lundi 15 février 2016

Le PQ et l'éducation, la méthode comptable : ne penser qu'à lutter contre le décrochage

Selon le Parti québécois (PQ), « La priorité doit aller à la lutte contre le décrochage scolaire ».

Évidemment, lutter contre le décrochage scolaire est important.

Mais quand va-t-on s’interroger sur la qualité de ce qui est enseigné ? D’une plus grande diversité des apprentissages ? D’une liberté scolaire accrue comme moyen d’intéresser les parents et les enfants à mieux se former ?

On a l’impression que l’important c’est de faire du chiffre sous l’œil vigilant d’un État comptable et vétilleux qui craint surtout de mal paraître dans les statistiques internationales.

On ne parle à peu près jamais des contenus (sauf pour emprunter tous les lieux communs de la gauche internationaliste, multiculturaliste, féministe et pro-LGBT). On ne se demande jamais comment restaurer la transmission culturelle, l’amour de la langue française (on ajoute sans cesse des heures d’anglais), comment faire aimer les classiques, ceux qui touchent l’âme et le cœur. Comment faire en sorte que les jeunes Québécois renouent avec le patrimoine culturel et spirituel de la civilisation occidentale. Comment s’assurer que des jeunes — pas tous bien sûr, mais une bonne proportion — puissent sortir de l’école (à 16 ans) avec une solide culture classique, un excellent français, une connaissance de l’histoire du Québec et du monde occidental avant de se spécialiser dans des domaines plus techniques. Bref, de condenser au besoin les études pour les meilleurs (oui de ne pas avoir peur de l’élitisme pour les plus méritants) et d’accorder à tous une meilleure maîtrise de leur histoire, de leur langue et de leur culture.

Nous ne pensons pas que les informaticiens, les chimistes ou les vendeurs doivent mal connaître le français (comme c’est trop souvent le cas malheureusement) et ne pas avoir une excellente culture générale. Au contraire, ils devraient les apprendre au secondaire avant de se spécialiser dans des domaines techniques au cégep et à l’université. C’était le cas en Europe il y a une génération et ce l’est encore là-bas dans une moindre mesure aujourd’hui.

À ce sujet, citons quelques passages sévères (mais sont-ils injustes ?) de l’ouvrage de Carl Bergeron, Voir le monde avec un chapeau (critique élogieuse, critique nuancée), quand il parle de la culture (ou plutôt du manque de culture) des jeunes Québécois, des professeurs de littérature dans les universités québécoises et de leur peu d’intérêt pour la transmission d’une culture plutôt que celui d’acteurs politiquement corrects qui participent goulument à la déconstruction de l’« homme blanc hétérosexuel »  :

Les adolescents en France lisent Dumas à partir de onze ou douze ans ; je n’ai pas eu, hélas, cette chance. Je suis pour ainsi dire passé directement du Journal de Québec, qu’on recevait chaque matin à la maison (principale lecture de mon enfance et de mon adolescence), à La Comédie humaine de Balzac au cégep. L’initiation littéraire à l’école secondaire n’existait pas, la lecture étant une activité laissée à la discrétion de chaque élève, qui se voyait ainsi réduit à se lancer de lui-même et de façon très approximative dans la découverte d’un patrimoine la plupart du temps folklorique ou populaire.
C’est exact, les jeunes adolescents en France doivent lire nettement plus de classiques, voici les ouvrages que le CNED prescrit pour la 5e (12-13 ans) et la 4e (13-14 ans) :

Livres prescrits en français pour les écoliers de 5e au CNED (en France)


Livres prescrits en français pour les écoliers de 4e au CNED (en France)
Ceci ne veut pas dire que l'enseignement du français soit parfait en France, loin de là : on y consacre nettement moins de temps qu'auparavant, les quartiers immigrés (les zones d'éducation prioritaires) présentent d'énormes « défis », la méthode d'enseignement de la littérature a changé pour adopter l'analyse structuraliste.

