vendredi 21 octobre 2022

« Des associations étudiantes [de l'UQAM] militent donc activement pour l’anglicisation du réseau universitaire québécois »

Un texte de David Santarossa, essayiste et enseignant, paru dans la Presse.

Alors que l’année dernière le Bureau de coopération interuniversitaire rapportait une baisse des inscriptions de 8 % à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), cette année on parle d’une baisse de 4,6 %. Cette tendance s’observe depuis maintenant près d’une décennie.

Ces statistiques sont en soi inquiétantes, mais elles le sont d’autant plus lorsqu’on sait que les inscriptions à l’Université Concordia suivent la courbe inverse. Cela fait d’ailleurs quelques années que l’UQAM est déclassée par Concordia sur le plan des inscriptions. [L’UQAM a la réputation d’être une université à gauche.]

L’UQAM tente de tempérer les inquiétudes en expliquant qu’en raison de la pénurie de main-d’œuvre, beaucoup d’étudiants préfèrent travailler maintenant plutôt que d’entreprendre un long parcours d’études universitaires. C’est sans doute en partie vrai, mais c’est un peu court.

 


Les administrateurs de l’UQAM ne peuvent probablement pas le dire ainsi, mais il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas voir dans cette baisse des inscriptions un symptôme de l’anglicisation de la grande région métropolitaine.

Il faut aussi prendre la pleine mesure de ce que représente cette désaffectation de l’UQAM, car cette université a un statut bien particulier dans le paysage québécois.

L’UQAM est la seule université française au centre-ville de Montréal, elle est reconnue pour ses programmes de communication, d’arts et de sciences humaines et elle est en ce sens une institution fondamentale au développement de la culture d’ici.

Aussi, et ce n’est pas rien, l’UQAM représente symboliquement tout le réseau de l’Université du Québec (UQ) qui est l’un des legs les plus importants de la Révolution tranquille.

Avant la création du réseau de l’Université du Québec, il y avait seulement trois universités de langue française. Les leaders politiques de l’époque cherchaient avec ce réseau à éduquer les francophones qui avaient un important retard sur les anglophones. Dans les années 1960, seulement 4 % des francophones fréquentaient l’université, alors que c’était 11 % chez les anglophones.

L’aspiration globale derrière ce réseau était donc qu’un Québec français, c’est un Québec où l’on peut étudier et créer en français pour éventuellement avoir un rôle à jouer dans sa société. L’UQAM, c’est l’université de l’époque où le Québec s’est finalement décidé à prendre son destin en main.

Il n’est donc pas exagéré de dire que l’UQAM est l’université de la démocratisation de l’éducation.

On exprime souvent cette idée en disant que l’UQAM est « l’université du peuple ». Ce cliché était vrai, et il n’y avait là rien de méprisant, au contraire.

Qu’en est-il aujourd’hui de cette mission historique ? Les associations étudiantes offrent une triste réponse.

Par exemple, au mois de mars 2022, l’Association étudiante des études avancées en sociologie de l’UQAM votait à majorité pour une proposition qui « s’oppose à l’imposition de la loi 101 au collégial ».

Les chiffres sont sans équivoque, le cégep anglais mène la plupart du temps à l’université anglaise. Des associations étudiantes comme celle-ci militent donc activement pour l’anglicisation du réseau universitaire québécois. C’est McGill et Concordia qui doivent s’en réjouir.

Manifestement, ces associations étudiantes font peu de cas de la baisse des inscriptions dans leur établissement. Comprennent-elles que moins il y aura d’étudiants à l’UQAM, plus le budget sera limité, moins l’offre de cours sera intéressante et donc moins il sera tentant d’aller étudier dans cette université ? On ne peut pas dire que ces associations ont le sens de leurs intérêts.

Somme toute, l’UQAM semble aujourd’hui en processus de divorce avec les Québécois. S’il est vrai que les Québécois se détournent de l’UQAM comme le démontre la baisse des inscriptions, il semble tout aussi vrai que l’UQAM se détourne des Québécois. Et c’est une mauvaise nouvelle pour tout le monde.

Voir aussi   

Proportion des étudiants universités au Québec selon la langue et l'origine

UQAM aurait une mauvaise réputation, à cause de ses professeurs intolérants ? (2016)

Legault parle de garantir la liberté de débat à l’université, Martine Delvaux de l’UQAM parle de « police » gouvernementale (2021)

Doctorants de l’UQAM — « Ceuzes qui sont contributeurices sont heureuxes » (2018)

Universités : après le mot « nègre » devenu tabou, le bannissement de « femme » et « homme » pour transphobie ? [UQAM] (2021) 

Longue confrontation lors d’un cours d’anatomie pour avoir rappelé l’importance biologique des différences sexuelles [UQAM] (2021)

Climat de violence à l’UQAM ? Commission Curzi Dumont : Menaces et vandalisme à l’UQAM : jusqu’où iront les étudiants et les syndicats ? (2013)

Les gouvernements surestiment-ils le rendement économique des diplômes universitaires ? 

