qu’on la retrouve également chez un ancêtre commun et qu’elle ait ensuite dérivé de différentes manières.

Un moyen d’éliminer les rivaux.

« Chez les chimpanzés, les mâles sont très agressifs envers les femelles et les contraignent à avoir des rapports sexuels, explique Maud Mouginot. C’est un comportement que l’on ne retrouve pas du tout chez les bonobos.» Les femelles bonobos sont souvent en position dominante dans leur groupe, et forment des alliances pour stopper les mâles qui pourraient tenter de s’accoupler avec elles. Les mâles n’ont donc que peu d’intérêt à se confronter à elles. « À l’inverse, la violence entre mâles chez les chimpanzés est beaucoup plus dangereuse, continue la scientifique. Car en s’en prenant à un individu, on peut se retrouver face à tout un groupe. Ce qui peut expliquer que, quoique plus agressifs, les mâles chimpanzés se battent moins souvent entre eux. Ils ont beaucoup plus à perdre. »

L’agressivité des bonobos entre mâles pourrait aussi jouer un rôle dans la reproduction. Les scientifiques ont noté que les femelles bonobos s’accouplaient plus souvent avec les mâles les plus agressifs. « On ne sait pas quel mécanisme il y a derrière cela, explique la scientifique. Ce n’est peut-être pas un choix des femelles. Mais en éloignant leurs rivaux potentiels, les mâles agressifs passent plus de temps auprès des femelles.» Plus qu’un outil de séduction, les auteurs pensent ainsi que l’agressivité serait un moyen d’éliminer les rivaux.

De précédents travaux avaient aussi montré que des mères bonobos de haut rang pouvaient aider leurs fils dans les combats entre mâles, les présentant même à des femelles fertiles et allant jusque monter la garde pendant l’accouplement. «Ces résultats nous interrogent sur la notion de conflit chez les grands singes», juge Maud Mouginot. Les rapports entre les individus sont bien plus complexes qu’on a pu le penser par le passé. Si les bonobos conserveront encore longtemps leur réputation de singes « hippies » adeptes de la cabriole, il ne faut pas oublier que, pour eux, faire l’amour, c’est aussi faire la guerre.

Source : Le Figaro