lundi 14 janvier 2008

Violences scolaires à Toronto et réponses convenues de la Ministre

La semaine dernière est paru un rapport alarmant sur la violence endémique des écoles torontoises appartenant au Conseil scolaire public anglais de Toronto. Le rapport de 1 000 pages sur ces écoles démontre que la violence sévit dans plusieurs établissements et que, dans bien des cas, les actes ne sont pas signalés aux autorités. L’étude mentionne également l'existence d'une loi du silence à tous les niveaux du conseil scolaire public de Toronto: chez les élèves, le personnel et au sein de la direction.

Le groupe, mis sur pied après l'assassinat de Jordan Manners à l'école C.W. Jefferys, l'an dernier, a recensé 177 incidents violents de janvier 2006 à novembre 2007. À l'école C.W. Jefferys, 20 % des adolescentes ont déclaré avoir été victimes d'agression sexuelle. Lundi, l'ancien directeur de l'établissement et deux directeurs adjoints ont d'ailleurs été accusés de ne pas avoir signalé une présumée agression sexuelle aux policiers. Selon la même étude, « 12 % » des étudiants de l’école C. W. Jefferys « se sont vus pointer un pistolet (ou être tirés dessus) sur le terrain de l’école dans les deux dernières années et 14 % à l’extérieur de l’école. »

Nous n’avons pas voulu nous faire l’écho de ces nouvelles alarmistes principalement parce que l’étude manque de profondeur : les points les plus sensationnalistes de l’étude sont des extrapolations tirées de deux écoles situées dans des quartiers de Toronto à haute criminalité où sévissent drogues et bandes de jeunes criminels. Ces quartiers concentrent également de nombreuses familles monoparentales, pauvres et membres de minorités ethniques.

Il nous a donc semblé qu’on ne pouvait tirer de ces deux écoles des conclusions valables pour l’ensemble des établissements publics de Toronto, bien qu’il soit possible qu’il y ait, depuis quelques décennies, une augmentation de la violence dans l’ensemble – même dans les écoles des quartiers aisés et « blancs » – de Toronto. Avant de conclure dans ce sens, il faudra toutefois attendre une étude plus approfondie effectuée dans l’ensemble des écoles.

Ce qui nous est apparu, en revanche, assez symptomatique est la réponse de la ministre de l’Éducation de l’Ontario, Kathleen Wynne, qui citait parmi les mesures déjà prises par le gouvernement de l’Ontario pour lutter contre la violence :
  • Nous avons dorénavant 9 000 enseignantes et enseignants et 7 600 membres du personnel de soutien de plus qui accordent aux élèves une plus grande attention individuelle, encouragent tous les enfants à se concentrer sur leur apprentissage et aident les jeunes à risque à éviter les ennuis.
  • L'apprentissage est désormais obligatoire jusqu'à l'âge de 18 ans, ce qui veut dire des hausses du taux d'obtention de diplôme et des baisses du taux de décrochage.
Quelques remarques s’imposent :
  • L’augmentation du personnel en Ontario, comme au Québec ou en France, accompagne souvent une décroissance de la population scolaire et, parfois même, un tassement des résultats scolaires dans les études internationales, comme c’est le cas du Québec (voir les études PISA et PIRLS). Il est possible que la part de plus en plus importante d’immigrés provenant de cultures où l’éducation est peu valorisée ou la part grandissante des familles monoparentales explique ces reculs. Ici, encore, nous manquons d’études assez fines pour confirmer ou infirmer ces hypothèses.
  • Les difficultés de ces écoles ne sont pas à proprement parler scolaires, on ne voit donc pas vraiment en quoi encore augmenter les sommes d’argent dévolues à l’instruction – il faut qu’ils comprennent mieux les maths et fassent leurs devoirs !? – résoudra quoi que ce soit (ne plus agresser les filles dans les toilettes ? Ne plus amener de pistolets ?). Les trublions devraient plutôt être envoyés à des écoles particulières à la discipline renforcée.
  • Enfin, le rallongement de la durée obligatoire de scolarité – même si c’est une option facile et flatteuse pour les enseignants qui pensent que l’école est la panacée aux problèmes de la jeunesse — pourrait bien empirer les choses. Voir à ce sujet la recension du livre du Dr Esptein dans L’École infantilise-t-elle les adolescents ?

Comment Québec a privé les parents et les élèves d'un choix de cours de morale ou de religion

Ou comment imposer, en six points, un programme de morale concocté par l'État à tous les élèves du Québec, ceux des écoles publiques et ceux des écoles prétendument privées.

Le résumé ci-dessous est extrait du mémoire présenté devant la Commission Bouchard-Taylor par Me Sylvie Fortin du Barreau du Québec et de Me John Remington Graham du Barreau du Minnesota.

Voici comment, de 1995 à 2005, en l’espace de dix ans, la déconfessionnalisation des écoles publiques s’est consommée à la suite d’une série de rapports administratifs et de textes législatifs :

1ère étape : Commission des États généraux sur l’éducation, 1995 : on retrouve dans les conclusions de cette Commission le premier énoncé de la future politique du ministère de l’éducation, dans un document intitulé Exposé de la situation, 1995-96. Les consultations faites auprès de la population avaient laissé constater que plus de 80 % des participants voulaient conserver l'aspect confessionnel de l'école sous une forme ou une autre. Comme le nota Claude Ryan, « les conclusions des États généraux s’écartèrent substantiellement des orientations établies », afin d’orienter le débat vers la déconfessionnalisation.