La liberté d’expression à l’UQAM (2017) 

UQAM — Conséquence du boycott étudiant et de l’appui de profs ? Nouvelles inscriptions en forte baisse (2015)

Activistes font pression pour empêcher les anthropologues d’identifier les restes humains comme « masculins » ou « féminins » (2022)

UQAM — Débat sur ECR annulé suite à des menaces (m-à-j) (2017)

Remise en doute des origines autochtones d’une militante autochtone [UQAM] (2020)

Démographie — La Corée du Sud est-elle condamnée à disparaître ?

Avec un taux de natalité en chute libre, une population qui diminue et un vieillissement accéléré, Séoul fait face à une crise sans précédent aux conséquences économiques, sociales et culturelles incalculables. Il est urgent de trouver des solutions, alerte l’hebdomadaire « Hankyoreh21 ». 

 


En 2017, 1,05 ; en 2018, 0,98 ; en 2019, 0,92 ; en 2020, 0,84 ; en 2021, 0,81. Il s’agit de l’évolution du taux de fécondité en République de Corée. D’après la Commission économique des Nations unies pour l’Europe (CEE-ONU), le taux de fécondité minimal permettant de maintenir la démographie serait de 2,1, soit deux fois plus que celui que connaît actuellement le pays. Une fois la barre de 1 franchie, le nombre annuel de naissances peut chuter de moitié en trente ans. En dessous de 1,3, le taux est considéré comme extrêmement bas, ce qui est le cas de la Corée du Sud depuis 2002.

Le phénomène est d’autant plus préoccupant qu’il dure depuis longtemps et s’aggrave à une vitesse plus importante que prévu. En 2021, pour la première fois depuis la création de l’État, en 1948, la population a diminué [à environ 51 millions d’habitants aujourd’hui], diminution qui n’était attendue qu’en 2029, voire en 2032, selon une estimation de 2016. On annonce que le cap de 2030 sera catastrophique. L’Institut sur le vieillissement de la population d’Oxford a cité la Corée du Sud comme le premier pays qui disparaîtrait. Cho Young-tae, démographe et professeur de l’Université nationale de Séoul, déclare :

« Le taux de fécondité en dessous de 1 a longtemps été considéré comme improbable, à moins d’une épidémie ou d’une guerre. »

Il ajoute : « On ne perçoit pas tout de suite les répercussions de la baisse démographique sur l’économie et la société, mais quand le seuil critique est dépassé, il est très difficile d’agir, et cela pénalise gravement la qualité de vie des citoyens. Il est certain que la Corée du Sud a atteint ce seuil. »  

Une chute brutale

Aux alentours de 1960, le taux de fécondité du pays se situait aux environs de 5 ou de 6. C’était après la guerre de Corée [1950-1953] et il était « normal » pour un couple d’avoir plusieurs enfants. Ceux qui sont nés sous le fameux signe du Chien de 1958 [selon l’astrologie chinoise] sont plus d’un million et font partie de la génération des baby-boomers.

Le nombre annuel de naissances a dépassé plusieurs fois la barre du million jusqu’au début des années 1970, puis a commencé à baisser : il était, par exemple, de 860 000 en 1980 et de 650 000 en 1990. Ce dernier niveau s’est à peu près maintenu pour l’année 2000, avec 640 000 naissances, puis il a connu par la suite une chute brutale, avec 470 000 en 2010 et 270 000 en 2020. Cette tendance à la baisse risque de se poursuivre dans les années à venir, compte tenu de la diminution de la population en âge de se marier et de la mode du mariage tardif. 

La mal-nommée pyramide des âges de la Corée du Sud

 Des milliards d’euros sans effets pour relancer la natalité

Pour favoriser la procréation, le gouvernement sud-coréen aurait investi depuis vingt ans quelque 200 000 milliards de wons [environ 14,3 milliards d’euros]. Pas moins de deux mille mesures auraient été prises par les autorités centrales et locales dans ce même but. Comment expliquer que la situation ne fasse que s’aggraver malgré tous ces efforts ? « Une baisse démographique a souvent des causes multiples, économiques, sociales et culturelles. La solution n’est donc pas facile à trouver », explique Kim Chang-sun, président de l’Association coréenne de la population, de la santé et du bien-être (KoPHWA).

