Mise à jour du 18 avril 2012
Critiques de l'étude de Pierre Fortin, Luc Godbout et Suzie Saint-Cerny :
Mise à jour du 13 avril 2012
L'étude de Pierre Fortin, Luc Godbout et Suzie Saint-Cerny dont il est fait mention ci-dessous est enfin parue. Mais apparemment pas dans une revue scientifique, uniquement sur internet,
ici. Rappelons que cette étude prétend que, pour l'année 2008, environ 70 000 mères sont retournées au travail grâce au programme québécois des services de garde à contribution réduite et que cet afflux de femmes en emploi a entraîné une majoration d’environ 5,1 G$ (5,1 milliards) du revenu intérieur (PIB) du Québec dans la même année.
La semaine passée, la troisième version de l'étude
Le point sur la petite enfance a été publiée. Les médias canadiens ont en fait grand cas, sans aucune distance. C'est ainsi que
le quotidien Métro titrait, par exemple, sans guillemets et sans conditionnel : « Le Québec, leader en matière de petite enfance ». La première phrase de l'article continuait sur le même ton : «
Avec ses garderies à 7$, le Québec est le leader canadien des politiques en matière de petite enfance. » Quant à Radio-canada, elle titrait avec la même confiance en citant la même étude : «
Piètre performance de la Saskatchewan en éducation à la petite enfance ».
Notons tout d'abord que cette étude a été rédigée par des militants de longue date, comme
feu Fraser Mustard, d'un programme gouvernemental pancanadien de garderies subventionnées. L'étude en elle-même n'apporte rien de neuf en termes scientifiques : il ne s'agit pas d'une nouvelle étude fondamentale, ni même d'une nouvelle métaétude rigoureuse. Il s'agit plutôt d'un long plaidoyer partisan, militant, dont la nouveauté est un classement des provinces en matière de petite enfance selon les critères choisis par ces partisans de programmes gouvernementaux.
Disons d'emblée, pour qu'on ne nous méprenne pas, que nous ne sommes pas opposés à des garderies pour certaines familles, selon leur besoin. Ce que nous défendons c'est le choix des parents et que la garde à la maison des jeunes enfants par les parents ne s'accompagne pas d'un coût prohibitif (de forts impôts pour financer les programmes subventionnés et une forte subvention accordée uniquement aux familles qui confient leurs bambins à des tiers).
L'« étude », il faudrait sans doute mieux parler du manifeste, n'hésite pas à afficher ses couleurs « progressistes ». C'est ainsi que, sans rire, ce manifeste déclare avec
grandiloquence l'importance des services de garderie universels car « Comment les citoyens peuvent-ils participer à la prise de décisions en matière de changement climatique et de
l’avenir de l’espèce humaine sans avoir les aptitudes nécessaires pour comprendre la complexité du problème ? » ou encore « Aujourd’hui, notre tâche, en fait,
notre survie même en tant qu’espèce, consiste à réduire la différence entre les pays riches et les pays pauvres et à s’assurer que les prochaines générations détiennent la capacité de mettre sur pied des sociétés démocratiques, pluralistes et prospères. » La survie de notre espèce dépendrait des services de garde gouvernementaux. Excusez du peu.
Mais comment le Québec a-t-il atteint sa première place et la Saskatchewan sa mauvaise note ? Par un effet de système qui
favorise les provinces dépensières dans le domaine, pas par une mesure réelle de l'efficacité quelconque des sommes dépensées.
Voici le tableau utilisé :
Ainsi sont favorisées les provinces qui paient le plus les gardiennes d'enfants, ainsi que les provinces où celles-ci sont accréditées par l'État, ont des « qualifications » et les provinces qui dépensent au moins 3 % de leur budget à l'éducation de la petite enfance. Il s'agit de critères bureaucratiques : plus les parents gardent eux-mêmes leurs enfants dans une province, plus cette province aura de mauvais points. Peu importe si les enfants de ces provinces (ou ces familles) sont moins stressés et réussissent mieux que ceux des provinces dépensières. Les provinces peu étatisées seront moins bien classées. Rappelons que les jeunes d'Alberta réussissent mieux que les jeunes Québécois
dans les études internationales comme le PISA ou
le PIRLS alors que l'Alberta a une « très mauvaise note » dans le classement de cette étude sur les garderies. (Il existe bien une étude interprovinciale où les jeunes Québécois font mieux que les jeunes Albertains, mais
elle est entachée par un absentéisme très important chez les élèves du Québec).
