samedi 6 août 2022

Stéréotypes — Non, les gens de droite ne sont pas plus enclins à être complotistes

Une nouvelle étude parue dans Political Behavior intitulée « Les républicains et les conservateurs sont-ils plus susceptibles de croire aux théories du complot ? » par le politologue Adam Enders et ses collègues constate, selon trois méthodologies différentes, que, contrairement au stéréotype médiatique remontant au livre de Richard Hofstadter de 1964, Le Style paranoïaque, la droite du spectre politique américain n’est pas plus conspiratrice que la gauche.

Dans toutes les études, nous ne parvenons pas à observer de preuves cohérentes que la droite présente des niveaux de conspiration plus élevés — quelle que soit son opérationnalisation — que la gauche.

Tout d’abord, les chercheurs ont examiné huit enquêtes menées au cours de la dernière décennie concernant 52 théories du complot différentes. Vingt-cinq étaient plus populaires à droite, 23 à gauche et quatre se situaient juste au milieu. 

Les chercheurs admettent volontiers qu’il faut se soucier du biais de sélection dans leurs recherches :

Bien sûr, on pourrait nous objecter que les modèles représentés dans les figures 1 et 2 [ci-dessous] sont des artefacts des théories du complot que nous avons choisi d’examiner et cette critique est en effet fondé ! Cependant, ce serait le cas pour toute étude sur les théories du complot spécifiques. Ce point d’une importance cruciale explique les divergences entre les études précédentes : les conclusions dépendent fortement des théories du complot prises en compte.

C’est la raison la plus probable pour laquelle de nombreux politologues supposent que les conservateurs sont plus conspirationnistes : lorsqu’ils commencent à dresser des listes de théories du complot, ils considèrent toutes celles embrassées par la droite qui les rendent dingues, mais ignorent bon nombre de celles que partagent les gens de leur bord idéologique.


Figure 1 — Corrélations de Pearson entre la croyance dans différentes théories du complot et l’auto-identification partisane et idéologique. Les bandes horizontales représentent des intervalles de confiance à 95 %

Pour les auteurs donc :

Les inférences sur la nature fondamentale du complotisme ne devraient pas être tirées à partir de modèles issus d’un seul ou un petit nombre de croyances complotistes, même si précisément de telles généralisations sont courantes dans la recherche sur les croyances complotistes…. Ainsi, les découvertes d’asymétries gauche-droite (ou leur absence) peuvent être un artefact déterminé par les théories du complot que les chercheurs étudient.

Enders et ses collègues soulignent toutes les théories du complot qui sont acceptées tant par de nombreuses personnes de droite que de gauche :

Ainsi, la partisanerie et l’idéologie ne sont pas corrélées avec les croyances dans les théories du complot sur l’assassinat de JFK, le vaccin ROR, l’Holocauste, les OGM, le fluorure, les téléphones portables, le SIDA, les sociétés pharmaceutiques, le contrôle mental du gouvernement et les ampoules électriques.

Par ailleurs, les chercheurs écrivent :

Nos résultats concernant deux théories du complot spécifiques méritent une attention supplémentaire. Premièrement, les gens de gauche et de droite croient autant les uns que les autres que « peu importe qui est officiellement à la tête du gouvernement et des autres organisations, il existe un seul groupe de personnes qui contrôlent secrètement les événements et dirigent ensemble le monde ». Cette question traduit un sentiment vraisemblablement à la base de nombreuses croyances spécifiques à la théorie du complot. Le fait que nous n’observions aucune différence entre la gauche et la droite sur ce point peut suggérer que le fondement psychologique du complotisme traverse les différents courants politiques dominants. Deuxièmement, nous trouvons un équilibre politique dans la conviction que « le gouvernement américain rend obligatoire le passage aux ampoules fluorescentes compactes parce que ces lumières rendent les gens plus obéissants et plus faciles à contrôler », théorie du complot inventée par des chercheurs (Oliver et Wood, 2014). Le fait que la droite ne croit pas plus dans cette théorie du complot nous incite à nous demander s’il existe un lien inné entre l’identification à droite et les croyances en la théorie du complot.