« Le problème le plus fondamental réside sans doute dans le fait que les jeunes générations sont moins habitées par l’espoir que par l’inquiétude quant à leur propre avenir. » [C’est possible, il est cependant plus probable que l’on a favorisé l’inculcation de valeurs antinatalistes dans la jeunesse, qu’on a trop valorisé les études longues et l’individualisme, trop insisté sur le court terme plutôt que sur le long terme, y compris l’aspect religieux, etc.]

Le nombre de mariages a également chuté de 430 000 en 1996 à 280 000 en 2016. L’an dernier, il est descendu pour la première fois en dessous de la barre de 200 000, avec 190 000 mariages. Par ailleurs, d’après les indicateurs sociaux 2020 de la Corée du Sud, publiés par Statistiques Corée, les Coréens ne ressentiraient pas autant qu’avant la nécessité d’avoir des enfants. Cette opinion concerne toutes les tranches d’âge, avec 60,6 % pour les 10-19 ans et 52,5 % pour les 20-29 ans. 

 

La pyramide des âges du Congo (RDC). En 2022, la population serait de 96 millions (le Congo indépendant n’a effectué qu’un seul et unique recensement depuis 1960, celui de 1984), fin 2023 la population devrait y attendre 100 millions et 120 millions en 2030. Certaines sources, comme le CIA Factbook, prétendent que le Congo (RDC) compte déjà plus de 108 millions d’habitants en 2022. La population du Congo belge en 1950 était de 12 millions d’habitants (avec moins de 100 000 Européens).

La politique de limitation des naissances a trop duré

Quand on considère qu’une évolution démographique est prévisible à l’intervalle d’une génération, soit environ trente ans, on peut chercher des éléments d’explication de la situation actuelle dans la politique démographique des années 1980.

Dans les années 1960, une campagne nationale alertait ouvertement : « À continuer à faire des enfants, nous resterons dans la misère. » Le taux de fécondité d’environ 6 à l’époque était un taux élevé, même pour un pays sous-développé. Souvent, une seule personne devait prendre en charge une famille nombreuse. Soucieux du développement de l’économie nationale, le gouvernement déploya une politique de limitation de naissances qu’il poursuivit dans les années 1970 et même dans les années 1980, alors que les mesures prises avaient porté leurs fruits, avec un taux de fécondité tombé à 2,1 en 1983.

Les économistes et les autorités croyaient ferme en la théorie de l’économiste britannique Thomas Malthus [1766-1834], qui avait prédit que, sans freins, la population augmenterait de façon exponentielle, tandis que les ressources ne croîtraient que de façon arithmétique. Cette politique de limitation des naissances n’a été remise en cause qu’en 2005, lorsque le taux de fécondité est tombé à 1,08.

Pénurie de main-d’œuvre et croissance vers le bas

Certains relativisent le phénomène actuel, arguant qu’il y a bien assez de Coréens sur un territoire national qui n’est pas si grand [environ 100 000 km²]. Cependant, la baisse du nombre de naissances a des répercussions sociales et économiques graves. En effet, une chute démographique entraîne la pénurie de main-d’œuvre, la réduction de la consommation et finit par tirer la croissance vers le bas.

Le système social actuel, conçu pour l’essentiel à une époque de croissance démographique, sera également perturbé. La baisse du nombre de naissances est directement liée au vieillissement de la population. La Corée du Sud n’est plus seulement une société vieillissante, c’est aussi une société de vieux. Avec la tendance actuelle, 100 personnes dans la population active soutiendront 60 personnes âgées en 2040, et 100 en 2065. L’argent va manquer pour subvenir aux besoins des aînés.

Le pays est déjà marqué par un taux de pauvreté très élevé chez les plus de 65 ans, réalisant dans ce domaine l’un des pires scores des membres de l’OCDE. Avec de moins en moins de jeunes et de plus en plus de personnes âgées, la prise en charge de celles-ci pèsera trois fois plus que la moyenne internationale d’ici cinquante ans, tel est le pronostic de Statistiques Corée.

