jeudi 11 octobre 2018

L'intellectuel vedette de la société diversitaire et fluide

Chronique d’Éric Zemmour sur l’auteur israélien à succès de cet été, Harari. Bill Gates , Zuckerberg et Obama l’ont conseillé... Quand l’auteur de « Sapiens » délivre son ordonnance pour les temps qui viennent : médecine politiquement correcte qui allie mondialisme et culte des minorités.

« Harari se gausse des “récits” nationaux et religieux, sans se rendre compte qu’il nous sert un autre “récit”, celui des minorités, ethniques, LGBT » religieuses, féministes et Il est partout.

Célébré à New York, consacré à Berlin, glorifié à Paris. Il est l’auteur à succès mondial, l’homme aux millions d’exemplaires vendus, le penseur le plus important du XXIe siècle ! Il s’appelle Yuval Noah Harari mais son nom, trop exotique sans doute, est bien moins connu que le titre du livre qui l’a révélé : Sapiens. Avec cette plongée dans le passé de l’humanité, notre auteur vulgarisait et popularisait les études savantes de l’historiographie contemporaine qui privilégie les « histoires mondiales », au détriment des anciens « romans nationaux. »

Cette mode intellectuelle n’est pas tombée par hasard : elle est le produit d’une idéologie partie des campus californiens et qui a conquis les universités occidentales, de Paris à Berlin, d’Ottawa à Tel-Aviv. Le marché mondial, unifié par le consensus libéral de Washington, et par la technologie d’Internet (partie aussi de Californie !), avait besoin d’un récit mondial, comme l’unification des marchés nationaux au XIXe siècle par le chemin de fer et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes avait eu comme corollaire les grands récits nationaux de Michelet à Mommsen : les historiographes du roi marché mondial ne se sont pas fait prier. Proudhon nous avait pourtant avertis il y a longtemps : « Qui dit humanité, veut tromper. » Notre Harari n’est pas le meilleur ni le seul ; seulement le plus connu.

Proust disait déjà qu’on écrivait toujours le même livre. Dans son dernier ouvrage, Harari reprend donc sa thématique « humanitariste », mais, cette fois, pour traiter des « grands défis contemporains ». Il le fait sans surprise ni talent. On croit souvent lire un article du Point (libéral de droite) ou un éditorial du Monde (libéral de gauche). Les problématiques de notre époque, réchauffement climatique ou intelligence artificielle, sont mondiales ; elles ne peuvent donc être appréhendées qu’au niveau mondial. On connaît la ritournelle. Jacques Attali nous la serine depuis trente ans. Elle baigne les discours d’Obama, de Macron ou de Merkel. Il n’y a qu’une seule humanité et qu’une seule civilisation. Nos prophètes humanitaristes n’en démordent pas : la guerre des civilisations est un mythe.

Tous les hommes d’aujourd’hui ont les mêmes médecins et le même dollar. Il est amusant de voir les
progressistes de notre temps reprendre la vieille thématique de La Civilisation, graal unique et sacré, qui avait servi de fondement aux colonisateurs européens pour conquérir les terres des « sauvages » afin de « conduire tous ces peuples dans l’obscurité à la Lumière », comme disait avec lyrisme Victor Hugo.

Mais alors qu’à l’époque cette Civilisation unique et admirable était dérivée de l’universalisme chrétien, et portée par « le fardeau de l’homme blanc », sa version contemporaine se moque des religions, et dénonce l’homme blanc comme un persécuteur de minorités éternellement opprimées. Harari agit comme tout étudiant d’aujourd’hui dans les campus californiens ou canadiens : il nous délivre son « identité » ; il ne nous cache rien de sa judaïté ni de son homosexualité. Il est vrai que cela donne le chapitre le plus réussi du livre, lorsqu’il couvre de sarcasmes le complexe de supériorité du « peuple élu » et tourne en dérision une orthopraxie juive qui pousse parfois son respect des rituels jusqu’au grotesque. Pour une fois, l’auteur sait manifestement de quoi il parle et ne se contente pas de réciter son bréviaire politiquement correct. Une désacralisation salubre qui démolit autant le chauvinisme juif que l’antisémitisme qui continue de croire que les Juifs contrôlent le monde — les deux se soutenant l’un l’autre. Cela fait songer à Voltaire brocardant le catholicisme et donne la tonalité générale de l’ouvrage : pour ce qu’il a de mieux, c’est du Voltaire sans le talent littéraire ; pour ce qu’il a de pire, c’est du Attali sans l’arrogance.

