7% des élèves scolarisés en France souffriraient de troubles psychologiques sévères, explique Ophélie Roque, enseignante. Face à ce constat rien ne semble être envisagé à part la politique du rafistolage de dernière minute, déplore-t-elle. Ophélie Roque est enseignante. Ella a publié en 2023 Black Mesa (Robert Laffont, 2023), son premier roman. Elle s'exprime dans les colonnes du Figaro.
«7% des élèves scolarisés en France souffriraient de troubles psychologiques sévères». |
La question de la santé mentale dans les établissements scolaires reste, encore en 2024, un sujet tabou. On préfère ne pas l'évoquer, enfouir la chose sous le tapis, ou mieux encore, esquisser un sourire gêné. Quelle idée d'aborder frontalement ces choses-là, en tout il faut de la pudeur ! Et pourtant, selon des chiffres officiels, 7% des élèves scolarisés en France souffriraient de troubles psychologiques sévères (bipolarité, autisme, TDAH, troubles délirants, retards mentaux…).
L'école se veut inclusive, la chose est proclamée partout. Soit. D'ailleurs, des unités spécialisées sont implantées au sein de nombreux établissements et plusieurs dispositifs d'intégration existent : 12.200 classes ULIS (Unités localisées pour l'inclusion scolaire) émaillent tout le territoire pour 1200 IME (Institut médico-éducatif). Que signifient de tels chiffres ou, pour le dire autrement, les troubles psychiatriques viennent-ils heurter la routine de l'enseignant ?
Ici aussi, la nuance s'impose. On ne peut traiter l'humain dans les grandes lignes sans que cela n'aboutisse à la pire des inhumanités à savoir l'altruisme comptable et tatillon, soucieux non pas des personnes mais des statistiques. Quand elle est préparée, l'intégration se passe souvent au mieux. Les autres élèves, habitués à avoir un ou deux élèves dits «à particularités», n'y font plus guère attention et se comportent avec eux de la même manière qu'avec un autre. En cela, nous pouvons être fiers de l'école républicaine. Tout n'est donc pas à refaire, de vraies réussites existent ! Mais (parce qu'il y a souvent un «mais») que faire des cas limites ? Ceux qu'on ne sait plus sous quel angle aborder tant les limites de leur pathologie sont mal définies. Au final, ce sont eux les plus nombreux et les plus délicats à gérer : non diagnostiqués donc non accompagnés, ils sont en sommeil et forment autant de petites goupilles prêtes à exploser à chaque instant. Et le plus souvent en plein vol. Je me rappelle d'un élève qui, alors que je diffusais un extrait de film, s'est soudain mis à proférer insanités sur insanités à la vue d'une comédienne de plus de 70 ans, hurlant qu'il allait lui fourrer quelque chose quelque part. Il a fallu une pleine journée pour lui faire quitter cette étonnante lubie.
On lance des campagnes de sensibilisation, on consacre la journée du 10 octobre à la cause mais rien qui ne dépasse véritablement le cadre des vaines promesses.Ophélie Roque
Tous les professeurs ont connu, connaissent ou connaîtront de tels apartés. Invariablement. Dans certains quartiers plus que dans d'autres tant il est constant que la misère s'ajoute à la misère. Chaque année, de trop nombreux élèves au comportement problématique sont laissés dans le système scolaire au détriment du bon sens et, parfois, de la sécurité des autres élèves. Ces enfants perturbés nécessiteraient, a minima, une prise en charge adaptée. Confrontés à une scolarisation «traditionnelle», ils peinent à trouver leur place. C'est qu'il n'y a que 69.000 places dans les instituts spécialisés et l'on veut croire les classes de nos enfants extensibles.
Par ailleurs, songeons que coexistent au sein du même espace plusieurs profils qui devraient mutuellement s'exclure. Ainsi, si les «mutiques» s'isolent (certains élèves ne se redresseront jamais et resteront prostrés sur leur chaise, se recroquevillant si jamais quelqu'un les effleure), les «possédés» - en proie à des psychoses plus ou moins latentes - se mettent à invoquer le démon en plein cours, agressant camarades et professeurs et détériorant le matériel scolaire (déjà pas toujours au mieux de sa forme).
Ne nous leurrons pas, l'école ne sait pas soigner, elle ne peut que tenter de s'ajuster selon des capacités d'adaptation variables. Sans compter qu'il existe des cas plus troubles où le doute existe : l'enfant est-il malade ou se moque-t-il de son monde ? En cas d'accès colériques à répétition, la question peut rapidement s'envisager. Et face à ce problème qui n'est d'ailleurs en rien propre à l'école (13% des adultes disposeraient d'une pathologie psychiatrique) rien n'est véritablement fait. On lance des campagnes de sensibilisation, on consacre la journée du 10 octobre à la cause mais rien qui ne dépasse véritablement le cadre des vaines promesses. Aucun plan ni projet d'ensemble, aucune politique clairement assumée à part celle du rafistolage de dernière minute. À l'école de remédier aux 400 unités scolaires au sein des lieux de soins démantelés ces dix dernières années ! À l'école de faire comme si ce manque n'existait pas ! À l'école de remplacer les éducateurs spécialisés par des professeurs contractualisés formés au lance-pierres et même, le plus souvent, pas formés du tout !
Les rectorats sont d'ailleurs pleinement conscients de la chose. Dans chaque académie, on virevolte avec les chiffres et les jeunes. Des milliers de signalements qui font remonter à la surface la misère enfouie. Que faire des élèves pour qui l'école reste inadaptée ? La situation est d'autant plus sordide qu'à aucun moment la possibilité du soin n'est sérieusement envisagée. Qu'un cas concret, un peu «moche», se présente et c'est «courage, fuyons !». Et si jamais la greffe ne prend pas, il suffit de les maintenir de force dans le système en sachant qu'une fois leurs 16 ans atteints, la porte se referme. Définitivement cette fois-ci.