Le livre de Carl Bergeron est d’abord le livre d’une éducation que l’auteur a dû faire seul parce que l’école québécoise n’y parvient pas. Celle qui consista d’abord à se réapproprier cette langue française que tant de nos compatriotes portent comme une « blessure », dit-il. Car, selon l’auteur, « parler et écrire souverainement le français est à lui seul, au Québec, un acte de subversion ». C’est ce combat que Carl Bergeron nomme « l’Épreuve ». C’est un effort constant pour réapprendre sa langue, prononcer ses syllabes au lieu de les « manger », les faire entendre au lieu d’en avoir honte :
« La nuit, devant le château Frontenac illuminé, écrit-il, luttant entre répulsion et émulation, je scandais à voix haute, dans ma mansarde, ces mots qui devaient aller de soi pour tout autre francophone, mais qui pour moi constituaient un obstacle à vaincre. Quand je réussissais enfin à en posséder un qui m’avait posé problème, je m’empressais de le répéter pour en prendre le pli et ne pas le “perdre”. Et c’est ainsi que, peu à peu, je réappris ma langue maternelle. En la nettoyant des scories de la honte. »
L’auteur trentenaire n’est pas tendre avec ses anciens professeurs de littérature à l’université :

L’énergie avec laquelle des professeurs de littérature investissent les tribunes médiatiques pour nous parler non de Proust, Flaubert ou Molière, mais de justice sociale, d’« éducation à la différence » et d’exploitation des gaz de schiste me laisse dubitatif. D’aucuns rétorqueront que ces professeurs ont le droit de garder Proust pour leur classe et de s’exprimer à titre de citoyens sur les sujets de leur choix. Fort bien. Mais que penser d’un professeur qui, après avoir fréquenté toute sa vie les plus grandes œuvres (du moins si on se fie à ses diplômes), n’a rien d’autre à dire, une fois lâché en public, que des banalités militantes dans l’air du temps ? Ou bien ces professeurs sont possédés par la littérature, et cela transpire de toute leur personnalité, ou bien ils ne le sont pas. L’ironie d’un Flaubert ou d’un Baudelaire devrait s’entendre dans leur voix, à plus forte raison s’il est question de sujets pragmatiques, car la littérature, avant d’être un objet de discours, est d’abord une manière d’être, de sentir, de s’exprimer et même d’aimer. Or, à les entendre et à les voir, rien ne les distingue, sur le fond, des démagogues qui se disputent par centaines la visibilité médiatique au jour le jour. Mais j’oubliais. Les professeurs de littérature, dans l’université du xxie siècle, enseignent-ils seulement encore Molière, Flaubert ou Proust ? Rien n’est moins sûr. D’abord, il y a peu de chances que le docteur en littérature qui s’épuise à la radio à « déconstruire » la « domination masculine » ait touché à Molière, Flaubert ou Proust (ou à tous les écrivains qui ont vraiment compté en littérature française) autrement qu’au moyen d’un survol dans des cours de premier cycle. La culture littéraire classique d’un doctorant postmoderne de trente ans ressemble, grosso modo, à celle d’un lycéen de seize ans dans la France du milieu du XXe siècle.

L’essentiel des « études supérieures » d’un professeur formé à l’école du postmodernisme (l’école de référence dans les départements de lettres et de sciences humaines) est consacré à digérer des livres de théorie illisibles qui sont à des lieues de la singularité littéraire. On s’imagine à tort ces étudiants professionnels plongés en permanence dans une fête de la culture et de l’esprit : ce sont au contraire des ascètes de l’orthodoxie et de l’esprit de sérieux. L’intelligence réduite à l’esclavage, à la stérilité et à l’autoréférence est la norme et constitue de leur point de vue non pas une tare, mais une qualité, que le réflexe de cooptation de la profession a élevée au rang de critère d’embauche. L’enjeu est de taille : carrière protégée et bien rémunérée, régime de retraite, voyages à l’étranger, reconnaissance sociale. L’omerta se perpétue donc, pendant que la crédibilité de l’institution dégringole et que la transmission du savoir s’abîme au cœur de la société. L’establishment universitaire postmoderne est une imposture. Voyez cet étudiant en lettres, fils de l’Épreuve [le lourd poids du Québécois qui doit se réapproprier sa langue, sa culture et ainsi s’affranchir], psychologiquement fragile, porté sain et sauf on ne sait comment, depuis son entrée à l’école élémentaire, par les ailes de la sensibilité et de l’introspection, jusqu’à l’improbable cime du savoir universitaire. Il est désespéré. La secte, appâtée, n’hésitera pas, en l’absence d’une histoire familiale forte, à lui proposer un récit de substitution pour donner un sens à ce qu’il vit comme un manque existentiel. Comme il est rassurant, au pied de l’Everest de la culture, lorsqu’on est fils de la pauvreté, de se faire susurrer à l’oreille que la montagne n’est pas aussi imposante qu’on le croit ; mieux : qu’elle n’est qu’une gigantesque mystification au service de l’« homme blanc hétérosexuel » ! Un château de cartes, en somme, qu’un peu d’insolence et de camaraderie suffiraient à abattre, pour peu qu’on accepte à son tour de remiser son indépendance d’esprit et de se joindre à la secte.