Cette théorie du complot des ampoules fluorescentes n’est pas une vraie théorie. Elle a été forgée par des chercheurs pour un sondage en 2014 afin de déterminer, grâce à une théorie du complot toute neuve, à quel point les gens aiment croire dans les théories du complot. Lors du sondage en 2014, 17 % des répondants ont déclaré qu’ils avaient entendu parler de ce complot (pourtant inventé pour l’enquête) et 10 % étaient d’accord avec celle-ci. L’étude avait trouvé que les gens qui se disaient de gauche étaient légèrement plus enclins à croire dans cette théorie des ampoules fluorescentes.

Ensuite, les chercheurs ont engagé une société de sondage internationale pour interroger sur onze théories du complot dans vingt pays, voir la figure 2 ci-dessous. Encore une fois, ils n’ont pas trouvé beaucoup de différences qui s’expliquaient par le bord politique des répondants.

Figure 2 — Corrélations de Pearson entre les croyances dans les théories du complot et l’auto-identification idéologique gauche-droite dans 20 pays. Les bandes horizontales représentent des intervalles de confiance à 95 %.

Enfin, ils ont inventé dix théories du complot ambidextres dans lesquelles ils pouvaient insérer soit « démocrate » soit « républicain », telles que : « Pensez-vous que les élites politiques démocrates [républicaines] complotent secrètement avec les grandes banques pour mentir sur la santé de l’économie afin d’obtenir un soutien pour leurs propositions politiques économiques ? »

Les répondants démocrates se sont avérés un peu plus paranoïaques que les républicains sur ces questions. Les auteurs concluent :

En somme, nous ne trouvons aucun soutien à l’hypothèse selon laquelle les personnes de droite sont plus susceptibles de croire dans des théories du complot qui attaquent les libéraux que les libéraux ne sont susceptibles de croire exactement les mêmes théories du complot lorsqu’elles visent les conservateurs.

 

Source: Enders A, Farhart C, Miller J, Uscinski J, Saunders K, Drochon H. Are Republicans and Conservatives More Likely to Believe Conspiracy Theories? Polit Behav. 2022 Jul 22:1-24.

 

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Pénurie de la main d’œuvre et immigration — attention aux sophismes

Viktor Orban appelle les conservateurs du monde entier à s’unir pour gagner « la guerre culturelle »

Le Premier ministre hongrois chaudement applaudi après un discours prononcé au Texas, c’est assurément un événement qui n’a pas dû se produire si souvent. Viktor Orban était l’invité, jeudi 4 août, de la Conservative Political Action Conference — une réunion des conservateurs américains, organisée tous les ans depuis 1974. Le chef d’État européen y a prononcé une allocution remarquée, rapporte La Dernière Heure belge, au cours de laquelle il a appelé les conservateurs du monde entier à s’unir.


 

« Nous devons coordonner le mouvement de nos troupes, parce que nous faisons face au même défi », a déclaré Viktor Orban devant une foule conquise, appelant les forces conservatrices à « reprendre le contrôle des institutions » de Washington à Bruxelles. « Je suis ici pour vous dire que nous devons unir nos forces », a-t-il encore martelé, invitant les organisations politiques de droite du monde entier à « créer leurs propres règles ». Le tout dans un seul objectif : remporter « la guerre culturelle » initiée par la gauche.

Défendre les racines chrétiennes de l’Occident

« Les progressistes d’aujourd’hui tentent de séparer la civilisation occidentale de ses racines chrétiennes », a encore estimé le chef d’État magyar, qui n’a cessé de faire du christianisme la base de son action politique et de la civilisation qu’il entend défendre. « Les horreurs du nazisme et du communisme se sont produites parce que certains États occidentaux avaient abandonné leurs valeurs chrétiennes », a-t-il par exemple déclaré. Assurément de quoi séduire les conservateurs américains avant la prise de parole de Donald Trump, attendue dimanche prochain.

