vendredi 23 décembre 2022

Le comportement des chiens est bien dicté par leurs gènes

De berger, de chasse, d’eau ou de traîneau… Depuis qu’il a apprivoisé le loup pour le faire devenir chien il y a 15 000ans à 30 000 ans, l’homme a su le spécialiser à l’extrême. Cette domestication est probablement « l’expérience de génétique comportementale la plus conséquente » à laquelle l’humanité a pu se livrer, estime dans Cell une équipe de chercheurs dirigée par Elaine Ostrander, généticienne aux National Institutes of Health américains et référence mondiale en génétique du chien. « Le chien est, à ma connaissance, la seule espèce domestique présentant une telle diversité de phénotypes [ensemble des caractères apparents, comme la couleur du poil] et de comportements sélectionnés pour des objectifs différents », explique Benoît Hédan, vétérinaire et ingénieur de recherche CNRS dans l’équipe Génétique du chien à l’université de Rennes. « Cela résulte-t-il de la durée de sélection, ou cette espèce est-elle plus malléable ? C’est difficile à dire, mais on a là un modèle inégalé d’étude du comportement. »


 

La Fédération cynologique internationale (FCI) classe les races de chiens en dix groupes, liés à leur fonction (garder les troupeaux, pister le gibier, tirer un traîneau, tenir compagnie à l’homme…). Mais ces catégories associées à des comportements caractéristiques se retrouvent-elles dans le génome des chiens ? Une autre équipe n’avait pas réussi à le démontrer dans une étude publiée en avril dernier. Mais cette nouvelle analyse, plus poussée, permet d’aller plus loin.

Les chercheurs ont d’abord analysé les données génétiques de 4 261 chiens (2 823 de pure race, 687 de race mixte ou inconnue, 658 chiens de rue et 93 canidés sauvages) avec une nouvelle méthode permettant d’extraire des informations pertinentes d’une masse très importante de données (Outil Phate, présenté en 2019 dans Nature Biotechnology). Ils distinguent 10 grandes lignées génétiques de canidés, qui s’avèrent remarquablement cohérentes avec la classification de la FCI. Génétiquement, les auteurs distinguent les chiens de chasse, les chiens d’arrêt, les terriers, les retrievers, les chiens de berger, de traîneau, les spitz d’Afrique et du Moyen-Orient, ceux d’Asie, les lévriers et enfin les dingos.


Le chien de berger possède un tempérament spécifique et une sensibilité aux stimuli environnementaux particulièrement forte

Diversifications des lignées

Au départ de tous ces embranchements trône le loup gris, dont tous les chiens sont issus. Ces diversifications des lignées sont antérieures à la formation des races modernes, créées au tournant du XIXe et du XXe siècles sur des critères essentiellement physiques. En choisissant très tôt des individus pour leur confier des tâches précises, l’homme a donc favorisé des aptitudes probablement déjà présentes chez le loup, « et de cette sélection au fil des siècles ont dérivé des lignées caractéristiques », note Benoît Hédan.

Les auteurs ont ensuite confronté ces lignées génétiques à la description du comportement de plus de 46 000 chiens, via des questionnaires remplis par des volontaires (C-barq, en 100 questions). Pour 8 lignées analysées (les spitz d’Afrique et du Moyen-Orient ainsi que les dingos n’ont pas fait l’objet de suffisamment de réponses), la fréquence des comportements décrits correspond aux lignées génétiques. Par exemple, la « poursuite prédatrice » est particulièrement fréquente chez les terriers, tandis que l’aptitude au dressage est très forte chez les bergers ou les retrievers, mais pas chez les « chiens renifleurs, […] ce qui est cohérent avec la sélection de caractéristiques avantageuses pour un travail indépendant axé sur le suivi des instincts plutôt que sur la recherche de signaux humains », écrivent les auteurs.

Contrairement aux variants génétiques associés aux caractéristiques physiques, comme la couleur du pelage, les variants liés aux comportements se situent dans des régions non codantes du génome (c’est-à-dire des régions chargées non de la production de protéines, mais plutôt de la régulation de l’activité d’autres gènes), et beaucoup sont impliqués dans le développement neurologique. Avant même d’avoir reçu la moindre éducation, le chien aurait donc un cerveau « précâblé » pour tel ou tel type de comportement ; ce qui explique qu’un animal de compagnie à qui l’on n’a jamais appris le travail attendu de sa race montre souvent les aptitudes associées. Et ce parfois au grand désespoir de son propriétaire, qui ne parvient pas à dissuader son labrador de tirer sur sa laisse, ou son épagneul breton de déposer fièrement au milieu du salon une poule d’eau retrouvée morte…

Anxiété maternelle chez la souris

Les auteurs se penchent par exemple sur le cas des chiens de berger, dont le travail complexe suppose un tempérament spécifique et une sensibilité aux stimuli environnementaux particulièrement forte. À ce groupe des chiens de berger sont liés 14 variants, tous associés à des gènes impliqués dans le fonctionnement cérébral. Et parmi les régions régulatrices de gènes où sont situés ces variants, certaines sont impliquées chez d’autres espèces à des comportements apparentés. Deux sont corrélées chez la souris à l’anxiété maternelle et à des comportements de rassemblement des souriceaux ; le chien de berger conduit-il son troupeau comme la maman souris s’inquiète quand ses bébés sont éparpillés ? L’une de ces régions est associée chez l’homme au trouble de l’attention avec hyperactivité ; l’hyperconcentration du border collie au travail emprunterait-elle les mêmes voies neuronales ?

Il est un pas cependant qu’il faut se garder de franchir : si la génétique semble bien décider pour une large part du comportement canin, il est loin d’en être de même chez l’homme. L’environnement, l’éducation, les brassages génétiques notamment sont chez ce dernier bien plus importants que chez le chien, et ses comportements bien plus complexes. N’en déplaise aux tragédiens grecs, l’homme a plus de libre arbitre qu’un border collie. « Le chien de berger, lui, ne peut pas s’empêcher de courir après les moutons ou les vaches, sourit Benoît Hédan. C’est une vraie obsession… »