lundi 29 avril 2024

Colombie-Britannique renonce à décriminaliser la drogue en public suite à un tollé sur l'insécurité engendrée


Bien que le Premier ministre de la Colombie-Britannique, David Eby (Nouveau Parti démocratique, à gauche du spectre politique), ait déjà défendu le projet pilote de décriminalisation des drogues de la province, il a finalement décidé d’y mettre un terme.

La Colombie-Britannique est revenue sur son projet pilote de décriminalisation des drogues, et interdit désormais la consommation de drogues dans tous les espaces publics, y compris les hôpitaux, les transports en commun et les parcs.

Ce revirement ne criminalise pas la possession de drogues dans les résidences privées ou dans les sites de prévention des surdoses et les lieux de contrôle des stupéfiants.

La province a inversé sa politique à la suite des critiques formulées par les maires, les politiciens provinciaux et fédéraux, et d’un récent tollé de la part des professionnels de la santé qui se sont sentis menacés par des patients consommant des drogues dans les hôpitaux.

« Notre priorité absolue est d’assurer la sécurité des personnes. Bien que nous soyons attentifs et compatissants à l’égard des personnes qui luttent contre la toxicomanie, nous n’acceptons pas les désordres de la rue qui font que les communautés ne se sentent pas en sécurité », a déclaré M. Eby.

La semaine dernière, de hauts responsables de la police ont témoigné devant une commission parlementaire, indiquant que le projet pilote de décriminalisation de la Colombie-Britannique ne comportait pas suffisamment de garde-fous pour maintenir l’ordre public.

Ce changement intervient le jour même où la ministre de la Santé mentale de la Colombie-Britannique, Jennifer Whiteside, a rencontré son homologue fédérale, Ya'ara Saks, à Vancouver, pour demander au gouvernement libéral d’aider la province à résoudre son problème de consommation de drogues dans l’espace public.

Par ailleurs, le NPD doit faire face à des élections cette année et les partis d’opposition, notamment le Parti conservateur de la Colombie-Britannique et BC United, se sont engagés à revenir sur la décriminalisation.

M. Whiteside a demandé à M. Saks de l’aider à renforcer la surveillance des lieux de consommation de drogue.

La police aura désormais la possibilité de lutter contre la consommation de drogues dans tous les espaces publics, mais les arrestations pour possession de drogues illégales ne pourront avoir lieu que dans des « circonstances exceptionnelles ».

« Nous prenons des mesures pour nous assurer que la police dispose des outils dont elle a besoin pour garantir des communautés sûres et confortables pour tout le monde, alors que nous élargissons les options de traitement pour que les gens puissent rester en vie et se rétablir », a ajouté M. Eby.

La police est encouragée à demander aux toxicomanes de partir, à saisir les drogues et, en dernier recours, à les arrêter si nécessaire.

Le ministre de la Sécurité publique de la Colombie-Britannique, Mike Farnworth, a déclaré que la province continuerait à cibler les bandes et les organisations criminelles qui fabriquent et trafiquent des drogues toxiques, tout en prenant des mesures pour interdire la consommation de drogues dans les espaces publics.

« Nos communautés sont confrontées à de grands défis. Des gens meurent à cause des drogues létales de rue, et nous sommes conscients des problèmes liés à l’usage public et au désordre dans nos rues », a déclaré M. Farnworth.

Le personnel hospitalier a également signalé une augmentation de la consommation de substances illicites dans les chambres et les salles de bains des patients, y compris dans les services de maternité, ce qui, selon lui, met en péril la sécurité du personnel et des patients.

Outre l’interdiction de la consommation de drogues dans les hôpitaux, la province a déclaré qu’elle améliorerait la sécurité des patients, des visiteurs et du personnel soignant.

Les patients admis dans les hôpitaux seront interrogés pour savoir s’ils ont un problème de drogue. S’ils répondent par l’affirmative, ils bénéficieront d’un soutien et d’une surveillance médicale pour s’assurer qu’ils reçoivent des soins personnalisés afin de les aider à gérer leur dépendance et leurs problèmes médicaux.

Le ministre de la Santé de la Colombie-Britannique, Adrian Dix, s’est félicité de la manière dont la nouvelle politique rendra les hôpitaux plus sûrs.

« Le plan d’action lancé aujourd’hui améliorera la manière dont les patients souffrant d’une dépendance sont soutenus lorsqu’ils ont besoin de soins hospitaliers, tout en évitant que d’autres personnes soient exposées aux effets secondaires de la consommation de drogues illicites », a déclaré M. Dix.

