lundi 29 mars 2021

Le Collège des médecins a-t-il failli à sa mission ?

Lettre ouverte du docteur Beliveau, médecin à la retraite, qui semble avoir la liberté de parler publiquement au nom de plusieurs médecins actuellement bâillonnés! Le Collège des médecins «impose l’omerta parmi ses membres, favorisant une dictature médico-politique (doctature) et un discours aligné, monolithique et unidimensionnel, alors que l’erreur est monnaie courante en médecine». Lettre parue dans La Presse.

Dans un article récemment publié dans L’Actualité médicale, le président du Collège des médecins, le Dr Mauril Gaudreault, nous fait part ouvertement de ses inquiétudes : « Un ordre professionnel doit protéger le public, mais je me demandais si le public se sentait protégé. » Puis, un peu plus loin dans le texte, autour du thème très actuel de la COVID-19, il ajoute « qu’il n’a pas pris position sur certains enjeux sur la place publique, question de laisser toute la marge de manœuvre nécessaire pour que la santé publique puisse faire son travail », expliquant que « ce n’est pas le temps présentement de formuler des critiques ».

C’est en soi une prise de position. Très claire. Et très dangereuse.

Elle laisse ainsi le champ complètement libre à la Santé publique, qui ne pourrait être sujette à aucune critique des mesures suggérées ou imposées.

Comme si la Santé publique et son directeur étaient détenteurs de la vérité. Pourtant, après plus d’un an d’un régime de plus en plus liberticide, une stratégie dominante en Occident, la communauté médicale se doit de réagir. De briser le silence. D’oser prendre la parole !

Que le président du Collège préfère rester « silencieux », je veux bien.

Toutefois, le Collège, qui devrait protéger la population et favoriser, sinon imposer, un débat ouvert et libre parmi tous les membres de la société (médecins non experts inclus), est silencieux comme une tombe.

Pire, il impose l’omerta parmi ses membres, favorisant une dictature médico-politique et un discours aligné, monolithique et unidimensionnel, oubliant que l’erreur est monnaie courante en médecine. Or, la science, comme l’expliquait le philosophe Karl Popper, n’est science que si elle se fait le devoir de mettre en doute, de contester et de toujours tenter de réfuter toute « vérité » présumée.

C’est donc la responsabilité de la médecine, qu’elle soit Santé publique ou civile, d’informer, de proposer, d’éduquer et de se méfier des tendances prétentieuses à imposer, infantiliser, culpabiliser et dicter. Or, le Québec, comme une bonne partie de l’Occident, s’est plié à une dictature sanitaire, une « doctature », où l’arbitraire est roi. La science est ainsi instrumentalisée et présentée comme un outil infaillible qui fournit une base incontestable pour justifier des décisions qui affectent toutes les couches de la société, tant celles menacées que celles très peu à risque.

MAL FAIRE OU TROP EN FAIRE

Nortin Hadler a classé les erreurs médicales en deux catégories : les premières sont de « ne pas faire ou de mal faire ce qui est médicalement requis » ; les deuxièmes, les plus fréquentes aujourd’hui, sont de trop en faire, de surmédicaliser, de surtraiter, donc, de parfaitement faire ce qui n’est pas nécessaire ou ce qui s’avère nuisible. Depuis le début de cette crise, nos autorités ont commis les deux types d’erreurs.

Le premier confinement se justifiait alors qu’on était en pleine crise, en pleine confusion. Il eût été suicidaire politiquement pour le gouvernement d’être passif alors qu’un vent de panique nourri par les médias gagnait la population. Rapidement, il a été possible d’identifier les populations présentant un risque élevé et on aurait pu mieux cibler, mieux orienter diverses mesures. Rejetant cette approche, les autorités s’acharnent plutôt à faire plus (trop) de ce qui ne fonctionne pas, causant d’énormes dommages collatéraux. Pour éviter de paraître négligent, on provoque ainsi des dommages irréparables, en particulier envers les plus démunis, les jeunes, les femmes, les enseignants, les entrepreneurs et tant d’autres. Pour quiconque ouvre les yeux, ces dommages collatéraux sont insoutenables.

Aveuglée par la pandémie, la Santé publique ignore une règle fondamentale en médecine : Primum non nocere, d’abord ne pas nuire.

Actuellement, les seuls médecins qui peuvent impunément s’exprimer, émettre leurs opinions sans s’exposer aux foudres du Collège sont les retraités comme moi. Cet état de fait est inacceptable dans une démocratie. Les médecins sont aussi des citoyens et doivent pouvoir s’exprimer et débattre. Librement. Sans inquiétude. En bâillonnant ses membres, le Collège continue de manquer à son devoir de « protéger la population ». Il convient de le dire haut et fort. Et de souhaiter un changement drastique d’attitude.