Ignorer les désagréments et les désavantages
Notons aussi que les
enfants des CPE connaîtraient une épidémie de détresse. Mais l'« étude »
Le point sur la petite enfance ne s'encombre pas de ce genre de détails. L'étude en général ne s'embarrasse guère plus des études qui affirment que la
maternelle publique et gratuite est sans effet sur les résultats au primaire, ou encore de l'
étude de chercheurs américains (qui ne dépendent donc pas des munificences de l'État québécois) sur le système de garderies québécois. Dans leur résumé, les professeurs d'économie Michael Baker, Jonathan Gruber et Kevin Milligan écrivent que l'introduction de ce programme a eu des conséquences négatives autant sur les parents que sur les enfants:
« [N]ous avons découvert des preuves frappantes que les enfants ont subi des détériorations dans un éventail d'aspects comportementaux et liés à la santé, allant de l'agression aux aptitudes motrices et sociales en passant par la maladie. Notre analyse suggère aussi que le nouveau programme de garderie a mené à des pratiques parentales plus hostiles et moins cohérentes ainsi qu'à une détérioration de la santé parentale et des relations parentales. »
Ignorer les vœux des parents
Le manifeste
Le Point sur la petite enfance s'inquiète peu de ce genre de choses, il a également tendance à passer par pertes et profits ce que les parents préfèrent : avoir de l'argent pour garder eux-mêmes leurs enfants comme plusieurs sondages l'ont déjà montré. On comprend bien que l'avis des parents ne pèse pas lourd quand la « survie de l'espèce est en jeu » et face à des bureaucrates qui savent, eux ! Peu importe donc si
77,9 % des parents canadiens préféraient en 2006 qu'un parent reste à la maison plutôt que de l'envoyer en garderie toute la semaine.
Au Québec,
un sondage de Léger Marketing de 2010 a permis de constater que, dans les deux tiers des familles québécoises, l'un des parents serait prêt à rester à la maison pour prendre soin des enfants d'âge préscolaire si l'État lui versait une allocation équivalente à la subvention qui est accordée pour une place en garderie subventionnée (CPE ou autre). On parle ici d'une subvention annuelle d'environ 9 000 dollars.
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« À la maison, je m'ennuie ! À la garderie, je suis content ! »
Affiche soviétique des années 30 |
La « logique » étatiste... confrontée à la réalité
À la base de ce rapport, on retrouve les mêmes raisonnements simplistes et implicites : il existe des cas (extrêmes) d'enfants mal entourés, des immigrants qui connaissent mal la langue locale, des enfants mal nourris, peu sollicités intellectuellement, les parents ne sont pas formés à leur métier de gardes d'enfant. De cas regrettables et très minoritaires, on tire une conclusion hâtive : le mieux est de confier l'éducation de vos bambins à des tiers et d'aller travailler. On a l'impression que les auteurs de ce rapport pourraient facilement dire aux parents : « Félicitations, c'est une fille ! Merci, vous pouvez nous la donner maintenant, à partir d'ici l'État s'en chargera. N'oubliez pas de payer vos factures et impôts ! »
Pierre Lefebvre, professeur au Département de sciences économiques de l'Université du Québec à Montréal (UQAM) précisait pourtant récemment qu'« [i]l y a un sérieux problème de qualité. J'irais même jusqu'à dire que la qualité est très basse, dans les garderies, que ce soit au niveau de la formation du personnel ou, encore, des interactions entre les éducatrices et les enfants ».
Toute l'expérience le l'État Nounou nous montre bien que l'État n'est pas en moyenne un meilleur parent que les parents biologiques.
Les enfants instruits à la maison s'en tirent très bien. Après tout, les masses d'argent dépensé depuis des décennies sur les services sociaux, l'éducation, la « prévention » par l'État-providence n'ont pas corrigé la nature humaine.
