Récemment, il publiait Hollywar, sous-titré Hollywood, arme de propagande massive. Pour Conesa, Hollywood est une usine à rêves, mais aussi une formidable machine à créer des méchants. À chaque époque sa cible. D’abord incarné par le Noir, représenté comme un illettré, un paresseux obsédé par la femme blanche, l’ennemi a ensuite pris les traits de l’Indien, sauvage et agressif, puis du Chinois cruel, du basané — bandit mexicain, gras et transpirant, ou trafiquant colombien —, du nazi ou du communiste… Plus récemment, lors de la deuxième guerre du Golfe [en fait bien avant, voir « The » Revenant, Hollywood et le Canadien français qui donne plusieurs exemples de caricatures sans rapport avec la guerre du Golfe] c’est le « Frenchie » qui a cristallisé la rancœur des États-Unis, avant qu’il soit remplacé par l’Arabo-Irano-terroristo-musulman.
Pour mener l’enquête, l’auteur a passé au crible plus de trois mille films, le plus souvent des objets cinématographiques de consommation courante, ceux qui forgent l’opinion publique bien plus que les chefs-d’œuvre. De manière implacable, il démontre comment Hollywood, en jouant de la confusion entre fiction et réalité, cinéma et géopolitique, est devenu une arme de propagande massive, capable de transformer les ennemis des États-Unis en menaces planétaires.
Ci-dessous la recension de cet ouvrage par Éric Zemmour.
Vous êtes confortablement installé dans un fauteuil rouge ; vous grignotez distraitement un paquet de maïs soufflés ; un film défile devant vos yeux ébaubis ; vous l’ignorez, mais vous faites de la politique. Vous croyez que le cinéma est une usine à rêves, quand elle est d’abord une fabrique d’idéologies ; vous croyez qu’on vous raconte une histoire, alors qu’on vous endoctrine. Vous êtes persuadé que seuls les régimes totalitaires du XXe siècle, nazi et communiste, ont utilisé le cinéma comme machine de propagande ; vous avez retenu les noms de Leni Riefenstahl ou Eisenstein ; vous ne vous êtes pas aperçu que les démocraties, française ou américaine, sont elles aussi très douées ; et que la meilleure machine de cinéma du monde, Hollywood, est aussi logiquement une arme de propagande massive qui dépasse tout ce qu’on a vu dans l’histoire.
Cette dimension idéologique du cinéma en général, et de Hollywood en particulier, est au cœur du livre de Pierre Conesa. Ce cinéphile amateur et géopoliticien professionnel ne cache pas son admiration pour les grands cinéastes américains. Cela ne l’a pas empêché de se plonger dans le fond de sauce de Hollywood, tous ces films de série B ou Z, qui ont souvent plus de succès public que les chefs-d’œuvre. Il en est ressorti avec une grille de lecture passionnante qui montre que le cinéma américain a forgé l’identité nationale des États-Unis.
Hollywood a été pour les Américains ce que l’État, l’Église et la littérature furent pour l’édification du roman national français : à la fois machine à raconter une histoire glorieuse de la nation et à désigner un ennemi. Conesa s’attarde surtout sur ce dernier rôle. Il passe en revue les « ennemis » de l’intérieur : l’Indien, le Noir, le Jaune, le Mexicain. Il démontre que Hollywood les a affublés de stéréotypes infamants dès l’invention du cinéma, même lorsque celui-ci était muet. Il rappelle la formule célèbre de Roland Barthes : « Le stéréotype est un fait politique, la figure majeure de l’idéologie. » Le grand juriste allemand Carl Schmitt nous a appris que le propre de la politique est de « désigner l’ennemi ». Hollywood fait d’abord et avant tout de la politique.
Il arrive d’ailleurs à notre auteur de se contredire quand il nous dit que « Hollywood ne raisonne qu’en fonction des résultats commerciaux d’un film ». En fait, Conesa tombe — pour une fois — dans le panneau de notre machine de propagande. L’intérêt économique et commercial est l’argument habituel de ces grands féodaux ploutocratiques. Ils ne feraient que suivre la volonté des spectateurs, comme s’ils se soumettaient à une démocratie consumériste. Ils font mine de ne pas savoir qu’au cinéma aussi l’offre crée la demande et que les patrons de Hollywood façonnent un esprit public devant lequel ils font semblant de s’incliner. Ainsi Conesa nous rappelle-t-il que, pendant les années 1930, Hollywood fut d’une discrétion de violette vis-à-vis de Hitler. Notre auteur nous explique que « Hollywood ne veut pas perdre le marché allemand totalement contrôlé par Goebbels ». Il oublie seulement que les élites américaines, hormis le président Roosevelt et les cinéastes juifs, sont alors favorables à l’Allemagne, qu’elles ont soutenue financièrement et médiatiquement depuis les années 1920, contre une France présentée comme militariste et revancharde. En 1940, Charlie Chaplin sonne avec Le Dictateur l’entrée en guerre de l’Amérique et de Hollywood.
Puis vint le temps des ennemis communistes, soviétiques, avant les terroristes arabes ou le « Frenchie » pacifiste.