Pour comprendre l’attrait de la secte dans cette petite nation que la Providence a voulue à la fois française et antifrançaise, héritière d’une grande langue de civilisation et d’un destin provincial, il faut voir le jeune Québécois pour ce qu’il est à son arrivée à l’université. Fils de col bleu ou de petit fonctionnaire, il est perdu, déboussolé — et touchant, on ne le dira jamais assez. La distance entre lui et le savoir authentique est si abyssale qu’il n’y a guère que le prêt-à-penser pour cacher la nudité de son ignorance. C’est ce prêt-à-penser que fournit le logiciel de la déconstruction. Son esprit ne demanderait rien de mieux que de s’initier aux vraies œuvres, de s’enchanter au contact de la langue du XVIIe siècle, de voleter d’une période à l’autre, de Démosthène à Montaigne, dans la joie simple du désintéressement, et de commencer à s’interroger honnêtement sur les mystères de l’existence. Mais à ce sujet, il y a une sorte de tabou entre le pédagogue québécois et son pupille. Comme si la tâche était jugée trop lourde d’emblée.
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Enseignement de l'Histoire — Nécessaire « récit »

Texte d’Antoine Robitaille, un de meilleurs chroniqueurs du Devoir, avec quelques remarques dans le texte.

Faut-il enseigner l’histoire comme un récit ou, au contraire, la décortiquer avec les élèves pour qu’ils développent des compétences ? Au moment où l’on prépare une nouvelle version du cours d’histoire au secondaire, cet intéressant débat a ressurgi la semaine dernière dans nos pages. Selon nous, un compromis est possible. Malheureusement, les tenants du programme de 2006 le rejettent totalement.

Il y a quelques jours, l’enseignant François-Xavier Delorme publiait un intéressant texte dans notre page Idées (Le Devoir, 6 février), où il se réjouissait de la transformation prochaine (à l’automne 2016) du cours d’histoire de 3e et 4e secondaires. Depuis l’adoption du programme de 2006, on enseigne l’histoire de matière chronologique en 3e secondaire. L’année suivante, en 4e secondaire, on réétudie la même histoire selon des thèmes (politique, économie, population et culture). Certains élèves se plaignent de nombreuses redondances. Les professeurs admettent que le peu de temps disponible en 3e secondaire les contraint à passer de grands pans de l’histoire du Québec sous silence. Le nouveau programme adopte une présentation chronologique sur deux ans avec 1840 comme date charnière. C’est là un progrès.

Mais M. Delorme souligne que l’esprit dans lequel le contenu doit être présenté est toujours celui qui rejette le récit. Or, comme il le soulève de manière pertinente : « Les élèves du secondaire n’ont pas comme préoccupation première de décortiquer scientifiquement la matière en se souciant des données quantifiables de l’histoire économique et sociale. Ces élèves veulent d’abord qu’on leur raconte une histoire. » En effet, le cours d’histoire au secondaire n’est pas un séminaire de doctorat. Les énoncés de compétences de notre école du renouveau pédagogique donnent parfois l’impression de catapulter les élèves aux études postsecondaires poussées.

D’accord pour orienter une fille ou un garçon de 14 ou 16 ans vers l’idéal d’« interroger les réalités sociales à l’aide de la méthode historique » ; mais encore faut-il qu’elle ou il ait un minimum de connaissance des « réalités sociales » et de la « méthode historique ». On sait à quel point le renouveau pédagogique a eu tendance à mettre les connaissances au second plan. Par peur de ce repoussoir caricatural qualifié d’« encyclopédisme ». Pourquoi ce qui va de soi en mathématiques (apprentissage par cœur de tables de multiplication) ou en français (conjugaisons) est-il considéré comme de l’encyclopédisme abominable en histoire (quelques dates, quelques personnages, un récit) ?

Les craintes « des critiques du récit » sont compréhensibles. Veut-on revenir à une époque où l’on chantait que notre « histoire est une épopée des plus brillants exploits » ? Personne ne le suggère ! Ni M. Delorme, ni Jacques Beauchemin et Nadia Fahmy-Eid, coauteurs d’un rapport nuancé à l’origine de la présente réforme du cours d’histoire. Cette dernière consiste en une réforme synthèse proposant justement un compromis entre l’histoire dite « sociale » et l’histoire nationale ; entre l’approche par compétences et l’histoire-récit.