Tout en interdisant les drogues, la province accroît la disponibilité et l’accessibilité des opioïdes pour les personnes qui en sont dépendantes.

La province a déclaré qu’elle intégrerait les services d’aide aux toxicomanes dans les soins de santé, le logement et d’autres services connexes. La Colombie-Britannique a également fait part de son intention de travailler avec des experts pour « développer des méthodes permettant de suivre les solutions de remplacement prescrites dans le but d’identifier et de prévenir les détournements ».

La consommation de drogues illégales a explosé sur les plages, dans les parcs et dans les hôpitaux de la Colombie-Britannique depuis que le projet de décriminalisation de la province a été mis en œuvre le 31 janvier 2023, ce qui a suscité de vives réactions de la part du public.

Les consommateurs de drogues étaient autorisés à posséder et à utiliser de petites quantités de diverses drogues toxiques, comme le fentanyl, en public, sans être arrêtés ni subir de conséquences juridiques.

Les maires de toute la Colombie-Britannique ont qualifié de « crise » la consommation généralisée de drogues en public.

La Colombie-Britannique a enregistré un record d’au moins 2 511 décès présumés dus à la consommation de drogues illégales en 2023, malgré le projet pilote de décriminalisation en cours.

Quand les Français étaient fiers et heureux de lire des livres

L’effondrement de la lecture chez les plus jeunes suscite l’inquiétude. Le livre imprimé était révéré depuis Gutenberg. Et cette histoire fait comprendre la rupture vertigineuse que nous vivons.

Pause lecture dans l’herbe, en 1933

La jeunesse française lit de moins en moins, selon une étude récente du Centre national du livre (nos éditions du 9 avril). Le livre imprimé perd son prestige pour la génération née à l’ère d’internet, qui vit saturée d’écrans. Et seul le recul de l’histoire permet de mesurer ce qui se déroule sous nos yeux incrédules.

Le mot «livre» vient du latin liber, qui désigne à l’origine la partie de l’écorce de l’arbre utilisée pour porter un texte écrit. Imaginons un Romain cultivé qui, au Ier siècle après J.-C., lisait Virgile. Le lecteur tenait de la main droite le rouleau-livre (volumen) en papyrus d’Égypte et le déroulait de la main gauche à mesure qu’il progressait dans sa lecture. Dès le début du IIe siècle, ce rouleau est supplanté par des pages de parchemin cousues ensemble, moins chères, aptes à contenir davantage de caractères et plus maniables. D’ordinaire, on ne lisait pas en silence, mais à haute voix. Les adeptes de la lecture silencieuse, peu nombreux, étaient parfois regardés comme des originaux. Dans ses Confessions, saint Augustin rapporte avec surprise que l’évêque de Milan, saint Ambroise, lisait ainsi. Ces habitudes de lecture changent au Moyen Âge dans l’occident latin. Dans les monastères, la lecture à haute voix devient collective et cousine du chant liturgique. La lecture à voix basse (ruminatio)a pour but de mémoriser les textes sacrés pour mieux les retranscrire, et s’en nourrir l’âme. Mais il arrive aussi que des scribes monastiques lisent en silence. Aux XIIe et XIIIe siècles, cette dernière façon de lire est adoptée par les universitaires, eux-mêmes des clercs, puis, aux XIVe et XVe siècles, par aristocrates et humanistes. En 1454-1455, le premier ouvrage que Gutenberg choisit de fabriquer avec une presse à imprimer est le livre par excellence dans l’europe de l’époque : la Bible. Grâce à l’imprimerie, une production standardisée, rapide, à grande échelle et à un coût moindre devient possible, et rencontre le désir des humanistes de revenir au texte biblique en écartant les œuvres qui le commentaient. L’humanisme, au XVIe siècle, invite aussi, par la lecture, à redécouvrir les chefs-d’œuvre de l’antiquité et à étancher une soif de savoir nouvelle.