En 1996, on apprenait que la CIA « collaborerait désormais ouvertement aux productions de Hollywood, à titre strictement consultatif ». Au moins, les choses étaient désormais assumées : Hollywood était l’annexe officielle de la centrale d’espionnage américaine.
La machine de propagande hollywoodienne ne s’arrête jamais et inonde le monde entier. Ceux qui résistent sont traités de protectionnistes et de chauvins. Pourtant, « le cinéma américain occupe 80 % à 95 % de l’espace dans les pays européens. Les films français, deuxièmes sur les marchés occidentaux, ne réalisent pas 4 % de la part de marché chez leurs voisins européens (…). Le déficit de la balance commerciale [dans le domaine cinématographique] entre les EU et l’Europe était de 3 milliards d’euros en 1993 ; il est de 9 milliards d’euros aujourd’hui. En France même (le seul pays d’Europe qui impose un système de quotas nationaux), la part du cinéma américain est de 60 %. Le ministre de la Culture de Corée du Sud comparait “Hollywood à un dinosaure qui tue l’écosystème” ». Pendant qu’ils inondent le monde, les Américains défendent farouchement leur pré carré en exigeant l’« américanisation » des films étrangers : reprenant la trame des scénarios, ils arrangent tout à leur sauce, avec des acteurs, des dialogues et une ambiance « made in USA ».
Une logique coloniale implacable. Une logique qui entraîne de légitimes révoltes décolonisatrices du côté des Chinois, des Indiens (Bollywood), voire des Coréens du Sud ou du monde musulman (Halalywood). De quoi conforter des Français longtemps isolés et brocardés dans cette résistance. [Voir Cinéma — le marché chinois a dépassé le nord-américain, la part d’Hollywood s’effondre en Chine]
Hollywar,
Hollywood, arme de propagande massive,
par Pierre Conesa,
chez Robert Laffont,
à Paris,
publié en 2018,
224 pages,
ISBN-13 : 978-2221217221
Il existe un film hollywoodien sur l’expédition de Lewis et Clark (1804-1806). Il s’agit d’Horizons lointains tourné en 1955 avec Charlton Heston (un an avant sa participation dans la superproduction Les Dix Commandements). Le film tend à évacuer quasiment totalement le rôle des Français dans l’expédition
et mythifie celui de Sacagawea. Toussaint Charbonneau dans la vie réelle était l’époux de Sacagawea et le père de leur jeune fils pendant l’expédition. Dans le long métrage, il n’apparaît que, brièvement au demeurant, comme une brute sale, grassouillette, cupide, fourbe et mal embouchée qui réclame sa propriété, Sacagawea. Mais elle n’a d’yeux que pour le beau Charlton Heston, l’officier américain Clark qui lui conte fleurette et la séduit par ses discours et sa tendresse civilisés. Clark
est l’auteur du journal de l’expédition. Celle-ci comptait effectivement l’Indienne Sacajawea (également nommée la « Femme-oiseau »). Elle servit d’interprète et guida à certains moments les explorateurs. Mais, à l’inverse de sa situation dans le film où elle
tombe amoureuse de Clark, elle fut accompagnée durant tout le voyage par le trappeur « canadien » Toussaint Charbonneau qu’elle avait épousé avant le départ et dont elle avait un jeune enfant. Charbonneau, contrairement à sa description dans Lointains Horizons, était loin d’être antipathique, même s’il n’était pas sans défauts évidents.
Clark ne mentionne à aucun moment dans son journal la moindre amourette.
Clark et Sacageawa ne pouvaient d’ailleurs se parler en toute intimité puisque pour lui parler Clark devait passer par François Labiche qui comprenait l’anglais. Labiche traduisait ensuite en français pour Charbonneau qui ne parlait pas anglais et qui traduisait à son tour en meunitarri (gros ventre) à sa femme… Labiche n’est pas le seul absent du film, on ne voit pas plus le métis George Drouillard,
qualifié de meilleur chasseur de l’équipée par Lewis. Cette mythification de Sacageawa (dont on sait peu de choses en réalité) et cette dépréciation du rôle des Français ne sont pas le seul fait de ce film, on le retrouve également dans plusieurs romans qui traitent de cette expédition. Voir Anti‑French Sentiment in Lewis and Clark Expedition Fiction.
Le film The Revenant
(2015) adopta à nouveau une « représentation libre » du personnage de Toussaint Charbonneau, incarné par l’acteur français Fabrice Adde, qui commet un viol. C’est ce rôle que Roy Dupuis a refusé. [Plus de détails sur mythification de la femme-oiseau et la caricature de Charbonneau dans les fictions relatant l'expédition Lewis et Clark.]
Voir aussi
Clivage entre les critiques professionnels et le public : les cas Mignonnes et Une Ode américaine
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Nouvelle traduction « antiraciste » d’Autant en emporte le vent
Cinéma — le marché chinois a dépassé le nord-américain, la part d’Hollywood s’effondre en Chine
Histoire — Aux origines de la légende noire espagnole
Histoire — Jules Brunet, le vrai-faux dernier samouraï (non il ne fut pas Américain...)