Comme Voltaire, il considère que les religions sont des superstitions ridicules, des « intox » crues depuis mille ans. Comme Attali, il juge les nations aussi dépassées que les tribus d’antan. Pour lui, comme pour toutes nos élites mondialisées, les peuples doivent se fondre dans un grand magma mondial. Comme eux, Harari ne tolère pas la résurgence des nations et des attachements religieux, qu’il couvre de mépris. Il met dans le même sac Louis XIV, Napoléon, et Hitler et Staline. Poutine, Orban et tous les autres tenants de la « démocratie illibérale » sont couverts d’opprobre.

Harari se gausse des « récits » nationaux et religieux, sans se rendre compte qu’il nous sert un autre « récit », celui des minorités, ethniques, religieuses, féministes et LGBT, qui tyrannisent depuis des années les peuples occidentaux.

Harari considère que les hommes sont uniquement guidés par leurs sentiments, et non par la raison ; manière de délégitimer le suffrage universel, surtout quand les électeurs osent voter pour le Brexit ou Trump. Il exprime un existentialisme radical : aucune « essence “ne trouve grâce à ses yeux, ni nationale, ni religieuse, ni sexuelle. Il est l’intellectuel organique — un parmi beaucoup d’autres — de cette société ‘fluide’ que nos élites mondialisées veulent imposer à des peuples qui s’accrochent à leurs identités et à leurs essences.

C’est un historien qui s’enferme dans une vision économiste du monde : ‘Après l’anéantissement de leurs armées et l’effondrement de leurs empires, Allemands, Italiens et Japonais jouissaient de niveaux d’abondance sans précédent. Dès lors, pourquoi sont-ils entrés en guerre ?’, s’interroge-t-il benoîtement. Il ne comprend pas les mots d’indépendance nationale, de liberté des peuples, de grandeur, petit esprit étriqué enfermé dans un matérialisme hédoniste. Pourtant, même lui a besoin de spiritualité et de transcendance. Alors, il va la chercher dans les méditations des cultes orientaux.

À lire ses dernières pages, on se croit revenu dans les années 60, lorsque les Beatles, alors au faîte de leur gloire, se laissaient entraîner par quelque gourou dans des exercices de méditation transcendantale. Au moins, ils avaient l’excuse de la jeunesse et du talent.





Nous vous proposons aussi cette note de lecture en format vidéo sur les deux derniers ouvrages de Hariri (1000 pages de prose résumée et analysée en deux heures) :






Sapiens : une brève histoire de l’humanité,
de Yuval Noah Harari,
paru en octobre 2015,
chez Albin Michel,
à Paris,
501 pages
ISBN-13 : 978-2226257017





Homo deus : une brève histoire de l’avenir,
de Yuval Noah Harari,
paru en septembre 2017,
chez Albin Michel,
à Paris
464 pages
ISBN-13 : 978-2226393876

France — Valoriser le latin et le grec, auprès de tous

Robert Delord, enseignant en lettres classiques, rappelle l’importance de connaître la langue de nos ancêtres alors que le ministre de l’Éducation nationale français,, Jean-Michel Blanquer, a indiqué vouloir « revitaliser le latin et le grec » dans le Journal du Dimanche.


Emmanuel Macron, Beyoncé, Bocelli, Penelope Cruz... Ils parlent le français, l’anglais, l’italien ou l’espagnol et ont pour mère la même langue : le latin. À l’origine de 85 % de notre vocabulaire, le parler de Virgile fait partie intégrante de notre quotidien. De la politique, à l’économie en passant par la culture ou le sport, il est aussi inévitable qu’indispensable. Une nécessité que défend Robert Delord. Selon le professeur de latin, président de l’association et administrateur du site « Arrête ton char ! », l’apprentissage des langues anciennes permet d’éclairer l’actualité. Mais pas seulement.