2e étape : Modification constitutionnelle de 1997. Celle-ci fut opérée par le gouvernement fédéral à la demande du gouvernement du Québec faite le 15 avril 1997 par résolution unanime des membres de l’Assemblée nationale. L’article 93A fut ajouté à la Constitution canadienne pour que désormais les privilèges conférés au Québec par les alinéas 1 à 4 de l’art. 93 ne lui soient plus reconnus quant au maintien et au financement des écoles publiques confessionnelles et de l’enseignement religieux. Beaucoup a été dit et écrit sur l’à-propos de la formule d’amendement utilisée, mais la Cour suprême du Canada a tranché en faveur de la procédure choisie par les élus.

3e étape : Rapport Proulx, mars 1999. Le rapport du Groupe de travail sur la place de la religion à l’école, intitulé Laïcité et religion : perspective nouvelle pour l’école québécoise, prônait la laïcisation intégrale de l’école publique au nom de la liberté de religion. Claude Ryan fait un constat navrant du Rapport Proulx. Il lui reproche de favoriser des « formes de conformismes idéologiques et de timidité politique qui pourraient s’avérer … asphyxiantes pour la pleine réalisation de la liberté dans une société pluraliste ». Il écrivait également : « Je tiens à noter, pour le déplorer, que le Rapport Proulx a été conçu en vase clos. … le Groupe de travail n’a tenu aucune audition, ni privée ni publique. Il se borna à solliciter l’avis écrit de quelque 80 organismes ayant à ses yeux une envergure nationale. De ce total, 24 organismes seulement firent parvenir un mémoire. La récolte fut encore plus mince du côté des milieux étudiants. Sur 26 conseils étudiants invités à produire un mémoire, seulement deux donnèrent suite à l’invitation du Groupe de travail ». Néanmoins, la thèse du Rapport Proulx a été reprise par la Commission parlementaire sur l’éducation analysant le rapport Laïcité et religion, octobre 1999. Après les auditions de cette commission, le gouvernement a entériné le rapport Proulx sans se préoccuper des voix dissidentes. Sa politique officielle parut en mai 2000 dans un document du ministère de l’éducation intitulé Dans les écoles publiques du Québec : une réponse à la diversité des attentes morales et religieuses, annonçant les prochaines étapes.

4e étape : Loi 118, adoptée le 14 juin 2000. Le gouvernement abolit la confessionnalité scolaire et réduisit le volet religieux à une petite période hebdomadaire d’enseignement religieux facultatif.

5e étape : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec, novembre 2003.
Cette commission prêtait généreusement son aide pour recommander au gouvernement de modifier l’art 41 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, qui constituait la dernière garantie pour les parents de pouvoir choisir l’enseignement religieux pour leurs enfants. Le document était intitulé : Après 25 ans, la charte québécoise des droits et des libertés – modifications recommandées par la commission.

6e étape : Projet de loi no. 95, juin 2005 (L. Q. 2005, ch.20) : le gouvernement adopte avec l’aide de l’opposition ce projet de loi qui supprime tout enseignement religieux dans les établissements publics à partir de 2008 et offre en prime un cours d’éthique et de culture religieuse qui débutera l’an prochain. Voici comment Louis O’Neill fait le récit de ce vote historique : « Précédé de deux interventions banales et consensuelles, le vote en troisième lecture a lieu le 15 juin 2005. L’Opposition officielle approuve le projet de loi haut la main. Personne n’exige de vote nominal, si bien qu’on ne sait pas s’il y avait des députés qui étaient en désaccord avec le projet de loi. Toute l’affaire n’a pas duré une heure. C’est ainsi que s’est consommée la rupture avec une longue tradition éducative qui a marqué l’histoire du Québec et qu’on a bradé un héritage précieux que des générations de croyants humanistes avaient patiemment bâti et sauvegardé depuis les débuts de la Nouvelle-France. Un patrimoine qui, nonobstant ses lacunes, représente une indéniable réussite dans l’histoire de la civilisation occidentale. » L’article 41 de la Charte québécoise est modifié, ce qui a pour effet d’enlever aux parents le droit d’exiger que leur enfant reçoive l’enseignement religieux dans les écoles publiques. Par la même occasion, le gouvernement du Québec annonçait son intention de renoncer à faire usage en 2008 de la Clause dérogatoire permise par la Charte canadienne des droits et libertés. La clause dérogatoire est invoquée pour protéger une mesure législative susceptible de discordance avec les chartes, et son adoption empêche les contestations judiciaires du type que nous verrons plus loin. La clause dérogatoire accorde au législateur le dernier mot en matière de protection des droits et libertés, plutôt qu’à la Cour suprême du Canada.

On peut constater que les six étapes précitées correspondent à un processus administratif et législatif achevé, où chaque instance réplique en se renvoyant l’ascenseur. Le dénouement correspond également à un résultat prévisible pour quiconque connaît les rouages gouvernementaux.