Des services de qualité
« Ah, mais si seulement les services de garde étaient de qualité ! » de nous dire les défenseurs de garderie. On ne peut évidemment pas s'opposer à une meilleure qualité. L'ennui c'est qu'on se demande si la qualité ne coûtera pas finalement plus cher que de laisser un des parents s'occuper lui-même de ses enfants en bas âge. On voit bien la tendance au Québec où les coûts des CPE et autres garderies augmentent nettement plus vite que l'inflation ou le nombre de places disponibles.
Selon Antagoniste, « les budgets des CPE sont passés de 417 millions à
1 898 millions de dollars, soit une augmentation de…
355 %. Vous avez bien lu, pour augmenter le nombre de places de 188 %, les budgets ont été augmentés de 355 %. »
Aucun effet prouvé sur la natalité
Un des plus grands partisans des milliards dépensés dans les garderies du Québec est Pierre Fortin, pour lui revenir sur l'énorme réseau de garderies étatisées serait «
rétrograde ». Pierre Fortin déclarait encore en décembre 2010 :
« La fécondité est maintenant plus élevée au Québec qu'ailleurs au Canada. L'an dernier, il y a eu 64 naissances par tranche de 1 000 femmes de 18 à 44 ans au Québec, et 61 dans les autres provinces canadiennes. Les Québécoises ont aussi été les plus actives : 80 % des femmes de 25-44 ans occupaient un emploi au Québec, contre 77 % ailleurs au Canada. Conciliation travail-famille, vous dites ? »
Notons d'abord que le taux de fécondité est bien supérieur dans les provinces « mauvaises élèves » selon le manifeste Le Point sur la petite enfance comme l'Alberta, le Manitoba ou la Saskatchewan. La fécondité de ces provinces de l'Ouest continue d'augmenter alors que celle du Québec plafonne au mieux malgré des sommes de plus en plus importantes consacrées à la politique dite « familiale » (mais uniquement certains types de familles, celles où les deux parents travaillent et confient leur enfants à des tiers).
L'Institut de la statistique du Québec admet d'ailleurs que :
« [O]n a toujours refusé de parler d’un baby-boom. Il y a eu un report des naissances – les femmes se sont mises à avoir leurs enfants plus tard, a-t-elle expliqué à mon collègue Gabriel Béland. On a donc connu un creux au début des années 2000. Les hausses des dernières années s’expliqueraient par le rattrapage. Mais ce rattrapage s’essouffle et ne semble plus faire augmenter les chiffres.
[...]
Or, absolument rien ne prouve que l’augmentation des naissances au Québec soit due aux mesures pro-famille mises en place au cours des dernières années. En effet, le nombre de naissances et l’indice de fécondité ont également crû dans les autres provinces du pays. La hausse semble avoir été un peu plus prononcée ici, mais il faudra du recul pour évaluer si la politique familiale a joué et comment. »
Pertes de liberté
Rappelons que la « politique familiale » étatiste du Québec s'accompagne d'une perte de liberté et de choix des parents. C'est ainsi qu'on interdit désormais tout acte religieux ou explication d'un fait religieux dans les garderies subventionnées et q
ue l'on songe à faire de même dans les garderies en milieu familial ! Alors que, si les parents recevaient directement des allocations de garderie (ou étaient moins imposés) égales aux subventions perçues par les garderies, ils pourraient plus facilement choisir des garderies religieuses ou non, selon leur préférence.
« Les garderies se paient d'elles-mêmes »
Dernier argument en faveur du programme de garderies québécois : il ne coûterait rien. Notons d'abord que, si la qualité des services est très médiocre comme l'affirme le professeur Pierre Lefebvre (voir ci-dessus), on peut se demander si, même gratuit, un tel programme est opportun. Ne parlons pas du fait que les parents voient moins leurs enfants grandir (comment quantifier cela ?) et que l'État limite l'éducation de ceux-ci (pas de religion, par exemple ! ).
