Ce vendredi, tous les tracteurs qui sortent de la chaîne d'assemblage de l'usine de Kubota à Sakai, au sud d'Osaka, sont équipés de petites roues usagées. « La quasi-totalité de notre production part à l'étranger et donc nous montons les véritables roues neuves sur chaque modèle à leur arrivée dans les pays où ils sont vendus », explique Shigeki Murata, le directeur de la production sur le site. Ses tracteurs, pelleteuses et engins professionnels de couleur orange partent pour les Etats-Unis, l'Europe ou les grandes fermes de Thaïlande et d'Inde.
Confronté à l'effondrement du nombre d'agriculteurs au Japon, le géant japonais a progressivement tourné son organisation vers l'international. « Désormais, 78 % des ventes de notre groupe se font à l'étranger », insiste Junji Takeda, le manager de l'usine de Sakai.
Avec la chute du yen face aux autres grandes devises - la monnaie nippone a perdu 30 % depuis début 2021 face au dollar -, Kubota voit la compétitivité de ses lignes d'assemblage nippones s'envoler. Pourtant, il ne dope pas ses capacités de production locales. Le PDG du groupe, Yuichi Kitao, a même annoncé qu'il voulait réduire sa dépendance à ses usines japonaises. Actuellement, elles fabriquent 70 % des engins du groupe. Il espère faire tomber prochainement ce ratio à 50 %. « L'idée est toujours de se protéger des variations de taux de change pour produire au plus près de la demande », détaille Junji Takeda. « Et il est de plus en plus difficile de trouver des travailleurs au Japon », lâche-t-il.
Le pays, qui perd plus de 800.000 habitants par an, ne trouve plus de serveurs, de maçons, d'infirmiers, de codeurs ou d'ouvriers et ne peut donc pas profiter de l'avantage théorique d'un yen faible. Ses entreprises n'ont plus les moyens humains de produire plus. En 2022, Toyota a exporté 5 % de voitures de moins qu'en 2021.
Inexorablement, le Japon voit son produit intérieur brut (PIB) s'engluer. Cette année, il va ainsi perdre, malgré ses 125 millions d'habitants, son titre de troisième plus grande économie de la planète au profit de l'Allemagne, qui ne compte que 83 millions d'habitants. La Banque du Japon doit annoncer mardi ses prévisions macro-économiques et une décision de politique monétaire que la majorité des économistes attendent inchangée.
Un recul inexorable
PIB/habitant en parité de pouvoir d'achat de l'Allemagne et du Japon (en rouge). |
Selon les dernières projections du FMI, le PIB japonais va légèrement reculer cette année, pour atteindre 4.230 milliards de dollars quand le PIB allemand va, lui, encore progresser pour atteindre 4.430 milliards de dollars. Les Etats-Unis et la Chine occupant respectivement la première et deuxième place de ce classement symbolique.
Au Japon, les élites politiques ont peu commenté ce recul. « Il est vrai que le potentiel de croissance du Japon a pris du retard et reste faible », a concédé le ministre japonais de l'économie, Yasutoshi Nishimura, avant de promettre d'essayer de rattraper ce retard dans le cadre de l'énième plan de relance que l'exécutif conservateur va dévoiler début novembre.
Bémol
Les éditorialistes pointent, avec pertinence, que la performance du Japon est mathématiquement sous-estimée dans les calculs du FMI effectués en dollars. La devise nippone reculant inexorablement face au billet vert, du fait du différentiel des taux d'intérêt entre le Japon et les Etats-Unis, la performance réalisée au Japon, en yens, apparaît beaucoup plus faible dans tous les palmarès en dollars. « Des comparaisons en produit national brut [PNB] seraient plus favorables au Japon », remarque Alicia Garcia Herrero, l'économiste en chef de Natixis en Asie Pacifique.
Le PNB intègre les valeurs ajoutées générées par les entreprises nationales à l'étranger, et pas seulement les valeurs ajoutées créées sur le territoire. Ce mode de calcul rend ainsi mieux compte du gigantesque réseau productif déployé, depuis des décennies, par les multinationales nippones en Asie et en Occident. « Il ne faut donc pas trop surestimer les classements par PIB surtout dans une comparaison entre le Japon, qui a beaucoup investi à l'étranger mais n'a, en revanche, jamais reçu beaucoup d'investissements étrangers, et une Allemagne qui, elle, a aussi beaucoup investi à l'international tout en recevant des investissements étrangers », précise l'experte.
« La productivité s'est affaiblie »
S'ils reconnaissent tous ces distorsions statistiques, les analystes expliquent que l'économie japonaise reste condamnée à perdre de son importance à l'échelle mondiale du fait de son effondrement démographique. « Avec le vieillissement de la population, la productivité au Japon s'est affaiblie. [L'inventivité aussi, le Japon a râté toutes les révolutions techniques récentes. Alfred Sauvy avait déjà indiqué il y a plus de 50 ans que le vieillissement de la France, son manque d'enfants, l'avait condamnée à moins inventer que l'Allemagne ou les États-Unis.] Les créations d'emplois ont maintenant surtout lieu dans le secteur des services et particulièrement sur des segments à faible valeur ajoutée comme la distribution. Les services financiers, qui sont forts en valeur ajoutée, ne progressent plus dans le pays. Et le secteur manufacturier ne cesse, lui, de perdre de son importance. Tout cela impacte directement le niveau de croissance », note Alicia Garcia Herrero.
Dans ses projections, le FMI affirme que le PIB japonais va d'ailleurs se faire doubler dès 2026 par le PIB indien qui va continuer de progresser, lui, de plus de 6 % par an. « Il devrait passer de 3.500 milliards de dollars en 2022 à 7.300 milliards de dollars en 2030 », assure Rajiv Biswas, économiste en chef de S&P Global Market Intelligence, qui pointe l'entrée dans le pays d'un flux énorme d'investissements étrangers et la poussée de la consommation intérieure. L'expert prédit que l'Inde dépassera aussi l'Allemagne pour s'emparer à son tour du titre de troisième plus grande économie du monde avant la fin de la décennie. Le FMI estime que ce bouleversement du classement pourrait se produire dès 2027.
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— 24h Pujadas (@24hPujadas) October 31, 2023