Rejet de la société multiethnique

Auparavant, dans un discours prononcé samedi 23 juillet en Transylvanie roumaine où vit une importante communauté hongroise, Viktor Orban avait tenu des propos qui avaient créé une vive polémique dans les médias de grand chemin français. En effet, comme le rappelle Le Monde, le président hongrois avait rejeté la vision d’une société « multiethnique » mélangée à des « non-Européens » : « Nous ne voulons pas être une race mixte », avait-il alors déclaré. En déplacement à Vienne le jeudi 28 juillet, Viktor Orban était revenu sur sa prise de parole et maintenu sa déclaration. « En Hongrie, ces expressions et phrases représentent un point de vue culturel, civilisationnel », a-t-il affirmé lors d’une conférence de presse dans la capitale autrichienne. Le dirigeant a aussi expliqué qu’il arrivait « parfois » qu’il parle « d’une manière qui peut être mal comprise » et assuré que son gouvernement appliquait une « tolérance zéro » quant au « racisme » et à « l’antisémitisme ».

Un combat commun avec l’Autriche

Malgré le tollé qui a retenti dans les médias, Viktor Orban est néanmoins resté droit dans ses bottes. Des survivants de l’Holocauste juif et de la communauté juive s’étaient notamment indignés et avaient appelé l’Union européenne à prendre ses distances avec le dirigeant nationaliste de 59 ans. Quant à son homologue autrichien Karl Nehammer, il a rappelé lors de la conférence de presse condamner « fermement toute forme de racisme et d’antisémitisme » et avoir abordé ce sujet « en toute franchise » avec Viktor Orban. Karl Nehammer a conclu en insistant sur ses points communs avec le dirigeant hongrois au sujet de l’immigration subie par les deux pays. « Nous voulons combattre ensemble », a-t-il déclaré.

Deux priorités : hausse de la natalité et baisse de l’immigration

Dans son discours annuel à Tusvanyos, Viktor Orban a insisté sur la question identitaire.

Le taux de fécondité de la Hongrie est en dessous du seuil de renouvellement. Il y a eu une amélioration de la natalité entre 2010 et 2020, depuis le Covid ce taux est en recul. Un peuple qui ne peut se renouveler biologiquement renonce à son droit à vivre. Si les Hongrois courent le risque d’être évincés du bassin des Carpates, la première cause en sera démographique. D’où le maintien des politiques natalistes et de l’orientation « pro-famille » du gouvernement hongrois.

Deuxième défi pour Viktor Orban : l’immigration. Le Premier ministre hongrois assume le terme de remplacement et lui adjoint celui de submersion. La première cause est spirituelle et Orban conseilla à son public la lecture du Camp des Saints de Jean Raspail. Face à l’immigration de peuplement qui caractérise l’Europe de l’Ouest depuis 50 ans, le Premier ministre hongrois épingle « les évolutions spirituelles qui expliquent l’incapacité de l’Occident à se défendre ».

Dans les pays de l’Ouest, « un conglomérat de peuples » se serait substitué aux nations. Les lois de la démographie donneront la mesure du bouleversement vers 2050. La Hongrie veut suivre une autre voie que ce « Post-Occident ». Que chacun suive sa voie. L’Europe centrale refuse le prosélytisme « diversitaire » de l’Ouest alors que celui-ci ne peut tolérer qu’une autre voie soit possible ou légitime.

Orban infirme par là l’argument de la gauche occidentale selon lequel il n’y a en Europe que des peuples métis. Il distingue le monde européen fait d’incessants échanges régionaux et le mélange révolutionnaire auquel sont livrées actuellement les populations de l’Ouest.

La Hongrie revendique la diversité (européenne) inhérente à l’Europe centrale : « nous sommes simplement un mélange de peuples vivant dans notre propre patrie européenne ». Orban entend respecter la continuité historique de l’Europe centrale, aux antipodes d’une obsession abstraite ou d’une idéologie identitaire. Il s’agit de refuser un nouveau fléau idéologique venu de l’Ouest : l’idéologie « diversitaire » qui cherche à abattre l’ordre antérieur au nom du Progrès. Ainsi Viktor Orban défend une logique de continuité, de transmission et de fidélité à l’égard de la civilisation dont nous sommes héritiers.