Mais les tenants du programme de 2006 n’en démordent pas : ce sera leur vision ou le nationalisme « endoctrineur ». Dans une réponse au texte de M. Delorme, une doctorante [en didactique et non en histoire !], Chantal Rivard, écrit « l’enjeu est clair : savoir penser, critiquer la société ou lui appartenir, l’aimer, l’admirer » (Le Devoir, 11 février). Aucun compromis possible : « Ce n’est pas le rôle de l’enseignement de l’histoire que d’entretenir les mythes fondateurs de notre identité », dit Mme Rivard, non sans raison.

[Note du carnet : Si c’est ou critiquer la société ou lui appartenir, de manière apparemment exclusive et qu’il faut comme cette Chantal Rivard que « [l’enseignement de l’histoire] doit développer une pensée critique », doit-on comprendre que l’enseignement de l’histoire produira des jeunes qui n’appartienne pas, n’aiment pas, n’admirent pas leur société ? ]

Mais pourquoi réintégrer le récit dans l’enseignement de l’histoire ainsi que l’étude de quelques grands personnages — qui, par exemple, marquent notre toponymie — équivaudrait-il nécessairement à un endoctrinement encyclopédique suspect des élèves du secondaire ? Dans sa réplique, Mme Rivard se moqua des professeurs-conteurs « fredpellerinisés ». D’autres vont plus loin que le simple mépris. Un des penseurs du programme de 2006, Jocelyn Létourneau, en juin, dans un blogue, après avoir amalgamé maladroitement des commentaires du chef péquiste, Pierre Karl Péladeau, et des phrases écrites ici même dans cette page, concluait que si ces idées devaient l’emporter, « l’horizon s’annonce brun ». Oui, « brun » ! Comme dans « chemises brunes nazies » !

[Note du carnet : faut-il vraiment s’en étonner ? Les souverainistes ont longtemps pensé qu’il fallait être de gauche (le Québec indépendant serait plus solidaire, plus généreux, plus social), mais c’était oublié que le logiciel de la gauche moderne est internationaliste, multiculturaliste, immigrationniste, d’où l’appui du PQ urbain au cours ECR, à l’immigration de masse, à l’interculturalisme, d'où une certaine gêne devant le combat trop identitaire, trop profrançais, trop en faveur de tout enthousiasme fondé sur les racines communes des Français d’Amérique du Nord. Nous pensons que ce logiciel de gauche sape la base sur laquelle doit s’appuyer tout mouvement souverainiste. Moins il y aura de québécois francophone qui se sentent liés à une histoire séculaire, moins le projet souverainiste a de chance de réussir. Cette frange importante des « souverainistes » qui n’aiment guère ni l’identité franco-canadienne ni le récit de leur épopée y voient de manière manichéenne et simpliste des relents de fascismes européens...]

M. Létourneau souhaite peut-être secrètement recevoir une mise en demeure de la part du chef péquiste. Ou alors, plus simplement, ce chantre de la complexité historique, du passé « ni simple, ni clair, ni léger, ni docile », a — paradoxe ! — atteint son point Godwin. Chose certaine, l’histoire nationale ou postnationale, l’histoire comme récit, comme méthode, mérite mieux que ce manichéisme universitaire.

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Mariage à deux vitesses au Québec ?

Opinion de Stéphane Beaulac (ci-contre), professeur titulaire à l’Université de Montréal et membre du Barreau de l’Ontario. Sa formation est bijuridique : droit civil à Ottawa (summa cum laude) et common law à Dalhousie (premier au programme national). Il a été clerc à la Cour suprême du Canada.

Avec la décision récente de la juge Alary en matière de mariage, l’unicité de cette institution est fracturée, selon ce juriste. Existe-t-il maintenant deux types de mariages au Québec ?

Dans une décision aussi invraisemblable qu’inopportune, rendue la semaine dernière par la juge Christiane Alary — intitulée Droit de la famille, 16 244 — la Cour supérieure lance un pavé dans la mare, s’agissant de la stabilité des pratiques en matière de mariage au Québec.

