dimanche 6 mars 2016

La sexologue Thérèse Hargot : « La libération sexuelle a asservi les femmes »

Diplômée d’un DEA de philosophie et société à la Sorbonne puis d’une maîtrise en Sciences de la Famille et de la Sexualité, Thérèse Hargot (ci-contre) est sexologue. Elle tient un carnet et publie Une jeunesse sexuellement libérée (ou presque) chez Albin Michel.

Pour Thérèse Hargot, nous croyions avoir été libérés par la révolution sexuelle. Pourtant, entre le culte de la performance imposé par l’industrie pornographique et l’anxiété distillée par une morale hygiéniste, jamais la sexualité n’a été autant normée.

— Dans votre livre Une jeunesse sexuellement libérée, vous vous interrogez sur l’impact de la libération sexuelle sur notre rapport au sexe. Qu’est-ce qui a changé, fondamentalement ?

Thérèse Hargot — Fondamentalement, rien. Si la norme a changé, notre rapport à la norme lui est le même : nous restons dans un rapport de devoir. Nous sommes simplement passés du devoir de procréer à celui de jouir. Du « il ne faut pas avoir de relations sexuelles avant le mariage » à « il faut avoir des relations sexuelles le plus tôt possible ». Autrefois, la norme était donnée par une institution, principalement religieuse, aujourd’hui, elle est donnée par l’industrie pornographique. La pornographie est le nouveau vecteur des normes en matière de vie sexuelle.
Enfin, alors qu’autrefois les normes étaient extérieures, et explicites, aujourd’hui elles sont intériorisées et implicites. Nous n’avons plus besoin d’une institution qui nous dise ce que nous devons faire, nous l’avons très bien intégré par nous-mêmes. On ne nous dit plus explicitement quand est-ce que nous devons avoir un enfant, mais nous avons toutes très bien intégré le « bon moment » pour être mères : surtout pas trop tôt, et lorsque les conditions financières sont confortables. C’est presque pire : comme nous nous croyons libérés, nous n’avons plus conscience d’être soumis à des normes.




— Quels sont les nouveaux critères de cette normativité sexuelle ?

— La nouveauté, ce sont les notions de performance et de réussite, qui se sont introduites au cœur de la sexualité. Que ce soit pour la jouissance, mais aussi dans notre rapport à la maternité : il faut être une bonne mère, réussir son bébé, son couple. Et qui dit performance, efficacité, dit angoisse de ne pas y arriver. Cette angoisse crée des dysfonctions sexuelles (perte d’érection, etc..). Nous avons un rapport très angoissé à la sexualité, car nous sommes sommés de la réussir.

— Cela touche-t-il autant les hommes que les femmes ?

— Les deux, mais de manière différente. On reste dans les stéréotypes : l’homme doit être performant dans sa réussite sexuelle, et la femme dans les canons esthétiques.

La norme semble aussi passer par un discours hygiéniste, qui a remplacé les morales d’antan…

Le sida, les MST, les grossesses non désirées : nous avons grandi, nous, petits enfants de la révolution sexuelle, dans l’idée que la sexualité était un danger. À la fois on nous dit que nous sommes libres et en même temps que nous sommes en danger. On parle de « safe-sex » de sexe propre, on a remplacé la morale par l’hygiène. Culture du risque et illusion de liberté, tel est le cocktail libéral qui règne désormais, aussi, dans la sexualité. Ce discours hygiéniste est très anxiogène, et inefficace : de nombreuses MST sont toujours transmises.

— Vous êtes sexologue au collège. Qu’est-ce qui vous frappe le plus chez les adolescents que vous fréquentez ?

— La chose la plus marquante, c’est l’impact de la pornographie sur leur manière de concevoir la sexualité. Avec le développement des technologies et d’internet, la pornographie est rendu extrêmement accessible, et individualisée. Dès le plus jeune âge, elle conditionne leur curiosité sexuelle : à 13 ans, des jeunes filles me demandent ce que je pense des plans à trois. Plus largement, au-delà des sites internet pornographiques, on peut parler d’une « culture porno », présente dans les clips, les émissions de téléréalité, la musique, la publicité, etc. [...]


— « Être libre sexuellement au XXIe siècle, c’est donc avoir le droit de faire des fellations à 12 ans ». La libération sexuelle s’est-elle retournée contre la femme ?