Je termine par deux citations, une du médecin Norbert Bensaid (auteur de La lumière médicale, les illusions de la prévention) : « On favorise les médecins savants au détriment de ceux qui savent soigner. Il est, hélas ! faux que les deux aillent ensemble. Très souvent, on est prisonnier de ce qu’on sait ou croit savoir, et on ne sait plus s’en servir. [L]a relation médecin-malade reste le lieu privilégié d’une éducation sanitaire qui ne retomberait ni dans le lavage de cerveau publicitaire, ni dans la catéchisation, ni dans la mobilisation, sous le couvert de la raison, des passions les plus dangereuses. »

L’autre citation est issue d’un éminent juriste, ex-juge de la Cour suprême en Grande-Bretagne, récemment retraité, Lord Jonathan Sumption : « Les gouvernements traitant de questions scientifiques ne devraient pas se laisser influencer par un seul groupe de scientifiques. Ils devraient toujours tester ce qu’on leur dit, de la même manière que, par exemple, les juges testent l’opinion d’un expert en produisant un contre-expert et en déterminant quel ensemble de points de vue s’avère le meilleur. »

Garder les yeux ouverts et l’esprit critique, c’est un devoir qui est au cœur de notre travail d’aidant. Un devoir citoyen aussi. Et pouvoir discuter librement, un droit que devrait âprement protéger et défendre sans compromis notre Collège, si son mandat est bien celui de protéger la population.


Condorcet (mort le 29 mars 1794) : L’éducation publique doit-elle se borner à l’instruction ?

Jean-Antoine-Nicolas Caritat, marquis de Condorcet est né à Ribemont dans l’Aisne en 1743. Formé dans des collèges jésuites, puis élève de d’Alembert, il s’oriente d’abord vers les mathématiques et ses publications (notamment sur le calcul intégral) lui valent d’entrer en 1769 à l’Académie royale des sciences. En 1774 l’économiste Turgot l’appelle pour le rejoindre au ministère des Finances. L’intérêt de Condorcet se tourne alors vers la philosophie et la politique. Il se distingue alors pour son activité au profit des droits de l’homme, des droits femmes, des juifs et des personnes de couleur, et en soutien de la très jeune république des États-Unis d’Amérique (1776). Il est élu en 1782 à l’académie française. Dès la convocation des États Généraux il s’engage dans une activité politique intense et est élu à l’assemblée législative. En 1793, hostile au fait que le roi soit jugé par la Convention, Condorcet vote pour « la peine la plus élevée en deçà de la mort ». Il prépare avec Thomas un projet de constitution dite « girondine » que l’Assemblée rejette pour lui préférer, quelques mois plus tard, un projet initié par le Comité de salut public. Indigné, Condorcet publie un Avis aux français sur la nouvelle Constitution qui lui vaudra d’être décrété d’arrestation pour trahison le 8 juillet 1793. Il échappe à ses poursuivants jusqu’au 27 mars 1794. Arrêté à Clamart il est emprisonné à Bourg-Égalité (Bourg-la-Reine), il est retrouvé mort dans sa cellule le 29 mars 1794.
« L’éducation publique doit-elle se borner à l’instruction ? On trouve chez les anciens quelques exemples d’une éducation commune où tous les jeunes citoyens, considérés comme les enfants de la république, étaient élevés pour elle, et non pour leur famille ou pour eux-mêmes. Plusieurs philosophes ont tracé le tableau d’institutions semblables. Ils croyaient y trouver un moyen de conserver la liberté et les vertus républicaines, mais un motif oblige de borner l’éducation publique à la seule instruction, c’est qu’on ne peut l’étendre plus loin sans porter atteinte aux droits des parents et parce qu’une éducation publique deviendrait contraire à l’indépendance des opinions. [Note du carnet : ce paragraphe est un résumé de l'introduction de Condorcet. Voir le texte original :​http://www.numilog.com/​fiche_livre.asp?​id_livre=182] L’éducation, si on la prend dans toute son étendue, ne se borne pas seulement à l’instruction positive, à l’enseignement des vérités de fait et de calcul, mais elle embrasse toutes les opinions politiques, morales ou religieuses. Or, la liberté de ces opinions ne serait plus qu’illusoire, si la société s’emparait des générations naissantes pour leur dicter ce qu’elles doivent croire. Celui qui en entrant dans la société y porte des opinions que son éducation lui a données n’est plus un homme libre, il est l’esclave de ses maîtres, et ses fers sont d’autant plus difficiles à rompre, que lui-même ne les sent pas, et qu’il croit obéir à sa raison, quand il ne fait que se soumettre à celle d’un autre. On dira peut-être qu’il ne sera pas plus réellement libre s’il reçoit ses opinions de sa famille. Mais alors ces opinions ne sont pas les mêmes pour tous les citoyens ; chacun s’aperçoit bientôt que sa croyance n’est pas la croyance universelle, il est averti de s’en défier, elle n’a plus à ses yeux le caractère d’une vérité convenue, et son erreur, s’il y persiste, n’est plus qu’une erreur volontaire.

