Les discours alarmistes sur le climat, l’environnement ou la biodiversité sont faux. Les chemins que nos pays sont censés suivre pour échapper à la prétendue catastrophe sont des impasses. À condition de ne pas se renier, l’humanité a toutes les cartes en main pour faire face aux défis qui sont les siens. Telle est la thèse d’Apocalypse zéro
, le succès de librairie de Michael Shellenberger.
Militant de la cause écologique, parti à 25 ans travailler aux côtés des paysans pauvres d’Amérique du Sud, nommé « héros de l’environnement » par le magazine Time en 2008, Michael Shellenberger dirige aujourd’hui une association de défense de la nature qui promeut ouvertement l’énergie nucléaire. Son livre, qui s’est classé en tête des ventes aux États-Unis et qui est aujourd’hui publié en français, revient sur son parcours, sa prise de conscience de ce que l’écologie radicale se fourvoyait et sur toutes les raisons qu’il y a de croire au « potentiel positif de l’humanité ». En une douzaine de chapitres précis, factuels et très vivants, il explique surtout pourquoi les choses vont beaucoup mieux que ce que certains s’évertuent à nous faire croire.
Extraits.
Bien des discours que l’on inculque aux gens sur l’environnement, y compris le climat, sont faux, et il est primordial de les rectifier. J’ai décidé d’écrire Apocalypse zéro parce que j’en avais assez des exagérations, de l’alarmisme et de l’extrémisme qui sont les ennemis d’un environnementalisme positif, humaniste et rationnel. […]
Cet ouvrage entend explorer comment et pourquoi tant d’entre nous en sont venus à confondre des problèmes environnementaux importants, mais gérables avec la fin du monde, et pourquoi les commentateurs les plus catastrophistes sur les questions écologiques ont tendance à s’opposer aux solutions les meilleures et les plus évidentes pour les résoudre.
En cours de route, nous comprendrons comment les humains ne détruisent pas seulement la nature, mais la sauvent. À travers des histoires d’individus du monde entier, des espèces et des environnements qu’ils ont sauvés, nous verrons à quel point les progrès environnementaux, énergétiques et économiques se conjuguent, dans le monde réel, en un processus unique.
[Des milliards de victimes ?]
Quand un ouragan frappe la Floride, il peut ne tuer personne, mais quand ce même ouragan frappe Haïti, des milliers de personnes peuvent mourir instantanément par noyade ou plus tard du fait d’épidémies de maladies comme le choléra. La différence est que la Floride se trouve dans un pays riche avec des bâtiments et des routes résistants aux intempéries, un système de prévision météo et de gestion des urgences sophistiqué. Haïti, en revanche, est un pays pauvre qui manque d’infrastructures et d’équipements modernes.
« Considérez que depuis 1940 aux États-Unis, 3 322 personnes sont décédées du fait des 118 ouragans qui ont touché terre », écrit [le politologue américain Roger] Pielke. Quand « un tsunami a frappé l’Asie du Sud-Est en 2004, plus de 225 000 personnes sont décédées ».
Quiconque croit que le changement climatique pourrait tuer des milliards de gens et provoquer l’effondrement de civilisations sera peut-être surpris de découvrir qu’aucun des rapports du GIEC ne contient le moindre scénario apocalyptique. Aucun rapport du GIEC ne dit que des pays développés comme les États-Unis deviendront un « enfer climatique » semblable au Congo. Nos systèmes de protection anti-inondations, nos réseaux électriques et nos infrastructures routières continueront à fonctionner même à des niveaux de réchauffement potentiellement extrêmes.
[Quand les forêts brûlent, les militants n’y voient que du feu]
Le paysage que nous considérons aujourd’hui comme un décor naturel agréable, soit une prairie herbeuse entourée d’une forêt et traversée d’une rivière, est souvent un paysage façonné par les hommes pour chasser le gibier en quête d’eau potable. Le déboisement d’un bosquet incendié pour créer une prairie dans laquelle on abattait aisément des animaux est l’un des plus fréquents usages du feu par les chasseurs-cueilleurs du monde entier. Les prairies des forêts de l’est de l’Amérique du Nord auraient disparu si elles n’avaient pas été brûlées annuellement par les Indiens pendant cinq millénaires. […]
Partout sur la planète, la déforestation par le feu a donné naissance à l’agriculture en fertilisant les sols, en favorisant la prolifération des baies, noisettes, céréales et autres cultures utiles. Aujourd’hui, de nombreuses espèces d’arbres ont besoin du feu pour que leurs graines deviennent des arbres. Le feu est également essentiel, comme on l’a vu en Californie ou en Australie, pour éliminer la biomasse ligneuse du sol forestier.