Montaigne n’éprouve aucun scrupule à annoter les ouvrages de sa bibliothèque pour pallier sa mauvaise mémoire. Au type de lecteurs distingués qu’il représente s’ajoutent des amateurs de romans (de chevalerie, et, surtout au XVIIe siècle, d’amour ou d’aventure). Le nombre de pages ne fait pas peur : Clélie, histoire romaine, de Mme de Scudéry, fait 10 volumes, parus entre 1654 et 1660. D’autres auteurs sont plus «grand public» et il est courant que des paysans ne sachant pas lire s’assemblent, à la veillée, autour d’une figure locale qui leur fait la lecture. Cervantès le dépeint dans Don Quichotte. Au XVIIIe siècle, le nombre de livres en circulation bondit. Une gravure d’après Greuze, La Bonne Éducation (1766), représente une jeune paysanne qui a appris à lire et fait la lecture à ses parents émus. La lecture personnelle devient l’objet d’un investissement affectif nouveau à mesure qu’apparaissent les prémices de l’individualisme. La Nouvelle Héloïse (1761) de Rousseau est un des livres les plus lus de son temps. Les passionnés apprennent par cœur leurs passages préférés du roman, ce qui ne semble pas avoir été le cas à ce degré dans les siècles antérieurs. Des âmes sensibles écrivent à l’auteur, s’épanchent et sollicitent parfois l’honneur d’un entretien. Le grand écrivain devient le directeur de conscience du lecteur, concurrençant le clerc.

Stendhal, dans Le Rouge et le Noir (1830) dépeint Julien Sorel dévorant le Mémorial de Saint-Hélène jusqu’à en oublier la scierie paternelle qu’il est chargé de surveiller. Le vieux paysan vitupère son fils, qu’il appelle « chien de lisard ». L’étude, donc la lecture, représente plus que jamais, au XIXe siècle, l’accès au savoir et l’espoir d’une ascension sociale. Mais aussi la soif de connaissance par ambition purement intellectuelle. Lycéen, Champollion apprend, outre le latin et le grec, l’hébreu, le syriaque et le chaldéen. Ce goût de l’absolu dans l’ordre de l’esprit, très présent au XIXe siècle, fertile en œuvres à l’ambition prométhéenne, Balzac le décrit dans Louis Lambert (1832). « Dès lors, la lecture était devenue chez lui une espèce de faim que rien ne pouvait assouvir », écrit l’auteur au sujet de son personnage, pensionnaire chez les Oratoriens de Vendôme. La création d’une école primaire dans chaque commune de plus de 600 habitants, gratuite pour les enfants de familles pauvres, et la constitution d’un corps d’instituteurs (loi Guizot de 1833); les lycées de jeunes filles (loi Duruy de 1867) ; l’école primaire obligatoire, gratuite et laïque (lois Ferry de 1881-1882) font entrer la lecture dans l’ère des masses. Sous la IIIe République naissante, en 1877, un manuel scolaire pour l’apprentissage de la lecture, Le Tour de France par deux enfants, devient le bréviaire de générations d’écoliers. La révérence pour le livre sérieux et le sa(1953), voir se manifestent aussi par les cours du soir pour adolescents (il était courant de travailler dès 13 ans) et adultes dispensés par les « hussards noirs de la République» et des sociétés philanthropiques. En 1900, l’alphabétisation des Français est quasi générale. Toute la nation est entrée dans la culture écrite. Journaux et hebdomadaires fleurissent, proposés à prix modique. Les classiques des belles lettres coexistent avec la littérature populaire et de jeunesse où triomphent des genres anciens, comme le roman d’aventures, ou nouveaux, tel le roman policier (en particulier avec Arsène Lupin de Maurice Leblanc), souvent publié d’abord en feuilleton. La France s’enorgueillit alors de la réputation flatteuse d’être une nation littéraire, en raison d’un lien séculaire entre l’état, la politique et les lettres.