LE FIGARO. – Ce week-end le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer a déclaré au JDD : « Le latin et le grec sont la sève de notre langue. Nous devons les cultiver, et les considérer non pas comme des langues mortes, mais comme l’essence vitale de notre langue. » Pensez-vous que le latin et le grec soient des langues vivantes ?

Robert DELORD. – Oui. Une langue morte par exemple, c’est la langue des tribus amérindiennes qui ont disparu dans l’incendie du musée de Rio de Janeiro. Cela signifie que vous n’avez ni des locuteurs capables de la parler, ni des personnes capables de la comprendre. Aujourd’hui, plus d’un milliard d’individus parlent une langue issue du latin.

Le latin permet de mieux apprendre et comprendre l’italien, l’espagnol et l’anglais. On l’oublie trop souvent, mais il y a 60 % des mots anglais qui viennent du latin. La langue de Virgile n’est pas seulement une façon de mieux apprendre les langues romanes, mais une manière d’être « connectés » linguistiquement à un milliard et demi de personnes sur la planète.

Ce discours va-t-il en contradiction ou dans la continuité de ceux de l’ancienne ministre de l’Éducation, Najat Vallaud-Belkacem ?

Le changement est total. Il y avait un mépris affiché, des mensonges... La vision des langues anciennes de Najat Vallaud-Belkacem était complètement erronée. Aujourd’hui, certains se complaisent à la reproduire en expliquant que le latin est élitiste. Mais j’invite tous les détracteurs au latin à venir dans nos classes. Ils verront qu’elles comptent autant de Farès et de Fatima, que de Jean-Edouard et de Léontine.

Les accusations d’élitisme, de conservatisme, de passéisme, de corporatisme sont du passé. On ne doute pas de l’attachement de Jean-Michel Blanquer aux langues anciennes. Il a fait du droit romain, il connaît l’importance du latin. Il l’a prouvé avec des circulaires. Mais le problème, c’est que ces circulaires n’ont aucune valeur légale. Ce ne sont pas des arrêtés.

Pourquoi l’enseignement du latin fait-il débat ?


Ses détracteurs sont persuadés que le latin est une question de classe. Ils pensent que l’enseignement du latin est resté le même que celui dans les années 1950-1960. Or, c’est complètement faux. Le latin a certes été élitiste. Dans la Rome antique, si vous parliez latin, vous étiez Romain, si vous ne le parliez pas, vous étiez un barbare. Dans les années 1960, la filière d’excellence était celle intitulée « latin-mathématiques ». Aujourd’hui, il est vrai que 60 % des élèves qui passent le latin au bac, viennent d’une filière S. Mais le latin et le grec ancien sont ouverts à tous.

Les latinistes font-ils de meilleurs scientifiques, comme le disait Marcel Pagnol ?

On est à une époque où tout doit être fait rapidement. Un élève non-latiniste ne supporterait pas de passer une heure pour essayer de décortiquer trois ou quatre phrases. Le cours de latin est une parenthèse dans la semaine où les élèves prennent le temps d’avoir une réflexion poussée sur la langue. Les langues anciennes apprennent la rigueur. Les mathématiques elles aussi sont un langage qu’il faut décrypter pour résoudre un problème ou utiliser pour rédiger une démonstration de façon rigoureuse. On ne fait pas ce qu’on veut avec la syntaxe latine ou mathématique ! Il y a la même nécessité de rigueur dans la démonstration, dans la résolution d’un problème que dans la traduction latine.

À quel âge faudrait-il commencer le latin ?

Je distinguerais l’apprentissage des langues et des cultures de l’Antiquité. L’année dernière, notre association a été reçue par Jean-Michel Blanquer. La première chose que nous avons évoquée et l’appauvrissement du vocabulaire des élèves. Car, c’est à cet âge que les enfants sont curieux quant aux mécanismes et au fonctionnement de leur langue. Nous lui avons proposé de faire découvrir le vocabulaire à partir de l’étymologie et des racines latines et grecques dès la classe de CM1 ou CM2. Jean-Michel Blanquer nous a suivis. Il a donné son feu vert. Cette proposition a été mise en œuvre dès la rentrée 2017.