En bref, le feu et la déforestation pour la production de viande sont des facteurs essentiels de ce qui a fait de nous des êtres humains. La seule raison plausible pour laquelle [Paulo] Adario [le responsable de Greenpeace Brésil], [le top-modèle brésilien Gisele] Bündchen et d’autres écologistes jugent si choquante la production de viande en Amazonie est qu’ils ne savent rien de cette histoire. »
[Le plastique a sauvé les tortues]
La grande majorité des déchets plastiques présents dans le milieu marin provient de sources terrestres, déchets abandonnés, matériaux de fabrication ou déchets associés à des activités récréatives côtières. Le reste se compose de débris intraocéaniques comme les filets et les lignes de pêche. Filets et lignes de pêche représentent la moitié de tous les déchets du tristement célèbre vortex de déchets du Pacifique nord. […]
Entre 2007 et 2013, une équipe de neuf scientifiques a lancé vingt-quatre expéditions à travers le monde pour tenter d’évaluer la quantité totale de plastiques présents dans la mer. Ils se sont rendus sur l’ensemble des cinq gyres subtropicaux, ces courants circulaires océaniques qui piègent les déchets plastiques. […]
Les scientifiques ont semblé stupéfiés par ce qu’ils ont découvert : « Le poids global de la pollution plastique à la surface de la mer, toutes catégories de tailles confondues, ne représente que 0,1 % de la production annuelle mondiale. » Encore plus étonnant, ils ont trouvé cent fois moins de micro-plastiques qu’ils ne s’attendaient à en découvrir. […]
En Californie, l’interdiction des sacs plastiques a entraîné leur remplacement par des sacs en papier et d’autres sacs plus épais, ce qui aggrave les émissions de carbone en raison d’une fabrication très énergivore. Les sacs en papier devraient être réutilisés quarante-trois fois pour avoir un impact moindre sur l’environnement. En outre les sacs plastiques ne constituent que 0,8 % des déchets plastiques dans les océans. Les bouteilles en verre peuvent être plus agréables à boire, mais leur fabrication et leur recyclage nécessitent aussi davantage d’énergie. […]
Et parce que les bioplastiques proviennent de cultures plutôt que de sous-produits (résines) de l’industrie pétrolière et gazière, ils ont un impact plus important sur l’utilisation des sols, tout comme les biocarburants — de l’éthanol de maïs aux États-Unis à l’huile de palme en Indonésie et Malaisie […].
Pour les pays pauvres, créer des infrastructures modernes pour la distribution de l’énergie, le traitement des eaux usées et des eaux de crue sera une priorité plus urgente que les déchets plastiques, tout comme ce fut le cas pour les États-Unis et la Chine avant eux. L’absence d’un système de collecte et de gestion des déchets humains par le biais de canalisations, égouts et systèmes d’épuration représente une menace bien plus grave pour la santé humaine.
[Des usines, des usines et encore des usines !]
En Ouganda, j’ai eu une conversation avec une femme d’âge moyen qui travaillait à notre écolodge, où nous sommes allés observer des gorilles une seconde fois. Je lui ai dit que seulement deux Américains sur cent travaillent dans l’agriculture — alors que deux Ougandais sur trois sont des agriculteurs.
« Comment pouvez-vous faire pousser suffisamment de nourriture ? m’a-t-elle demandé.
— Avec de très grosses machines », ai-je répondu. […]
S’il est vrai que quelques pays riches en pétrole comme l’Arabie saoudite ont atteint un niveau de vie très élevé sans s’être jamais industrialisés, presque tous les autres pays développés du monde, Grande-Bretagne, États-Unis, Japon, Corée du Sud et Chine, ont transformé leur économie en misant sur l’industrie. […]
Aujourd’hui, les économistes soulignent trois raisons pour lesquelles le système manufacturier, par opposition à d’autres secteurs de l’économie, a permis aux pays pauvres de devenir riches.