Des professeurs s’inquiètent pourtant. Avant même la Grande Guerre, «la langue courante s’est altérée, surtout à Paris, sous l’action des articles de journaux écrits à la hâte et par l’adoption de termes de la langue administrative et des expressions barbares ou étrangères employées dans la publicité commerciale », estime en 1933, au soir de sa vie, une figure de la Sorbonne, Charles Seignobos. Le radical poursuit cependant : «Mais l’instruction donnée dans les écoles et l’exemple des écrivains soucieux de la correction du style ont maintenu l’usage de la langue, et même de la prononciation, à peu près conforme à la tradition» (Histoire sincère de la nation française, rééditée chez Bartillat). À la même époque, Georges Duhamel, revenu horrifié d’un voyage aux États-unis, sonne le tocsin dans Scènes de la vie future (1930). À l’en croire, la civilisation de son pays, et donc au premier chef la lecture, sont menacés par les moeurs d’outre-atlantique. « L’Amérique semble prendre à cœur de précéder le reste de l’humanité dans la voie des pires expériences », écrit Duhamel. Tout le heurte aux États-unis : les gratte-ciel, le culte de la voiture, la mécanisation, le matérialisme qu’il croit voir partout. Mais le pire fléau pour Duhamel, c’est le bruit qui tue le silence indispensable à la lecture. L’écrivain soutient aussi que la radio habitue au règne de l’oralité, à l’à-peu-près, au délayage. Le secrétaire perpétuel de l’académie française précise plus tard sa critique : « Les auditeurs lettrés, dès qu’ils écoutent la radio, sont indisposés non seulement par l’extrême confusion des éléments de connaissance répandus au gré des ondes, mais encore par la faible quantité de substance intellectuelle vraiment nutritive qui se trouve diluée dans ce torrent de bruit » (séance publique annuelle des cinq académies, 25 octobre 1938).

Ces craintes, longtemps, ont paru démenties par les faits. Tout paraît concourir à la bonne santé de la lecture dans la France des Trente Glorieuses : besoin d’évasion de la jeunesse, lancement du livre de poche qualité du lycée et considération pour la littérature. Il en va tout autrement aujourd’hui. La fermeture de la célèbre librairie des PUF, qui trônait place de la Sorbonne à Paris, et son remplacement par un magasin de vêtements en 2006, ont pris valeur de symbole. Au règne des écrans s’ajoutent un déferlement d’anglicismes sans nécessité et un relâchement quasi général de la langue. L’appauvrissement du vocabulaire est manifeste dans les livres pour enfants et le passé simple, proscrit. Dans la traduction de 1955 du Club des cinq et le passage secret, encore vendue dans les années 1970, on lit : «Puis, ce fut le matin du départ. Dans une atmosphère de bruyante allégresse, les élèves de Clairbois achevèrent de boucler et d’étiqueter leurs valises. On attendit ensuite l’arrivée des autocars qui devaient transporter les pensionnaires et leurs bagages à la gare. Les minutes semblaient interminables. Enfin, les lourds véhicules franchirent les grilles du parc et vinrent s’arrêter devant le perron de la pension. Ils furent pris d’assaut en quelques instants par les jeunes voyageuses impatientes.» Or ce passage, dans l’édition de 2006, devient : « Arrive le matin du départ. Dans un brouhaha incessant, les élèves de Clairbois achèvent de boucler leurs valises avant de se précipiter dans les cars qui les emmèneront à la gare.» Plus loin, en 1955 : « Bientôt, les enfants virent déboucher la locomotive, coiffée d’un panache de fumée. » La phrase devient, en 2006 : « Bientôt, les enfants voient déboucher le train. »

Une partie de la nouvelle génération, née à l’heure d’internet, récuse comme scandaleuse l’idée d’une hiérarchie des livres et des écrivains où trôneraient, à son sommet, les chefs-d’oeuvre de la littérature légués par les siècles. Affirmer la supériorité de Chateaubriand ou de Victor Hugo sur une personnalité « vue à la télé » ou un livre de « dark romance » fabriqué de façon industrielle est souvent ressenti comme une offense à la démocratie. L’égale valeur de tout livre imprimé prend pour de nombreux jeunes gens un caractère d’évidence. Dans ce relativisme général, le libre choix du consommateur doit prévaloir, ce qui autorise toutes les démagogies. Jean-Michel Delacomptée, à qui on emprunte l’exemple du «Club des cinq», l’a souligné dans un magnifique essai, Notre langue française (Fayard, 2018). Il s’inquiète de voir louées, jusque par l’éducation nationale, « des œuvres de fiction publiées depuis peu et qui, outre une valeur incertaine, coincent dans leur époque les juvéniles lecteurs. Ouvrir ces romans, c’est allumer la télévision. Pas seulement celle des séries américaines, mais des “news”, avec une prédilection pour le sanglant, les faits divers sordides, ainsi que pour les drames politiques et les questions sociales toujours abordés sous l’angle du conformisme esthétique et moral. »

Il demeurera toujours, peut-on espérer, des lieux pour étudier les géants de la littérature, de tous les collèges et lycées qui ont la chance de bénéficier de professeurs de français exigeants jusqu’aux hypokhâgnes et khâgnes. Et il y aura toujours, assurément, des lecteurs pour les chefs-d’œuvre. Reste à savoir combien.