C'est à nouveau Pierre Fortin (voir ci-dessus) qui avance cette idée de « gratuité » pour l'État de ces services. Selon lui, grâce aux CPE, lancés en 1997, le marché du travail peut en effet maintenant compter sur 70 000 Québécoises de plus qui engendrent toutes sortes de revenus et d'économies pour la société. Ce chiffre de 70 000 femmes supplémentaires qui travailleraient
est basé sur le fait qu'en 1996 (une année avant la mise en place des garderies dites à 7 $), le taux d'activité des femmes québécoises mères d'enfants de moins de six ans se chiffrait à 63 %, comparativement à 67 % en Ontario. En 2008, ce même taux d'activité se chiffrait à 74 % au Québec, et à 71 % en Ontario. Ces 70 000 femmes auraient ajouté 5,2 milliards de plus dans l'économie québécoise.
Pour les auteurs de cette étude (mise à jour en avril 2012), « comme les 69 700 mères de plus au travail ont fait augmenter l’emploi total du Québec de 1,78 %, c’est de 95,6 % [la productivité de ces jeunes mères par rapport à la moyenne selon d'aucuns] de 1,78 %, c’est-à-dire de 1,7 %, que le programme a finalement dû faire augmenter le revenu intérieur (PIB) du Québec en 2008. L’augmentation du PIB induite par le programme des services de garde à contribution réduite est finalement estimée à 5,1 G$ ».
Quelques objections semblent pouvoir être faites à cette étude très souvent citée :
- 5,2 milliards cela fait beaucoup : un surprenant 74.000 $ de plus par femme dans l'économie québécoise ! La majorité des mères sont relativement jeunes et gagnent donc relativement moins que la moyenne des salaires et sont donc sans doute nettement moins productives que la moyenne des employés. D'ailleurs, un calcul sur la moyenne comme le font Fortin et al. a-t-il même un sens ?
- Dans quelles mesures ces jeunes mères n'occupent-elles pas des postes que d'autres auraient pu occuper sans ces subventions ?
- Est-ce que l'argent donné directement aux parents pour qu'ils choisissent eux-mêmes la forme de garde ou la garderie de leurs enfants n'aurait pas eu le même effet ? Peut-être un effet supérieure puisqu'on aurait court-circuité la bureaucratie des CPE actuelle ?
- Le taux d'activité des Québécoises entre 1996 et 2008 a également augmenté parmi les femmes qui n'ont pas d'enfants en bas âge et là encore nettement plus vite qu'en Ontario. Il est désormais de 87 % pour les Québécoises (contre 84 % pour les Ontariennes) dont l'enfant le plus jeune à plus de 6 ans. Dans quelle mesure l'augmentation n'est-elle pas le résultat d'autres variables que la disponibilité de garderies à bon marché ?
- Selon le même organisme Le Point sur la petite enfance, les dépenses totales pour l’éducation de la petite enfance (garderie, maternelle, prématernelle) s'élèvent en 2010-2011 à 3 349 431 000 (3,35 milliards de dollars). Cela revient à 47 849 $ par femme employée supplémentaire...
- Quel est le coût d'opportunité ? Quels autres emplois l'État (ou les contribuables) pourrait-il faire de ce même argent ?
- Pourquoi la comparaison avec l'Ontario ? Que donneraient ces mêmes comparaisons avec l'Ouest ? Ou avec les provinces Atlantique où l'on a aussi pourtant assisté à un rattrapage dans le taux d'emploi des femmes mais sans garderies subventionnées ! Qu'est-ce qui permet de penser que les choses sont comparables, que les femmes veulent autant travailler en Ontario qu'au Québec, que les emplois disponibles sont les mêmes, que les qualifications des femmes sont restées les mêmes ?
Nous ne sommes pas les seuls à demander à voir ces données mieux étayées que par un PowerPoint, et comme le disait
l'Institut du mariage et de la famille Canada, « Que l'on accepte ou non les calculs qui sous-tendent ces prétentions — ce qui est loin d'être certain — il demeure qu'un système de garde universel gouvernemental n'a de sens que si la qualité de celui-ci est haute. » Et c'est loin d'être prouvé comme on l'a vu...