D’abord, les pays pauvres peuvent devenir aussi efficaces que les pays riches dans la fabrication de certains produits, et même les surpasser. […] Ensuite, les produits fabriqués en usine sont faciles à exporter. Cela permet aux pays en développement de fabriquer des produits qu’ils n’ont pas encore les moyens d’acheter, et d’acheter des objets qu’ils ne sont pas encore capables de fabriquer eux-mêmes. Même quand d’autres secteurs économiques sont dysfonctionnels en raison de niveaux élevés de corruption dans l’administration ou pour d’autres motifs, l’histoire montre que les usines peuvent continuer à être productives et, de fait, stimuler la croissance économique.
Enfin, les usines nécessitent une abondante main-d’œuvre, ce qui leur permet d’absorber un grand nombre de petits paysans non qualifiés. […] Contrairement à ce que, avec d’autres, j’ai longtemps cru, les effets positifs de l’industrie textile l’emportent sur les effets négatifs. Nous devrions donc ressentir de la fierté, non de la culpabilité, lorsque nous achetons des produits fabriqués par des personnes comme Suparti [une ouvrière indonésienne que l’auteur a rencontrée, NDLR].
[À manger pour tous — même de la viande !]
La superficie totale des terres dévolues par l’humanité à la production de viande a culminé en 2000. Depuis lors, selon la FAO, les terres consacrées à l’élevage sur l’ensemble de la planète ont reculé d’environ 1 400 000 kilomètres carrés, une superficie qui représente 80 % de l’Alaska [soit près de 84 % du Québec ou près de deux fois et demie la France métropolitaine, NDLR]. Tout ceci s’est produit sans révolution végétarienne. Aujourd’hui, seuls 2 à 4 % des Américains sont végétariens ou végétaliens. […]
Cela est dû en partie à la substitution du poulet au bœuf. Un gramme de protéines de bœuf nécessite deux fois plus d’énergie sous forme d’aliments pour animaux qu’un gramme de porc, et huit fois plus qu’un gramme de poulet. Mais c’est surtout dû à l’efficacité. Entre 1925, date à laquelle les États-Unis ont commencé à produire des poulets en intérieur, et 2017, les éleveurs ont réduit de plus de moitié le temps d’alimentation tout en faisant plus que doubler le poids des poulets.
La production de viande a pratiquement doublé aux États-Unis depuis le début des années 1960, et pourtant les émissions de gaz à effet de serre dues au bétail ont baissé de 11 % durant la même période. […]
Les pays pauvres comme le Congo ont absolument besoin de fournir davantage de protéines à leur peuple et d’augmenter la productivité de leurs élevages afin d’alléger la pression qui s’exerce sur les habitats des espèces menacées. […] La production de viande la plus performante en Amérique du Nord nécessite vingt fois moins de terres que la production de viande la plus performante d’Afrique. Remplacer le gibier par des viandes modernes comme le poulet, le porc et le bœuf nécessiterait moins de 1 % du total des terres agricoles de la planète.
[Vraie et fausse lumière]
En Ouganda, Helen et moi avons séjourné dans un écogîte équipé de panneaux solaires et de batteries. Mais après une seule journée de temps nuageux, nous avions épuisé les batteries du gîte en chargeant nos ordinateurs portables, appareils photo, téléphones portables et autres appareils. Quand nous avons dit au gérant du lodge que nous avions besoin de plus d’électricité, il a fait ce que font les petites entreprises en Afrique subsaharienne, il a allumé un générateur au diesel. […]
Considérez le projet de stockage électrique le plus célèbre de Tesla, un centre de batteries au lithium installé en Australie, capable de délivrer 129 mégawattheures. Il fournit suffisamment d’énergie de secours pour alimenter 7 500 foyers pendant quatre heures. Mais il y a neuf millions de foyers en Australie, et 8 760 heures dans une année. L’un des plus grands centres de stockage de batteries au lithium au monde se trouve à Escondido en Californie. Mais il ne peut stocker assez d’énergie que pour environ 24 000 foyers américains pendant quatre heures. Il y a environ 134 millions de foyers aux États-Unis. Pour alimenter l’ensemble des logements, entreprises et usines américaines en électricité pendant quatre heures, nous aurions besoin de 15 900 centres de stockage d’une taille comparable à celui d’Escondido pour un coût de 894 milliards de dollars. […]
Un village indien a fait la une des journaux du monde entier après sa révolte contre les panneaux solaires et la batterie à « micro-réseau » que Greenpeace avait créée comme modèle supposé de saut technologique pour les populations les plus pauvres du monde. L’électricité, peu fiable, était coûteuse. « Nous voulons de la vraie électricité, ont scandé des villageois à un politicien de l’État, pas de la fausse ! »
[Le vert est tellement chic !]