Les préjugés qu’on prend dans l’éducation domestique sont une suite de l’ordre naturel des sociétés, et une sage instruction, en répandant les lumières, en est le remède ; au lieu que les préjugés donnés par la puissance publique sont une véritable tyrannie, un attentat contre une des parties les plus précieuses de la liberté naturelle.

Les anciens n’avaient aucune notion de ce genre de liberté, ils semblaient même n’avoir pour but, dans leurs institutions, que de l’anéantir. Ils auraient voulu ne laisser aux hommes que les idées, que les sentiments qui entraient dans le système du législateur.

Enfin, une éducation complète s’étendrait aux opinions religieuses ; la puissance publique serait donc obligée d’établir autant d’éducations différentes qu’il y aurait de religions anciennes ou nouvelles professées sur son territoire ; ou bien elle obligerait les citoyens de diverses croyances, soit d’adopter la même pour leurs enfants, soit de se borner à choisir entre le petit nombre qu’il serait convenu d’encourager. On sait que la plupart des hommes suivent en ce genre les opinions qu’ils ont reçues dés leur enfance, et qu’il leur vient rarement l’idée de les examiner. Si donc elles font partie de l’éducation publique, elles cessent d’être le choix libre des citoyens, et deviennent un joug imposé par un pouvoir illégitime.

En un mot, il est également impossible ou d’admettre ou de rejeter l’instruction religieuse dans une éducation publique qui exclurait l’éducation domestique, sans porter atteinte à la conscience des parents, lorsque ceux-ci regarderaient une religion exclusive comme nécessaire,ou même comme utile à la morale et au bonheur d’une autre vie. Il faut donc que la puissance publique se borne à régler l’instruction, en abandonnant aux familles le reste de l’éducation.

Elle n ’a pas droit de faire enseigner des opinions comme des vérités.

La puissance publique ne peut, sur aucun objet, avoir le droit de faire enseigner des opinions comme des vérités, elle ne doit imposer aucune croyance. Si quelques opinions lui paraissent des erreurs dangereuses, ce n’est pas en faisant enseigner les opinions contraires qu’elle doit les combattre ou les prévenir, c’est en les écartant de l’instruction publique, non par des lois, mais par le choix des maîtres et des méthodes, c’est surtout en assurant aux bons esprits les moyens de se soustraire à ces erreurs, et d’en connaître tous les dangers. La puissance publique ne peut pas établir un corps de doctrine qui doive être enseigné exclusivement. Sans doute, il est impossible qu’il ne se mêle des opinions aux vérités qui doivent être l’objet de l’instruction. Si celles des sciences mathématiques ne sont jamais exposées à être confondues avec l’erreur, dans les sciences naturelles les faits sont constants. Mais les uns, après avoir présenté une uniformité entière, offrent bientôt des différences, des modifications qu’un examen plus suivi ou des observations multipliées font découvrir ; d’autres, regardés d’abord comme généraux, cessent de l’être, parce que le temps ou une recherche plus attentive ont montré des exceptions. Dans les sciences morales et politiques, les faits ne sont pas si constants, ou du moins ne le paraissent pas à ceux qui les observent. Plus d’intérêts, de préjugés, de passions mettent obstacle à la vérité, moins on doit se flatter de l’avoir rencontrée ; et il y aurait plus de présomption à vouloir imposer aux autres les opinions qu’on prendrait pour elle. comme ces sciences influent davantage sur le bonheur des hommes, il est bien plus important que la puissance publique ne dicte pas la doctrine commune du moment comme des vérités éternelles, de peur qu’elle ne fasse de l’instruction un moyen de consacrer les préjugés qui lui sont utiles, et un instrument de pouvoir de ce qui doit être la barrière la plus sûre contre tout pouvoir injuste. Le devoir, comme le droit de la puissance publique, se borne donc à fixer l’objet de l’instruction et à s’assurer qu’il sera bien rempli. La constitution de chaque nation ne doit faire partie de l’instruction que comme un fait. On a dit que l’enseignement de la constitution de chaque pays devait y faire partie de l’instruction nationale. Cela est vrai, sans doute, si on en parle comme d’un fait ; si on se contente de l’expliquer et de la développer ; si, en l’enseignant, on se borne à dire : Telle est la constitution établie dans l’État et à laquelle tous les citoyens doivent se soumettre. Mais si on entend qu’il faut l’enseigner comme une doctrine conforme aux principes de la raison universelle ; ou exciter en sa faveur un aveugle enthousiasme qui rende les citoyens incapables de la juger, si on leur dit : Voilà ce que vous devez adorer et croire, alors c’est une espèce de religion politique que l’on veut créer ; c’est une chaîne que l’on prépare aux esprits ; et on viole la liberté dans ses droits les plus sacrés, sous prétexte d’apprendre à la chérir. Le but de l’instruction n’est pas de faire admirer aux hommes une législation toute faite, mais de les rendre capables de l’apprécier et de la corriger. Il ne s’agit pas de soumettre chaque génération aux opinions comme à la volonté de celle qui la précède ; mais de les éclairer de plus en plus, afin que chacune devienne de plus en plus digne de se gouverner par sa propre raison. Il est possible que la constitution d’un pays renferme des lois absolument contraires au bon sens ou à la justice, lois qui aient échappé aux législateurs dans des moments de trouble, qui leur aient été arrachées par l’influence d’un orateur ou d’un parti, par l’impulsion d’une effervescence populaire ; qui enfin leur aient été inspirées, les unes par la corruption, les autres par de fausses vues d’une utilité locale et passagère : il peut arriver, il arrivera même souvent qu’en donnant ces lois, leurs auteurs n’aient pas senti en quoi elles contrariaient les principes de la raison, ou qu’ils n’aient pas voulu abandonner ces principes, mais seulement en suspendre, pour un moment, l’application. Il serait donc absurde d’enseigner les lois établies autrement que comme la volonté actuelle de la puissance publique à laquelle on est obligé de se soumettre, sans quoi on s’exposerait même au ridicule de faire enseigner, comme vrais, des principes contradictoires. »