Souvenons-nous tout d’abord que, suivant le jugement de 2013 dans la célèbre affaire Éric c. Lola, il est devenu clair que, chez nous contrairement aux autres provinces, les effets juridiques du mariage ne pouvaient aucunement s’étendre aux conjoints de fait. Quoique demeurant controversé, ce prononcé judiciaire a l’avantage d’être clair.

Un mariage, c’est un mariage, point.

Or, voici qu’un tribunal vient de nous dire qu’en matière de mariage, « on avait toujours eu tout faux, qu’un mariage religieux n’avait pas automatiquement de conséquences civiles et n’amenait pas obligatoirement de partage du patrimoine familial », comme le résumait bien Louise Leduc dans un article de La Presse jeudi dernier.

Le professeur Alain Roy de l’Université de Montréal, par ailleurs président du Comité consultatif sur le droit de la famille, a raison de souligner que ce jugement « ne sera rien de moins qu’une révolution ». Pourquoi ? Parce que l’unicité de l’institution du mariage, qu’il soit célébré religieusement ou civilement, est ainsi fracturée.

On ouvre la possibilité qu’un prêtre, un rabbin, un imam puisse marier deux personnes devant le divin, mais sans envoyer les documents auprès du Directeur de l’état civil pour valider le mariage au civil. Selon la juge Alary, malgré l’article 366 du Code civil du Québec, l’habilitation en droit d’un célébrant religieux « ne veut pas dire qu’un mariage célébré par un ministre du culte a nécessairement des conséquences civiles » (jugement, para. 61).

Deux types de mariages au Québec

Force nous est de constater que, de toute époque, les autorités religieuses de la province — catholiques ou autres — ont toujours eu une lecture fort différente de la législation applicable, comme en fait foi incidemment l’Archevêché de Montréal, qui est venu témoigner au procès sur la pratique des autorités judéo-chrétiennes en matière de mariage.

Bref, depuis la semaine dernière, il existerait deux types de mariages au Québec : celui produisant des effets juridiques, y compris le partage du patrimoine familial, et celui qui ne protège d’aucune façon les conjoints en cas de séparation, puisque la célébration aurait été uniquement devant une autorité religieuse.

L’incertitude qui s’ensuit est majeure : ambiguïté entourant le mariage, qui se traduira par des consentements non éclairés ; sans parler des risques de dérapage dû aux possibles pressions pour un mariage seulement religieux, plaçant les conjoints (habituellement les femmes) en situation de vulnérabilité. Ceci étant, une telle disjonction des célébrations des mariages religieux et civils existe dans certains pays étrangers, comme ce serait le cas au Mexique notamment. Il est alors nécessaire dans ces endroits de célébrer le mariage deux fois : une fois devant le ministre du Culte, une autre fois devant un représentant de l’État. Situation sans écho au Québec, du moins jusqu’à la semaine dernière.

Cette conclusion aurait suffi pour décider de l’affaire, puisque la position au centre du débat était que l’adéquation automatique et nécessaire entre mariage religieux et effets juridiques du mariage était inconstitutionnelle. Si l’on peut séparer les deux, la liberté de religion n’entre pas en jeu, aurait-on pensé, mettant fin au litige. Mais il n’en fut rien, puisque le jugement poursuit en analysant les prétentions d’ordre constitutionnel.

Analyse de la liberté de religion problématique

Ici aussi, avec égard, l’interprétation donnée aux droits fondamentaux invoqués à l’appui des arguments juridiques fondés sur les chartes québécoise et canadienne est pour le moins insatisfaisante. Par exemple, le constat de la juge Alary que la distinction existant entre les croyants et les non-croyants, s’agissant du choix de leur état civil (mariés, conjoints de fait), ne perpétue pas de stéréotypes ni n’entretient de préjugés est erroné en droit constitutionnel. En effet, depuis le jugement dans Éric c. Lola, il faut uniquement que la distinction illicite crée un désavantage (sans se soucier des perceptions) pour qu’elle soit considérée comme discriminatoire au sens des chartes, un test de type objectif probablement satisfait en l’espèce.

L’analyse faite par la juge de la liberté de religion est également problématique puisqu’elle mélange les considérations comptables du mariage, en aval, avec le caractère subjectivement religieux de l’institution du mariage, en amont. Seul ce dernier importe, en vertu de la jurisprudence applicable.

En somme, si quelqu’un a eu tout faux — pour reprendre l’expression de la journaliste Leduc — je serais tenté de penser que c’est dans ce récent jugement de la Cour supérieure. Heureusement, me dira-t-on, que les appels sont de plein droit en ces matières familiales.