« Il faut des mesures concrètes et cohérentes »

La décision de se marier et d’avoir des enfants appartient à chaque individu. L’incitation aussi bien que la limitation par l’État constituent une atteinte aux droits fondamentaux des citoyens. Que faire alors ? Les experts réclament tous une politique à long terme. Il faut faire évoluer la société de manière que les jeunes arrivent naturellement à penser que fonder une famille n’est pas un si mauvais choix. « Il faut mettre en place un tissu de mesures concrètes et cohérentes qui concernent les différentes étapes de la vie, de la naissance à la vieillesse », déclare M. Kim. De son côté, Cho Young-tae affirme :

« Notre avenir est directement lié au problème démographique. Il est très important d’anticiper son effet. Les baby-boomers auront quitté le marché du travail d’ici dix ans. Si on ne s’y prépare pas, on va vers une catastrophe. »

So Hyong-su, ancien vice-président de la Commission sur la baisse de la natalité et le vieillissement, propose, lui, d’« adapter le système social et économique en tenant compte de l’évolution démographique à venir, l’essentiel étant la répartition des ressources. Il faut améliorer la qualité de la vie en réduisant les inégalités sociales, la compétition et les concentrations géographiques de la population. » 

La crispation antiféministe des jeunes Sud-Coréens

Le 8 janvier dernier, Yoon Seok-youl, candidat à l’élection présidentielle [sud-coréenne du 9 mars] pour le Parti du pouvoir du peuple [opposition conservatrice], a annoncé sur sa page Facebook sa volonté de supprimer le ministère des Femmes et de la Famille. Cette proposition a fait grimper la cote de popularité de l’intéressé à un niveau jamais atteint par une autre promesse d’un candidat en campagne.

Derrière ce phénomène se cache une catégorie d’électeurs identifiée par un néologisme, celui d’« idaenam », abréviation de l’expression qui signifie les « hommes de 20 à 30 ans ». Mais le portrait qui sera dressé ici concerne plus largement les jeunes hommes jusqu’à l’âge de 35 ans environ. Les idaenam, que le slogan de M. Yoon a particulièrement enthousiasmés, sont aujourd’hui considérés comme la catégorie la plus conservatrice de la population sud-coréenne. C’est ce que montre une enquête d’opinion réalisée par le quotidien Joong Ang Ilbo à l’aide d’une panoplie de questions touchant la société, l’économie et la sécurité nationale. Les femmes de cette tranche d’âge étant nettement plus progressistes que les hommes, les 20 à 30 ans apparaissent comme le groupe où les divergences entre les deux sexes sont les plus flagrantes.

Droitisation des jeunes hommes

Lors de la dernière élection présidentielle, en 2017, 47 % des électeurs de 20 à 30 ans avaient voté pour le président Moon Jae-in [Parti démocrate, actuellement au pouvoir]. Si on y ajoute les 13 % alors obtenus par Shim Sang-Jung, candidate du Parti de la justice, la gauche représentait 60 % des votes dans cette catégorie de la population, qui s’avérait ainsi la plus progressiste après celle des 30 à 40 ans (64 %). Tous âges confondus, les deux candidats de gauche obtenaient respectivement 41 % et 6 %. Certes, un sondage réalisé la veille du scrutin avait montré que le soutien des femmes de 20 à 30 ans à ces deux candidats de gauche — 56 % et 18 % — était plus important que celui des hommes — 37 % et 10 %. Mais le total de 47 % correspondait néanmoins à la moyenne nationale.

Puis, lors de l’élection du maire de Séoul, en 2021, les idaenam ont massivement voté (à 72,5 %) pour le candidat du Parti du pouvoir du peuple, Oh Se-hoon, élu avec un score de 59 %. Cette victoire des conservateurs intervenait un an après celle des progressistes aux législatives. Beaucoup d’électeurs avaient ainsi exprimé leur mécontentement à l’encontre du gouvernement.

Toujours est-il que chez les jeunes, les hommes et les femmes ont manifesté deux tendances politiques clairement distinctes. La droitisation des jeunes hommes est un fait qui se vérifie régulièrement depuis quelques années, tandis que les jeunes femmes affichent de manière relativement constante une opinion proche des progressistes.

Pour comprendre, il faut d’abord se pencher sur le phénomène générationnel. Au début des années 2000, un débat avait eu lieu autour de ce que l’on appelait « les salauds de 20 ans », à savoir les jeunes adultes accusés par leurs aînés de ne s’intéresser qu’à leur réussite personnelle et pas assez aux sujets politiques et sociaux. Les jeunes en sont alors sortis affublés d’une image négative, dont les traces sont toujours là.