Décolonialisme et idéologies identitaires représentent un quart de la recherche en sciences humaines aujourd’hui

Les tenants du décolonialisme et des idéologies identitaires minimisent ou nient leur existence. La montée en puissance de ces idéologies dans la recherche est pourtant flagrante et on peut la mesurer, comme le démontrent les trois universitaires. Xavier-Laurent Salvador, Jean Szlamowicz et Andreas Bikfalvi sont universitaires et membres de l’Observatoire du Décolonialisme et des idéologies identitaires.

 

« Le marché de l’édition est saturé par les thématiques décoloniales qui sont porteuses pour les carrières jugées sur les publications sérieuses ».
  

Dans les débats sur le terme d’islamo-gauchisme, beaucoup ont prétendu qu’il n’existait pas, puisque ni les islamistes ni les gauchistes n’emploient ce terme. De même, dans de multiples tribunes et émissions, les tenants du décolonialisme et des idéologies identitaires minimisent ou nient leur existence en produisant des chiffres infimes et en soulignant qu’il n’existe pas de postes dont l’intitulé comprend le mot décolonialisme. À ce jeu-là, un essai intitulé « Les Blancs, Les Juifs et nous » [nom du livre de Houria Bouteldjane, porte-parole du Parti des Indigènes de la République, NDLR] ne serait évidemment pas décolonial, puisqu’il n’y a pas le mot « décolonial » dedans.

Parler de « décolonialisme », ce n’est donc pas s’intéresser au mot « décolonial », mais aux notions qui le structurent dont le vocabulaire est un reflet, mais pas seulement. La rhétorique, la syntaxe, la stylistique : tout participe à un ensemble qui détermine le caractère d’un écrit. Par exemple, « pertinent » est un adjectif qui nous sert à caractériser un essai. On dit par exemple d’un article qu’il est « pertinent ». Mais le mot « pertinent », c’est nous qui l’employons. Il n’est pas présent dans le texte évalué. C’est le propre du jugement de dégager une idée synthétique à partir des mots exprimés.

 
Voici la fiche de recrutement pour un poste d’enseignant-chercheur à l’université de Paris VIII.

Mais soit, faisons le pari des mots et jouons le jeu qui consiste à croire que les mots disent le contenu. Mais alors : de tous les mots. Et pas seulement de ceux que l’on nous impose dans un débat devenu byzantin où un chef d’entreprise-chercheur nous explique que tout ça est un microphénomène de la recherche qui n’a aucun intérêt, que le mot ne pèse que 0,001 % de la recherche en sciences humaines et où, par un psittacisme remarquable, on en vient presque à prouver que la sociologie elle-même ne publie rien.

Partons simplement d’un constat lexical : sous le décolonialisme tel que nous pensons qu’il s’exprime en France dans l’université au XXIe siècle, nous trouvons les idées qui « déconstruisent » les sciences — la race, le genre, l’intersectionnalité, l’islamophobie, le racisme. Que ces mots occupent les chercheurs avec des grilles de lecture nouvelles, tantôt pour les critiquer tantôt pour les étayer et que ces mots — dans le domaine bien précis des Lettres — occupent une place qu’ils n’occupaient pas autrefois — ce qui dénote une évolution de la discipline.