En quoi est-il utile ?

Se poser la question de l’utilité du latin revient à poser la question de l’utilité de la culture générale. Même les opposants au latin ne nient pas cette utilité qui n’est pas directe. Le problème aujourd’hui, c’est qu’on est dans une société de l’utilitarisme, de la rentabilité, du profit immédiat pour filer la métaphore financière. On ne poserait jamais cette question aux professeurs de mathématiques de français ou d’Histoire-géographie. L’enseignement des Langues Anciennes est interdisciplinaire par nature et touche en plus à l’humain ; en cela il est très anthropologique.

Le latin est-il une langue d’avenir ?

Le latin est tout à la fois le passé, le présent et l’avenir. Il permet d’embrasser la culture à travers les siècles. Son apprentissage donne des clés et permet d’éclairer l’actualité. Il y a un mois, par exemple, l’UEFA a dévoilé un hymne de la champion league en latin, langue à la fois internationale et aux accents épiques. Regardez de plus la culture d’aujourd’hui. Les clips de Beyoncé, d’Ariana Grande font de plus en plus souvent référence à l’Antiquité.

Le latin n’est plus celui de papis et de mamies. C’est un enseignement moderne qui a su se renouveler et s’adapter à son époque. Vous pouvez prendre la trilogie Hunger Games, Harry Potter, Game of Thrones... Le latin est partout. Il faut l’expliquer aux élèves. Il faut en finir avec l’image d’épinal du prof de latin, vieux, avec son dictionnaire Gaffiot poussiéreux. Apprendre le latin à tous les élèves est un véritable enjeu culturel.

Assiste-t-on depuis la réforme des collèges à une recrudescence des latinistes ?

Il y a eu 18 000 latinistes de plus à la rentrée 2017. C’est très positif, mais il faut se rappeler qu’il y avait eu un net recul à la rentrée 2016 lié à la crainte des familles quant à une potentielle disparition du latin au lendemain de la réforme du collège de Najat Vallaud-Belkacem.

Aujourd’hui, force est de constater que le latin n’a pas disparu, mais les heures de latin n’ont pas toutes été rétablies.

Avant la réforme, il y avait 2 h de latin en 5e, 3 h en 4e et 3 h en 3e. Après la réforme, les collèges sont passés à 1 h de latin en 5e, 2 h en 4e et 2 h en 3e. Ces horaires sont de plus devenus ce que l’on appelle des horaires plafonds. C’est-à-dire, « dans la limite de ». Du jour au lendemain, les chefs d’établissement ont eu toute liberté de tailler les horaires des langues anciennes réduites au statut de variable d’ajustement dans chaque collège. Cela se constate encore aujourd’hui. Les horaires Blanquer ont seulement donné la possibilité aux chefs d’établissements de revenir à 7 h de latin sur tout le collège, mais pas les moyens financiers de le faire.

Que faut-il faire selon vous ?

Les déclarations du ministre sont positives et témoignent une véritable volonté d’aller de l’avant pour le développement des Langues Anciennes. Il faut maintenant que la Direction générale de l’enseignement scolaire publie non pas des circulaires, mais des arrêtés officiels qui garantissent un financement des heures de latin et de grec et imposent aux chefs d’établissement de suivre les directives ministérielles.

Remettons les choses en perspective : Les élèves latinistes et hellénistes et leurs professeurs sont aujourd’hui les seuls auxquels on impose des horaires variables d’une année sur l’autre, des regroupements de plusieurs niveaux, et des horaires très contraignants. Cela doit changer.






Les latinistes noteront que le locatif de domus est domi (à la maison, chez soi), mais qu’il ne s’applique pas ici puisqu’il y a mouvement et que l’accusatif domum s’impose donc. La phrase corrigée par le généreux et convaincant pédagogue nocturne est donc correcte : Romani ite domum.

En outre, ire se conjugue eo, is, it à l'indicatif présent et non io, is, it (à 1 min 17).