Fin juillet [2019], Google avait rassemblé en Sicile des célébrités et des militants pour le climat afin de discuter des modalités concrètes de leur soutien à la cause. […] Cette réunion sicilienne s’est tenue au Verdura, un complexe cinq étoiles plus vaste que la Principauté de Monaco, abritant six courts de tennis, trois terrains de golf, quatre piscines et un terrain de football. Malgré cet hébergement dans un domaine de très grand luxe, de nombreux participants ont préféré séjourner sur des superyachts amarrés au large, d’où ils étaient acheminés en Maserati sur le lieu de l’évènement. Le premier soir, quarante jets privés avaient atterri sur le domaine […].
[Comme l’avait déclaré] une personne présente, au Sun, un tabloïd britannique, « ils ne semblent tout simplement pas conscients des énormes quantités de combustibles fossiles qu’ils brûlent. Ils débarquent avec des entourages inutiles dans des hélicoptères ou des voitures rapides, puis font des prêches pour sauver le monde ». […] Le problème n’était pas que les célébrités affichaient leur mode de vie très énergivore. Le problème était qu’ils faisaient la morale à des gens qui l’étaient très peu.
[La catastrophe médiatique]
Les médias d’information méritent également d’être blâmés pour avoir présenté faussement l’évolution climatique et d’autres problèmes environnementaux comme apocalyptiques, et pour ne pas les avoir replacés dans leur contexte mondial, historique et économique. Les entreprises médiatiques de premier plan exagèrent le changement climatique au moins depuis les années 1980. Et […] des publications de haut niveau comme le New York Times et le New Yorker ressassent sans la moindre distance critique une doctrine malthusienne réfutée depuis plus d’un demi-siècle.
Mais c’est dans ce que ne disent pas ou du moins pas clairement leurs résumés et communiqués de presse que le GIEC et d’autres organismes scientifiques sont les plus trompeurs. Ils ne disent pas clairement que le nombre de morts liés aux catastrophes naturelles a considérablement diminué et devrait encore décliner avec une adaptation continue. Ils ne disent pas clairement que l’accumulation de bois de chauffage et la construction d’habitations à proximité des zones boisées comptent plus que le changement climatique pour déterminer la gravité et l’impact des incendies dans bien des nombreuses régions du globe. Et ils ne disent pas clairement que les engrais, les tracteurs et l’irrigation importent plus que le changement climatique pour déterminer les rendements des cultures. […]
Même si je peux partager la tristesse et la solitude sous-jacentes à la colère et la peur du changement climatique, de la déforestation et de l’extinction des espèces, je constate que cette vision est erronée, basée sur des angoisses sans fondement, des idéologies déresponsabilisantes et des déformations de la réalité. […] L’image promue par les écologistes apocalyptiques est inexacte et déshumanisante : les humains ne sont pas en train de détruire la nature à force d’irréflexion. […]
Les médias d’information, les rédacteurs en chef et les journalistes pourraient se demander si leur exploitation constamment sensationnaliste des problèmes environnementaux est cohérente avec leur engagement professionnel d’équité et d’exactitude, tout comme avec leur engagement personnel d’exercer une influence positive dans le monde. Même si je suis sceptique sur le fait que des écolos déguisés en journalistes soient susceptibles de changer leur façon de faire leur travail, j’ai bon espoir que la concurrence extérieure aux médias traditionnels, rendue possible par les médias sociaux, insufflera une nouvelle compétitivité dans ce journalisme écologiste et en rehaussera les normes.
En guise de conclusion…
Je crois que si les spécialistes de l’environnement, les journalistes et les militants passaient plus de temps à discuter avec les gens qui vivent en Indonésie ou au Congo de leur combat quotidien, ils seraient moins prompts à s’obnubiler sur la fin du monde, et moins enclins à paniquer devant chaque nouveau problème environnemental.
Apocalypse zéro,Pourquoi la fin du monde n’est pas pour demain de Michael Shellenberger,
paru le 27 octobre 2021,
À l’Artilleur,
à Paris
528 pages,
ISBN-10 : 2 810 010 900
ISBN-13 : 978-2810010905
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