Puis ces jeunes ont fait parler d’eux à l’occasion d’événements marquants. En 2018, lors des Jeux olympiques d’hiver de Pyeongchang, ils ont signé une pétition contre l’initiative intergouvernementale de former une équipe féminine de hockey sur glace qui soit commune aux deux Corées, initiative qui, d’après eux, allait porter préjudice aux sportives sud-coréennes. En 2019, lors du scandale mettant en cause le ministre de la Justice Cho Kuk et sa femme, soupçonnés de plusieurs délits destinés à procurer des avantages à leur fille dans son parcours académique, des étudiants des meilleures universités de Séoul se sont mobilisés en demandant la démission du ministre. D’autres manifestants dénonçaient l’acharnement du parquet [dont le chef n’était autre que l’actuel candidat aux présidentielles Yoon Seok-youl, alors procureur général] dans cette affaire jugée politique. En 2020, l’annonce du gouvernement d’une titularisation d’un certain nombre de contractuels employés à l’aéroport international d’Incheon a provoqué encore un tollé chez les jeunes, qui trouvaient ce traitement injuste pour les autres.

On a alors analysé ces réactions des jeunes comme résultants d’une obsession pour le respect de l’équité, synonyme dans leur esprit d’une méritocratie qui consisterait à réussir les concours grâce au travail personnel sans se demander si les chances ont été égales pour tous au départ. La discrimination positive révulse beaucoup de ces jeunes. Dans les meilleures universités de Séoul, les étudiants recrutés dans le cadre du programme d’égalité des chances subissent le mépris de leurs camarades qui les traitent de « parasites ».

Par ailleurs, depuis quelques années, on constate chez les jeunes un clivage entre les deux sexes. En février 2019, la présidence avait rendu public un rapport sur la baisse du soutien au gouvernement chez les hommes de 20 à 30 ans. Outre les tensions entre les deux sexes, d’une part, et entre les générations, d’autre part, le rapport pointait du doigt certaines mesures prises par le président, Moon Jae-in, comme celle en faveur de la parité [l’attribution de postes ou avantages à des femmes parce que femmes].

En réalité, les conflits entre les deux genres remontent au moins à mai 2016, quand une femme a été assassinée par un inconnu dans des toilettes publiques. Le crime, présenté comme un féminicide, a suscité une vague de manifestations féminines, puis des contre-manifestations de la part des hommes, ulcérés d’être assimilés à des criminels potentiels. Ces affrontements se sont reproduits en 2018 lors du mouvement #MeToo. Un nombre non négligeable de jeunes hommes ont fini par se considérer comme des « victimes ». 

Des anti-féministes crient « Arrêtez la misandrie ! » lors d’un rassemblement à Séoul. De nombreux jeunes hommes sud-coréens affirment que ce sont les hommes, et non les femmes, qui se sentent menacés et marginalisés.

De nombreuses déclarations s’en sont suivies visant à prouver combien ils sont désavantagés dans la société, à commencer par le service militaire obligatoire [d’une durée d’environ dix-huit mois] jusqu’à des détails, comme le fait que sur les 573 places disponibles dans les différentes facultés de pharmacie à Séoul, 320 se trouvaient dans les universités féminines. En bref, les jeunes hommes subiraient des injustices partout.

Force est de constater que le rapport de la présidence était prémonitoire, et que les conflits entre hommes et femmes se trouvent aujourd’hui aggravés, probablement non sans rapport avec la radicalisation des jeunes hommes. Pour autant, ceux-ci ne sont pas sexistes. Dans une étude publiée en mars 2020 par Choe Chong-suk, chercheuse du Centre de recherche sur la démocratie en Corée, les hommes de 20 à 30 ans apparaissent très sensibilisés à l’égalité des sexes, par exemple à propos de la participation des hommes à l’éducation des enfants ou encore du rôle de chef pour les femmes au travail. L’article du Joong-Ang Ilbo déjà cité précise que les jeunes, quel que soit leur genre, se montrent par ailleurs soucieux du respect des droits des minorités sexuelles.

Compétition sans fin

Les idaenam ne sont donc pas des machistes, mais plutôt des antiféministes : ils condamnent le féminisme au nom de la justice et de la méritocratie. Ils semblent avoir trouvé leur porte-parole en la personne du chef du Parti du pouvoir du peuple, Lee Jun-seok, âgé de 37 ans, probablement à l'origine du slogan "Suppression du ministère des Femmes et de la Famille", qui a suscité un engouement immédiat chez eux.

Le fait que les jeunes hommes ont exprimé des opinions radicalement opposées à quatre ans d’intervalle, à la présidentielle de 2017 et aux municipales de 2021, montre que leur identité politique est en fait flottante. Certes, ils ne sont pas les seuls à perdre leurs repères en cette ère dite de la « post-vérité », où les opinions politiques se radicalisent. Il n’empêche que l’enquête du JoongAng Ilbo fait craindre une intériorisation progressive des idées ultraconservatrices.


[Traductions : Courrier international]

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