— Tout à fait. La promesse « mon corps m’appartient » s’est transformée en « mon corps est disponible » : disponible pour la pulsion sexuelle masculine qui n’est en rien entravée. La contraception, l’avortement, la « maîtrise » de la procréation ne pèsent que sur la femme. La libération sexuelle n’a modifié que le corps de la femme, pas celui de l’homme. Censément pour la libérer. Le féminisme égalitariste, qui traque les machos, veut imposer un respect désincarné des femmes dans l’espace public. Mais c’est dans l’intimité et notamment l’intimité sexuelle que vont se rejouer les rapports de violence. Dans la sphère publique, on affiche un respect des femmes, dans le privé, on regarde des films pornos où les femmes sont traitées comme des objets. En instaurant la guerre des sexes, où les femmes se sont mises en concurrence directe avec les hommes, le féminisme a déstabilisé les hommes, qui rejouent la domination dans l’intimité sexuelle. Le succès de la pornographie, qui représente souvent des actes violents à l’égard des femmes, du porno vindicatif, et de Cinquante nuances de Grey, roman sadomasochiste, sont là pour en témoigner.

— Vous critiquez une « morale du consentement » qui fait de tout acte sexuel un acte libre pourvu qu’il soit « voulu »…

— Avec nos yeux d’adultes, nous avons parfois tendance à regarder de façon attendrie la libération sexuelle des plus jeunes, émerveillés par leur absence de tabous. En réalité, ils subissent d’énormes pressions, ils ne sont pas du tout libres. La morale du consentement est au départ quelque chose de très juste : il s’agit de dire qu’on est libre lorsqu’on est d’accord. Mais on a étendu ce principe aux enfants, leur demandant de se comporter comme des adultes, capables de dire oui ou non. Or les enfants ne sont pas capables de dire non. On a tendance à oublier dans notre société la notion de majorité sexuelle. Elle est très importante. En dessous d’un certain âge, on estime qu’il y a une immaturité affective qui ne rend pas capable de dire « non ». Il n’y a pas de consentement. Il faut vraiment protéger l’enfance.

— À contre-courant, vous prônez la contraception naturelle, et critiquez la pilule. Pourquoi ?

— Je critique moins la pilule que le discours féministe et médical qui entoure la contraception. On en a fait un emblème du féminisme, un emblème de la cause des femmes. Quand on voit les effets sur leur santé, leur sexualité, il y a de quoi douter ! Ce sont elles qui vont modifier leurs corps, et jamais l’homme. C’est complètement inégalitaire. C’est dans cette perspective que les méthodes naturelles m’intéressent, car elles sont les seules à impliquer équitablement l’homme et la femme. Elles sont basées sur la connaissance qu’ont les femmes de leurs corps, sur la confiance que l’homme doit avoir dans la femme, sur le respect du rythme et de la réalité féminines. Je trouve cela beaucoup plus féministe en effet que de distribuer un médicament à des femmes en parfaite santé ! En faisant de la contraception une seule affaire de femme, on a déresponsabilisé l’homme.

— Vous parlez de la question de l’homosexualité, qui taraude les adolescents….

— « Être homosexuel », c’est d’abord un combat politique. Au nom de la défense de droits, on a réuni sous un même drapeau arc-en-ciel des réalités diverses qui n’ont rien à voir. Chaque personne qui dit « être homosexuelle » a un vécu différent, qui s’inscrit dans une histoire différente. C’est une question de désirs, de fantasmes, mais en rien une « identité » à part entière. Il ne faut pas poser la question en termes d’être, mais en termes d’avoir. La question obsède désormais les adolescents, sommés de choisir leur sexualité. L’affichage du « coming out » interroge beaucoup les adolescents qui se demandent « comment fait-il pour savoir s’il est homosexuel, comment savoir si je le suis ? » L’homosexualité fait peur, car les jeunes gens se disent « si je le suis, je ne pourrais jamais revenir en arrière ». Définir les gens comme « homosexuels », c’est créer de l’homophobie. La sexualité n’est pas une identité. Ma vie sexuelle ne détermine pas qui je suis.

— Que faire selon vous pour aider la jeunesse à s’épanouir sexuellement ? Est-ce un but en soi ? Les cours d’éducation sexuelle sont-ils vraiment indispensables ?

— Il ne faut pas apprendre aux adolescents à s’épanouir sexuellement. Il faut apprendre aux jeunes à devenir des hommes et des femmes, les aider à épanouir leur personnalité. La sexualité est secondaire par rapport à la personnalité. Plutôt de parler de capotes, de contraception et d’avortement aux enfants, il faut les aider à se construire, à développer une estime de soi. Il faut créer des hommes et des femmes qui puissent être capables d’être en relation les uns avec les autres. Il ne faut pas des cours d’éducation sexuelle, mais des cours de philosophie !

Une jeunesse sexuellement libérée (ou presque)
de Thérèse Hargot
paru le 3 février 2016
aux éditions Albin Michel
à Paris
224 pages
ISBN-10: 2226320121
ISBN-13: 978-2226320124

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